La documentariste Alexe Poukine filme un ingénieux dispositif mis en place dans certaines facultés de médecine en Suisse, en Belgique et en France pour aider les soignants à faire leur travail. Il s’agit d’un atelier théâtral où ils sont placés dans des situations qu’ils rencontreront inévitablement dans leur vie professionnelle : l’annonce à un patient d’un diagnostic fatal, la conduite d’une anamnèse, l’attitude à tenir face à un homme lourdement dragueur, la gestion délicate de la compagne d’un malade en soins palliatifs qui refuse de le voir mourir…
Alexe Poukine tenait un sujet en or qu’elle n’a peut-être pas aussi bien exploité qu’elle aurait pu le faire. Son documentaire manque des explications nécessaires permettant d’en comprendre les situations. Le jeu de rôles qui y est filmé fait-il partie de la formation (initiale ? continue ?) des médecins et des autres personnels de santé (une séquence met en scène une jeune infirmière mise au défi de stabiliser une patiente psychotique hospitalisée contre son consentement) ? Sont-ils confrontés à des acteurs (amateurs ? professionnels ?) ou bien à des collègues ?
Ce dispositif aurait pu être hypothéqué par sa triple artificialité. 1. Le soignant, qui sait que le patient auquel il est confronté joue un rôle, trouvera-t-il moins difficile de lui annoncer une tumeur maligne dont il sait qu’il n’est pas affecté ? 2. Lui tiendrait-il dans l’intimité du dialogue singulier médecin-patient le même discours que celui qu’il tiendra se sachant observé par ses pairs et par des évaluateurs ? 3. La présence intrusive d’une caméra ne rajoutera-t-elle pas encore à l’artificialité du dispositif ?
Pour autant, les participants ne semblent pas en être gênés. Leur malaise, leurs hésitations, leur émotion transpirent à l’écran. Et ils sont terriblement communicatifs. Le spectateur, en empathie complète, se demande à son tour quelle aurait été son attitude dans telle ou telle situation. Les maladresses de tel ou tel – ainsi de l’étudiant qui répond « très bien » quand sa (fausse) patiente lui dit que son père est décédé d’un cancer – rendent ces situations plus touchantes encore.
Sauve qui peut – un documentaire au titre intelligemment polysémique – a toutefois le défaut dans son dernier tiers de changer de cap et d’évoquer la crise systémique de l’hôpital et les sous-effectifs chroniques qui rendent les gardes harassantes, acculent les personnels au burn out et interdisent une prise en charge optimale des patients. Pour pertinent que ce procès soit, on l’a déjà trop souvent filmé dans d’autres documentaires chez Antoine Page (Toubib), Sébastien Lifshitz (Madame Hoffmann), Nicolas Peduzzi (État limite) pour qu’il n’ait pas un goût de resucée.