Five ★☆☆☆

Cinq copains d’enfance sont unis par une amitié indéfectible : Samuel (Pierre Niney) dont la pension que lui verse aveuglément son père, qui l’imagine étudier la médecine alors que Samuel rêve de devenir comédien, permet de faire vivre la bande, Timothée (François Civil), perdu dans les vapeurs de la beuh, Julia (Margot Bancilhon), la fille de la bande, Vadim (Igor Gotesman qui a écrit le scénario du film et signe sa réalisation et qui, du coup, s’arroge logiquement le privilège de ken la blonde du groupe) et Nestor (Idrissa Hanrot), dragueur compulsif hanté par un complexe d’Œdipe mal résorbé. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes pour cette bande de joyeux drilles si le père de Samuel ne lui coupait brutalement sa rente l’obligeant, pour payer le loyer du luxueux appartement où il héberge ses amis, à une fuite en avant dans le deal de shit bien vite périlleuse.

Five – qui se serait volontiers intitulé La Bande des Cinq si le titre n’avait pas été préempté – carbure aux bonne intentions : un film vantant les vertus de l’amitié adulescente façon Klapisch, un doigt – juste un doigt – d’humour régressif façon Apatow, quelques jeunes comédiens bankables au casting (même si Niney et Civil sont beaucoup trop doués pour ne pas éclipser leurs trois infortunés congénères), une BOF électro-pop signée Gush…

Mais ce n’est hélas pas avec de bonnes intentions qu’on fait un bon film. Il y faut aussi un scénario. Et c’est là que le bât blesse. Car après une première moitié sympathiquement menée où la découverte des cinq lascars et des pitreries de Niney et de Civil suffit à nous divertir, la seconde tourne à vide. Le scénario invente une histoire sans intérêt de livraison de drogue à fourguer d’urgence dont les développements laborieux, loin de relancer l’histoire, en soulignent cruellement l’inanité.

C’est dommage. Car on était prêt à se laisser emporter par le charme et l’humour de deux des acteurs les plus prometteurs de leur génération qui, à la sortie du film en 2016, étaient pour le premier au sommet de sa gloire (après son César 2015 pour Yves Saint Laurent ) et pour le second sur le point de l’atteindre (avant Burn Out et Le Chant du loup).

La bande-annonce

The Rapture (1991) ★★☆☆

Sharon (Mimi Rogers), la trentaine, est consciente du néant de son existence. Le jour, elle travaille comme télé-opératrice dans un centre d’appels. La nuit, elle multiplie les expériences échangistes. Sa vie va prendre un tour nouveau quand elle rencontre Dieu et décide de l’accepter.
Elle se marie, a un enfant qu’elle élève dans une foi bigote et attend impatiemment le jour de l’Enlèvement. À son approche, elle décide de se rendre dans le désert avec sa fille.

The Rapture, diffusé en France sous les titres de Dernier Sacrifice ou Une femme envoûtée, est un film profondément américain qui renvoie à une dimension propre à l’évangélisme et absente du catholicisme : l’Enlèvement de l’Église ou le ravissement (en anglais : rapture) est la croyance selon laquelle les fidèles chrétiens seront brusquement enlevés de la terre et emportés hors de ce monde dans leur corps de chair pour rejoindre le Seigneur et les morts ressuscités “dans les airs”.

Le sujet, on s’en souvient, était au cœur de The Leftovers, une des séries les plus fascinantes qui fût. On le retrouve ici, dans ce film du début des années quatre-vingt-dix sans qu’on sache à quel degré il faut le prendre. Est-ce un film profondément religieux ? Ou s’agit-il au contraire d’une critique implacable des excès auxquels une foi fanatique conduit ? Rien ne permet avec certitude de le décider. Les scènes scabreuses de la première demi-heure (le film était interdit aux moins de seize ans en France) excluent qu’on puisse le projeter à des yeux innocents lors d’une séance de catéchisme. Pourtant le film est classé R (Restricted) aux États-Unis, une classification étonnamment laxiste de la part de la MPAA qu’on a connue plus bégueule.

L’héroïne est interprétée par Mimi Rogers, une actrice aujourd’hui oubliée qui connut son heure de gloire à la fin des années quatre-vingts, à l’époque où elle était mariée avec Tom Cruise. Son personnage est profondément ambigu. Est-elle une Marie-Madeleine en quête de sainteté ? ou une pécheresse condamnée par l’accumulation de ses vices à se voir refuser une impossible rédemption ?

Le risque est grand que les questions théologiques que soulèvent The Rapture et la façon dont le film y répond ne semblent passablement incompréhensibles sinon franchement grotesques à un auditoire européen laïcisé. Mais, si on accepte de passer par dessus ces obstacles, l’expérience peut être étonnante.

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Les Équilibristes ★★☆☆

La documentariste Perrine Michel filme les équipes de soignants de l’unité de soins palliatifs d’un hôpital parisien. Pendant son tournage, elle apprend que sa mère est atteinte d’un cancer de la gorge qui se révèlera vite incurable. Elle choisit alors un montage alterné : d’un côté les images de l’hôpital où elle prend vite le parti de se focaliser sur les soignants et de ne nous apprendre des patients que ce qui se dit d’eux lors des réunions médicales, de l’autre un spectacle chorégraphié (un « mouvement ») sur lequel est montée la voix de la réalisatrice, enregistrée en direct à l’occasion des longues conversations téléphoniques qu’elle a eues avec sa mère, avec son frère expatrié en Australie, avec sa sœur cadette, avec ses amis…

Juger un documentaire, c’est souvent juger le sujet qu’il traite. La fin de vie en est un bouleversant qui ne peut évidemment que susciter l’émotion et le recueillement.
Ceci étant dit, on peut porter deux regards radicalement différents sur ces Équilibristes – dont le titre renvoie peut-être aux soignants sommés de trouver la bonne attitude ou alors aux patients qui vacillent entre la vie et la mort ou encore aux danseurs qui défient les lois de la gravité. Le premier serait d’approuver le choix de la réalisatrice de faire résonner le sujet de son reportage avec l’expérience traumatisante qu’elle a elle-même vécue en accompagnant sa mère à la mort. Le second serait de lui reprocher cet attelage un peu métronomique – une scène à l’hôpital succède à un mouvement de danse qui succède à une scène à l’hôpital, etc. – là où on aurait préféré qu’elle se focalise sur cette unité de soins palliatifs qu’on aurait aimé mieux découvrir.

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Mica ★☆☆☆

Mica est un gamin de onze ans abandonné à lui-même par des parents qui n’ont pas les moyens de l’envoyer à l’école. Ils le confient à un proche qui l’emmène à Casablanca travailler dans un club de tennis pour bourgeois huppés. Le garçonnet y découvre un monde qui lui est étranger. S’il est vite en butte à l’hostilité des garçons bien nés de son âge qui y prennent des cours de tennis, il s’attire la bienveillance de Sophia, une ancienne championne qui y donne des leçons. Il révèle vite des dons exceptionnels. Mais son statut l’autorise-t-il à participer à un tournoi ?

On se souvient de Ali Zaoua, prince de la rue, le tout premier long métrage de Nabil Ayouch, sorti en 2001, qui documentait la vie de quelques enfants des rues de Casablanca. Mica voudrait s’inscrire dans le même registre, déjà souvent visité depuis Oliver Twist et Sans Famille de l’enfance exploitée.

Le problème est qu’il entend croiser ce sujet là avec un autre : la naissance d’un champion. Le genre n’est pas mauvais en soi, même s’il est lui aussi bien balisé. On en connaît par avance chacune des étapes : d’abord la révélation d’un don, puis les difficultés à le laisser éclater, enfin la victoire finale.

Le problème (décidément, Mica en a beaucoup) est que le film ne va pas au bout de cette logique. Il s’agit moins de la naissance d’un champion que de l’émancipation d’un enfant des rues qui, malgré les obstacles placés sur sa route, pourra se faire une place dans la vie, pourra accéder à une forme de dignité et de reconnaissance.

On aurait scrupule à trouver à redire à ce programme. Pour autant, il est traité avec beaucoup de naïveté. Et la maladresse de Sabrina Ouazani, qui manifestement n’avait jamais tenu une raquette de sa vie, à interpréter une championne se voit et se paie.

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Alexandre le bienheureux (1968) ★★☆☆

Alexandre (Philippe Noiret) est un Hercule qui ne rêve qu’à paresser. Mais sa femme, « la Grande » (Françoise Brion), est sans cesse sur son dos pour s’assurer qu’il exécute la liste impressionnante de corvées qu’elle lui assigne chaque matin. Quand elle meurt brutalement, Alexandre se sent enfin libre de faire ce qu’il veut : dormir, aller à la pêche, jouer au billard, avec pour seul compagnon le fox-terrier qui s’est attaché à ses pas. Sa désinvolture scandalise les habitants de son petit village du Perche. Mais elle séduit Agathe (Marlène Jobert), une pimpante jeune femme qui vient d’être embauchée dans l’épicerie du coin et qui partage ses valeurs.

Alexandre le bienheureux est auréolé d’une réputation un peu excessive. C’est loin d’être un chef d’œuvre. Ce n’en a pas d’ailleurs la prétention. Mais c’est un hymne à la paresse joyeusement anarchiste qui a donné à Philippe Noiret son premier grand rôle de cinéma et qui a lancé la carrière de Pierre Richard – que Yves Robert, qui en avait décelé le talent comique, allait faire exploser quatre ans plus tard dans Le Grand Blond – et de Marlène Jobert. On y retrouve d’ailleurs dans les seconds rôles une panoplie d’acteurs aujourd’hui décédés qui ont fait les grandes heures du cinéma populaire français : Jean Carmet, Paul Le Person, Tsilla Chelton, Jean Saudray (le nom de Jean Saudray ne vous dit rien ? prenez quelques secondes pour chercher sa photo : vous le reconnaîtrez au premier regard).

La trame d’Alexandre le Bienheureux est étique. Elle relève plus de la nouvelle ou du conte que du roman proprement dit. On se demande d’ailleurs comment Yves Robert a pu en tirer un film d’une heure et quarante minutes. Son secret : prendre son temps, ainsi que le professe son héros, pour raconter une histoire en trois volets. Dans le premier, filmé sur un mode cartoonesque, on y voit le malheureux Alexandre trimer sang et eau sous la férule d’une épouse tyrannique. Le deuxième, avec notamment cette scène où on voit Alexandre prendre son petit-déjeuner au lit avec un ingénieux dispositif, est le plus célèbre qui le voit rompre avec les conventions sociales et clamer son droit à la paresse. Le troisième, qui raconte le flirt entre Alexandre et Agathe jusqu’à son terme logique, est le plus hédoniste. Sa conclusion, joyeusement misogyne – si tant est qu’on puisse associer cet adjectif et cet adverbe aujourd’hui – m’a surpris. Aurait-elle supporté les foudres du politiquement correct aujourd’hui ?

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White Building ★☆☆☆

Samnang a vingt ans. Il forme avec ses deux amis Ah Kah et Tol un trio inséparable. Les trois jeunes gens sillonnent Phnom Penh sur le scooter de Samnang et participent à des concours de danse hip hop en rêvant de devenir célèbres.
L’immeuble où habite Samnang et sa famille est menacé de destruction. Le père de Tol préside l’association des copropriétaires qui est confrontée à un dilemme : accepter l’indemnisation ridicule que leur proposent les promoteurs immobiliers ? ou la refuser au risque de tout perdre ?

White Building a débarqué à la dernière Mostra de Venise – où le prix du meilleur acteur a été décerné à Piseth Chhun, l’interprète de Samnang – avec deux impressionnants parrains : le Chinois Jia Zhangke qui coproduit le film et le Cambodgien Davy Chou avec qui Kavich Neang a cofondé sa société de production. Il partage d’ailleurs nombre de traits caractéristiques avec les films de ces deux réalisateurs : des paysages urbains filmés avec une poésie paradoxale, des scénarios qui interrogent la famille et les défis qu’elle doit relever, un regard nostalgique vers un passé fuyant, une vision désabusée d’une modernité déshumanisée

Avant de tourner White Building, Kavich Nenang a filmé la destruction du « White » un immeuble emblématique du centre de Phnom Penh construit dans les années soixante, vidé durant le régime des Khmers rouges, finalement rasé en 2017. Il en fit un documentaire intitulé Last Night I Saw You Smiling et sorti en 2019. Deux ans plus tard, il en tire un film – dont il dut reconstituer les décors dans un immeuble voisin, presqu’aussi décrépit.

Son film a valeur de témoignage géographique. Il se veut porteur de la mémoire d’un lieu emblématique. Plus largement, il illustre le combat de petits propriétaires de centres-villes, dans beaucoup de métropoles, contre la promotion immobilière qui les menace d’expulsion et de déclassement, la modicité des indemnités compensatoires et la flambée des prix à l’achat leur interdisant de se reloger au même endroit.

Le problème de White Building est son manque d’originalité. Le cinéma asiatique, et même le cinéma cambodgien, n’est plus aussi exotique qu’à l’époque où il nous parvenait au compte-gouttes. On a déjà eu notre lot de plans-séquences de scooters circulant dans les rues embouteillées d’une métropole asiatique. On a déjà vu, comme dans White Building, des Mères ou des Pères Courage impuissants à enrayer la disparition de leur univers. Certes le khmer a une musique d’une douceur unique au monde. Mais cet atout là ne suffit pas à lui seul à faire un bon film.

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Cape et Poignard (1946) ★★☆☆

Pendant la Seconde Guerre mondiale, un atomiste (Gary Cooper) est recruté par les services secrets américains pour se rendre en Europe. En Suisse, il rencontre une scientifique hongroise que la Gestapo avait forcé à travailler sur un projet de bombe atomique. Sur ses conseils, il se rend en Italie pour libérer le professeur Polda des griffes de la Gestapo. Il y sera aidé par la résistance italienne et par la belle Gina (Lili Palmer) avec laquelle se nouera une relation passionnée.

Fritz Lang est à la mode. Après avoir traversé quelques décennies de purgatoire, ses films connaissent un regain d’intérêt. Il n’est pas de semaine où il ne soit pas programmé à Paris. Il y a bien sûr les chefs d’œuvre expressionnistes de la première période allemande : MabuseMetropolis, M le maudit... Il y a aussi, les grands films noirs des années 50 : Le démon s’éveille la nuit, La Femme au gardénia, L’Invraisemblabe Vérité….

Réfugié aux Etats-Unis dans les années trente, il a tourné pendant la guerre une série de films d’espionnage anti-nazis : Chasse à l’hommeLes bourreaux meurent aussi, écrit avec Bertolt Brecht, Espions sur la Tamise. Cape et Poignard est le dernier, sorti un an après la fin des combats, ce qui le rendait déjà démodé. Il est construit autour d’une question qui pouvait légitimement inquiéter les Etats-Unis en 1945, mais qui était brutalement sortie de l’actualité un an plus tard : l’Allemagne nazie réussira-t-elle à se doter de l’arme atomique ?
On sait aujourd’hui que ces inquiétudes étaient infondées. Alors même que l’Allemagne disposait des savants capables de concevoir cette arme – même si nombre d’entre eux avaient déjà quitté l’Europe et allaient être enrôlés aux États-Unis dans le Projet Manhattan – le Reich a reculé devant l’ampleur des sacrifices que sa production industrielle aurait nécessités préférant tout miser sur les V1 et les V2.

Cape et Poignard – dont le titre peut laisser escompter un film de cape et d’épée qui se déroulerait sous le règne de Louis XIV alors qu’il s’agit en fait d’une des devises des services secrets américains – trouve honnêtement sa place dans cette filmographie. Il vaut surtout par l’interprétation de Gary Cooper, dont aucune aventure, même les plus rocambolesques, ne vient altérer le charme et la parfaite élégance.
Le scénario, en revanche, est tiré par les cheveux, filmé successivement dans une Suisse et une Italie de carton-pâte. Il souffre, à son milieu, d’une énorme ventre mou et s’enlise dans une bluette sans relief entre ses deux personnages principaux.
Fritz Lang voulait ajouter à son film une dernière partie qui se serait déroulée en Allemagne même. Mais les studios l’en ont empêché.

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La Croisade ★☆☆☆

Abel (Louis Garrel) et Marianne (Laëtitia Casta) vivent dans un appartement cossu du très bourgeois septième arrondissement parisien. Il découvre un beau jour que Joseph, leur fils unique, âgé de treize ans à peine, a vendu plusieurs de leurs biens : la petite robe Dior de Marianne, les montres de collection d’Abel, les plus vieilles bouteilles de leur cave. Pressé de questions, Joseph leur dévoile le pot-aux-roses : ces ventes permettent de financer le projet qu’il met en œuvre avec des centaines de camarades de son âge, en France et à l’étranger : créer au cœur de l’Afrique une immense mer intérieure pour y freiner la désertification.

Louis Garrel, assisté de Jean-Claude Carrère qui mourra avant d’en voir l’aboutissement, a co-signé ce scénario furieusement dans l’air (pollué) du temps et en a assuré seul la réalisation. L’idée en est simple sinon simpliste et résonne avec l’actualité de la génération Thunberg : face à des adultes irresponsables qui n’ont pas pris la mesure du danger que fait peser sur nous le réchauffement climatique, les enfants doivent se mobiliser en utilisant l’expertise scientifique disponible et les moyens démultipliés que les réseaux sociaux leur offrent.

Le résultat est un peu simpliste lui aussi. La faute en est peut-être au format ultra-bref choisi : le film dure soixante-six minutes seulement, un format qui le rapproche du moyen sinon du court métrage. Certes, sa première scène est savoureuse – à condition que le plaisir qu’on prend à la découvrir n’ait pas été éventé par sa bande-annonce – mais le reste du film est un peu mièvre. Et les premiers émois adolescents du jeune Joseph n’apportent rien de neuf ni d’intéressant au sujet. Seul lot de consolation : Laëtitia Casta dont on cherche en vain dans le visage ou dans le port altier la moindre imperfection et dont la sollicitude maternelle qu’elle déploie à l’égard de son fils laisse penser que, non contente d’être la plus belle femme au monde, elle est peut-être aussi la mère la plus aimante.

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Sombre (1998) ★★☆☆

Jean (Marc Barbé) sillonne les routes de France à bord de sa vieille Citroën. Il assassine les femmes qu’il rencontre après de brèves étreintes. Il rencontre Claire (Elina Löwensohn) et Christine qu’il manque d’assassiner après une baignade nocturne. Auprès d’elles il accèdera enfin à une forme de douceur.

Sombre est un film culte déjà vieux d’un quart de siècle. Je ne l’avais jamais vu. L’occasion m’en a enfin été donnée par une projection-débat aux Trois Luxembourg en présence de son réalisateur, Philippe Grandrieux.

L’expérience est rude. Sombre est interdit aux moins de seize ans. Comme son titre l’annonce, il est plongé dans une lumière crépusculaire. Quasiment muet, il filme une succession de meurtres : Jean rencontre des femmes, les séduit, les attire dans un coin sombre, les caresse – sans qu’on puisse avec certitude comprendre s’il atteint ou pas l’orgasme – et les étrangle. Aucun policier, aucun gendarme ne vient interrompre cette course meurtrière dont on imagine pourtant qu’elle met en émoi l’opinion publique et les forces de l’ordre.

Le schéma se reproduit à l’identique jusqu’à la rencontre de Claire, au passé aussi opaque que celui de Jean, dont on ne saura rien sinon, au détour d’une confidence de son amie Christine, qu’elle est vierge.
Pourquoi Jean ne tue-t-il pas Claire comme il a tué toutes les femmes qu’il a croisées ? On n’en saura rien non plus. C’est peut-être la magie de l’amour qui touche Jean pour la première fois. Et Sombre est peut-être un film sur l’Amour, l’amour que Claire porte à Jean qui le libèrera de ses instincts meurtriers, l’amour que pour la première fois Jean éprouve auprès de Claire.

Mais quel chemin tortueux aura-t-il fallu emprunter jusqu’à cette conclusion rédemptrice !

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Guanzhou, une nouvelle ère ★☆☆☆

En 2008, les habitants ancestraux d’une petite île située dans un bras de la Rivière des perles près de Canton ont été délogés manu militari et leurs maisons ont été rasées. Leur éviction devait permettre la construction d’un immense projet immobilier soi-disant écologique, à une encablure du centre-ville de Canton. Quelques habitants, sans droit ni titre, ont refusé de quitter les lieux et continuent de vivre dans les ruines. L’anthropologue franco-argentin Boris Svartzman est venu les filmer.

Le thème des mutations urbaines pénètre de part en part le cinéma chinois contemporain. Il est au cœur de l’oeuvre de Jia Zhangke, peut-être le plus grand réalisateur chinois vivant. C’est aussi le thème principal de Séjour dans les monts Fuchun ou de So Long, My Son qui ont remporté récemment en France un succès mérité, mais aussi de Vivre et Chanter ou de Les anges portent du blanc, passés plus inaperçus. Plusieurs documentaires l’ont pris à bras le corps tels que Derniers jours à Shibati réalisé par un documentariste français dans la ville multimillionaire de Chongqing au Sichuan.

Ce qui frappe, dans Guanzhou, une nouvelle ère, c’est moins ce refrain déjà souvent entendu du temps qui passe, des vieux quartiers qu’on détruit, des insolentes tours ultra-modernes qu’on érige et du dédain dans lequel on laisse les anciens habitants nostalgiques, que la liberté de ton de ces Chinois expulsés. On imaginait, à tort ou à raison, que la Chine était un État policier, cadenassé, où la liberté de parole n’existait guère et où chaque Chinois était encadré par un contrôle social très strict et un appareil d’Etat omniprésent et omniscient. Les témoignages glanés par Boris Svartzman sidèrent par leur liberté de ton et par la dureté des critiques qu’ils font entendre. Ils suscitent plus de questions qu’ils ne donnent de réponses : les paysans qui ont parlé à visage découverts ont-ils été inquiétés pour leurs propos ? le réalisateur s’est-il vu interdire à tout jamais le droit de retourner en Chine ? Des réponses positives ne nous surprendraient guère et accréditeraient l’idée préconçue qu’on nourrit d’une Chine autoritaire. Des réponses négatives nous surprendraient plus et ouvriraient l’espoir (ou l’horizon) d’un État moins omniscient qu’on l’imagine et/ou acceptant qu’une contestation sociale s’exprime – dès lors qu’elle ne menace pas l’ordre établi.

La bande-annonce