Harka ★☆☆☆

Ali est un jeune Tunisien qui ne se voit pas d’avenir, sinon celui de traverser la Méditerranée à la recherche d’une vie meilleure. En rupture de ban, il a abandonné le foyer familial pour squatter une maison en construction. Il gagne sa vie chichement en vendant de l’essence de contrebande. La mort de son père et la défection de son frère aîné l’obligent à revenir vivre avec ses deux sœurs cadettes et à renoncer à ses projets d’émigration. Pour leur éviter la saisie de leur maison et réunir la somme nécessaire au remboursement des dettes de son père, Ali doit franchir les limites de la légalité.

Dans le dossier de presse, le réalisateur Lotfy Nathan explique le double sens du titre. « Harka » dit-il désigne d’une part l’immolation par le feu, comme celle de Mohamed Bouazizi en décembre 2010, à Sidi Bouzid où Harka a été tourné. Ce suicide, on s’en souvient, fut l’étincelle qui provoqua le Printemps arabe en Tunisie, la fuite de Ben Ali et l’instauration d’une fragile démocratie qui vient de connaître à l’été 2021 un virage autoritaire à l’instigation du Président de la République Kaïs Saïed. « Harka » désigne d’autre part un migrant qui traverse illégalement la Méditerranée.

Ces deux destins aussi désespérés l’un que l’autre semblent être les seuls offerts au jeune Ali, que le réalisateur a chargé de symboliser à lui seul l’impasse la jeunesse tunisienne. Dans le rôle, la révélation Adam Bessa, de tous les plans, porte le film avec une incandescence fiévreuse.

Un moment, on pressent que la chronique sociale va verser dans le polar lorsqu’Adam prend le chemin de la frontière libyenne pour en ramener de l’essence de contrebande. Mais dans son dernier tiers, le film retrouve son lit. Il se hâte lentement vers un dénouement qui nous surprend d’autant moins qu’on l’avait fatalement pressenti.

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Le Serment de Pamfir ★★☆☆

Pamfir est un colosse qui a quitté son village en Ukraine, dans les Carpates, à la frontière de la Roumanie, pour aller s’employer en Pologne. La région vit de la contrebande ; mais, après un événement dramatique qui l’a brouillé avec son père, Pamfir a fait le serment de tourner le dos à cette vie-là.
Pamfir fait la surprise à sa femme, Olena, et à son fils, Nazar, de revenir au village au moment du carnaval qui s’y déroule chaque année. Mais par la faute de Nazar, qui cherchant par tous les moyens à retenir ce père absent, met le feu à l’église de la paroisse, Pamfir se voit obligé de prolonger son séjour et, pour racheter la dette qu’il a contractée auprès de M. Oreste, le parrain du village, de renouer avec un commerce qu’il réprouve.

Deux semaines après R.M.N. sort en salles un film qui semble avoir été tourné sur l’autre versant de la même montagne qui sépare la Roumanie de l’Ukraine. De part et d’autre de ces monts froids et embrumés vivent les mêmes communautés attachées à leurs traditions, dures à la tâche, impitoyables avec qui veut dévier de l’ordre établi. Il en a déjà cuit aux Roumains modernistes et libéraux, héros de R.M.N. qui ont essayé d’accueillir des travailleurs immigrés sri lankais. Le même sort attend Pamfir, dans un récit qui convoque la tragédie grecque et les contes folkloriques de la Bucovine.

Comme avec R.M.N., on est happé par un récit haletant, mené sabre au clair, dont on pressent par avance l’issue tragique. On est fasciné par l’extraordinaire virtuosité de chaque plan, au point parfois de friser l’overdose et de souhaiter secrètement que le réalisateur et son cadreur s’abstiennent de vouloir à tout prix nous démontrer leur talent.

Manque peut-être à ce Serment, si on continue de le comparer à R.M.N., une scène maîtresse comme celle qui réunissait tous les habitants du village de R.M.N. pour décider du sort de ces émigrés. Dans Le Serment, il s’agira peut-être de celle où Pamfir combat à mains nues la douzaine de sicaires aux ordres de M. Oreste dans un combat perdu d’avance ou bien de celle où, avec trois acolytes, il traverse les bois en petites foulées pour tromper la surveillance des gardes-frontières.

Mais les deux films ont le même défaut. Leur scénario se termine sans qu’on en comprenne clairement l’issue, comme si quelques plans avaient été coupés qui en auraient rendu le dénouement plus intelligible. Dommage…

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Close ★★★☆

Léo et Rémi sont amis depuis l’enfance. Ils partagent tout : les mêmes jeux, les mêmes rires, les mêmes repas, une fois chez l’un, une fois chez l’autre, jusqu’aux nuits qu’ils passent ensemble dans le même lit… Mais avec l’entrée au collège et l’adolescence, le regard qui pèse sur eux corrompt leur relation.

Pendant plusieurs semaines, la bande-annonce de Close a précédé, jusqu’à l’indigestion, chaque film distribué dans le circuit UGC ou MK2. Elle révèle sans en rien cacher tous les pans de la première partie du film et fait naître une interrogation : quelle histoire nous racontera Close ? celle de deux adolescents homosexuels en butte à l’hostilité de leurs camarades de classe et qui auront le courage de s’aimer malgré tous les obstacles ? ou au contraire, dans une version moins heureuse, celle de l’implacable corrosion d’une amitié amoureuse qui ne résistera pas à la pression du groupe ?

Ni l’une ni l’autre. Close s’engage de façon surprenante dans une tout autre direction. On n’en dira pas plus pour ménager le choc que cette bifurcation sidérante provoque.

Close est le deuxième film de Lukas Dhont, un jeune réalisateur belge âgé de trente ans à peine et beau comme un Dieu. Son premier film, Girl, avait obtenu la Caméra d’or à Cannes en 2018. Il aura laissé à tous ceux qui l’ont vu une marque profonde. Il est probable que ce soit le cas aussi de Close, Grand Prix du jury qui, dit-on, a manqué de peu la Palme d’Or – attribuée cette année à Sans filtre.

On peut certes lui reprocher un certain maniérisme. Sa caméra est collée aux acteurs et refuse tout plan large, accroissant le sentiment d’étouffement. Elle filme avec complaisance ces deux charmants bambins qui courent dans les champs sous une douce lumière crépusculaire ou pédalent sur leurs vélos. Voulant filmer des émotions tues, Lukas Dhont se condamne à accumuler les métaphores sursignifiantes : un hockeyeur qui chute jusqu’à l’épuisement, un poignet brisé qui cicatrise…

Pour autant, Close est poignant. Cette réussite est due à ses deux jeunes héros qui, comme celui de Girl, impressionnent la pellicule de leur ambiguïté pré-adolescente. Mais il la doit au moins autant aux deux actrices qui interprètent les rôles des deux mères. Sans maquillage, assumant leur quarantaine bien frappée, elles sont l’une et l’autre impressionnantes de maîtrise. Depuis Rosetta, Emilie Dequenne m’émeut dans chacun de ses films (même si ses choix n’ont pas toujours été avisés) : La Fille du RER, À perdre la raison, Les Hommes du feu, Chez nous, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait…. Je lui trouve une sincérité poignante – et la voix de Virginie Efira ce qui ne gâche rien. Son rôle n’est pourtant pas simple ; mais elle réussit à en interpréter les douloureuses contradictions avec une pudeur bouleversante.

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Un couple ★☆☆☆

Le documentariste Frederick Wiseman nous surprend encore à quatre-vingt-dix ans passés. On avait l’habitude de le retrouver à échéances régulières avec des documentaires hors normes où, dans un style bien à lui, sans voix off, ni carton explicatif, il disséquait l’organisation d’une institution : la mairie de Boston (City Hall, 2020), la bibliothèque publique de New York (Ex Libris, 2017), la National Gallery de Londres (National Gallery, 2014), l’Université de Berkeley (At Berkeley, 2013), le Crazy Horse (Crazy Horse, 2011), etc.

Son dernier film n’est pas un documentaire. Il ne dure pas trois ou quatre heures mais une heure à peine. On n’y voit qu’une seule actrice, Nathalie Boutefeu, coiffée d’une élégante natte, enveloppée dans un châle aux motifs bariolés. Elle joue Sophia Tolstoï, l’épouse du célèbre romancier russe, et récite quelques passages de sa correspondance à son mari.

Le propos est étonnamment moderne : Sophia se plaint de son mari qui se décharge sur elle de l’éducation de leurs nombreux enfants et du train du ménage. Elle nourrit une immense admiration pour son mari dont elle recopie patiemment les brouillons (mais dont on ne saura rien des conseils qu’elle lui donne) mais lui reproche sa cyclothymie, sa froideur, ses silences. On regrette que ne soient jamais évoqués les livres qu’écrit Léon Tolstoï : lui consacrer tout un documentaire sans parler de Guerre et Paix ou d’Anna Karénine est bien frustrant.

Frederick Wiseman a opté pour un procédé théâtral intimidant : une seule actrice récite un texte dans les paysages splendides de Belle-Île aux falaises battues par le ressac, aux landes venteuses et aux étangs immobiles. Pourquoi l’avoir filmée dans ce splendide écrin ? Pour donner peut-être un peu de vie à un procédé dont l’austérité devient vite ennuyeuse. Pour autant, même si le film est court, on trouve vite le temps bien long…

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Mascarade ★★★★

« La Côte d’Azur est une région très triste. Les très riches s’y ennuient ; les riches font semblant d’être très riches ; et tous les autres crèvent de jalousie »
Adrien (Pierre Niney) est un ancien danseur professionnel devenu gigolo après un accident de moto. Il vit dans une luxueuse villa près de Nice aux crochets de Martha (Isabelle Adjani), une immense actrice de cinéma et de théâtre sur le retour.
Margot (Marine Vacth) est une entraîneuse qui cherche désespérément à sortir de son état grâce aux hommes qu’elle séduit et qu’elle arnaque. Dans son collimateur : Simon (François Cluzet), un riche promoteur immobilier.

Le cinéma de Nicolas Bedos est décidément toujours aussi réjouissant. Après Monsieur et Madame Adelman, après La Belle Époque et sans parler du troisième OSS117, un impersonnel film de commande, le voici au sommet de son talent avec un film d’un romantisme échevelé, d’une drôlerie acide, d’un machiavélisme diabolique et d’une folle énergie.

Il est servi par un quatuor d’acteurs magistral. Pierre Niney est un elfe toujours aussi séduisant ; François Cluzet n’a jamais été aussi solide ; mais ce sont les deux héroïnes qui surprennent et enthousiasment. Isabelle Adjani a le culot de s’auto-parodier en diva hystérique et cougar, rongée par la peur de vieillir. On tremble à l’idée que le rôle aurait pu être confié à Isabelle Huppert, qu’on voit beaucoup trop, et on se réjouit qu’Isabelle Adjani qu’on voit trop peu, l’ait accepté.
Mais celle qui emporte les suffrages, c’est Marine Vacth, dans un rôle qui rappelle ceux que Dora Tillier interpréta dans les précédents films de son ex-compagnon. La jeune actrice, révélée depuis plus de dix ans par Cédric Klapisch et François Ozon (son interprétation dans Jeune et Jolie lui valut le César du meilleur espoir féminin en 2014), mais encalminée dans des seconds rôles, trouve ici peut-être le rôle qui fera rebondir sa carrière. Elle y est tour à tour sublime, indomptable, fragile et bouleversante.

Le génie de Nicolas Bedos tient à une construction très savante mais parfaitement lisible d’un film qui s’organise autour du procès de Simon pour un crime dont on découvrira progressivement les circonstances dans une série de flashbacks.
Il tient aussi à la complexité de l’intrigue – qui s’enrichit pour notre plus grand délice d’un ultime rebondissement – et à l’épaisseur des personnages, jusqu’aux plus secondaires (ainsi de Laura Morante dans le rôle d’une ancienne maîtresse d’Adrien, séduite quand elle était la propriétaire établie d’un palace puis quittée une fois ruinée ou d’Emmanuelle Devos dans celui de l’épouse vieillissante et trompée de Simon). Comme dans La Règle du jeu de Jean Renoir – si on m’autorise cette comparaison flatteuse – tout le monde a ses raisons dans Mascarade. Aucun personnage n’est tout blanc ni tout noir. Longtemps après la séance, leurs attitudes continuent à nous interroger et suscitent le débat. C’est la marque des meilleurs films.

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Mon pays imaginaire ★☆☆☆

L’œuvre de Patricio Guzmán peut se lire comme une immense et ambitieuse encyclopédie de l’histoire contemporaine du Chili. Le réalisateur est aujourd’hui octogénaire. Il a quitté son pays après le coup d’Etat de 1973 et le renversement de Salvador Allende. Il s’est réfugié en France.

En 2019, il filme les émeutes populaires qui éclatent à Santiago.  Les affrontements avec la police provoquent plusieurs dizaines de morts et des centaines de lésions oculaires souvent graves. Un rassemblement monstre se tient dans la capitale le 25 octobre mobilisant plus d’un million de manifestants. Le président libéral Piñera réagit en convoquant un référendum qui décide la révision de la Constitution et la convocation d’une assemblée constituante dont les membres élus en mai 2021 offrent une image plus représentative du pays, notamment des femmes et des minorités. L’élection présidentielle de décembre 2021 signe la polarisation du débat politique avec l’affrontement de deux candidats d’extrême droite et de la gauche radicale. Le second, devancé au premier tour, l’emporte finalement : c’est Gabriel Boric, âgé de trente-cinq ans à peine, qui porte l’espoir du renouveau.

Toujours vert, Patrizio Guzmán n’a rien perdu de son énergie, de ses espoirs et de sa rage. Il ne cache pas sa haine pour la police et sa sympathie pour les manifestants dont il partage les mots d’ordre, amalgamant néo-libéralisme et patriarcat dans un slogan efficace mais réducteur : « L’État oppresseur est un macho violeur ».
Son documentaire y gagne en universalité ce qu’il perd en précision. Il nous parle plus de la lutte populaire contre un État liberticide que de la situation réelle au Chili – dont il ne quitte jamais la capitale et dont il surestime le progressisme si l’on en croit le Non opposé en septembre 2022 au projet de constitution rédigé par l’Assemblée constituante élue un an plus tôt. Il rappelle d’autres documentaires tournés sous d’autres cieux sur le même sujet, notamment le remarquable Un pays qui se tient sage dont, malgré mes opinions éhontément centristes, j’avais pourtant écrit le plus grand bien à sa sortie, Un peuple d’Emmanuel Gras ou J’veux du soleil filmé par le duo Ruffin-Perret.

Le principal reproche qu’on pourrait adresser à Guzmán est son manque de contre-point. Il interviewe longuement des manifestantes qui expriment leur colère et leur détermination ; mais il ne donne jamais la parole à l’autre camp. C’est un défaut que Un pays qui se tient sage n’avait pas. Et ce manque de contrepoint conduit à un manque d’objectivité : quand la voix off de Mon pays imaginaire condamne les violences dont la police chilienne se serait rendue coupable, ses images montrent un véhicule de police incendié par les cocktails Molotov lancés par les manifestants.

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La Conspiration du Caire ★★☆☆

Adam est le fils d’un pêcheur pauvre. Repéré par l’imam de son village pour son intelligence et sa foi, il reçoit une bourse qui lui permet d’aller étudier à la prestigieuse université Al Azhar, le phare de l’Islam sunnite. La mort de son Grand Imam y provoque une guerre de succession. Les autorités civiles veulent à toute force favoriser leur poulain. La Sûreté de l’Etat va recruter Adam pour parvenir à ses fins.

Le réalisateur Tarik Saleh, né en 1972 à Stockholm d’un père égyptien, qui avait fui le régime de Nasser, et d’une mère suédoise, s’était fait connaître du grand public en signant en 2017 Le Caire Confidentiel, un film noir qui ne m’avait qu’à moitié convaincu. Très critique à l’égard des autorités égyptiennes dont il stigmatisait la corruption, il avait dû tourner son film au Maroc. C’est dans le sublime écrin de la mosquée Süleymaniye à Istanbul qu’il a dû tourner son film suivant qui égratigne lui aussi l’Egypte du Prophète et du Pharaon (pour reprendre le titre du livre de Gilles Kepel), son autoritarisme, ses coups tordus.

La Conspiration du Caire (un titre beaucoup plus alléchant que le titre original anglais Boy from Heaven) est un vrai film d’espionnage. Son principal attrait est son exotisme. Il nous transporte dans un pays et dans un lieu qui ont été rarement filmés, mais où les enjeux de pouvoir sont régis par les mêmes règles que celles qu’on retrouve partout.

La Conspiration du Caire compte son lot de renversements de situation. Mais il souffre toutefois d’un scénario pas toujours crédible, dont on s’étonne qu’il se soit vu décerner le prix du Festival de Cannes 2022 (sans doute pour le consoler de ne pas en avoir reçu de plus prestigieux). En particulier, personne autour de moi n’a compris le face-à-face final, en prison. J’en appelle aux esprits plus aiguisés pour nous éclairer sur sa signification (la réponse suppose-t-elle de connaître les circonstances précises de la mort du Prophète et les propos tenus autour de sa dépouille par Omar et par Abu Bakr ?)

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Le Conformiste (1970) ★☆☆☆

Marcello Clerici (Jean-Louis Trintignant) a grandi sans amour entre un père qui finit à l’asile et une mère qui sombre dans la toxicomanie. Après de brillantes études, il adhère au parti fasciste et rejoint ses services secrets. Par conformisme, il se marie avec Giulia (Stefania Sandrelli) une femme superficielle et frivole pour laquelle il n’a aucun sentiment.
Une mission lui est confiée à l’occasion de son voyage de noces à Paris en 1938 : y rencontrer Luca Quadri, son ancien professeur, devenu une figure de la lutte anti-fasciste, endormir sa confiance et l’assassiner. Dans le cadre de cette mission, Marcello fait la connaissance de Anna (Dominique Sanda), la jeune épouse du professeur.

J’ai toujours exprimé des réserves sur le jeu de Jean-Louis Trintignant que je trouve laid et inexpressif. J’ai sans doute tort si j’en crois l’engouement qu’il suscite et les éloges qui ont accompagné son décès. Mais mes réserves sont pour beaucoup dans le peu d’intérêt que j’ai pris à ce film réalisé par un jeune réalisateur encore quasi-inconnu et où Trintignant est horriblement doublé en italien – comme c’était l’usage à l’époque – au point même d’y parler le français avec un accent ridicule.

J’ai été désarçonné, sinon perdu par la première moitié du Conformiste, dont je n’ai pas compris grand-chose à force de flashbacks et de flash-forwards. Les choses se sont arrangées dans la seconde partie qui prend un cours plus linéaire. Y apparaît Dominique Sanda dont la beauté glaciale irradie la pellicule. Las ! La passion qu’éprouve le personnage interprété par Trintignant pour celui qu’elle interprète ne transpire guère. Tout se termine par une scène mythique, mais bizarrement artificielle, dans les forêts enneigées des Alpes.

Honteux d’avoir pris à ce film aussi peu de plaisir, j’ai voulu découvrir le livre qui l’avait inspiré. De Moravia, j’avais lu L’Ennui que j’avais immensément aimé et L’Amour conjugal (on me glisse à l’oreillette que La Désobéissance est un bijou). Avec Le Conformiste, j’ai retrouvé avec délice l’élégance proustienne de sa prose et l’intelligence de son psychologisme. Mais j’ai aussi compris ce qui m’avait dérangé dans le film de Bertolucci – qui frappe par sa fidélité et ne s’éloigne quasiment pas du livre sinon dans la mise en scène de l’assassinat de Quadri et dans les retrouvailles avec Lino. Tout le livre repose sur une thèse : l’adhésion au fascisme est ancrée dans un puissant besoin de conformisme, le besoin d’être conforme à ce que la société attend d’un homme et de se fondre dans la masse. Je n’oserai pas me prononcer sur cette thèse dont les historiens et les psychologues débattent depuis près d’un siècle ; mais le conformisme est devenu un tel repoussoir, à l’heure où l’anti-conformisme au contraire est érigé en valeur essentielle, qu’elle n’a pu que me dérouter.

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Les Aventures de Gigi la Loi ☆☆☆☆

« Gigi la legge », c’est le surnom affectueux que le jeune réalisateur Alessandro Comodon a donné à son oncle, un policier municipal d’une petite ville de Vénétie, dans le nord de l’Italie. C’est aussi le nom du film qu’il lui consacre. Sans voix off, sans indication chronologique, sans précision sur la nature des fonctions qu’exerce ce moderne garde-champêtre, ce drôle de film oscille entre le documentaire et la fiction.

La première scène de ces Aventures est statique. Elle met aux prises Gigi avec un voisin invisible qui lui reproche le manque d’entretien de son jardin, transformé en jungle impénétrable. La deuxième est tout aussi longue. Elle est filmée depuis l’intérieur du véhicule de service du policier en maraude : il s’arrête à un passage à niveau où un cycliste lui indique qu’un cadavre gît sur la voie ferrée. De ce cadavre, on ne verra rien. Et on n’en saura pas plus. Mais la recherche des causes de cette mort constituera le fil narratif du film… si tant est que ces Aventures en possèdent un.

On apprend bientôt que l’affaire a été classée sans savoir combien de temps s’est écoulé depuis la découverte des restes humains sur la voie. Mais elle n’en continue pas moins à tournebouler Gigi qui s’est mis en tête que Tomaso, le cycliste et le premier témoin, y avait peut-être une part de responsabilité. On le verra sillonner la ville au volant de son véhicule de police, accompagné d’un co-équipier ou d’une co-équipière. La CB le relie à une jeune opératrice, Paola, avec qui Gigi flirte effrontément. Ses rondes le ramènent obsessionnellement sur la piste de Tomaso.

Les Aventures de Gigi la Loi est-il un polar qui ne dit pas son nom ? C’est la seule question qui retient la spectateur de ne pas sombrer dans la léthargie que fait naître la répétition monotone des mêmes plans séquences, filmés de l’intérieur de la voiture. Mais lorsqu’après une vaine attente, le scénario se désintéresse de son sujet, laissant sans élucidation cette disparition, et va s’égarer dans le jardin touffu de Gigi, on se sent dupé.
« Comique et poétique » affirme l’affiche qui a le culot d’invoquer les mânes de monsieur Hulot. Je dirais plutôt : « pas drôle et monotone ».

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Bowling Saturne ★☆☆☆

À la mort de son père, un homme autoritaire, passionné de chasse au gros gibier, Guillaume (Arieh Worthalter), un inspecteur de police, décide de céder la gérance du bowling dont il a hérité à Armand (Achille Reggiani), son demi-frère qui exerçait jusqu’alors un emploi de vigile dans une boîte de nuit. Guillaume enquête sur une série de crimes commis sur des jeunes femmes dont les corps violentés sont retrouvés dans le cimetière où son père a été enterré.

Sélectionné à Locarno, Bowling Saturne est un film dérangeant interdit aux moins de seize ans qui montre frontalement une violence sombre, animale, d’autant plus inquiétante et menaçante que le film postule qu’elle est tapie au fond de chacun d’entre nous et peut surgir à tout moment. Il est l’oeuvre de Patricia Mazuy, une cinéaste confirmée dont les précédentes réalisations (Saint-Cyr, Sport de filles, Paul Sanchez est revenu !) ne laissaient en rien augurer un tel changement de pied.

Son sujet, qui louche vers la tragédie grecque en mettant en scène deux frères ennemis, ses partis pris esthétiques, avec ses filtres rouges et ses décors hyper-signifiants à l’extrême opposé du naturalisme (l’entrée du bowling filmée comme une bouche de l’enfer, l’appartement du père, véritable grotte cauchemardesque) et surtout sa thèse transgressive étaient tous très inspirants. Bowling Saturne nous livre vers sa vingtième minute sa scène la plus impressionnante, qui révèle l’identité du meurtrier que Guillaume poursuit et qui atteint l’acmé de la violence.

Mais hélas, Bowling Saturne, malgré ce programme hypnotisant, déçoit plus qu’il ne convainc. Ce n’est pas tant sa violence qui révulse que, finalement, son manque d’originalité. Le film pâtit d’un scénario lourdement prévisible et d’un manque désespérant de rythme ; il s’étire sur près de deux heures ; il est desservi par son interprétation calamiteuse : le refus de faire jouer tout visage connu – sinon peut-être celui de Arieh Worthalter – ne se serait justifié qu’à condition de confier ces rôles à des acteurs autrement solides et dirigés. Dommage…

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