Oui ☆☆☆☆

Y. est pianiste, Yasmine est danseuse. Le couple a un bébé et se produit dans des soirées privées. Israël vient d’être attaqué par le Hamas le 7 octobre 2023 et lance une offensive massive sur Gaza. Un milliardaire russe demande à Y. d’écrire un nouvel hymne national belliqueux. Y. accepte.

Qu’on l’apprécie ou pas, Nadav Lapid est décidément un réalisateur exceptionnel. Il est le propre sujet de ses films, qui sont tout à la fois une critique amère du régime israélien et une déclaration d’amour à cette terre messianique. Synonymes évoquait l’exil à Paris – où Nadav Lapid et sa famille sont installés depuis quatre ans – Le Genou d’Ahed, l’impossible retour dans la terre matricielle.

Oui traite de la vie en Israël qui suit nonchalamment son cours pendant que la guerre fait rage à Gaza, à quelques kilomètres à peine, et des accommodements quotidiens que chacun fait avec un régime à l’idéologie détestable. Car Oui est évidemment un titre antithétique : le plus beau mot du monde (on pense à l’épilogue d’Ulysse) est aussi celui de toutes les compromissions, de toutes les abjections. « Penser, c’est dire non » disait Alain.

Le Monde a consacré mercredi dernier une pleine page à Oui. On y lit sa critique érudite – comme toujours – par Jacques Mandelbaum et son interview de Nadav Lapid. Elle est passionnante. Nadav Lapid y raconte sa sidération devant les crimes du 7-Octobre suivie par sa sidération plus grande encore devant la réaction d’Israël : « J’y retrouve beaucoup d’amis chers dont je partageais le deuil, de « bons israéliens », des gens de gauche, tout entiers gouvernés par la vengeance, devenus sourds à toute considération humaine. Comme si le traumatisme du 7-Octobre s’inscrivait chez eux dans un présent éternel, comme si c’était la réédition d’un nouvel holocauste. » Il y évoque aussi son désarroi devant la désinvolture des habitants deTel Aviv (la « bulle » pour reprendre le titre si pertinent du film de Eytan Fox) que la guerre à Gaza ne semble pas émouvoir.

Ce sont ces sentiments-là qu’il a voulu mettre en scène en utilisant un scénario qu’il avait commencé à écrire « sur le rapport entre l’art et le pouvoir dans un pays malade ».

Le sujet est enflammant, passionnant. La sincérité de Nadav Lapid n’est pas en cause. Nadav Lapid n’assène pas des certitudes. Il filme un désarroi existentiel.

Le problème est le résultat. Aussi passionnante qu’en soit la genèse, aussi complexes qu’en constituent les syndromes qui l’ont fait naître, un film reste un film : deux heures trente – soit ici sans doute une bonne heure de trop – d’images gravées sur une pellicule et projetées avec un son dans une salle de cinéma devant un public captif.
Le résultat donne le vertige. Jacques Mandelbaum le décrit mieux que moi : « Il en résulte une forme sous stéroïdes, qui travaille au corps l’adéquation au prurit nationaliste et à la décadence spirituelle. Pavoisement général des drapeaux étoilés. Stroboscopie des sensations. Rutilance hygiéniste. Pâmoison de la jouissance nationaliste. Tête du communicant qui se transforme en écran, façon cartoon. Caméra qui lâche les amarres. Regards voilés, viandes englouties, culs offerts. »

Le problème de cette forme est qu’elle est totalement indigeste. Sadique, Nadav Lapid torture ses spectateurs. Libre aux masochistes d’y prendre du plaisir et d’y trouver de l’intérêt. En ce qui me concerne, je préfère amplement lire les articles qui lui sont consacrés que m’infliger la souffrance de cette expérience.

Un dernier point en forme de post-scriptum : même si le cabinet du Premier ministre israélien avait demandé à la Cinémathèque de Jérusalem de déprogrammer la projection de Oui au motif que :  « il s’agit d’un cinéaste connu pour ses positions extrêmes, qui a choisi d’exploiter les événements traumatisants du 7 Octobre pour créer une satire provocatrice, présentant l’État d’Israël et ses institutions comme un État “malade”, rempli de haine, tout en omettant et en déformant complètement la réalité des atrocités commises par le Hamas contre les citoyens israéliens (…) La diffusion de ce film ne relève pas d’une “critique légitime”, mais constitue une légitimation d’un récit cherchant à masquer les crimes du Hamas, à ternir l’image d’Israël et à porter atteinte au moral national« , la projection a bien eu lieu, preuve éclatante qu’Israël est une démocratie qui respecte la liberté d’expression et tolère les opinions dissidentes.

La bande-annonce

Les Tourmentés ★☆☆☆

Skender (Niels Schneider) est un ancien légionnaire qui, après son départ de l’armée, a connu une inexorable déchéance, quittant sa femme (Deborah François) et ses fils, vivant à la rue. Max, un ancien camarade (Ramzy Bedia), employé par une veuve richissime (Linh-Dan Phan), lui propose un marché diabolique : accepter d’être le gibier d’une chasse à l’homme d’un mois dans une réserve privée du nord de la Roumanie en échange de trois millions qui seront versés à sa famille s’il n’y survit pas.

J’aime beaucoup le cinéma de Lucas Belvaux, ce réalisateur belge qui sait raconter des histoires captivantes, ancrées dans un arrière-plan social, avec des caractères forts : Des hommes adapté d’un livre de Laurent Mauvignier sur la guerre d’Algérie et ses répliques dans la société française contemporaine, Chez nous qui dénonce les poisons que distille le Front national auprès d’une France rongée par la peur du déclassement, Pas son genre sur la relation impossible entre un prof agrégé et une coiffeuse, 38 Témoins sur la lâcheté ordinaire…

Lucas Belvaux a publié en 2022 son premier roman. Une amie au goût très sûr me l’a chaudement recommandé et me l’a même offert. Je l’ai lu hier sur le chemin du cinéma, vivant l’expérience assez étrange de voir les images d’un texte que je venais de lire quelques minutes avant.

Lucas Belvaux réalise l’adaptation de son propre ouvrage. C’est l’assurance qu’il ne sera pas dénaturé. Pour autant, il ne lui est pas totalement fidèle. Le livre est construit en 86 chapitres très courts de trois ou quatre pages chacun, où le point de vue de chaque personnage est tour à tour présenté au style indirect. Sauf à recourir à la voix off, le style indirect n’existe pas au cinéma. La littérature est un genre spontanément psychologisant qui peut raconter ce que les personnages pensent ; le cinéma est un genre qui, dans une large mesure, ne peut montrer que ce que les personnages font. Le chapitre 27 raconte par exemple du point de vue de Skender le dîner qu’il offre à sa femme dans un restaurant et ses hésitations à chaque instant pour la convaincre qu’il s’est amendé. La scène du film, plus objective par construction, gomme ce point de vue.

Tromperie sur la marchandise. Les Tourmentés nous est vendu comme une chasse à l’homme, façon Les Chasses du comte Zaroff. Or, le début de la chasse n’est prévu que six mois après que son principe a été acté entre Skender et Madame. Et le livre comme le roman se perdent dans ses longs préparatifs, dans la réconciliation de Skender et de sa femme, dans les états d’âme de Max, déchiré entre deux loyautés contradictoires et dans les hésitations de Madame, dont le passé est peu à peu révélé depuis son enfance misérable au Laos où un riche milliardaire est venu l’acheter à sa mère maquerelle.

Autre défaut, plus rédhibitoire encore. Les Tourmentés – un titre qui me sera resté définitivement obscur – est un film très (trop) bavard, dépourvu du moindre humour, où les personnages échangent sentencieusement des adages définitifs sur le sens de la vie. Ça passe ric-rac à l’écrit ; ça ne passe plus du tout à l’écran avec une distribution à contre-emploi.

La bande-annonce

Salve Maria ★☆☆☆

Maria, une jeune écrivaine, vient d’accoucher. Son compagnon a beau se montrer aidant, Maria est dépassée par les pleurs de son bébé, par ses vomissements dont elle se demande, en dépit du diagnostic rassurant des médecins, s’ils ne sont pas l’indice d’une maladie cachée. Alors que Maria s’enfonce dans la dépression, un fait divers retient son attention : une Française, installée en Catalogne, aurait noyé ses deux jumeaux.

Adapté d’un récit de l’autrice basque Katixa Agirre, Salve Maria dresse un impressionnant portrait de femme. La révélation Laura Weissmahr, le cheveu blond et filasse, les yeux cernés par la fatigue, le bustier maculé des sécrétions de son bébé, porte le film sur ses épaules de bout en bout jusqu’à son épilogue aussi ambigu que juste.

Le problème de Salve Maria est d’être le film d’un seul sujet : la dépression port partum. Le sujet est grave. Mais, à lui seul, il ne suffit pas à nourrir un film tout entier. La vaine tentative de faire sortir Maria de son appartement pour l’entraîner dans une haute vallée pyrénéenne à la recherche de cette meurtrière qui la fascine ne suffit pas à donner au film l’oxygène qui lui manque.

La bande-annonce

Nino ★★☆☆

Nino est un grand garçon taiseux qui a consulté pour de la fatigue et des maux de gorge. Il apprend brutalement, le jour de son vingt-neuvième anniversaire, qu’il souffre d’un cancer du larynx. Trois jours plus tard, sa radiothérapie commencera. Abasourdi par cette nouvelle, il ne sait pas comment y réagir et l’annoncer à ses proches.

Nino est un film habité par la grâce. La grâce de son héros, qui oscille entre gravité et nonchalance. L’acteur s’appelle Théodore Pellerin. Il nous vient du Québec. Il a déjà joué dans quelques films où il passait inaperçu : GenèseVille neuve, La Dérive des continents (au sud), Beau is Afraid… Il explose dans ce rôle qui ne manquera pas de lui valoir une nomination aux prochains Césars.
D’autant qu’il est fort bien entouré. Par sa mère, interprétée par une Jeanne Balibar toujours aussi perchée (dommage que sa réplique si drôle ait déjà été divulguée par la bande-annonce). Par son ex, Camille Rutherford. Par son meilleur pote, si fidèle en amitié, William Lebghil. Et par cette ancienne camarade d’école qui ressurgira dans sa vie sans crier gare, Salomé Dewaels, la révélation d’Illusions perdues.

Si j’ai trouvé ce Nino si gracieux et si bien interprété, pourquoi alors ce jugement mitigé ?

Pour deux raisons.
La première est l’écriture. Nino est une errance dans Paris qui dure trois jours – ou qui aurait pu n’en durer qu’un seul comme dans Cléo de 5 à 7 dont il reprend le motif. Nino ayant perdu ses clés, va dormir chez sa mère, puis sur son pas de porte puis chez Zoé. Ces rencontres successives sont certes charmantes, mais fonctionnent comme autant de tableaux, juxtaposés les uns aux autres, sans que chacun fasse la preuve de sa nécessité et n’eût pu être interchangé avec un autre sans en modifier l’économie.

La seconde est le ton. Nino, nous dit sa réalisatrice, est né du choc qu’elle a ressentie à la mort d’un ami proche, fauché par un cancer dans la fleur de l’âge. Mais Nino n’est jamais sombre. Nino est une aimable déambulation rohmérienne dans le nord-est de Paris. On n’y ressent pas d’angoisse pour son héros, trop nonchalant, trop badin. Si l’intention de Nino était de flirter avec la mort, de nous faire ressentir la fragilité de la vie humaine et l’urgente obligation d’en jouir tant qu’elle s’offre à nous, le ton pour le dire n’est pas le bon.

La bande-annonce

Dalloway ★☆☆☆

Paris, dans un futur proche, est écrasé par la canicule ; une mystérieuse épidémie y sévit ; le ciel est sillonné de drones. Clarissa (Cécile de France) participe à une résidence littéraire dans un immeuble ultra-moderne de la proche banlieue dont chaque appartement est géré par une IA dernier cri. Clarissa, qui travaille à une biographie de Virginia Wolf, baptise son IA « Dalloway ». Elle l’aide dans son travail qui n’avance guère. Alertée par les mises en garde d’un autre résident, Clarissa nourrit bientôt des soupçons sur Dalloway et la suspecte de l’espionner.

Yann Gozlan est un réalisateur qui a réussi à trouver sa place dans le cinéma français. Scénariste de la plupart de ses films, il a le talent d’inventer des histoires intrigantes : celle d’un écrivain raté qui acquiert une célébrité embarrassante en s’attribuant un manuscrit qu’il n’a pas écrit (Un homme idéal), celle d’un technicien aéronautique enquêtant sur les causes d’une catastrophe aérienne (Boîte noire), celle d’une hôtesse de l’air victime d’hallucinations (Visions)… Il a eu l’intelligence de s’entourer des stars françaises les plus bankables du moment : Pierre Niney (qui sera la tête d’affiche de son prochain film, Gourou, dont la sortie est prévue en janvier 2026), François Civil, Diane Kruger et ici Cécile de France et Mylène Farmer qui prête sa voix à celle de l’IA Dalloway.

Mais pour autant, les films de Yann Gozlan présentent à mes yeux deux défauts. Le premier est d’être décevants. Autant leurs bandes annonces, rythmées et intrigantes, me mettent l’eau à la bouche, autant la résolution des énigmes sur lesquelles ses films sont construits me semble maladroite. C’était le cas de Visions, gros échec commercial (170.000 spectateurs à peine) après le succès de Boîte noire (1.2 millions d’entrées). C’est le cas de Dalloway.
L’autre défaut est plus préoccupant. C’est la petite musique complotiste que joue chacun de ses films. Le trafic aérien serait aux mains de grands groupes industriels qui sacrifient la sécurité sur l’autel de leurs profits (Boîte noire). L’IA serait l’instrument d’une politique liberticide (Dalloway). Ces idées me sont désagréables. C’est une opinion subjective bien éloignée du cinéma et de la critique objective que je devrais en faire sur ce blog. Mais c’est une opinion qui me conduit à porter sur eux un regard peu sympathique.

La bande-annonce

L’Intérêt d’Adam ★★★☆

Lucy (Léa Drucker) est infirmière en chef dans un service de pédiatrie. Adam, quatre ans, gravement malnutri, y a été hospitalisé. Les droits de visite de sa mère, Rebecca (Anamaria Vartolomei), ont été restreints par une ordonnance judiciaire d’éloignement ; car Rebecca exerçait sur lui semble-t-il une influence toxique. Mais Adam refuse de s’alimenter sans sa mère et Rebecca, unie à son fils par une relation symbiotique refuse de le quitter.

Hasard heureux ou malheureux de la programmation : L’Intérêt d’Adam sort trois semaines à peine après En première ligne, le remarquable film suisse qui suivait sans la lâcher Leonie Benesch dans un hôpital bâlois pendant toute une garde harassante.

Qui aura vu les deux aura spontanément tendance à les hiérarchiser. Pour moi, c’est match nul : je les ai autant aimés l’un que l’autre, plaçant le premier en tête de mes films préférés du mois d’août et le second pas loin du sommet de septembre avec Sirāt et Connemara.

En première ligne est un film transversal : il passe en revue l’ensemble des situations auxquelles une infirmière se trouve confrontée pendant une garde. L’Intérêt d’Adam est un film longitudinal : il s’attache à un patient, même s’il en évoque brièvement – et aurait pu en faire l’économie – quelques autres : la famille congolaise nombreuse et bruyante communiquant mal en français, la mineure musulmane relevant d’un curetage qu’elle ne veut pas que sa mère apprenne…

Quelles sont les causes de la malnutrition et de la sarcopénie dont souffre Adam ? Sa mère en est-elle responsable ? Par quels enchaînements en est-elle arrivée à maltraiter ainsi son enfant ? Souffre-t-elle d’un syndrome de Münchhausen par procuration, voulant à tout prix susciter la compassion pour son fils  au point de provoquer chez lui un état pathologique ? Le film aurait pu, à la façon d’une enquête policière, remonter ce fil-là et chercher les origines de cette situation. Mais il refuse cette facilité pour s’intéresser au temps présent. Il se pose une seule question, en temps réel : comment séparer Rebecca, qui s’y refuse, de son fils ?

On pourrait craindre qu’un scénario si étique ne suffise pas à un film. La réponse est dans sa durée – 1h18 à peine – et dans la qualité de son écriture qui ne réserve ni ventre mou ni temps faible. Comme En première ligneL’Intérêt d’Adam ne laisse à Lucy et aux spectateurs qui ne la lâchent pas d’une semelle aucun répit. Avec elle, on partage le stress quasiment irrespirable de cette longue course folle.

En sortant du film, une amie espiègle me disait que son meilleur interprète était la barrette à cheveux de Lucy, filmée de dos dans les longs couloirs du service. C’est faire peu de cas des deux actrices qui portent le film à bout de bras et qui sont venues le présenter dimanche soir à l’avant-première à laquelle j’ai eu le privilège d’assister. Léa Drucker y est aussi impressionnante que dans Dossier 137 dont je dirai à sa sortie le 19 novembre le bien immense que j’en pense. Elle réussit à être en même temps impériale – on ne résiste pas à ses commandements – et empathique. Anamaria Vartolomei, la peau grasse, le cheveu filasse, a un rôle ingrat qu’elle interprète avec une brûlante incandescence.

Après En première ligne, après L’Intérêt d’Adam, je ne me précipiterai pas pour voir un autre film sur l’hôpital. Mais je suis profondément heureux d’avoir vu ces deux-là.

La bande-annonce

Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles ★★☆☆

Dans les années 1930, le frère Marie-Victorin, éminent professeur de botanique, fondateur du Jardin botanique de Montréal, a entretenu avec son étudiante Marcelle Gavreau une relation passionnée qui est pourtant restée platonique.

Ce film nous vient du Québec. Il en a l’accent si charmant. Il aurait pu se borner à raconter une histoire. Celle d’une relation hors normes entre un frère lassallien et son élève, révélée dans les années quatre-vingt-dix par la publication de leur riche correspondance. Mais il y rajoute une intéressante mise en abyme malheureusement mal exploitée.

L’affaire aurait pu être tristement banale, comme on en entend si souvent hélas depuis quelques années et les travaux nécessaires de la Ciase en France ou d’autres commissions en Irlande, au Chili, ou ailleurs : l’histoire de l’emprise sexuelle d’un homme de foi sur une croyante trop crédule. De telles situations ont d’ailleurs nourri bien des films : The Magdalene Sisters, El Club, Philomena, Grâce à Dieu, Tu ne mentiras point

Mais si emprise il y a entre l’homme d’Eglise et son élève de vingt-deux ans sa cadette, elle n’est pas sexuelle. Leur relation serait semble-t-il restée platonique. Le paradoxe de ce film est de raconter cette relation si chaste avec un érotisme débordant. Car à défaut de faire l’amour, les deux épistolaires s’en sont parlé, en des termes très directs, comme si la description frontale de la sexualité constituât un moyen pour eux de la refouler.

Le film aurait pu se contenter de raconter une histoire. Mais il rajoute une couche de complexité. Il filme ses acteurs en train de tourner dans le film qui raconte cette histoire. Il prête au couple vedette une relation adultère qui fait écho à la chasteté de leurs deux personnages.
Cette mise en abyme était une sacrée bonne idée. Dommage qu’elle n’ait pas été mieux exploitée.

La bande-annonce

Ciudad sin sueño ★☆☆☆

Toni est un adolescent à peine sorti de l’enfance qui vit à la Cañada Real, un immense bidonville dans la banlieue de Madrid. Il est profondément attaché à son grand-père et ne se sépare jamais de son chien Atomica, un lévrier espagnol. Mais le quartier où il habite avec ses parents est sous la menace des promoteurs qui veulent le raser. Pour Toni et sa famille, le déménagement semble inéluctable.

Ciudad sin sueño (littéralement la ville sans rêve ou sans sommeil) est le premier long-métrage de fiction de Guillermo Galoe, un réalisateur venu du documentaire. Il a été sélectionné à la Semaine de la critique à Cannes en mai dernier. Sa principale qualité est de nous plonger au cœur de ce bidonville, peuplé de gitans, d’immigrés maghrébins, structuré par une économie de la débrouille, du travail au noir et du trafic de drogue.

Pour donner vie à ce tableau et parce que Ciudad sin sueño se présente comme un film de fiction, il a bien fallu lui inventer une histoire. Et c’est là que le bât blesse. Parce que le scénario du film est trop prévisible et pas assez prenant. Comme on le pressentait [attention spoiler], Toni va perdre son chien, se séparer de son grand-père et aller vivre avec ses parents dans un immeuble anomique où on leur a fait miroiter tout le confort de la vie moderne.

La banalité du scénario de Ciudad sin sueño affadit l’intérêt suscité par la découverte du lieu extraordinaire où elle se déroule.

La bande-annonce

Libre Échange ★☆☆☆

Carey (Kyle Marvin), gentil quadragénaire, est marié depuis à peine plus d’un an avec Ashley (Adria Arjona) quand elle lui annonce son intention de le quitter. Écrasé de chagrin, Carey court se réfugier chez son meilleur ami Paul (Michael Angelo Corvino) qui lui raconte le secret de son mariage avec la ravissante Julie (Dakota Johnson) : l’union libre. La nuit qui suit, le pacte qui relie Paul et Julie est mis à mal par Paul qui couche avec la femme de son meilleur ami.

Il y a cinq ans déjà sortait entre deux confinements The Climb réalisé par Michael Angelo Covino, co-écrit avec son meilleur ami Kyle Marvin, et co-interprété par ce duo. J’avais été attiré par sa bande-annonce, impressionné par la maîtrise de ses plans-séquences et l’humour de ses situations, mais passablement déçu par la répétition de ses sept chapitres censés raconter les hauts et les bas d’une amitié virile. Je lui avais mis une étoile et demie, et avais arrondi ma note à l’entier supérieur dans un instant d’indulgence.

Cinq ans plus tard, le duo récidive. Mais le duo est devenu quatuor comme l’affiche l’annonce. Les deux mâles amis sont désormais en couple. Et leur amitié est mise à mal (!) par leurs partenaires respectives, jusqu’à provoquer une bagarre d’anthologie, aussi drôle que rebondissante pendant laquelle les deux hommes mettent à sac une splendide villa de bord de mer (bord de lac ?).

Sa première scène est bluffante. En un seul plan-séquence, on y voit un accident de voiture, un massage cardiaque … et un pénis full frontal. Si le reste du film était au diapason ce serait un chef d’oeuvre. D’ailleurs, la fameuse bagarre entre Carey et Paul se hisse au même niveau. Mais Libre Échange hélas s’enlise vite dans un propos convenu. Sous des apparences transgressives (le défilé des amants d’Ashley est certes hilarant), il raconte une histoire bien banale à laquelle Lubitsch, Hawks et Capra ont donné ses lettres de noblesse : la comédie du remariage.

La bande-annonce

Downton Abbey III : le grand final ★★☆☆

Nous sommes en 1930, dans une Angleterre en pleine évolution, fragilisée par les répliques du krach de Wall Street. Il est temps pour Lord Crawley (Hugh Bonneville), dont la mère, Lady Violet (Maggie SMith), vient de mourir, de céder la direction du fief familial à sa fille, Lady Mary (Michelle Dockery).

Après sept saisons et cinquante-deux épisodes, après deux films, sortis en 2019 et en 2022 auxquels j’avais consacré de longues critiques très subjectives, les producteurs de Downton Abbey ont décidé de fermer le ban. Aucune tromperie sur la marchandise : Downton Abbey III sera bien, comme son titre l’annonce dans un mauvais franglais teinté d’italien un « grand final ».

Quelques fils narratifs lui permettront de durer deux heures : la disgrâce dans laquelle Lady Mary menace de tomber après la révélation de son divorce, les mésaventures financières d’Harold (Paul Giamatti), l’oncle d’Amérique, l’organisation au château d’une soirée en l’honneur du dramaturge à succès, Noël Coward, celle au village de la foire annuelle, deux événements qui seront l’occasion de remettre en cause les hiérarchies coutumières. Mais l’essentiel n’est pas là. Il s’agit de faire un dernier tour de piste, de saluer tour à tour chacun des personnages, y compris les absents (Lady Violet, Sybil la sœur cadette, morte en couches, Matthew, le premier époux de Lady Mary…)

Le procédé sent un peu la naphtaline, comme si on reposait des figurines dans leur écrin. Mais ce serait un reproche bien amer à faire à ce long épilogue qui suscitera chez tous les amoureux de la série une immense nostalgie. Ils se replongeront plus de dix ans en arrière, au début des années 2010, quand ils binge-watchaient (sic) ses épisodes les uns après les autres, pendant de longs week-ends pluvieux.

La salle où j’ai vu le film hier soir était bondée. Le public était majoritairement féminin et avait mon âge – une autre façon de dire qu’il était très âgé. C’est le signe de la popularité de la série, de l’engouement et de la fidélité de ses spectateurs et plus encore de ses spectatrices qui en sont sortis la larme à l’oeil.

La bande-annonce