Falcon Lake ★★★☆

Bastien a treize ans. « Bientôt quatorze » ajoute-t-il dans le désir de se vieillir d’une année à cet âge charnière. Il vit en France et vient passer ses vacances dans une cabane perdue au fond des Laurentides au Québec. Ses parents et lui y retrouvent une amie et sa fille, Chloé, qui vient d’avoir seize ans. Entre les deux adolescents s’installe vite une complicité ambiguë.

Charlotte Le Bon, une actrice québécoise qu’on regrette de ne plus avoir vue depuis longtemps à l’écran, passe derrière la caméra pour son premier film. Elle s’est inspirée de Une sœur, un roman graphique de Bastien Vivès (l’auteur de Polina qui avait déjà été adapté à l’écran), dont l’action se déroulait en Bretagne. Elle en transpose l’action dans les Laurentides où elle passa toutes ses vacances pendant son enfance. Elle y filme, comme on en a déjà tant vu, une initiation amoureuse entre deux adolescents. Mais elle le fait avec une immense sensibilité.

Bastien et Chloé ont trois ans d’écart. Mais un monde les sépare. Lui entre dans l’adolescence ; elle est sur le point d’en sortir. Il ne se passe pas grand chose dans ce film qui ne quitte guère le petit chalet au fond des bois où les estivants se sont installés et le lac avoisinant où ils vont se rafraîchir. Pas grand chose jusqu’à son dénouement aussi surprenant que logique.

Plane au dessus de Falcon Lake une ombre menaçante. Une légende urbaine – ou plutôt forestière – voudrait qu’un fantôme qui s’y est jadis noyé hante ses berges. Cette légende a beaucoup impressionné Chloé qui, avec le goût, vaguement gothique, du paranormal qu’ont parfois les ados à cet âge, s’essaie à reconstituer, avec l’aide de Bastien, des scènes morbides et à les photographier.

Joseph Engel, que Louis Garrel avait déjà dirigé dans L’Homme fidèle et dans La Croisade, interprète à la perfection la confusion des sentiments, la peur du sexe et son attrait, l’enthousiasme des premières fois et les déchirements qu’elles provoquent. La révélation Sara Montpetit lui donne la réplique.

Couronné par le prix Louis-Delluc du premier film, Falcon Lake malgré son apparente modestie fait souffler un vent frais dans le genre pourtant essoré du coming-of-age movie.

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Nos frangins ★★☆☆

Quelques mois à peine après la mini-série qui lui était consacrée, Malik Oussekine, bastonné à mort par la police dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, en marge des manifestations étudiantes contre le projet de loi Devaquet, revient en tête d’affiche. Une affiche qu’il partage avec un autre Arabe, tué le même soir que lui par une bavure policière aussi scandaleuse, mais dont la mémoire collective n’a pas retenu le nom : Abdel Benyahia.

Le réalisateur Rachid Bouchareb tisse une œuvre qui peut se lire comme la construction de la mémoire d’une identité maghrébine en France. Indigènes (2006) racontait l’histoire des  grands-parents, tirailleurs algériens et goumiers marocains, venus combattre en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Hors-la-loi (2010) évoque les parents, engagés pour l’indépendance de l’Algérie. Nos frangins, dont le titre lui a été inspiré par la chanson « Petite » de Renaud (« Cicatrices profondes pour Malik et Abdel / Pour nos frangins qui tombent… ») est un mausolée érigé à ces frères qui n’aspiraient qu’à s’intégrer et qui furent les victimes d’un « racisme ordinaire » qui le leur refusait.

Rachid Bouchareb sait y faire. Son film est haletant. Il entremêle des images d’archives qui ressuscitent une époque, celle de mon adolescence qui garda à jamais le souvenir de ce drame. Car Malik Oussekine est un nom qui résonne à nos oreilles et que nous n’avons pas oublié.

Deux personnages et deux acteurs sortent du lot. Le premier est Samir Guesmi, décidément un des plus doués de sa génération, dans le rôle pourtant silencieux et ingrat, du père d’Abdel Benyahia, d’abord incrédule et bientôt pétrifié par le chagrin. Le second est Raphaël Personnaz – qui est ex aequo avec Anaïs Demoustier l’acteur le plus sexy que je connaisse – dans le rôle fantomatique – et créé de toutes pièces par les scénaristes – d’un inspecteur de l’IGS

Le parti, on l’a dit, de Nos frangins est de réhabiliter la mémoire d’Abdel Benyahia. Ce parti est louable. Mais il nuit à la cohérence d’un scénario qui aurait gagné à se focaliser sur l’étudiant assassiné rue Monsieur-le-Prince.
On découvre, avec son frère (Rada Kateb), stupéfait de cette découverte, que Malik était en train de se convertir au catholicisme et qu’il souhaitait devenir prêtre. Soit. Mais cela importe-t-il vraiment ? Plus intéressant aurait été d’approfondir les conséquences de ce crime : les marches silencieuses organisées dès le lendemain, le retrait du projet Devaquet et la démission du ministre de l’enseignement supérieur, la récupération de cette affaire par François Mitterrand qui lui permettra dix-huit mois plus tard d’être facilement réélu, les conséquences sur le mouvement étudiant et sur toute une génération de militants (Jean-Christophe Cambadélis, Julien Dray, David Assouline…).

Nos frangins présente, à mes yeux, un dernier défaut. Il voudrait nous faire croire que le crime de Malik Oussekine est toujours d’actualité alors que trente-six ans ont passé. L’intégration des immigrés maghrébins s’est améliorée et même si le « racisme ordinaire » n’a pas disparu, les crimes abjects commis à l’époque ne sont plus de mise. Le projet de loi Devaquet a certes été retiré ; mais la sélection à l’entrée des études universitaires et la concurrence entre universités ont finalement été instaurées. Quant aux violences policières, dont le film voudrait nous faire croire qu’elles perdurent, en signalant que les brigades motocyclistes démantelées après l’affaire Oussekine ont été réinstaurées pour lutter contre les Gilets jaunes, elles ont été significativement réduites grâce à l’effet conjugué d’une formation plus stricte, d’une déontologie aux manquements sévèrement sanctionnés et d’une exposition médiatique qui ne permet plus de les cacher.

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Les Pires ★★★☆

Gabriel (Johan Heldenbergh), un quinquagénaire flamand, a décidé de tourner son premier film, un drame social, dans une cité HLM de Boulogne-Sur-Mer. Au terme d’un long casting, il a recruté quatre gamins Lily, Ryan, Jessy, Maylis pour tenir les rôles principaux de son film.

Lise Akoka et Romane Guéret sont directrices de casting et coaches d’enfants. Elles ont l’expérience des castings sauvages, de la détection des talents, de la gestion parfois délicate de ces personnalités souvent explosives. Elles avaient réalisé ensemble un court métrage en 2016, Chasse royale, qui se focalisait sur le casting. Les Pires parle, lui, du tournage proprement dit.

Et il le fait avec une infinie justesse. Une justesse qui provient précisément de la direction de ces jeunes acteurs dont on imagine combien elle fut délicate : il s’agissait pour les réalisatrices de faire jouer à ces enfants des rôles d’enfants en train de jouer des rôles !

Parmi les quatre, deux crèvent l’écran. L’interprète de Ryan, le blondinet de l’affiche, dix ans à peine, une boule d’énergie toujours sur le point d’exploser. Et l’interprète de Lilly, quinze ans, belle comme un cœur, affolante Lolita d’une sensualité alarmante à un âge aussi jeune. À l’un comme à l’autre, on souhaite un brillant avenir. Mais il ne faut pas oublier les deux autres : l’interprète de Jessy qui ressemble tant à Benoît Magimel et celle de Maylis qui cache derrière sa moue boudeuse une homosexualité qu’elle n’ose pas assumer.

L’autre réussite du film est la façon dont il décrit le tournage. Les précédents sont écrasants, à commencer par La Nuit américaine de Truffaut, référence indépassable du film sur le film. Les deux réalisatrices savent faire preuve d’auto-dérision dans le portrait qu’elles dressent du réalisateur, Gabriel, et de l’équipe technique qui l’entoure. Elles font également preuve de lucidité en montrant les limites vers lesquelles on tangente en poussant les acteurs, surtout lorsqu’ils sont si jeunes et si fragiles, dans leurs retranchements. Et elles n’ignorent pas la question éthique qu’un tel tournage pose : ne risque-t-il pas de stigmatiser encore un peu plus des quartiers et des populations qui le sont déjà beaucoup ?

Grand prix de la section Un certain regard à Cannes au printemps dernier, Les Pires est pour moi le meilleur film de la semaine sinon du mois. Sa dernière scène ferait pleurer les pierres et ne m’a pas laissé de marbre…

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Le Lycéen ☆☆☆☆

Lucas est un lycéen sans histoire. Il vit en Savoie entouré de l’affection aimante de sa mère (Juliette Binoche), professeure des écoles, et de son père (Christophe Honoré himself), prothésiste dentaire. Son homosexualité assumée ne pose aucun problème à sa famille. Sa vie éclate brutalement lorsque son père meurt dans un accident de la circulation. Son frère aîné (Vincent Lacoste), qui s’est installé à Paris, propose de l’héberger quelques jours pour lui changer les idées. Lucas y fait la rencontre de Lilio (Erwan Kepoa Falé), le meilleur ami de son frère, un artiste noir déclassé, et en tombe immédiatement amoureux.

Christophe Honoré a perdu son père à quinze ans. Dans une troublante mise en abyme, il prend la place de ce mort en interprétant le rôle du père de Lucas, et le volant de la voiture (donc pas la place du mort) dans laquelle son père se tuera (donc il est bien à la place du mort). Comprenne qui pourra….
La mort du père occupe le premier tiers du film qui en comprendra deux autres. Ils suivent Lucas dans son travail de deuil. Sa première partie se déroulera à Paris chez ce frère aîné auquel Lucas est si intimement lié mais avec lequel pourtant il ne cesse de s’affronter dans de violentes disputes. Sa seconde – dont je je dis déjà trop – voit Lucas revenir à Chambéry, plonger au fond du gouffre et en ressortir.

Je conçois parfaitement qu’on puisse s’enthousiasmer pour ce Lycéen, qu’on y voie le portrait, doux et dur à la fois, d’un adolescent en pleine crise existentielle. Je comprends qu’on salue la révélation de Paul Kircher, le fils de la sublime Irène Jacob (dont le dernier plan dans La Double Vie de Véronique constitue pour moi, et à jamais, un sommet de grâce indépassable). Je comprends encore qu’on puisse être touché par le chagrin de ce deuil, surtout si on l’a soi-même vécu, et par les tâtonnements de cet adolescent qui, au seuil de l’âge adulte, se cherche une place dans le monde.

Mais, je dois hélas avouer que ce quatorzième fils de Christophe Honoré, comme d’ailleurs la plupart de ses précédents depuis Dans Paris, Les Chansons d’amour, Plaire, aimer et courir vite, m’a déplu. Je n’aime pas les affèteries de son cinéma (un mot dont je maîtrise mal le sens mais qui, dans mon esprit critique son artificialité, ses tics, sa vacuité). Je le trouve parisianiste dans le pire sens du terme, vain, superficiel ou, pour le dire autrement, faussement profond.
C’est le jugement sans appel et éminemment subjectif que je porte sur le personnage chouinant de Lucas auquel je me suis retenu, tout le film durant, de filer des claques en le renvoyant dans sa chambre.

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Une comédie romantique ★☆☆☆

César (Alex Lutz), un artiste raté, revient à Paris après trois ans d’absence. Il squatte l’appartement de son frère, dont l’épouse est sur le point d’accoucher. Il retrouve Salomé (Golshifteh Farahani), son amoureuse, qu’il avait abandonnée sans lui donner de nouvelles et qui élève désormais leur petite fille, âgée de trois ans. Est-il trop tard pour César pour se racheter et reconquérir Salomé ?

Sitôt la question posée, on connaît déjà sa réponse. Un coup d’oeil à l’affiche aura suffi. Une comédie romantique est une comédie du remariage, comme le cinéma de l’âge d’or de Hollywood savait nous en offrir (Cette sacrée vérité, L’Impossible Monsieur Bébé) et comme il en retourne encore de temps en temps quelques unes (Ticket to Paradise, que je n’ai pas vu, en est semble-t-il le dernier médiocre avatar en date).

J’adore Alex Lutz. Je n’ai pas eu la chance d’assister à ses seuls en scène. Mais j’ai trouvé 5ème set (sur l’impossible retour au sommet d’un joueur de tennis vieillissant) et surtout Guy (sur un artiste de variété déchu) incroyablement originaux et réussis.
J’attendais beaucoup de sa rencontre avec l’incandescente Golshifteh Farahani. Je n’ai pas été déçu par le jeu des deux acteurs, aussi pétillants l’un que l’autre. Mais j’ai été consterné par la platitude du scénario de ce film, tourné dans le décor archi-caricatural de Montmartre. Tout récemment, l’adaptation de la BD de Bagieu & Boulet, La Page blanche, y avait été tournée aussi. C’est à se demander ce que les réalisateurs recherchent dans ces décors essorés jusqu’à la trame depuis une certaine Amélie P.

On ne pourra pas reprocher à cette Comédie romantique de nous tromper sur la marchandise. Son titre, son affiche annoncent la couleur. J’aurais dû me méfier et m’épargner d’aller le voir en salles. Un film parfait à regarder avec son amoureux.se un dimanche sous la couette…. mais pas mieux.

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Juste une nuit ★★☆☆

Fereshteh est une jeune Iranienne, installée de fraiche date à Téhéran, qui a caché à ses parents provinciaux sa grossesse et la naissance de son enfant dont le père refuse d’assumer la paternité. C’est la panique quand ses parents s’invitent chez elle sans préavis, risquant de découvrir le pot-aux-roses. Elle doit d’urgence vider son appartement des objets susceptibles de révéler l’existence de son bébé et le confier à un bon Samaritain pendant qu’elle accueillera ses parents.

Le cinéma iranien est décidément d’une étonnante richesse. Il est aussi – et c’est un reproche qu’on a mauvaise conscience de lui adresser – un peu répétitif : les grands réalisateurs que sont Jafar Panahi ou Asghar Farhadi nous livrent à chaque fois des histoires tragiques qui nous serrent le cœur, où il est question de libertés étouffées et de destins contrariés. Sans doute a-t-il de bons motifs de l’être, l’actualité nous rappelant la révolution qui y couve.

Juste une nuit a été conçu et tourné avant les événements récents. Il n’en annonce pas moins la trame en prenant pour héroïne une de ces femmes iraniennes qui ploient sous l’adversité, confrontées à une société patriarcale déshumanisante. Parce que son amoureux n’était pas prêt à le reconnaître, parce que ses parents n’étaient pas prêts à l’entendre, elle a dû assumer seule sa maternité et la naissance de son enfant. Pour l’épauler, elle ne peut compter que sur une amie, Atefeh. Mais Atefeh, qui habite dans une résidence universitaire, ne peut pas héberger l’enfant. Pas plus ne peut-elle prendre une chambre d’hôtel qu’on refuserait de louer à une femme seule avec un bébé qui n’est pas le sien. Il faut donc lui trouver un toit et un gardien.

Le film, quasiment réalisé en temps réel, suivra pendant quelques heures les deux amies dans une course contre la montre asphyxiante. Son défaut est qu’on sait par avance qu’elles échoueront systématiquement – dans l’hypothèse inverse, le film s’arrêterait immédiatement : en sonnant à la porte d’une voisine, en sollicitant un ancien flirt, en retrouvant la trace du père… Chaque épisode est une nouvelle étape sur un long chemin de croix, de plus en plus pénible. On pense à Rosetta ou Deux jours, une nuit des frères Dardenne et à leurs héroïnes têtues filmées de dos, comme les deux héroïnes de Juste une nuit.

Le défaut de ce film est sa linéarité qui prend le spectateur en otage. Il se termine comme on l’avait pressenti. Il se clôt sur un gros plan face caméra, une formule de style qui devient la norme (c’est avec le même regard que se terminent La Maison sorti le même jour ou Les Repentis sorti la semaine précédente), mais qui est diablement efficace.

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Les Bonnes Etoiles ★☆☆☆

Une jeune femme abandonne, par une pluvieuse nuit d’été, son bébé dans une « baby box » à Busan en Corée. Au lieu d’être recueilli par l’association charitable dont c’est le rôle, ce bébé est kidnappé, par deux filous, Dong soo, un enfant trouvé lui aussi, et Sang-hyeon (Song Kang-Ho, le héros de Parasite, dont l’interprétation ici lui a valu le prix d’interprétation masculine à Cannes), le propriétaire d’un pressing au bord de la faillite. Poursuivis par deux policières qui les traquent en attendant de les arrêter en flagrant délit et bientôt rejoints par la mère du bébé, prise de remords, Dong soo et Sang-hyeon prennent la route pour vendre le bébé à un couple en mal d’adoption.

Le dernier film d’Hirokazu Kore-eda mettait l’eau à la bouche. On avait adoré les précédents films de ce grand réalisateur japonais, en particulier Nobody Knows (2004) sur une nombreuse fratrie abandonnée par sa mère et condamnée à survivre tant bien que mal sans elle. Une affaire de famille recevait la Palme d’or en 2018, une distinction qui récompensait autant sinon plus une œuvre tout entière qu’un seul film.

Les Bonnes étoiles – dont le titre prend un parti beaucoup plus bienveillant que son titre original, « Broker », un terme anglais nettement plus péjoratif, qui désigne un courtier ou un intermédiaire – explore une fois encore un thème cher à Kore-eda : la famille. De qui sommes-nous les enfants ? De nos parents biologiques ou de ceux qui nous ont élevés ? À longueur de films Kore-eda ressasse la même question, dont il faut reconnaître que la réponse ne fait guère de doute : les liens de l’affection ne sont pas moins puissants que ceux du sang.

J’attendais énormément de ces Bonnes Etoiles. Je n’en ai été que plus amèrement déçu. J’avoue avoir été perdu par un scénario inutilement compliqué, qui multiplie les fausses pistes. Plus grave : alors que je pensais pleurer des rivières, je n’ai pas été ému un seul instant, même pas dans cette dernière demi-heure que les critiques m’avaient promise lacrymale à souhait. Est-ce le signe que j’ai un cœur de pierre ? que je suis passé à côté du film ? qu’il vaut moins que ce qu’on en dit ?

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Rimini ★★☆☆

Richie Bravo (Michael Thomas) est un crooner vieillissant qui chante des mélopées sirupeuses dans des thés dansants organisés pour quelques touristes allemandes du troisième âge dans la cité balnéaire de Rimini, sur la côte adriatique, à la morte saison. Il vivote des cachets de ses concerts et des cadeaux de ses amantes, vieilles et esseulées. Sa mère vient de mourir en Autriche et son père se meurt dans un EHPAD. La vie de Richie Bravo bascule lorsque sa fille, Tessa, lui rend visite à Rimini et exige qu’il lui paie les pensions alimentaires qu’il n’a jamais versées à sa mère.

Ulrich Seidl est un réalisateur autrichien provocateur et dérangeant. Il vient du documentaire et ses fictions en gardent la trace. Sa filmographie est une radioscopie houellebecquienne du mal-être de ses contemporains, de leur misère sentimentale et sexuelle et du passé mal refoulé de ses compatriotes autrichiens.
Son triptyque Paradis n’avait rien de paradisiaque : l’Amour est celui, voué à l’impasse, d’une quinquagénaire esseulée pour un go-go boy kenyan, la Foi est celle d’une prêcheuse fanatique qui transforme son appartement en chapelle expiatoire, l’Espoir est celui d’une adolescente obèse qui tombe amoureuse de son nutritionniste.
Son Sous-sols renvoyait évidemment au ça freudien, aux zones les plus turpides de notre inconscient.

Son dernier film en date est aussi amer et dérangeant que les précédents. Il est filmé dans le décor incroyable d’une station balnéaire italienne noyée dans un épais brouillard et même recouverte de neige. Il montre, sans en rien édulcorer (ses scènes de sexe glauques lui valent une interdiction justifiée aux moins de douze ans) la vie sordide d’un vieux gigolo qui profite de la solitude de ses admiratrices pour leur arracher quelques billets. On comprend qu’il a connu sinon la gloire du moins une certaine notoriété qui lui a permis de vivre dans une relative aisance. Mais sa grande villa envahie des reliques de cette gloire passée porte les marques de sa lente et inexorable décrépitude.

Le film aurait pu en rester là. Il l’aurait dû. Mais il aurait risqué de faire du sur place. Pour le dynamiser, le scénario a imaginé l’irruption de la fille du héros. C’est dommage. Car les efforts de Richie Bravo pour renouer les liens avec sa fille perdue de vue semblent bien mièvres au regard de ce qu’on avait vu jusque là sans avoir besoin de le verbaliser.
On sait par avance que Rimini se conclura par le versement du père à sa fille de la dette qu’il lui doit. En ayant déjà trop dit, je n’en dirai pas plus. Mais j’évoquerai pour la déplorer une postface sentencieuse et inutile.

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Plus que jamais ★★★☆

Hélène (Vicky Krieps) est frappée d’une maladie mortelle, une fibrose pulmonaire idiopathique (FBI) qui risque de l’asphyxier si elle n’est pas greffée. L’attention aimante de son conjoint, Matthieu (Gaspard Ulliel), ne suffit pas à réconforter la jeune femme qui décide de fuir, seule, en Norvège pour y décider de son destin.

La campagne marketing de Plus que jamais repose en grande partie sur un argument morbide : ce serait le dernier film de Gaspard Ulliel, brutalement décédé dans un accident de ski en janvier 2022, après le tournage l’été précédent.

Plus que jamais n’a pas besoin de cet argument-là pour se vendre. Son sujet à lui seul suffit à en justifier l’intérêt. Il pose en effet une question universelle : comment réagir à l’imminence de la mort ? Faut-il en parler ? faut-il la taire ? La question résonne tout particulièrement pour ceux qui, comme moi, affichent narcissiquement le moindre de leurs faits et gestes sur les réseaux sociaux : posterons-nous la radio scintillante de nos métastases osseuses comme on poste complaisamment celles de nos dernières lectures avec une tasse de café fumant ?
Ce film en pose une autre, encore plus effrayante : comment partagerons-nous notre maladie avec nos proches ? Leur en fera-t-on porter le poids ? Le véritable amour ne consiste-t-il pas à les épargner et à les laisser vivre en euphémisant notre souffrance et notre angoisse ? Ou bien, au contraire, est-il orgueilleux de se draper dans un stoïcisme hors de propos et d’affronter seul la maladie ? De ces deux attitudes opposées, laquelle est la plus égoïste ?

À toutes ces questions, Plus que jamais répond frontalement avec une extraordinaire pudeur. Il le doit à la justesse du jeu de Vicky Krieps, cette actrice luxembourgeoise dont la célébrité explose depuis quelques années (De nos frères blessés, Serre-moi fort, Old, Bergman Island, Phantom Thread….). Elle réussit à être fragile et forte à la fois : la vie la quitte lentement à chaque inspiration, de plus en plus haletante, mais son esprit se débat avec une force inentamée entre instinct de survie et acceptation apaisée de l’inéluctabilité de la mort.
L’autre atout du film est les paysages majestueux des fjords de Norvège. Leur beauté sauvage est l’écrin intimidant dans lequel Hélène veut, contre toute raison, vivre ses derniers moments. Le soleil de minuit qui l’empêche de dormir éclaire paradoxalement ce film crépusculaire.

À me lire, vous vous imaginez déjà la dernière scène du film. Elle ne sera pas pourtant celle que vous croyez. Elle m’a rappelé celle de Quelques heures de printemps – où Vincent Lindon accompagnait dans son ultime voyage sa mère, interprétée par Hélène Vincent, qui souhaitait être euthanasiée en Suisse. Comme elle, elle m’a arraché des sanglots.

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Service public ★★☆☆

Vous aimez le journalisme ? Vous aimez la politique ? ce documentaire est pour vous.
Salhia Brakhlia anime depuis 2020 avec Marc Fauvelle la matinale de France Info. Pendant l’année qui précède les élections présidentielles, elle a accepté d’être suivie par la caméra de Mouloud Achour.

L’exercice a sa part d’ambiguïté : les séquences retenues font un peu trop la part belle à sa réalisatrice/personnage principal/héroïne. Quelles sont celles qui ne l’ont pas été et qui l’auraient peut-être présentée sous un jour moins favorable ?

Toujours est-il que ce documentaire éclaire la profession de journaliste, en en montrant d’abord les contraintes : se lever chaque jour à 3h30, pour lire la presse et être sur le pont pour ouvrir la matinale. Mais la principale contrainte est dans la neutralité qu’il faut impérativement garder. Neutralité dans la liste des invités qui doit englober tous les candidats. Neutralité dans la façon de mener les interviews en évitant le double écueil systématiquement reproché à tous les journalistes : qu’ils portent la contradiction, on leur reprochera d’être de parti pris, qu’ils se taisent, on leur reprochera leur complaisance. Ce défi-là semble avoir été gagné. La preuve : les critiques reçues de tous les horizons qui reprochent à France Info à la fois d’être le suppôt de la Macronie et de faire le jeu de l’opposition.

S’il éclaire la profession de journaliste, ce documentaire a un second atout : ce qu’il nous montre des politiques, tout en nous offrant un regard rétrospectif dont on mesure a posteriori les emballements (Zemmour, Pécresse….). Chacun des candidats passe à la matinale de France Info et chacun a droit à sa scène : Marine Le Pen, qui se plaint qu’on vienne lui chercher des poux dans la tête quand elle est interrogée sur le salaire qu’elle reçoit de son parti alors qu’elle n’y exerce plus aucune fonction officielle, Anne Hidalgo qui s’illusionne sur ses chances – alors que Bertrand Cazeneuve est autrement plus lucide – Valérie Pécresse qui se ridiculise quand elle parle de ses électeurs qui se connectent moins aux réseaux sociaux parce qu’ils travaillent plus, Eric Zemmour qui revendique aux journalistes le droit d’avoir des opinions et de les afficher, Jean-Luc Mélenchon, que la matinale a dû traquer à La Réunion pour avoir une interview qu’il refusait de faire à Paris, Emmanuel Macron, qui après avoir refusé de faire campagne, accepte de venir à Radio France entre les deux tours…
Le plus impressionnant est Jordan Bardella – qui n’était pas candidat à la présidentielle mais qui est pourtant régulièrement invité à France Info pour y porter la parole de Marine Le Pen. Impressionnant par son calme et sa maîtrise. Impressionnant par les monstruosités racistes qu’il assène sans ciller. Glaçant….

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