Avec amour et acharnement ☆☆☆☆

La cinquantaine, Sarah (Julie Binoche) et Jean (Vincent Lindon) forment un couple en apparence indestructible. Journaliste à RFI, Sarah a longtemps vécu avec François (Grégoire Colin), le meilleur ami de Jean. Jean quant à lui, un ancien rugbyman professionnel, a connu la prison et peine à retrouver un travail tandis que son fils, Marcus, élevé par sa grand-mère (Bulle Ogier) traverse une adolescence difficile.
Mais il suffit que Sarah recroise François avec lequel Jean est sur le point de renouer une association pour que ce couple si stable en apparence se fissure.

La sortie de Avec amour et acharnement a fait le buzz cette semaine. Parce qu’il avait remporté l’Ours d’Argent à Berlin. Parce que Vincent Lindon, auréolé du prestige de son statut de président du dernier jury du festival de Cannes, a profité de sa promotion pour venir lancer à la télévision un appel politiquement très correct au boycott du prochain Mondial au Qatar. Parce qu’enfin, Juliette Binoche, transgressant l’omerta qui règne sur les plateaux, a évoqué sans mâcher ses mots sa mésentente avec son partenaire – mésentente dont il faut souligner qu’elle ne transparaît pas à l’écran où les deux acteurs nous font croire, dans les scènes d’amour comme dans les disputes, à la parfaite alchimie.

Claire Denis, vache sacrée du cinéma français (Chocolat, Beau Travail, Trouble Everyday, White Material….), renoue avec Christine Angot qui avait écrit avec elle en 2017 le scénario de Un beau soleil intérieur, que j’avais copieusement étrillé. Juliette Binoche y jouait déjà le premier rôle, celui d’une quinquagénaire passant des bras d’un homme à un autre, en quête de son « soleil intérieur » (sic). Cette fois-ci, Claire Denis porte à l’écran un roman de Christine Angot, sorti en 2018, Un tournant de la vie.

Avec amour et acharnement, un titre lourdingue et faussement poétique qui voudrait résumer un sujet, filme un trio amoureux tout droit tiré du vaudeville : le mari, la femme et son amant. Faute de pouvoir se limiter à ce trio, le scénario y rajoute l’histoire du fils de Jean, un métis en échec scolaire que son père essaie de convaincre de ne pas laisser tomber le lycée avec une tirade anti-post-coloniale dont on se demande ce qu’elle vient faire ici.

Tout est hystérisé dans Avec amour et acharnement, comme souvent dans les livres de Christine Angot : quand par exemple Sarah croise François sur le chemin de son travail, elle est bouleversée au point de répéter dans l’ascenseur son prénom dans un murmure extatique. Le personnage interprété par Juliette Binoche qui retombe dans les bras de François tout en jurant de sa fidélité à Jean n’est pas crédible une seconde. Mythomane ? Schizophrène ? Vincent Lindon s’en sort mieux, en cocu piteux (et en père paumé), dont on sent que la violence qu’il peine à contenir risque d’exploser au prochain mensonge de Sarah.

Les scènes de dispute amoureuse se succèdent et distillent leur toxicité, qui mettent le spectateur de plus en plus mal à l’aise. Eprouve-ton de l’empathie pour les personnages, pour la crise qu’ils traversent ? pas le moins du monde. De l’intérêt pour leur histoire et la façon dont elle se dénouera ? encore moins au point que j’en ai déjà oublié la conclusion après l’avoir vue hier soir.

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Flee ★★☆☆

Un Danois d’origine afghane raconte à son ami, le réalisateur Jonas Poher Rasmussen, les circonstances de son départ d’Afghanistan, son long séjour en Russie, dans l’attente d’un passage à l’Ouest, et son arrivée au Danemark où il dut mentir sur son histoire pour obtenir le statut de réfugié. Il lui raconte aussi l’encombrante découverte de son homosexualité et la difficulté d’en faire l’aveu à sa famille.

Flee raconte une histoire vraie. Jonas Poher Rasmussen avait au lycée un camarade d’origine afghane, très timide, qui n’a accepté de lui raconter son parcours, qu’il avait caché de peur de se voir retirer son statut, que plusieurs années plus tard.  Le réalisateur danois aurait pu en faire un documentaire. Mais l’ami refusait de témoigner à visage découvert. Cette contrainte a obligé la production à recourir à l’artifice de l’animation développée par la société Final Cut for Real qui avait produit les films de Joshua Oppenheimer (The Act of Killing et The Look of SIlence).

Le résultat est visuellement étonnant et très réussi. Flee alterne plusieurs techniques. La plupart du temps, une ligne claire douce, presque naïve ; dans les moments les plus dramatiques, le dessin se fait plus fuyant ; des images d’archives sont aussi insérées qui créent un effet de distance avec ces 90ies aujourd’hui vieilles d’un quart de siècle.

Flee n’est pas le premier film à raconter les épreuves endurées par un réfugié sur le chemin de l’Europe. Il est à craindre que ce ne soit pas le dernier non plus. Des documentaires (Loin de chez nous, Midnight Traveler, Human Flow…), des fictions (L’Ordre des choses, Mediterranea…) et même un film d’animation, le très poétique La Traversée, se sont déjà frottés au sujet avec plus ou moins de succès.

Raconter cette histoire rétrospectivement, selon un procédé qui s’apparente à la thérapie freudienne, n’est pas nouveau non plus. C’était précisément la veine empruntée par Valse avec Bachir qui rencontra à sa sortie en 2008 un succès retentissant, qui peut sembler avec le recul un peu excessif.

L’originalité de Flee est d’ajouter à cette histoire-là celle d’un coming out. Un coming out qu’on imagine particulièrement délicat dans une société où l’homosexualité est considérée comme un tabou et un crime. Ce sujet-là avait déjà été traité avec beaucoup de talent au Kurdistan irakien dans un documentaire intitulé Toutes les vies de Kojin.

Flee donc, on l’aura compris, n’innove pas, ni sur la forme, ni sur le fond. Mais il n’en constitue pas moins une oeuvre étonnante qui nous livre le témoignage sensible et émouvant d’un homme qui, malgré les épreuves, réussit à construire sa vie d’homme.

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Les Cinq Diables ★★★☆

Joanne (Adèle Exarchopoulos) et Jimmy (Moustapha Mbengue) vivent en apparence une vie sans histoire dans un petit village des Alpes. Leur petite fille Vicky a un don : un odorat surdéveloppé qui lui permet de remonter le temps. Quand sa tante Julia revient vivre chez son frère, malgré l’ostracisme qui semble l’avoir frappée dans tout le village, ce don va permettre à Vicky de découvrir le drame qui s’y est déroulé dix ans plus tôt.

Les Alpes vont décidément bien au teint du cinéma français. Après La Nuit du 12, Les Cinq Diables a été filmé dans les mêmes décors, austères et impressionnants, de ces hauts sommets encapuchonnés de neige, sous le ciel maussade d’une intersaison sans ski ni randonnée.

Si on veut poursuivre la comparaison avec La Nuit du 12, elle risque de tourner au désavantage des Cinq Diables qui n’en a ni la force ni l’actualité. C’est, tout bien considéré, un fait divers sans grand intérêt. Mais Léa Mysius, la réalisatrice d’Ava en 2017- qui avait révélé Noée Abita qui fait ici un bref caméo – a trois atouts dans sa besace.

Le premier est un scénario façon puzzle qui se dévoile très progressivement en utilisant un artifice qui pourrait sembler banal sinon maladroit : les sauts dans le temps que le don de Vicky lui permet. Grâce à ce procédé, le suspense est entretenu tout au long du film et ne se dénoue qu’à son extrême fin, faisant des Cinq Diables – dont la signification du titre s’éclaire très discrètement au détour d’un plan – un thriller captivant.

Le deuxième est une troupe d’acteurs épatants. Adèle Exarchopoulos trône au sommet de l’affiche. Elle est d’une sensualité atomique – ce qui ne nécessite guère de talent particulier ; mais elle démontre de film en film (elle crevait l’écran dans son avant-dernier, Rien à foutre, où elle campait une hôtesse de l’air dépressive) une maîtrise exceptionnelle et une richesse de jeu que ne possède pas la première cagole venue. L’entourent des comédiens tous remarquables : la petite Sally Dramé qui, à la différence de tant d’enfants stars, ne la ramène pas, Moustapha Mbengue impressionnant de virilité blessée, la révélation Swala Emati dans le rôle ingrat de la « goudou pyromane » (sic) et enfin Daphné Patakia qui après avoir enflammé la pellicule dans Benedetta, a accepté de s’enlaidir pour les besoins du rôle.

Le troisième est une émouvante histoire d’amour qui se dessine progressivement. Elle m’a fait penser à celle que racontait Le Milieu de l’horizon, un film suisse passé inaperçu, malgré la belle prestation de Laetitia Casta. J’ai craint un instant qu’elle n’affadisse le scénario en lestant d’une romance inutile. Mais, preuve que je n’ai pas tout à fait un cœur de pierre, elle a fini par me toucher et m’émouvoir.

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Everything Everywhere All at Once ★☆☆☆

Evelyn Wang (Michelle Yeoh) est épuisée. Epuisée par la laverie automatique qu’elle doit gérer et par le contrôle fiscal qu’elle subit. Epuisée par sa famille : son père grabataire, sa fille unique, Joy, qui vient de faire son coming out, et son mari Waymond qui est sur le point de la quitter.
Mais la vie de Evelyn bascule brutalement lorsque, dans l’immeuble des impôts où elle subit un interrogatoire humiliant avec une inspectrice revêche (Jamie Lee Curtis), elle se retrouve plongée dans le multiverse. Dans ces univers parallèles, hantés par une puissance démoniaque qui a pris possession du corps de sa fille, Evelyn découvre la multiplicité de destins qu’elle aurait pu avoir si elle avait fait des choix de vie différents : championne de kung-fu, star de cinéma, cheffe dans un restaurant gastronomique ou encore lesbienne avec des hot dogs à la place des doigts (sic)

Everything Everywhere All at Once nous vient des Etats-Unis où il a fait un tabac au box-office précédé d’une réputation flatteuse et méritée. Car EEAOT – comme l’appelent déjà les fans de ce film qui, à n’en pas douter, deviendra culte – a une sacrée ambition. Comme Eternal Sunshine of the Spotless Mind, comme Matrix, comme désormais la plupart des grands blockbusters américains (la franchise X-Men, Superman, etc.), EEAOT joue à saute-moutons d’un univers à un autre, au risque parfois d’y paumer le spectateur. Les jeunes adorent ce zapping épileptique et les plus âgés trouvent leur compte à cette histoire touchante.

Le problème, le gros problème de EEAOT est que cette débauche d’effets spéciaux, cette imagination débordante, sont mises au service d’une thèse affligeante : le sempiternel bonheur familial qui passe, pour Evelyn, comme de bien entendu, et sans rien spoiler à un scénario cousu de fil blanc, par sa triple réconciliation avec son père, son mari et sa fille. Certes, me dira-t-on Eternal Sunshine of the Spotless Mind était, tout bien considéré une comédie romantique un peu niaise ; et Matrix la parabole philosophique boursouflée de la Caverne de Platon. EEAOT est donc de la même farine.

C’est ici, une fois cette prémisse posée et EEAOT, ESSM et Matrix mis dans le même sac, que dans notre petit multiverse cinématographique s’ouvre à nous, amis cinéphiles, deux options logiques : soit hisser ces trois films là dans notre panthéon cinématographique, malgré leur morale un peu niaise ; soit au contraire, au risque d’un sévère déclassement des deux premiers, les reléguer du piédestal où tous les palmarès les ont déjà hissés.
À vous de choisir !

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Les Promesses d’Hasan ★★☆☆

Hasan, la cinquantaine, est agriculteur. Il cultive des tomates sur un champ menacé d’expropriation par la construction d’une ligne à haute tension. Un peu plus loin, sur un autre champ, il a des pommiers, dont la production est plus rémunératrice.
Sa femme et lui ont décidé d’aller faire le pèlerinage à La Mecque. Mais avant le départ, il doit solder son passé et payer ses dettes.

Aimez-vous les grands films lents de Nuri Bilge Ceylan : Le Poirier sauvage, Winter sleep (Palme d’Or à Cannes en 2014), Il était une fois en Anatolie ? Alors vous serez en terrain de connaissance avec son compatriote.

Semih Kaplanoğlu n’en est pas à son coup d’essai : ce cinéaste presque sexagénaire s’était fait connaître à la fin des années 2000 avec une trilogie : Oeuf, Lait, Miel (Ours d’Or à Berlin en 2010). En 2017, il signait avec Jean-Marc Barr une dystopie pessimiste, La Particule humaine.

Les Promesses d’Hasan dure près de deux heures et trente minutes. Une durée obèse pendant laquelle il ne se passe ni ne se dit grand-chose Il faut y être préparé avant d’entrer en salles, savoir qu’on est parti pour un long voyage immobile sans rebondissement ni twist hollywoodien.

Je craignais de m’ennuyer – comme je m’étais solidement ennuyé devant les films de Nuri Bilge Ceylan. Il n’en fut rien. Au contraire, je me suis lentement laissé prendre au rythme languide de ce film, beaucoup plus riche et profond qu’il n’en a l’air.

Son mystère réside dans celui qui entoure son héros. Aucune révélation spectaculaire, répétons-le, ne viendra éclairer son passé ; mais de lents dévoilements viennent progressivement donner du sens à ce qui ne semblait pas en avoir. Le film ne se réduit pas à l’intrigue dérisoire à laquelle il semble se réduire – Hasan réussira-t-il à éviter qu’un pylône ne se construise au milieu de son champ de tomates ? Bien au contraire ! cette intrigue là n’est qu’un prétexte à en ouvrir d’autres, comme autant de poupées russes qui nous éclairent progressivement sur un personnage plus complexe qu’il n’y paraît.

Hasan nous apparaît au départ comme un pauvre paysan besogneux en proie à une administration bureaucratique et corrompue. Or, le personnage est beaucoup plus opaque et dense que cette simple silhouette, déjà mille fois décrite dans tant de films naturalistes. Est-il sympathique ou antipathique ? Deux heures et demi ne sont pas trop pour répondre à cette question, qui n’a au fond guère de pertinence, et pour sonder l’âme d’un homme.

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Columbus ★★☆☆

C’est l’histoire d’une rencontre improbable à Columbus dans l’Ohio entre deux individus dont les chemins n’auraient pas dû se croiser.
Jin, métis américano-coréen, y débarque en toute urgence en provenance de Séoul au chevet de son vieux père qui vient de sombrer dans le coma.
Casey, de dix ans sa cadette, y a grandi et, par dévotion pour sa mère, refuse d’en partir.
L’architecture moderniste de cette ville au demeurant anodine va les rapprocher.

Après avoir vu After Yang, j’ai été curieux du précédent film de Kogonada, datant de 2017, qui n’était pas sorti en salles à l’époque, mais que le Grand Action a eu la bonne idée de reprogrammer.

J’avais été très sensible à la douceur d’After Yang que j’ai retrouvée avec délice dans Columbus. Loin de la mode actuelle des caméras portées et des plans séquences épileptiques, Kogonada prend son temps. Il filme en plan fixe. Tout y est calme et volupté. Qu’on s’intéresse ou pas à l’architecture contemporaine, on suivra avec un vif intérêt le tour guidé auquel il nous invite dans cette ville de l’Ohio dont on ignorait les richesses méconnues.

Le lien qui se construit entre les deux personnages est de la même nature. Aucune passion enfiévrée, aucune tension sexuelle qui se conclurait fatalement, à la fin du film, par leur union amoureuse. Rien qu’une douce amitié asexuée et, osons le mot, post-moderne.

Cette réussite doit beaucoup à la jeune Haley Lu Richardson. Elle n’est pas exceptionnellement jolie comme le sont parfois les starlettes. Elle aurait même d’ailleurs quelques kilos en trop par rapport à la norme draconienne qu’elles se doivent de respecter. Mais elle a un charme fou, une douceur irrésistible, dans sa relation à sa mère, à Jin et même à son collègue bibliothécaire avec lequel une romance aurait pu s’ébaucher.

Columbus ne raconte pas grand-chose. Mais ce pas grand-chose est déjà beaucoup.

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L’Évangile selon saint Matthieu (1964) ★★★☆

L’Évangile selon saint Matthieu, qu’il réalise la quarantaine venue, marque un tournant dans l’oeuvre de Pier Paolo Pasolini. Il rompt définitivement avec le néoréalisme sous la paralysante tutelle duquel il avait réalisé son précédent film Accattone. Il fait le pari, réussi, d’aborder de front la question du sacré qui ne cesse de le hanter.

Marxiste et athée, Pasolini s’attaque au texte le plus sacré qui soit. Des quatre évangiles, il choisit le plus intellectuel, le moins visuel, celui qui donne le plus de place à la parole du Christ.

On est immédiatement touché par ce qu’il y a cherché et trouvé : la profonde humanité du Christ, débarrassé du fatras du dogme.

Mettre en scène un Évangile est un défi cinématographique. Le spectateur connaît d’avance chaque scène, sans parler de la conclusion de son histoire. La surprise, l’étonnement ne peuvent venir que de la façon dont chaque plan sera construit et dont la Passion du Christ et sa résurrection seront filmées. Pasolini dit s’être inspiré de l’iconographie médiévale, de Piero Della Francesca, de Duccio, de Masaccio. Il use de tous les procédés que le cinéma lui autorise : le zoom, le très gros plan, le grand angle, la post-synchronisation du son (une hérésie pour les tenants du néo-réalisme)…. Il fait surtout, comme dans ses autres films, un usage immodéré de l’accompagnement musical, utilisant ici bien sûr La Passion selon saint Matthieu de Bach, mais aussi Prokofiev, des negro spirituals et la Missa Luba congolaise.

Son Évangile…, dédié au « glorieux Pape Jean XXIII », qui venait de mourir d’un cancer foudroyant après avoir lancé le concile Vatican II, est profondément fidèle au texte. Après quelques atermoiements, il a été validé par l’Eglise catholique.

Qu’on connaisse ou pas chacun de ses épisodes, qu’on soit ou non croyant, on ne pourra qu’être ému au tréfonds par certains des plans de L’Evangile… Je ne me suis pas remis du visage en larmes de Marie au pied de la Croix, interprétée par la propre mère de Pasolini, pleurant son fils martyrisé.

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Nope ★☆☆☆

Après la mort de son père, Otis Haywood Jr. (Daniel Kaluyaa) essaie tant bien que mal de faire survivre le ranch familial situé aux marches du désert californien. Il y élève des chevaux pour le cinéma et la télévision. Son voisin, Jupe, un ancien acteur de cinéma reconverti dans l’entertainment, possède un parc à thèmes et voudrait racheter ses terres et ses bêtes.
OJ est témoin, avec sa sœur Em, de phénomènes célestes étranges. Bien vite, ils se convainquent qu’il s’agit d’un OVNI qui pourrait les rendre célèbres s’ils parviennent à en prendre une image. Mais malgré l’installation de caméras de surveillance par un expert en électronique et le concours d’un réalisateur en quête d’absolu, le défi que se sont lancés OJ et Em risque de leur coûter la vie.

Il n’est pas facile de parler de Nope, dont l’une des principales qualités tient dans la frustration qu’il fait naître chez le spectateur pendant une bonne moitié du film en refusant de lui expliquer et de lui montrer le mystère que cachent les nuages du désert de Californie. Les héros occupant un monde bizarrement vidé de ses habitants devraient logiquement avoir pour réaction la peur, l’effroi et la fuite. Mais tel n’est pas le comportement d’OJ et de Em. Au lieu de considérer que la mystérieuse créature qui se cache dans les cieux les menace – ce que tout être humain sensé ferait à leur place – ils se mettent en tête de la filmer. Réaction déconcertante sinon dépourvue de toute crédibilité, au service d’une métaphore qu’on pourra trouver, au choix, pataude ou d’une brûlante actualité : nous vivons dans une société du spectacle où la quête de « l’image impossible » est devenue la valeur suprême.

Mais l’épais et malaisant mystère qui entoure cet Ovni se dissipe peu à peu. À la première partie, qui avait réussi à nous mettre délicieusement mal à l’aise, succède une seconde d’une facture beaucoup plus classique. Reprenant les codes du film d’horreur et du western, cette seconde partie nous raconte un duel au soleil et sous les nuages qui oppose l’Ovni qui s’avère être un dangereux prédateur en, quête de nourriture et notre quarteron de chasseurs d’images.
Alors, certes, on pourra admirer la beauté visuelle de cet OVNI new age. Mais sa grâce élégiaque n’a pas suffi à me tenir haleine pendant les plus de deux heures qu’a duré Nope.

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Leila et ses frères ★★☆☆

Pour les sortir de la mouise, Leila incite ses quatre frères à réunir leurs économies pour acheter une boutique dans le centre commercial ultra-moderne où elle travaille. Mais leur maigre épargne n’y suffisant pas, ils doivent solliciter l’appui de leur père qui le leur refuse : il préfère en effet consacrer les quarante pièces d’or qu’il a patiemment épargnées toute sa vie durant pour devenir le parrain du clan Jourablou. Des cousins guère scrupuleux lui ont laissé miroiter cette position qui flatte son amour-propre au risque de le ruiner.

Un an après La Loi de Téhéran qui avait fait sensation, Saeed Roustaee revient sur les écrans. Son troisième film (après Life and Day tourné en 2016 mais inédit en France) souffre de la comparaison avec son précédent qui le surpasse. On ne retrouve pas dans Leila… les mêmes qualités que dans La Loi de Téhéran qui nous plongeait vertigineusement dans les bas-fonds interlopes de la capitale iranienne.

Leila et ses frères nous raconte l’histoire d’une famille iranienne qu’on imagine moyenne. Deux parents désormais retraités ; cinq enfants entre trente et cinquante ans aux vies cabossées. Alireza vient de se faire licencier d’une entreprise en faillite frauduleuse. Parviz suffoque sous ses kilos excédentaires et les cinq enfants en bas âge que son épouse lui a donnés. Farhad conduit un taxi. Manouchehr mouille dans des trafics louches. La seule à s’être stabilisée et à jouir d’un emploi fixe est Leila, la sœur cadette. Le manque d’argent oblige Alireza, Farhad et Leila à se serrer sous le toit de leurs parents, en attendant des jours meilleurs.

Leila et ses frères raconte comment cette espérance va tenter de se concrétiser grâce au plan de Leila. Sa réalisation suppose de trancher quelques conflits familiaux et, en premier lieu, de venir à bout de l’égoïsme forcené de Heshmat, patriarche presque gâteux qui n’a jamais su donner à ses enfants l’amour et l’éducation qu’ils réclamaient. Elle doit aussi s’accommoder de quelques coups du sort.

En regardant Leila et ses frères (dont le rôle titre est interprété par une actrice qui avait souvent tourné avec lui), on pense au cinéma de Ashgar Farhadi, à ses drames familiaux poignants qui laissent ses héros brisés. Ici, la recette est un peu indigeste. Le film dure en effet près de trois heures. C’est sans doute nécessaire au déploiement d’une intrigue qui connaît de multiples rebondissements. Mais c’est beaucoup pour le spectateur qui ressort groggy de cette épreuve où chaque scène est un match de boxe où des combattants acharnés se disputent en hurlant.

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Trois mille ans à t’attendre ★☆☆☆

Alithea Binnie (Tilda Swinton) est une intellectuelle solitaire, qui ne trouve depuis l’enfance son bonheur que plongée dans l’étude. Cette éminente narratologue anglaise, victime de déroutantes hallucinations, se rend à Istanbul pour y donner une conférence. Elle y soutient que la science comme instrument d’explication du monde a supplanté le mythe. Dans le grand bazar, elle achète un carafon qui retenait prisonnier un djinn (Idris Elba). Sitôt libéré, il lui propose d’exaucer trois vœux. Mais la conférencière, qui sait d’expérience ce qu’il en coûte à se montrer trop gourmand, préfère écouter le djinn raconter l’histoire de sa vie.

Entre deux Mad Max – le quatrième en 2015 reçut un accueil si unanime que je n’ose plus citer ma critique mitigée et le cinquième est en cours de tournage – le réalisateur George Miller prend son public à contre-pied en lui livrant un film inclassable.

La touche de folie que porte Tilda Swinton laisse augurer, quand on regarde sa bande-annonce et sa première demi-heure à une comédie vagabonde sur les bords du Bosphore. Mais bien vite, le film semble trouver son rythme avec l’entrée en scène, impressionnante…. évidemment impressionnante… de Idris Elba. Une histoire se raconte, celle du djinn (qui restera innommé tout le long du film), de la façon dont il se libère des bouteilles dans lesquelles il est régulièrement enfermé, depuis sa présence résignée aux ébats du roi Solomon et de la reine de Saba jusqu’à sa participation à la succession de Soliman le Magnifique. La reconstitution est luxueuse, donnant l’occasion de quelques scènes épiques qui louchent du côté du kitsch assumé de 300 sinon des Dix Commandements.

On aurait pu s’en contenter. Mais, las ! [attention spoiler] George Miller trouve le moyen d’en rajouter une troisième couche dans la dernière demi-heure qui quitte les rives du Bosphore et la chambre d’hôtel où un véritable récit-monde se racontait pour la grisaille londonienne. Les récits mythologiques cèdent le pas à une banale romance que le scénario n’arrive pas à conclure dans une fin à tiroirs que je ne suis pas sûr d’avoir comprise. Tout le plaisir pris à suivre l’épopée étourdissante d’Idris Elba à travers les siècles se retrouve pris au piège d’une intrigue minuscule et sans originalité.

La bande-annonce