À la recherche de Ingmar Bergman / Bergman, une année dans une vie ★★☆☆

Ingmar Bergman aurait eu cent ans le 14 juillet 2018. À l’occasion du centenaire de sa naissance, deux documentaires sont sortis quasi-simultanément sur nos écrans.

Le premier, À la recherche d’Ingmar Bergman, est une œuvre de commande à la célèbre réalisatrice allemande Margareth von Trotta, qui n’hésite pas à se mettre en scène pour montrer comment elle découvrit l’œuvre de Bergman dans les cinémas d’art et d’essai de Paris où elle était venue faire ses études dans les années soixante.

Le second, Bergman, une année dans une vie, prend comme point de départ l’année 1957 où Bergman sort Le Septième Sceau et tourne Les Fraises sauvages tandis qu’il monte au théâtre Peer Gynt et Le Misanthrope.

Les deux documentaires se ressemblent – qui présentent d’ailleurs une affiche quasiment similaire où l’on voit Bergman de trois quarts dos coiffé du même béret. Ils décrivent un monstrueux génie et un monstre génial.

Durablement traumatisé par la stricte éducation qu’il avait reçue de son père, pasteur de l’Église réformée, Ingmar Bergman était affligé d’une série de troubles psychosomatiques : ulcères d’estomac, insomnies, syndrome des jambes sans repos… Il transcendait sa profonde angoisse existentielle par trois remèdes : le sexe, le travail…  et un régime alimentaire à base de yaourt et de biscuits. Sa vie sentimentale, sur laquelle chacun des documentaires revient longuement, fut chaotique : Bergman fut marié cinq fois et eut neuf enfants, légitimes ou naturels. Il négligea ses obligations familiales, ignora ses enfants et n’eut sa vie entière qu’une seule passion dévorante et narcissique : son œuvre créatrice au théâtre comme au cinéma.

Il est croustillant d’imaginer les réactions que susciteraient aujourd’hui une telle personnalité. Son comportement donjuanesque lui attirerait les foudres des féministes et sa nonchalance à l’égard de sa progéniture celle des associations familiales.. La discipline de fer qu’il faisait régner sur ses plateaux lui vaudrait des procès en harcèlement. Ses dérèglements morphologiques le forceraient à une cure stricte faute de quoi les assurances refuseraient de couvrir ses films.

Cet homme névrosé, déréglé, égoïste, en un mot profondément antipathique, a pourtant produit quelques uns des plus grands films du siècle passé. Les deux documentaires qui lui sont consacrés ont cette double vertu : ne rien taire des démons de l’homme, éclairer la grandeur de son œuvre.

La bande-annonce de À la recherche de Ingmar Bergman
La bande-annonce de Bergman – Une année dans une vie

Sans jamais le dire ★★☆☆

Lena est une jeune et jolie collégienne. Elle vit au sein d’un foyer uni, même si elle a le sentiment que ses parents consacrent plus de temps à son frère handicapé qu’à elle. Elle a une meilleure amie avec laquelle elle échange des confidences.
Tout bascule le jour où son professeur de mathématiques la viole.
Au lieu de parler, Lena se mure dans le silence et bascule bientôt dans la dépression. Après une tentative de suicide, elle est internée dans un établissement psychiatrique.

Nous vient de l’Est ce film dur, âpre, tranchant comme le couteau avec lequel Lena tente de se cisailler les veines.

On imagine volontiers ce que le sujet aurait donné aux États-Unis où l’asile psychiatrique a constitué le cadre de bien des scénarios. Un héros/une héroïne résiliente y aurait repris son destin en main, coalisant les autres malades contre une institution aveugle et sourde à leurs besoin réels. On pense à Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman, Une vie volée de James Mangold ou, plus récemment, Paranoïa de Steven Soderbergh.

Mais le film de la jeune Slovaque Tereza Nvotova n’emprunte pas ces chemins tracés d’avance. Son personnage principal est une victime, pas une héroïne. Elle ne trouve autour d’elle aucune bouée de secours. Non pas qu’elle soit entourée d’ennemis ; mais simplement que personne, ni sa famille pourtant aimante, ni sa meilleure amie qui lui rend fidèlement visite, ni la malade dont elle partage la chambre à l’hôpital, ne lui tende la main.

Sans jamais le dire ne se contente pas de raconter ce lent étiolement. Le scénario, coupé d’ellipses qui en troublent parfois la compréhension, connaît quelques rebondissements. Pour autant, le film ne se termine pas par un happy end. La scène finale est ouverte à toutes les interprétations : Lena réussit-elle enfin à dire non à un garçon ? ou bien s’est-elle à jamais murée dans un silence dont elle ne sortira jamais ?

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Le Procès contre Mandela et les autres ★★☆☆

Le 11 juillet 1963, la quasi-totalité des dirigeants de l’ANC (African National Congress) sont arrêtés à Rivonia dans la banlieue de Johannesburg. Ils sont jugés entre octobre 1963 et juin 1964 devant la haute Cour du Transvaal à Pretoria. Pour les huit inculpés, accusés de conspirer contre la sûreté de l’État, et au premier chef pour leur leader Nelson Mandela, la condamnation à mort semble certaine.

S’il n’existe aucune image du procès de Rivonia, l’intégralité des débats a été enregistrée, notamment le long discours – de près de quatre heures – de Nelson Mandela avec lequel le leader noir est entré dans l’Histoire. Les bandes sonores représentant plus de deux cent cinquante heures d’enregistrements moisissaient dans les archives sud-africaines. C’est grâce à un procédé d’invention française, l’archéophone de Henri Chamoux, qu’elles ont été décryptées et restaurées.

Pour accompagner ces enregistrements sonores, les co-réalisateurs Nicolas Champeaux et Gilles Porte utilisent deux techniques. Le premier, classique, est d’interviewer les survivants du procès et leurs proches : les accusés Andrew Mlangeni, Ahmed Kathrada et Daniel Goldberg, la femme de Nelson Mandela, le fils de Walter Sisulu, le fils du procureur Percy Yutar. Le second est plus original même si son usage se développe : ils ont demandé au dessinateur Oerd van Cuijlenborg d’illustrer les scènes d’époque.

On découvre ainsi une page méconnue de l’Histoire de l’Apartheid. Sans doute l’injustice de ce régime nous était-elle déjà connue ; mais la résistance des mouvements anti-apartheid nous l’était moins comme le courage de ses leaders avant leur incarcération au bagne de Robben Island. Cet oubli est réparé grâce au documentaire aussi instructif qu’émouvant de Nicolas Champeaux et Gilles Porte.

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The Predator ★☆☆☆

Les prédateurs sont de retour sur Terre. Venus d’une autre galaxie grâce à leur technologie de pointe, dotés d’une force prodigieuse et d’un instinct meurtrier, ils semblent n’avoir pour seul but que de faire de l’humanité leur proie.
Sur leur route se dressent deux hommes : un sniper coriace et son fils autiste et surdoué.

La série continue. Après Predator (1987), Predator 2 (1990) et Predators (2010), voici The Predator, en attendant peut-être A Predator ou Predator ! ou Predator.com.

Le film de Shane Black est un naufrage quasi-complet, en dépit (ou à cause ?) de son budget de 88 millions de dollars. Tout y est frelaté. Le scénario qui démarre au ralenti, ne décolle jamais et s’achève mollement. Si les acteurs – dont la seule qualité est d’avoir fait du mannequinat avant de passer derrière la caméra – sont agréables à regarder, cela ne garantit pas qu’ils sachent jouer. Quant au gamin autiste et surdoué, caché derrière ses cheveux mal coupés, il mériterait l’Oscar intergalactique du môme le plus caricatural.

Seul élément qui rachète de justesse ce film dispensable : la bande de frappadingues qui accompagnent les héros dans leur résistance à l’envahisseur et leurs dialogues déjantés qui entraînent tout d’un coup The Predator hors des sentiers battus.

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The House That Jack Built ☆☆☆☆

J’ai grandi avec Lars Von Trier. Ses premiers pas au cinéma coïncident avec la naissance de ma cinéphilie. Je me souviens encore de Breaking The Waves, vu en 1996 lors de ce qui était à l’époque une des toutes premières séances du matin. J’étais tombé immédiatement amoureux d’Emily Watson et lui avais prédit le destin d’une star. Je me souviens de Les Idiots, de sa folle liberté, de son audace transgressive. Je me souviens de Dogville, de sa mise en scène épurée, de l’intelligence machiavélique de son scénario. Je me souviens, plus récemment de Melancholia, de ses premiers plans, d’une beauté plastique digne d’un tableau de maître, de la beauté catatonique de Kirsten Dunst.

Et puis je me souviens aussi de Antechrist, de mon incompréhension face à ce long huis clos, de mon dégoût devant ce sexe mutilé filmé en gros plan. Je me souviens de Nymphomaniac, d’une longue succession de Scènes SM mettant en scène Charlotte Gainsbourg, dont ni la douleur ni le plaisir ne m’étaient compréhensibles.

C’est donc lesté de tous ces souvenirs, bons ou mauvais, que j’ai abordé le dernier film du maître danois qui fit, comme de bien entendu, un scandale au dernier festival de Cannes. Comment aurait-il pu en être autrement pour un réalisateur qui y avait tenu, neuf ans plus tôt, des propos pour le moins ambigus sur le nazisme ? Car, stratégie inconsciente ou volonté délibérée, Lars Von Trier choque et y prend manifestement du plaisir.

The House That Jack Built ne laissera pas indifférent. On y voit un tueur en série (Matt Dillon, qui a bien vieilli depuis Rusty James et dont la carrière prometteuse a été cannibalisée par ses quasi-sosies James Carrey et Matthew McConaughey) d’une cinquantaine d’années raconter cinq de ses crimes. Le procédé n’est pas d’une grande subtilité. Il permet au scénariste de coller bout à bout cinq historiettes – qui auraient tout aussi bien pu être montées dans un autre ordre. Il présente surtout, du point de vue du spectateur l’inconvénient de scander ce film de deux heures trente en cinq tranches de trente minutes environ chacune, qu’on accuse l’une après l’autre comme autant de passages obligés d’une pièce en cinq actes.

Qu’y voit-on ? Un tueur en série qui en rappelle d’autres. Au premier chef Patrick Bateman, le héros de American Psycho, qui commettait en toute impunité des crimes sordides. On ne sait d’ailleurs ce qui est le plus dérangeant de la barbarie de ses crimes (une automobiliste en panne tuée à coups de cric, une mère et ses deux enfants tuées à la carabine comme du gibier de chasse, une femme dont Jack découpe les seins parfaits…) ou de l’impunité dans laquelle cet assassin, peu soucieux de couvrir sa trace, les commet. Le châtiment, s’il arrive lors d’une tardive catabase (à vos dictionnaires !) patauge dans des références mythologiques sinon psychanalytiques qui pèsent des tonnes.

Les crimes en série de Jack sont racontés avec un humour pince sans rire, un second degré, qui tout à la fois en atténuent la monstruosité (on ne sursaute jamais pas plus qu’on ne s’angoisse) et en accroissent l’inhumanité (Jack ne tue pas des êtres humains mais traite des « matériaux »). Car, en commettant ces crimes, Jack entend signer un geste d’artiste. Délire psychotique où Lars Von Trier, mi-lard mi-cochon, fait mine de suivre son héros. Et c’est là qu’on décroche. Définitivement. Car s’il n’est pas question d’imposer à un artiste le respect d’une quelconque moralité, si le beau comme le laid, le sublime comme le sordide, peuvent et doivent être montrés, l’art ne saurait avoir pour objet de glorifier le laid, de magnifier le sordide. La complaisance de Lars Von Trier, le plaisir malsain qu’il prend à choquer le bourgeois (qui en a hélas vu d’autres) sont les limites de son génie. Il les a dépassées. Puisse-t-il dans ses derniers films comprendre que son talent s’y égare.

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Girl ★★★☆

Lara a quinze ans et deux rêves : devenir danseuse de ballet et devenir une femme.

Le genre n’a jamais autant interrogé. Le cinéma, reflet de notre temps, en porte le témoignage qui, depuis le début de l’année a au moins consacré trois films à des hommes ou des femmes en plein processus de réassignation sexuelle : Finding Phong sorti en février, Coby en mars, Il ou elle en août.

Lukas Dhont, un jeune réalisateur belge de vingt-sept ans à peine, aurait pu consacrer un documentaire similaire à Nora, une adolescente dans un corps de garçon dont la lecture de l’histoire dans un journal l’avait touché. Mais, face au refus de Nora d’être filmée, il a tiré son récit vers la fiction. Et c’est tant mieux.

Car la fiction lui permet d’interroger au plus près ce qui est au centre de la vie de Lara : un double combat qui n’en fait qu’un que l’adolescente livre contre son propre corps. C’est un double défi qu’elle relève avec une détermination que sa gueule d’ange ne laisse pas deviner. C’est une double transition qu’elle vit avec la même impatience au risque de détruire son corps. Elle veut devenir danseuse et martyrise ses pieds et ses orteils qui ne sont pas préparés à la dure discipline des pointes. Elle veut devenir une femme, cacher ce pénis embarrassant, accélérer le traitement hormonal qui tarde à produire des résultats.

On imagine aisément les railleries qu’une telle transition pourrait susciter, les plaisanteries scabreuses que la jeune ballerine aurait pu s’attirer, dans les vestiaires ou sur les planches, les situations embarrassantes voire comiques dans lesquelles Lara aurait pu se retrouver. Lukas Dhont refuse cette facilité scénaristique- au point de laisser croire que la société accepte sans sourciller les Lara. À l’exception d’une scène malaisante où Lara est en bute au chantage des autres ballerines, la jeune adolescente évolue dans un milieu étonnamment et unanimement bienveillant : sa famille, ses docteurs, ses enseignants se coalisent pour son bien. Son père, en particulier, qui a accepté de déménager pour permettre à Lara d’intégrer une meilleur école de danse, est un bloc d’amour prêt à tout sacrifier pour le bonheur de son fils aîné.

En recrutant Victor Polster pour jouer le rôle principal, Lukas Dhont a eu un incroyable coup de chance et/ou de génie. L’adolescent, qui a emporté le prix d’interprétation d’Un certain regard à Cannes, est parfait dans le rôle. Est-il/elle trop joli.e ? Peut-être. Le film aurait-il gagné à filmer un garçon plus masculin, plus grand, plus musclé, en un mot plus déplacé dans le rôle d’une ballerine en devenir ? Peut-être. Mais toujours est-il qu’on n’est pas prêt d’oublier Lara, sa chevelure d’ondine, ses yeux bleus, sa bouche délicate, son étonnante maturité et sa froide détermination.

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Voyez comme on danse ★☆☆☆

Entre sa femme (Carole Bouquet) et sa maîtresse (Sara Martins), Julien (Jean-Paul Rouve) ne sait plus où donner de la tête. Son fils Alex (William Lebghil) vient d’apprendre qu’il allait être père. Son amie Eva (Jeanne Guitet) a dix-sept ans seulement. La mère d’Eva (Karin Viard) prend très mal la nouvelle. La marraine d’Eva (Charlotte Rampling) la prend, elle, plus sereinement alors même que son mari Bertrand (Jacques Dutronc), sous le coup d’une enquête pour fraude fiscale, est sur le point de la quitter.

Michel Blanc invente une suite à Embrassez qui vous voudrez. Son film était inspiré de Vacances anglaises, un roman de Joseph Connolly qui en avait écrit une suite intitulée N’oublie pas mes petits souliers. Mais celle-ci, qui reprenait les mêmes personnages, se déroulait six mois après seulement. Voyez comme on danse n’a donc plus qu’un lien ténu avec les personnages de Joseph Connolly, mélangeant les acteurs de la première génération (Dutronc, Rampling, Viard et Blanc lui-même) avec d’autres qui n’apparaissaient pas dans le premier volet (Rouve, etc.).

Même si le souvenir s’en est brouillé avec le temps, j’avais ri aux éclats à Embrassez qui vous voudrez. Au point de me ruer sur le livre de Joseph Connolly – que Points Seuil avait opportunément ressorti avec l’affiche du film en couverture. Ce souvenir est pour beaucoup dans ma hâte à aller voir cette suite.

Hélas, j’ai été affreusement déçu. Est-ce parce que la suite est mauvaise ? Sans doute. J’aurais du me méfier de cette affiche où chaque personnage est photographié dans la pause caricaturale qu’il est censé incarner : Karin Viard a le sourire coincé de la quarantenaire dépressive, Jean-Paul Rouve la mine interloquée du mari surpris en plein adultère, Carole Bouquet le regard suspicieux de l’épouse à qui on ne la fait pas, etc.

Mais n’est-ce pas aussi tout simplement que le premier volet n’était pas aussi bon que le souvenir que j’en ai gardé ? Ou plutôt que les ressorts sur lesquels ils fonctionnaient (le récit chorale, les dialogues ciselés, les hommes adultères et les femmes célibattantes) ne fonctionnent plus ? Voyez comme on danse aurait été drôle s’il avait été tourné à l’époque et dans la foulée de Embrassez qui vous vous voudrez. Mais ce cinéma là, en 2018, a tout bonnement perdu sa raison d’être.

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RBG ★★★☆

Ruth Bader Ginsburg est juge à la Cour suprême américaine. Nommée en 1993 par Bill Clinton, elle appartient à son aile progressiste. Les opinions qu’elle y a défendues, sa courageuse résistance à la maladie, ses lunettes immenses, son chignon sévère et le col en dentelle dont elle orne sa toge ont fait d’elle une idole.
Le documentaire que lui consacrent Betsy West et Julie Cohen participe à cette starmania, en attendant son biopic dont la sortie est prévue pour la fin de l’année aux États-Unis.

Rien ne prédisposait pourtant cette timide jeune fille, née à Brooklyn en 1933 dans une modeste famille juive, à une telle célébrité. Élevée dans le culte de l’excellence, elle suit des études de droit à Cornell – où elle rencontre à dix sept ans à peine son mari d’un an plus âgé qu’elle – à Yale puis à Columbia.

Elle devient avocate et plaide devant la Cour suprême plusieurs affaires qui permettront, dans les années soixante-dix, la reconnaissance progressive des droits des femmes : Frontiero v. Richardson en 1973, Weinberger v. Wiesenfeld en 1975… Infatigable travailleuse, cette femme chétive et discrète est nommée juge à la Cour d’appel de Washington en 1980 par Jimmy Carter. Treize ans plus tard, elle est la deuxième femme à faire son entrée à la Cour suprême.

En 1996, elle joue un rôle déterminant dans l’affaire United States v. Virginia où la Cour censure le règlement de l’Institut militaire de Virginie qui réservait l’accès de la scolarité aux hommes. Mais ce sont ses opinions dissidentes dans une Cour de plus en plus conservatrice qui la font accéder à la célébrité : dans Bush v. Gore qui clôt au profit du candidat républicain le contentieux de l’élection présidentielle de 2000, dans Ledbetter v. Goodyear en 2007 où la Cour rejette la requête d’une employée victime de discrimination salariale au motif que sa requête est tardive alors que cette tardiveté avait pour cause l’ignorance dans laquelle elle avait longtemps été maintenue de cette discrimination (cette décision allait conduire l’administration Obama à modifier les règles de prescription en cette matière), etc.

Ruth Ginsburg n’est pas la juge la plus progressiste de la Cour suprême. Sonia Sotomayor, nommée en 2009 par Barack Obama, y défend des positions plus radicales. Pour autant elle est devenue une égérie. Elle n’a rien fait pour nourrir un tel engouement. Mais on sent qu’il ne lui déplaît pas. Sans doute apparaît-elle comme un môle de résistance aux inquiétantes dérives de l’administration Trump. Un môle d’autant plus précieux que, depuis la nomination controversée à la Cour suprême de Brett Kavanaugh, quatre jours avant la sortie de RBG en France, la Cour penchera de plus en plus en faveur des conservateurs.

Le documentaire de Betsy West et Julie Cohen n’est guère original. Comme il est de coutume, il mêle photos d’archives et interviews contemporaines. Mais son sujet est si intéressant, la personnalité de Ruth Ginsburg si attachante que RBG constitue une découverte passionnante.

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The Last Movie ★☆☆☆

Une équipe de cinéma tourne un western au Pérou. À la fin du tournage, Kansas (Dennis Hopper), un cascadeur qui s’est lié avec une prostituée, décide de rester dans la région. Un de ses amis vient de se porter acquéreur d’une mine dont il espère extraire de l’or. Kansas fréquente un couple de riches américains.
Pendant ce temps, les Péruviens qui avaient assisté au tournage se mettent en tête de le recommencer.

The Last Movie vaut avant tout pour la légende sulfureuse qui l’entoure. Nous sommes à l’orée des années soixante-dix en pleine époque Peace and Love. Dennis Hopper vient de réaliser Easy Rider chez Columbia Pictures qui a reçu un accueil triomphal. Trop content de le débaucher, Universal Pictures lui signe un chèque en blanc pour tourner son prochain film. Dennis Hopper part le réaliser au Pérou. C’est un prétexte à une longue orgie de drogue, d’alcool et de sexe entre amis : Peter Fonda, son comparse d’Easy Rider, Kris Kristofferson, Michelle Phillips, la chanteuse du groupe rock The Mamas and the Papas qui se marie avec Dennis Hopper pendant le tournage… et en divorce huit jours plus tard !

Le film se ressent de ce joyeux bordel. L’image est granuleuse, la prise de son détestable, les acteurs peinent à retenir les fous rires qui concluent chacune de leurs scènes. Le montage n’arrange rien qui se plaît à déconstruire une histoire dont j’ai tant bien que mal essayé de reconstituer la chronologie dans ma présentation.

On pourrait certes voir dans The Last Movie une œuvre crépusculaire sonnant le glas à la fois du cinéma hollywoodien et de la domination arrogante de l’Amérique sur le monde. Mais ce serait sans doute faire trop d’honneur à une œuvre brouillonne réalisée par de mauvais garnements sous LSD.

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L’une chante, l’autre pas ★★★☆

En 1962, Pauline (Valérie Mairesse) a dix-sept ans et ne supporte pas la morale petit-bourgeois dans laquelle ses parents l’ont éduquée. Elle prépare paresseusement son bachot et consacre son temps libre à la chanson. Elle retrouve par hasard Suzanne (Thérèse Liotard), une ancienne voisine de cinq ans son aînée, qui vit en couple avec Jérôme, un photographe, dont elle a déjà eu deux enfants et dont elle en attend un troisième. Pauline va aider Suzanne à avorter.
Entre les deux femmes se nouera une amitié qui défiera le temps.

Quand Agnès Varda réalise L’une chante, l’autre pas en 1977, le combat pour les droits des femmes fait rage. L’engagement des militantes du Planning familial, des « salopes » du Manifeste des 343 – qu’Agnès Varda avait elle-même signé – et de Gisèle Halimi – qui apparaît dans son propre rôle dans le film – avait déjà porté quelques fruits. Mais beaucoup restait à faire pour ébranler la société française, patriarcale et phallocratique.

C’est dans ce contexte politique bien particulier qu’Agnès Varda sort son film. Elle aurait pu en faire un appareil propagandiste pachydermique comme les années soixante-dix dans leur obsession militante en ont hélas beaucoup produit. Mais L’une chante, l’autre pas réussit au contraire à rester léger. Car loin de s’attacher à faire le tableau d’une époque (elle n’évoque même pas d’un mot Mai 1968 ou la loi Veil), Agnès Varda fait avant tout le portrait de deux femmes.

Le film, qui dure deux heures, leur donne une rare épaisseur, exaltant leurs qualités (l’énergie de Pauline, la douceur de Suzanne) sans rien cacher de leurs défauts (l’irresponsabilité de la première incapable de se fixer, le fatalisme de la seconde prompte à se replier sur elle-même). Aujourd’hui, on aurait réalisé une mini-série de six épisodes les suivant au cours des années comme le fait le film entre le gris Paris de 1962, le Soissonnais où Suzanne retourne après le suicide de Jérôme, la Côte d’Azur où elle s’installe ensuite pour y rencontrer Pierre, l’Iran exotique où Pauline ira se marier avant d’en revenir bien vite…

Il se dégage de ce film au charme suranné, ressorti dans quelques salles parisiennes à une époque où #MeToo et #BalanceTonPorc lui donnent une nouvelle actualité, une tendresse communicative. Certaines critiques lui reprochent sa naïveté. Reconnaissons lui au contraire sa douceur.

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