La Nuit des rois ★☆☆☆

La MACA (Maison d’arrêt et de correction de Côte d’Ivoire) est la prison d’Abidjan. Barbe noire en est le Dangoro, le caïd tout puissant ; il possède un droit de vie et de mort sur tous les prisonniers. Mais son règne touche à sa fin et sa succession déjà se prépare. Vieillissant et malade, Barbe noire décide d’organiser un rituel ancien : une nuit des rois. Un prisonnier devra, toute la nuit durant, raconter des histoires. S’il perd l’attention de ses spectateurs, il sera tué.
Le sort en échoit à Roman, un détenu tout récemment incarcéré. Il se lance dans la narration de la vie fantasmée de Zama King, un chef de gang qui profita des désordres de la guerre civile pour faire régner la terreur à Abidjan.

La Nuit des rois est un film étonnant qui emprunte à plusieurs sources. Ses premières images nous plongent dans une ambiance déjà souvent visitée d’enfer carcéral, débordant de violence, de sueur et de testostérone : Prison Break, Un prophète, Midnight Express, La Ligne verte…. Mais la suite du film nous emmène sur d’étonnants chemins de traverses. On pense bien sûr aux Mille et une nuits et au défi relevé par Shéhérazade. On pense aussi aux incantations des griots africains.

L’ensemble est baroque, échevelé, plein de bruit et de fureur. Pourtant, la mayonnaise ne prend pas. On ressort de la salle en se disant que le sujet de La Nuit des rois aurait fait un formidable spectacle de danse contemporaine mais pas un bon film.

La bande-annonce

Blue Bayou ★☆☆☆

Antonio LeBlanc (Justin Chon) a été abandonné à sa naissance en Corée. Il a été adopté et a grandi en Louisiane. Il a épousé Kathy (Alicia Vikander), une infirmière dont il attend un enfant et prend soin de Jessie, l’enfant que Kathy a eu avec Ace, un policier, dont elle s’est brutalement séparée. Antonio a eu une enfance difficile, s’est laissé embringuer par quelques amis dans des vols à la tire et a eu maille à partir avec la justice. Tout est rentré dans l’ordre depuis son mariage avec Kathy grâce à son travail de tatoueur. Mais, après une altercation avec les forces de l’ordre, provoquée par Ace, Antonio apprend que ses papiers ne sont pas en règle et qu’il est sous la menace d’une expulsion vers la Corée.

Il faudrait avoir un cœur de pierre pour ne pas être ému par Antonio LeBlanc, son patronyme en pied-de-nez et sa tragique histoire. Blue Bayou brasse des thèmes intimidants : la perte de ses racines, l’abandon, la filiation et la paternité, le couple, l’iniquité des lois d’immigration aux Etats-Unis, la bêtise et le racisme des forces de l’ordre… Il en rajoute une couche avec le personnage de Parker Nguyen, une immigrée vietnamienne qui se meurt d’un cancer.

C’est beaucoup. C’est sans doute trop. Et la coupe, déjà bien pleine, déborde dans son dernier quart, interminable (le film dure près de deux heures), qui réussit à nous montrer successivement les cinq fins alternatives que Blue Bayou aurait pu avoir.

La bande-annonce

L’Affaire collective ★★★☆

Un incendie dans une discothèque de Bucarest, le club Colectiv, a tué vingt-six personnes en octobre 2015. Plus grave encore : dans les jours et les semaines qui suivirent, pas moins de trente-huit personnes moururent des suites de cet incendie par la faute, pour beaucoup, de la mauvaise qualité des soins qui leur furent prodigués à l’hôpital.

L’Affaire collective a deux héros – et deux sujets – au risque de l’éparpillement.

Dans la première partie du film, la caméra suit les pas de Catalin Tolontan et de ses collègues de Gazeta Spoturilor (un journal sportif !) qui mènent l’enquête non tant autour de l’incendie proprement dit que sur les conditions détestables d’hospitalisation des victimes et partant, l’état de déréliction du système de santé roumain. Grâce à quelques lanceurs d’alerte – une docteure, deux comptables courageuses d’un hôpital – ils mettent à jour un système de corruption généralisée : une entreprise pharmaceutique véreuse surfacturait des biocides hyper-dilués et inefficaces à des directeurs d’hôpitaux qu’elle corrompait par des pots-de-vin. Grâce aux révélations de Tolontan, le directeur de cet entreprise va être mis en examen avant de décéder dans des circonstances obscures.

L’Affaire collective abandonne hélas ce fil pour s’intéresser à un autre qui se révèle vite autant sinon plus fascinant. Elle filme le nouveau ministre de la santé qui prend ses fonctions en mai 2016 après la démission fracassante du cabinet Ponta. Ses premiers pas n’augurent rien de bon. Âgé de trente-deux ans à peine, le jeune Vlad Voiculescu semble bien inexpérimenté pour faire face au défi qu’il doit relever : assainir un système de santé corrompu jusqu’à la moëlle. L’ancien activiste doit concilier éthique de responsabilité (il est le ministre d’un gouvernement qui doit des comptes aux Roumains) et éthique de conviction (il ne peut qu’être révulsé par l’ampleur de la corruption que le scandale Colectiv a révélé et qu’il répugne à couvrir). On le voit, entouré de ses plus proches conseillers, dans la préparation fiévreuse d’une conférence de presse où il lui faudra tenir une ligne de crête impossible.

Le documentaire immergé d’Alexander Nanau, le réalisateur inspiré de Toto et ses sœurs et le directeur de la photographie de Nothingwood, se regarde comme un thriller passionnant. Les scènes qu’il a réussi à filmer sont si haletantes qu’on s’y prend à deux fois pour vérifier dans le dossier de presse qu’il ne s’agit pas d’une fiction reconstituée ni d’un faux vrai documentaire mais bien d’images tournées sur le vif.

La bande-annonce

Summertime ★★☆☆

Par une chaude journée d’été, vingt-cinq habitants se croisent dans les rues de Los Angeles et y dévoilent un pan de leur vie : deux jeunes rappeurs en quête de célébrité, un Noir-Américain gay qui cherche désespérément à se faire servir un cheeseburger, un couple en thérapie, une amoureuse éconduite qui stalke son ex, un employé de fast food débordé par une clientèle hargneuse et revendicative, etc.

Summertime est le second film du jeune réalisateur Carlos Lopez Estrada, qui avait fait des débuts remarqués en 2018 avec Blindspotting, qui mettait en scène deux marginaux, un Noir en fin de conditionnelle et un Hispanique déjanté, dans les rues d’un Oakland en voie de gentryfication.

Summertime explore encore la veine de la comédie urbaine. La ville de Los Angeles filmée avec une empathie communicative (on pense à la palette chromatique de Tangerine ou aux premières comédies new yorkaises de Spike Lee) y est autant sinon plus la principale héroïne que ses vingt-cinq personnages.

Mais Carlos Lopez Estrada a recours a une forme particulièrement originale. Son film, inspiré par les séances de « spoken word » qu’il avait organisées avec une série de poètes de L.A., est un objet cinématographique non identifié. Il relève plus du genre de la performance que de celui de la comédie ou du drame proprement dit. Il s’agit de montrer bout à bout plusieurs poètes déclamant leur oeuvre. Le risque est celui de la juxtaposition : coller une série de performances devenant vite à la longue répétitives. Ce risque là n’est qu’à moitié évité dans un film marabout-bout de ficelle au scénario passablement indigent, qui aurait pu durer une demie-heure de plus ou de moins.

Autre écueil que n’évite pas Summertime : la bien-pensance woke qui donne une tribune à toutes les minorités visibles et à leurs revendications aussi légitimes soient-elles contre le racisme, l’homophobie, la grossophobie…

Pour autant, les poèmes mis en images ont une telle force, le talent de leurs jeunes auteurs est si impressionnant, l’énergie avec laquelle ils déclament leur oeuvre si communicative qu’on ne peut que se laisser emporter par la force de Summertime. Les mots fusent, jaillissent, explosent…. N’espérez pas lire les sous-titres : ils défilent à une telle vitesse que vous n’y arriverez pas. Mais laissez vous retourner, chahuter, déranger par cette éruption rageuse et slameuse.

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Berlin Alexanderplatz ★★☆☆

Francis est originaire de Guinée-Bissao. Il est arrivé en Allemagne au péril de sa vie, perdant dans la traversée sa femme noyée. Sans papiers, malgré son aspiration à une vie honnête, il n’a d’autre solution que de travailler sous les ordres de Reinhold, un petit dealer, infirme et psychopathe, qui manque le tuer après un cambriolage. Devenu manchot, Francis est recueilli par Mieze, une prostituée. Il croit enfin accéder avec elle au bonheur qui le fuyait depuis si longtemps. Mais c’était sans compter avec le machiavélisme de Reinhold.

Berlin Alexanderplatz est un monument qui occupe dans la littérature allemande une place envahissante. Quelque part entre La Montagne magique et L’Homme sans qualités. Ce roman touffu, qui entrelace les points de vue et les styles, dont Alfred Döblin a reconnu la dette qu’il doit au Ulysse de James Joyce, a longtemps passé pour intransposable au cinéma, même si Piel Jutzi en signait dès 1931 une adaptation. Si Fassbinder s’y est frotté au début des années quatre-vingts, c’est pour en tirer une série TV de quatorze épisodes et de près de quinze heures.

Il fallait donc un sacré culot au réalisateur allemand d’origine afghane Burhan Qurbani pour s’attaquer à ce monstre sacré. Il assume crânement son audace, en transposant l’intrigue – qui se déroulait dans le Berlin de l’entre-deux-guerres – à l’époque contemporaine, en faisant du héros, un repris de justice dans le roman de Döblin, un Africain sans papiers et du racisme un de ses enjeux.

Pas évident pour moi de me faire une opinion éclairée du résultat, faute d’avoir lu le livre (j’ai passé la moitié de l’été à suer sang et eau sur les presque mille pages de La Montagne magique) ou vu la série de Fassbinder. J’ai compris de son résumé toutefois que Qurbani est resté fidèle au roman – jusqu’à son dénouement dont il s’en écarte en partie.
Je ne me suis pas ennuyé, même si le film dure plus de trois heures. Pour autant, je me demande, si l’œuvre n’aurait pas été plus efficace en série de trois ou quatre épisodes.

Je lui reconnais une qualité : m’avoir donné envie d’aller à la source du livre qui l’a inspiré.

La bande-annonce

De bas étage ★☆☆☆

Mehdi (Soufiane Guerrab) est un perceur de coffres dont les cambriolages sont de plus en plus risqués et de moins en moins rentables. Sa compagne, Sarah (Souheila Yacoub), qui désapprouve son mode de vie l’a quitté et travaille dans un salon de coiffure. Le couple a eu un enfant que Sarah élève seule mais auquel Mehdi est très attaché.

Le premier film de Yassine Qnia, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes, est sorti au cœur de l’été, sans guère de publicité, coincé entre OSS 117  et Jungle Cruise. Cela ne lui a pas donné la meilleure visibilité.

Autre handicap : De bas étage brouille les pistes, laissant penser à un de ces polars poisseux qui prennent la banlieue pour théâtre là où il s’agit en fait plutôt d’un drame social pudique, sans effets de manches, mettant en scène l’échec d’un homme. Au surplus, son héros, possessif et violent, obsédé par le contrôle, n’en est pas un et ne suscite guère l’empathie du spectateur.

Difficile avec autant de handicaps assumés d’enthousiasmer la critique qui pourtant aurait aimé aimer ce premier film qui met au premier plan deux jeunes acteurs pleins d’avenir : Soufiane Guerrab, cantonné jusqu’à présent aux rôles plutôt comiques, et Souheila Yacoub qui mettait le feu à Climax de Gaspar Noé.

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Rouge ★★☆☆

Après une expérience traumatisante aux urgences d’un grand hôpital, Nour Hamadi (Zita Hanrot) trouve un poste d’infirmière chez Arkalu, l’usine chimique où son père (Sami Bouajila) travaille depuis des dizaines d’années. Elle y fait des découvertes alarmantes sur la santé des ouvriers. Lorsqu’elle tire la sonnette d’alarme, elle se fait rabrouer par son père qui, sa vie durant, s’est battu pour protéger l’emploi de ses camarades et par le directeur de l’entreprise (Olivier Gourmet) qui craint que ces révélations ne remettent en cause les autorisations administratives dont elle bénéficie. Auprès de Emma (Céline Sallette), une journaliste militante engagée pour la défense de l’environnement, Nour trouvera peut-être le courage de rendre publiques les informations qu’elles possèdent au risque de trahir la confiance de son père.

« Un thriller écologique haletant » nous annonce l’affiche de Rouge, le deuxième long métrage de Farid Bentoumi, tourné, comme le premier, Good Luck Algeria, en Isère. C’est sans doute un peu excessif. Si Rouge marche sur les brisées de Dark Waters en racontant, comme lui, l’enquête menée sur les pratiques polluantes de l’industrie chimique (les faits sont inspirés de la pollution aux boues rouges de l’usine Alteo de Gardanne dans le parc national des Calanques), il n’en a ni l’âpreté ni la rigueur.

Rouge n’en constitue pas moins un film solide et convaincant qui tresse intelligemment deux trames narratives.
D’un côté le film politique qui fait fonds sur deux sujets à la mode : la défense de l’environnement – avec laquelle je suis évidemment d’accord – et la dénonciation de la corruption des grands groupes industriels – dont la démagogie et le simplisme m’inspirent quelques réserves. Ces deux sujets sont portés par la lanceuse d’alerte interprétée par Zita Hanrot (César du meilleur espoir féminin en 2016 pour son rôle dans Fatima), une figure éminemment dramaturgique dont le cinéma s’est logiquement emparé depuis quelques années : scandale du Mediator (La Fille de Brest) ou affaire Clearstream (L’Enquête).
De l’autre, Rouge est un drame familial dont les deux personnages principaux sont une fille et son père, dont l’amour réciproque sera douloureusement remis en cause par leurs loyautés et leurs éthiques respectives. Avoir placé son héroïne dans cette situation familiale là est une sacrée bonne idée du scénariste qui souligne le dilemme auquel les lanceurs d’alerte sont confrontés : révéler la vérité, oui, mais au risque de s’aliéner non seulement ses collègues de travail mais aussi ses proches.

On peut certes reprocher à Rouge son académisme, les lieux communs qu’il ne manque pas d’aligner. Mais c’est faire un procès bien sévère à ce film juste et efficace, interprété par un quatuor d’acteurs parmi les plus affûtés du cinéma français contemporain.

La bande-annonce

Il Varco ★☆☆☆

En 1941, l’Italie fasciste est alliée à l’Allemagne hitlérienne. L’armée italienne est requise pour participer à l’opération Barbarossa sur le front de l’Est. Un officier italien, de mère russe, est rappelé pour servir d’interprète. Il traverse l’Europe en fourgon militaire pour gagner son poste en Ukraine.

Il Varco est un étrange objet cinématographique d’une durée d’une heure et dix minutes seulement. Il est constitué d’images d’archives filmées on-ne-sait-comment par des soldats italiens enrôlés dans l’offensive hitlérienne sur le front russe. Ces images patiemment restaurées et superbement montées donnent à voir la guerre, ses servitudes, ses épreuves…. En voix off, le héros sans visage et sans nom de ce documentaire raconte son histoire. Il faut attendre le générique de fin pour comprendre qu’il s’agit en fait du recoupement de plusieurs journaux intimes de soldats italiens sur le front russe, entrelacés pour n’en faire qu’un seul.

Le souvenir de cette guerre en appelle deux autres : celle menée quelques années plus tôt par l’Italie en Éthiopie, celle qui se déroulera, quelques décennies plus tard, au même endroit, dans l’est de l’Ukraine.

Le résultat est déconcertant. On peine à en comprendre l’objet. En particulier, le parallèle dressé avec des images contemporaines du conflit en Ukraine, que rien n’éclaire, ne convainc pas. Le seul intérêt, finalement assez pauvre, d’Il Varco est de découvrir des images et un pan de la Seconde guerre mondiale qu’on ne connaissait pas.

La bande-annonce

L’Origine du monde ☆☆☆☆

Jean-Louis (Laurent Lafitte) est avocat dans un grand cabinet parisien. Il mène une vie confortable aux côtés de Valérie (Karin Viard) que vient brutalement interrompre un événement extraordinaire : un beau jour, son cœur s’arrête de battre. Son meilleur ami, vétérinaire (Vincent Macaigne), est catégorique : inutile d’aller aux urgences, tout va bien. La médium que Jean-Louis consulte (Nicole Garcia) est moins optimiste : Jean-Louis va mourir si son cœur ne redémarre pas. Pour y parvenir, elle exige de Jean-Louis qu’il remonte à ses origines et prenne en photo…. le sexe de sa mère.

Le résumé que je viens d’en faire annonce la couleur : L’Origine du monde est une immense farce, teintée de fantastique, qui n’hésite pas à faire dans la surenchère sans souci de crédibilité. Son pitch savoureux, intelligemment présenté dans sa bande-annonce a mis l’eau à la bouche de milliers de spectateurs, appâtés par sa brillante distribution.

L’Origine du monde est le premier film de Laurent Lafitte qui porte à l’écran une pièce de Sébastien Thiéry. On y retrouve toutes les tares du théâtre filmé français dont j’ai déjà eu l’occasion de dire le mal que j’en pensais. Son histoire se résume à l’interaction de trois ou quatre personnages ; son scénario souffre d’un manque chronique de rythme ; son seul moteur est ses dialogues qui essaient désespérément de susciter le rire.

Alors, bien sûr si photographier « la chatte de ma mère » – ou « chier dans des draps de soie » – vous semble drôle, vous rirez plus qu’à votre tour. La salle où j’ai vu L’Origine du monde était d’ailleurs joyeuse – les éclats de rire de mes voisins ayant sur moi l’effet paradoxal d’inhiber les miens. Je dois reconnaître que Laurent Laffite joue bien, que Vincent Macaigne est étonnant sans la barbe qu’il arbore d’habitude, que Karin Viard est toujours d’un naturel désarmant et qu’Hélène Vincent joue une tatie Danielle hilarante. Sans oublier les deux scènes d’anthologie de Nicole Garcia.

Mais cette accumulation de bons acteurs ne suffit pas à faire un bon film. L’énormité de son sujet ajoutée à la vulgarité de ses gags le condamne à ce qu’il est : du théâtre ranci.

La bande-annonce

9 jours à Raqqa ★☆☆☆

De 2014 à 2017, l’État islamique installa sa capitale à Raqqa et y imposa la charia. Libérée par les forces démocratiques syriennes en octobre 2017, la ville fut ravagée par les bombardements aériens et les combats de rue. Sa nouvelle maire, Leila Mustapha, est une jeune Kurde, ingénieur civil, âgée de trente ans à peine.
Le documentariste Xavier de Lauzanne a mis ses pas dans ceux de la journaliste Marine de Tilly qui nourrissait le projet d’écrire un livre sur elle. Dans une ville en ruines, où le départ imminent des troupes américaines décrété par Donald Trump laisse planer la menace d’un retour de Daech, ils disposent de neuf jours à peine pour la rencontrer et l’interviewer.

La figure christique de Leila Mustapha ne peut susciter que l’admiration et l’empathie. Elle incarne à elle seule la résilience d’une population martyrisée par un pouvoir fanatique, par la chappe de plomb qu’il a fait tomber pendant de longues années sur une ville et sa région et par la guerre civile qui a réussi à l’en libérer. Femme, jeune, intelligente, belle, Leila Mustapha est un exemple pour tous les féministes en mal de modèle, une femme forte qui n’a rien renié de ses valeurs pour s’imposer dans un monde d’hommes, à l’instar, toutes choses égales par ailleurs, d’une Ruth Bader Ginsburg ou d’une Aung San Suu Ky.

La caméra de Xavier de Lauzanne a réussi à la filmer dans des conditions périlleuses. Le voyage jusqu’à Raqqa, via Istanbul, Erbil et une longue chevauchée automobile sous escorte, en augurent les difficultés. L’édile municipale n’a pas une minute à elle. Elle utilise toute son énergie à reconstruire sa ville en ruines, dans des conditions sécuritaires dégradées. La menace d’un attentat, d’un enlèvement plane. Ses traits tirés portent le témoignage de sa fatigue sinon de son épuisement. Mais sa détermination demeure indestructible.

Il n’y a pas grand’chose à reprocher à 9 jours à Raqqa. En particulier, il serait malhonnête de lui reprocher d’avoir héroïsé une figure indéniablement héroïque. Pour autant, à force de tresser des louanges à cette « maire-courage », à force de souligner ses muets sacrifices et l’ampleur des défis qu’elle doit relever, le documentaire de Xavier de Lauzanne verse dans l’hagiographie plus ou moins assumée. Faute de contrepoint, 9 jours à Raqqa se réduit à un long clip électoral.

La bande-annonce