Sous le vent des Marquises ★☆☆☆

Alain (François Damiens) est une star de cinéma qui a consacré sa vie à son métier. Dans son dernier film, il interprète le rôle de Jacque Brel au crépuscule de sa vie, lorsque le chanteur décide d’abandonner la scène pour faire le tour du monde en bateau. Alain apprend qu’il est, comme Jacques Brel, atteint d’un cancer et qu’il doit être opéré sans délai. Cette découverte le conduit à quitter rapidement le tournage. Alain part en France retrouver sa fille (Salomé Dewaels), qui vit avec sa mère sur une île du golfe du Morbihan, qu’il se reproche d’avoir délaissée pour son travail.

Sous le vent des Marquises nous trompe sur la marchandise. Son titre et son affiche nous laissent escompter un film qui nous ferait voyager à l’autre bout du monde. Hélas, en guise d’exotisme, il ne nous offre guère que le golfe du Morbihan. Son sujet faussement original n’utilise les dernières années de la vie de Brel que comme un point de départ. Beaucoup plus banalement, il s’agit de raconter une relation père-fille compliquée comme on en a déjà vu treize à la douzaine.

Le film a un atout, François Damiens. Cet acteur sait aussi bien faire rire – il a commencé dans la comédie – que pleurer. Mais le film a un handicap rédhibitoire, Salomé Dewaels, jeune espoir frelaté. L’équilibre du film reposait sur l’alchimie entre ses deux acteurs principaux – qui se partagent très démocratiquement l’affiche. Or, l’actrice belge, révélée par Illusions perdues n’arrive pas à la cheville de son père de cinéma. Et ce n’est pas qu’une question de centimètres. Tout sonne faux dans son rôle d’adolescente (de vingt-deux ans !) en mal de père.

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La Tresse ★★☆☆

Laetitia Colombani, qui avait déjà signé plusieurs films, avant de prendre la plume, a elle-même adapté son premier roman. Publié en 2017, La Tresse a remporté un immense succès. Son adaptation, retardée par le Covid, lui est très fidèle. Elle se déroule sur trois continents et entrelace, comme le faisait déjà le roman, l’histoire de trois femmes.

Smita est une Intouchable. Elle vit dans le nord de l’Inde, avec son mari et sa fille. Elle n’a d’autre solution, pour que sa fille échappe à sa condition misérable, que de l’entraîner avec elle dans un long voyage vers une vie plus heureuse.

Giulia est une jeune fille rêveuse, passionnée de littérature. Son père dirige la dernière perruquerie de Sicile. Mais lorsqu’un accident de la route la plonge dans le coma, c’est à Giulia, qui vient de rencontrer Kamal, de prendre en main la destinée de l’entreprise familiale menacée de faillite.

Sarah est une brillante avocate canadienne qui a tout sacrifié à sa carrière. Elle élève seule les trois enfants qu’elle a eus de deux lits différents. Quand un cancer du sein l’oblige à abandonner son poste, son monde s’écroule.

J’avais lu avec beaucoup de retard La Tresse, à la fois appâté par et méfiant de son immense popularité. J’en avais trouvé les effets faciles ; mais je mentirais en n’avouant pas avoir versé ma petite larme. J’ai eu exactement la même réaction devant le film. Je ne l’ai pas vu à sa sortie fin novembre, dissuadé par des critiques abominables et l’avis de quelques amis de confiance. Mais, le voyant encore caracoler en haut du hit-parade et n’ayant plus guère de films serbo-moldaves en noir et blanc à me mettre sous la dent, je me suis trouvé bien snob de l’ignorer. Je suis allé hier soir dans une petite salle de la rue Mouffetard pleine à craquer de spectateurs et de spectatrices de tous âges dûment équipés en Kleenex qui en sont sortis ravis.

J’en ai eu moi aussi pour mon argent et j’ai versé ma larme, avec plus de discrétion j’espère que mes bruyants voisins. Pas une seule surprise néanmoins devant un film qui adapte fidèlement le livre, sa construction alternée – qui a l’avantage de soutenir l’attention et l’inconvénient de devenir un peu mécanique, comme le tempo métronomique d’une valse – ses personnages charismatiques, ses rebondissements jusqu’à son dénouement qu’on avait déjà deviné, avant même de lire le livre, à la seule lecture de son titre.

La Tresse est un hymne à la résilience. C’est aussi un hymne aux femmes. C’est enfin un tour du monde. Le film souligne chacun de ces éléments. Les personnages et les situations frisent la caricature. Les trois héroïnes réussissent vaillamment à se relever des pires échecs. La beauté des paysages filmés grand angle est amplifiée par la musique envahissante de Ludovico Einaudi.

La Tresse ne fait pas dans la nuance. Est-ce pour autant un mauvais film ? Je suis partagé. Tout dépend de la définition qu’on donne d’un « bon » film. Une question qu’il serait grand temps que je me pose alors que je suis sur le point de signer la 2867ème critique de ce blog. Un film qui tient le spectateur en haleine avec un scénario palpitant comme La Mort aux trousses ? Un film qui innove par sa façon de raconter une histoire ou de filmer ses acteurs comme Citizen Kane ? Un film qui exalte la beauté de ses stars comme Gilda ? Un film qui interroge la condition humaine comme 2001 ou La Liste Schindler ? Un film qui nous fait rire ? qui nous fait pleurer ?
« La principale règle est de plaire et de toucher. Toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première » disait Racine, qui doit se retourner dans sa tombe alors que j’utilise ses mots pour défendre La Tresse aujourd’hui et, qui sait, Les Tuche 5 demain.

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Le bonheur est pour demain ★★☆☆

Sophie (Laetitia Casta) est en couple avec José, un toxico. Elle a eu un enfant avec lui. Mais quand elle croise Claude (Damien Bonnard), c’est le coup de foudre. Claude est un malfrat qui tombe bientôt pour homicide, après un braquage qui a mal tourné. En prison il attend son jugement et redoute une lourde peine. Mais ces obstacles pourtant dissuasifs n’empêchent pas Sophie de tout abandonner pour Claude.

Brigitte Sy a eu une vie étonnante. Actrice d’abord avant de passer derrière la caméra, elle a animé des cours de théâtre en prison, y a rencontré un détenu, en est tombée amoureuse et l’a épousé. Le fils qu’elle avait eu d’un premier lit avec le réalisateur Philippe Garrel, Louis Garrel, s’est d’ailleurs inspiré de cette histoire pas ordinaire dans son dernier film, L’Innocent – où une Anouk Grinberg irrésistible jouait le rôle de sa mère.

L’empressement d’insérer la mention légale « toute ressemblance avec des personnages existants serait purement fortuite » dès le début du générique atteste a contrario que son film puise dans une matière bien réelle, l’expérience de Brigitte Sy dans le milieu carcéral, sinon sa vie elle-même.

Laetitia Casta y est éblouissante. Voilà vingt-cinq ans qu’elle tourne au cinéma. C’est l’exemple, plutôt rare, du top model qui aura réussi à la perfection sa reconversion. Elle parvient, ce qui n’est pas une tâche facile, à faire oublier la beauté de ses traits et de ses formes. Même en jogging noir et hauts talons rouges (sic), elle est majestueuse.

Le film était menacé par un écueil : tomber en panne sèche, après l’emprisonnement de Claude. Une dose de thriller y instille à mi-parcours un rebondissement bienvenu. Autre atout du film, qui n’était pas strictement nécessaire à son économie mais qui n’en reste pas moins bienvenu : le personnage de la mère de Claude, une toxico séropo, interprété par Béatrice Dalle qui décidément, avec sa gouaille et son diastème (le mot du jour !), aura elle aussi marqué le cinéma français.

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La Ferme des Bertrand ★★☆☆

Le dernier documentaire de Gilles Perret  (La Sociale) se déroule dans un lieu unique, la ferme des Bertrand, à Quincy, en Haute-Savoie, dans la vallée du Giffre. Mais il entrelace trois périodes. 1972 : trois frères, Jacques, André et Jean, filmés en tricot de peau, racontent sur FR3 les travaux qu’ils entreprennent pour moderniser l’exploitation laitière familiale. 1997 : Gilles Perret, dans son tout premier documentaire, Trois frères pour une vie, les retrouve vingt-cinq ans plus tard au moment de partir à la retraite et de céder la direction de l’exploitation à leur neveu Patrick, et à sa femme Hélène. 2022 : vingt-cinq ans ont à nouveau passé. Patrick est décédé. Hélène va à son tour partir à la retraite. Son fils, Marc, et son gendre, Alex, lui succèdent.

On pourrait dire que la sortie de ce film, alors que la colère des agriculteurs, sur leur juste rémunération et la mondialisation, gronde jusqu’aux portes de Paris, résonne avec l’actualité. Mais ce serait une facilité d’écriture. Car il n’y a aucune colère dans ce documentaire. Ni aucune revendication. C’est une surprise quand on sait l’engagement à l’extrême-gauche de son réalisateur, compagnon de route de Jean-Luc Mélenchon dont il a fait le portrait élogieux dans L’Insoumis et de François Ruffin (J’veux du soleil !, Debout les femmes !)

La Ferme des Bertrand ne nous montre pas, comme les fictions (Petit Paysan, Au nom de la terre…) ou les documentaires (Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettesSans adieu, Profils paysans, Bovines…) ont coutume de le faire, des paysans surendettés, exténués, au bord du suicide ou du dépôt du bilan. Il filme, en espérant que l’expression ne soit pas prise en mauvaise part, des agriculteurs heureux sinon prospères dont le lait est consacré à la fabrication de Reblochons [avec ou sans majuscule ?] et de Tomes de Savoie AOP.

Il ne verse pas pour autant dans l’angélisme ou dans le maurrassisme. Les difficultés du métier ne sont pas occultées : André, Jacques et Jean se sont condamnés au célibat pour travailler ensemble. Le sacrifice fut cruel. Ils en ont conscience, eux qui s’imaginaient une vie plus « normale » et n’avaient ni l’envie ni la vocation de rester à la ferme. Ils disent n’avoir pas eu le « choix ». Mais, au crépuscule de leur vie, ils ne sont pas amers. Au contraire, la fierté du travail bien fait affleure, ainsi que celle de la transmission à la génération suivante..

La génération suivante est reconnaissante du legs qu’elle a reçue de ses aînés. Elle ne leur ressemble pas  pour autant. La modernisation et la mécanisation ont eu du bon – et le documentaire ne se prive pas de décocher quelques piques aux « écolos » qui prêchent le contraire. Le travail reste dur et astreignant. Mais les cadences ont diminué. Et une vie de famille normale est désormais possible, qui se paie le luxe d’une semaine de vacances, interdite aux anciens.

La Ferme des Bertrand est un documentaire sur le passé tourné vers le futur. André, une vraie trogne de cinéma, la moustache de Jean Rochefort et la bouille de Jean Lefebvre, traverse les trois périodes. Il est dans la force de l’âge en 1972, pré-retraité en 1997, vieillard courbé par les ans en 2022, endeuillé par la mort brutale de ses deux frères. Mais il garde toujours une foi indéfectible dans le progrès. C’est la clé, selon lui, de la réussite, autant que de la réduction de la pénibilité du labeur agricole. Gilles Perret fait sien ce point de vue pas vraiment ecofriendly. Son film commence par la présentation d’un curieux robot qui remplacera Hélène dans sa tâche quotidienne : la traite des vaches.

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Captives ★★☆☆

Fanni (Mélanie Thierry) feint la folie pour entrer au pavillon des aliénés de La Salpêtrière en 1894 afin d’y retrouver sa mère qui y aurait été enfermée trente ans plus tôt. Mais elle va bientôt se retrouver prisonnière d’un système carcéral inhumain qui cherche moins à soigner les malades qu’à les opprimer.

Il faut reconnaître à Arnaud des Pallières, dont la dernière réalisation, Journal d’Amérique, m’avait pour le moins dérouté, un certain talent pour planter un décor et raconter une histoire. Le décor, c’est l’asile de fous de La Salpêtrière à la toute fin du dix-neuvième siècle. Charcot vient de mourir. Ses travaux sur l’hystérie sont en train de révolutionner la médecine. Mais on y perpétue encore des pratiques barbares. Parmi celles-ci, le « bal des folles » organisé chaque année pour satisfaire la curiosité malsaine du tout-Paris et lever des fonds pour l’hôpital.
L’histoire, c’est celle, pour le moins rocambolesque, d’une femme qui, à l’insu des siens, se laisse enfermer, au risque d’y demeurer recluse à jamais, dans l’asile où elle suspecte sa mère disparue d’avoir été cloîtrée. Sans doute un esprit rationnel aurait-il eu recours à une autre stratégie : solliciter la police ? mobiliser la presse ? recruter un détective privé ? Mais, si tel avait été le cas, le film aurait perdu de son piquant.

Toujours est-il que cette idée de départ nous permet de pénétrer à l’intérieur de La Salpêtrière, en suivant notre héroïne dans un long plan-séquence filmé en très gros plan, qui souligne l’horreur des lieux. Elle y fera vite la rencontre de personnages hauts en couleur : des gardiennes sadiques et des malades avec lesquelles se créera une réconfortante sororité. Pour les interpréter, Arnaud des Pallières a convoqué le gratin du cinéma français : Carole Bouquet – qu’on n’avait plus vue depuis longtemps aussi majestueuse -, Josiane Balasko, Marina Foïs dans un rôle qui rappelle celui qui valut l’Oscar de la meilleure actrice à Louis Fletcher dans Vol au-dessus d’un nid de coucou, Yolande Moreau, Elina Löwensohn, l’égérie de Bertrand Mandico, Lucie Zhang, la révélation des Olympiades, etc.

Captives a un défaut. Il marche sur les traces de deux films qui racontaient exactement la même histoire : Augustine, dont l’héroïne était une aliénée (Sonko) traitée par le professeur Charcot (Vincent Lindon) et Le Bal des folles de et avec Mélanie Laurent, adapté de l’excellent premier roman de Victoria Mas, sur lequel le scénario de Captives semble avoir été copié au risque du plagiat.

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La Zone d’intérêt ★★☆☆

Officier SS, Rudolf Höss a commandé le camp d’Auschiwtz. Il y a vécu, avec sa femme et ses cinq enfants, dans une maison confortable.

Le titre de ce film est obscur. J’ai dû aller en chercher la signification dans le dossier de presse du film : l’expression « zone d’intérêt » (Interessengebiet en allemand) était utilisée par les SS pour décrire le périmètre de quarante km² entourant le camp d’Auschwitz. Dans cette zone protégée vivaient notamment les soldats allemands chargés de la police du camp. On imagine que son commandant était le mieux loti.

Tout le film de Jonathan Glazer repose sur un contraste monstrueux. À quelques mètres à peine du camp d’Auschwitz, de ses baraquements sordides, de ses chambres à gaz, de ses fours crématoires, Höss, sa femme et ses enfants menaient une vie paisible, semblable à celle de n’importe quelle famille allemande.

Cette percussion entre une vie normale et son arrière-plan génocidaire est soulignée par deux éléments. Les images : beaucoup de scènes se déroulent en extérieur dans le jardin que Höss et sa femme ont patiemment aménagé en y plantant des fleurs et des légumes et en y creusant une piscine où, les beaux jours venus, leurs enfants s’égaient. Systématiquement en arrière-plan, on voit Auschwitz, ses barbelés, ses murs gris et ses cheminées qui fonctionnent à plein régime et dont on comprend avec horreur ce qu’elles expulsent. Le son : la bande-son est saturée de bruits indistincts, des sifflets de locomotives, des ordres hurlés, des cris de désespoir, des tirs de mitraillette… Ce travail sur le son m’a rappelé Le Fils de Saul.

Le problème de La Zone d’intérêt est qu’une fois ce cadre posé, rien ne se passe. La Zone d’intérêt est un film statique. Certes, de petites saynètes sont égrenées, censées montrer, sous des dehors ordinaires, la monstruosité de la proximité d’Auschwitz : un domestique fume les plantes du jardin avec des cendres dont on comprend aisément l’origine ; Mme Höss s’approprie un élégant vison sans doute volé à une prisonnière qui est en train d ‘être gazée ; un fils Höss joue innocemment avec des dents arrachées aux morts dont on se demande d’ailleurs comment diable elles sont entrées en sa possession ; la famille fait joyeusement ripaille, tandis qu’à quelques mètres à peine, on imagine les prisonniers d’Auschwitz qui ont échappé aux chambres, s’entre-déchirer pour un quignon de pain… Toutes ces saynètes au demeurant figurent dans la bande-annonce.

Ma défunte sœur m’avait offert à sa sortie, pour mon anniversaire, en janvier 2016, le roman de Martin Amis que Jonathan Glazer porte à l’écran. Il m’attend sur ma table de nuit depuis huit ans désormais. Je le lirai en pensant à elle, qui m’a transmis le goût de la littérature, et aux images de ce film glaçant.

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Le Dernier des Juifs ★★☆☆

À vingt-sept ans Bellisha (Michael Zindel) vit encore chez sa mère (Agné Jaoui), à laquelle il sert de garde-malade, dans une tour HLM de la banlieue parisienne. Autour d’eux, les Juifs s’en sont allés, déménageant dans une banlieue plus chic ou partant en Israël faire leur alya. La synagogue a fermé faute de pratiquants et le commerce casher où Bellisha a l’habitude de faire ses courses est voué lui aussi à la faillite.

Jeune scénariste talentueux, Noé Debré, qui a signé la série Parlement sur France.tv réalise son premier long. C’est une comédie drôle et grave à la fois qui entrelace deux sujets. D’une part le double portrait d’un adulescent, d’un Tanguy, incapable de quitter le nid familial et d’une maman juive possessive comme on les aime, qui se meurt inexorablement d’une néphropathie, de leur attachement l’un à l’autre et de leur inéluctable séparation. D’autre part, au-delà de ce microcosme, un film sur la judéité et la difficulté de la vivre en milieu populaire dans la banlieue parisienne aujourd’hui.

Le Dernier des Juifs, dont le titre joue intelligemment, comme le relève Marie Sauvion dans Télérama, sur la polysémie du mot dernier, ultime ou indigne, excelle dans le registre comique, sinon loufoque, en révélant un nouvel acteur, Michael Zindel, qui joue à merveille un adolescent sans âge à la vie réglée de retraité. Bellisha n’a pas de travail. D’ailleurs, quand son cousin lui propose de l’accompagner dans ses tournées commerciales, il y sème une joyeuse zizanie. Il n’a pas de diplôme non plus. Sans voiture, sans permis, sa seule occupation est de faire les courses pour sa mère dans les commerces du coin. A-t-il une sexualité ? Il rend certes visite à une voisine, gironde, arabe et mariée, qui aime qu’il lui susurre des mots sales en hébreu ; je m’étais demandé si leur relation était platonique avant de lire des commentaires qui ne se posent pas cette question pudibonde. Sa judéité est chancelante : Bellisha ne fréquente pas la synagogue, ne parle guère l’hébreu. Mais, pour sa mère, cette identité obsidionale le définit.

Certes, Le Dernier des Juifs n’est pas manichéen. Avec un humour volontiers enclin à l’auto-dérision, il raille le racisme dans lequel certains Juifs manquent de verser au nom précisément de l’anti-racisme. Il n’en évite pas pour autant les clichés, pas toujours drôles et parfois même malaisants. Ainsi de la cérémonie œcuménique qu’une mairie bien-pensante veut à tout prix organiser entre les différents cultes.

Le Dernier des Juifs n’est pas un chef d’oeuvre inoubliable. Loin de là. Il n’en a pas d’ailleurs l’ambition. Il lui manque un scénario, une histoire qui fasse avancer le film dont le seul fil rouge, sans surprise ni tension, est la lente dégradation de l’état de santé de Giselle. Il n’en reste pas moins une chronique drôle et touchante sur la judéité, le vivre-ensemble et le deuil.

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Les Chambres rouges ☆☆☆☆

Le procès de Ludovic Chevalier, accusé d’avoir kidnappé, violé, filmé et tué trois mineurs, s’ouvre au palais de justice de Montréal. Dans l’assistance prennent place deux groupies de l’accusé : Kelly-Anne, mannequin, geek et hackeuse, propriétaire au sommet d’une des plus hautes tours de Montréal d’un immense appartement avec vue panoramique, et Clémentine, d’une origine beaucoup plus modeste, une Québécoise pur jus débarquée à Montréal.

Après Les Faux Tatouages, inédit en France, et Nadia, Butterfly (que je pensais avoir aimé mais dont la critique que j’en ai écrite à la sortie est mitigée, preuve que le souvenir qu’on garde d’un film fluctue avec le temps), Pascal Plante sort son troisième film.

Son sujet est aussi original que stimulant : qui sont ces groupies qui s’entichent de criminels dangereux inculpés des actes les plus horribles, qui leur écrivent des lettres d’amour en prison, qui prennent courageusement leur défense ? Le sujet aurait mérité une étude approfondie, qui emprunte à la fois à la psychologie, à la criminologie et à la sociologie.

Hélas, Pascal Plante nous livre un plat thriller, tourné comme un téléfilm. Il alterne les joutes oratoires du procureur et de la défense au palais de justice et les plongées périlleuses qu’effectue dans le dark web Kelly-Anne, dont les intentions transparentes sont entourées d’un inutile voile de mystère. Ses actrices sont horriblement mal dirigées. Son héroïne, une top model dont c’est le premier film, n’a guère que sa plastique parfaite à faire valoir.

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Iron Claw ★★☆☆

Les frères Von Erich forment une fratrie légendaire de catcheurs. Entraînés par leur père, Fritz Von Erich qui fut lui-même un catcheur professionnel et créa sa propre association de catch à Dallas à la fin des années 60, ils remportèrent plusieurs titres avant de connaître des destins tragiques.

Le catch est un spectacle fascinant à la frontière du sport et du théâtre. Des athlètes bodybuildés, costumés et grimés, y feignent des combats épiques. Assez bizarrement, cette comédie où tout ou presque est faux fait bon ménage avec la compétition et donne lieu à des classements et des médailles – on me rétorquera, et on aura raison, qu’au théâtre aussi on décerne des prix pours les meilleurs acteurs.

Le catch est un sport fondamentalement américain qui, s’il a essaimé au Japon ou au Mexique n’est guère populaire en Europe sauf au Royaume-Uni. Je serais bien en mal de citer des films qui lui sont consacrés sinon celui dans lequel jouait Mickey Rourke, défiguré par les opérations esthétiques et les médicaments, The Wrestler.

Iron Claw est un film américain des plus classiques qui raconte, sur quarante ans, l’histoire d’une famille. Son titre est malin : Iron Claw est la fameuse prise de Fritz Von Erich avec laquelle il achevait ses adversaires, mais c’est aussi l’étau dans lequel ce père toxique a étouffé ses propres enfants.

Car, autant sinon plus qu’un film sur le catch, la discipline de fer qu’il exige de ses athlètes et la part de chiqué et de combines qu’il comprend, Iron Claw est une tragédie grecque. C’est un film tragique dont les protagonistes sont condamnés à disparaître les uns après les autres, condamnés par la malédiction qui plane sur la famille Von Erich. Cette malédiction n’a rien de surnaturel. C’est la tragique conséquence d’une éducation oppressante exercée par un père autoritaire et complotiste qui entend se venger grâce à ses fils des échecs qu’il a lui-même subis. Il leur a fixé un seul objectif : remporter les trophées qu’il n’a pas été capable de conquérir.

Iron Claw est réalisé par Sean Durkin, honnête faiseur du cinéma américain, auquel on doit en 2012 Martha Marcy May Marlene, un film sur l’emprise sectaire. Il a confié le rôle principal à Zac Efron – que j’ai confondu avec Joaquin Phenix – métamorphosé par le bodybuilding et une coupe de cheveux qui n’est guère à son avantage. Le personnage le plus impressionnant du film est celui de son père, qui aurait pu être plus venimeux encore si l’interprétation de Holt McCalanny avait été moins plate. Mais dans ce film très masculin, qui sue la testosterone, ma préférence est allée à ses deux actrices féminines : Lily James qui, depuis son rôle d’ingénue dans Downton Abbey, creuse lentement son chemin et Maura Tierney, inoubliable dans The Affair.

Iron Claw pâtit de son classicisme. C’est un grand et beau film, comme Hollywood sait les faire qui, sur un rythme pépère, raconte pendant plus de deux heures de temps, sans un moment d’ennui, une histoire qui se déroule sur plusieurs décennies. Iron Claw ne révolutionnera pas le septième art mais offre aux spectateurs un bon moment de cinéma.

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La Tête froide ★☆☆☆

Marie, la quarantaine, a une vie passablement compliquée. Criblée de dettes, elle vit dans une caravane dans le Briançonnais. Pour boucler ses fins de mois, elle trafique des cigarettes à la frontière grâce à la complicité de son amant, un policier de la PAF. Un jour, elle recueille sur la route enneigée Souleymane, un réfugié gambien, qui lui suggère d’utiliser son break pour transporter d’autres migrants.

Qui osera dire que le cinéma français n’est pas en prise avec l’actualité ? Depuis quelques années, on voit se multiplier les films mettant en scène des migrants exténués, prêts à tout pour franchir nos frontières, confrontés à de braves Français, touchés par tant de souffrance et leur tendant une main fraternelle. Leur action se déroule alternativement à Calais ou à Briançon : Welcome de Philippe Lioret, Ils sont vivants de Jérémie Elkaïm, Les Engagés d’Emilie Frèche, Les Survivants de Guillaume Renusson….

La Tête froide ressemble à tous ces films dont l’accumulation et la bien-pensance frôlent l’overdose. Mais son héroïne, interprétée par Florence Loiret-Caille, une actrice qui n’aurait jamais atteint le haut de l’affiche sans le rôle de Marie-Jeanne dans Le Bureau des légendes, a l’originalité de n’être pas une « brave » Française. Ce n’est pas un monstre non plus. C’est tout simplement une femme, acculée, en découvert bancaire permanent, que les hasards de la vie, avec une logique que le film décrit très bien, conduit à se transformer en « passeuse ».

Et c’est à ce point là que La Tête froide devient intéressant. Au motif que le trafic d’êtres humains est plus rentable que celui des cigarettes, Marie s’est-elle transformée en monstre ? Ou peut-elle se donner bonne conscience en prétextant qu’elle offre à ces malheureux une façon plus sûre et plus confortable de traverser une frontière enneigée où ils risqueraient de perdre la vie s’ils tentaient de la franchir à pied ?

Ce dilemme n’est bizarrement pas assez creusé, même si c’est sur lui que tout le film repose. La Tête froide a le tort, dans son dernier tiers de se perdre dans les hauteurs enneigées – comme l’affiche du film l’annonce sans crainte du divulgâchage.

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