Medusa ★☆☆☆

Mariana appartient à une groupe de jeunes filles, les Précieuses, rattaché à une Église évangélique et binômé avec un groupe de jeunes garçons, les Veilleurs de Sion. Ces huit femmes, bientôt rejointes par une neuvième, une cousine de Mariana dont elle parraine l’entrée dans le groupe, mènent à la nuit tombée des opérations punitives dans les rues de São Paulo pour poursuivre, attaquer et terroriser les femmes qu’elles croisent et auxquelles elles reprochent leurs mœurs légères.

Anita Rocha da Silveira signe un film intrigant, au frontière de plusieurs genres : film d’horreur (Mariana trouve un emploi dans une clinique lugubre dont les patients sont plongés dans un coma profond), polar (les Précieuses partent à la recherche d’une starlette mystérieusement disparue), drame sentimental (Mariana s’éveille à l’amour au contact d’un séduisant infirmier), brûlot politique (Medusa dénonce les dérives du bolsonarisme, confit en religion, violent, haineux et misogyne, et le poids du patriarcat).

Le résultat s’avère à la longue pourtant décevant. Le film tourne en rond autour des thèmes, pourtant passionnants, qu’il entend traiter. Son audace formelle (prises de vue nocturnes, couleurs fluo, échappées poétiques…) surprend, interroge, mais lasse vite. La scène finale, paroxystique, cumule les défauts de ce film trop long. Dans le même registre, on lui préfèrera largement le dérangeant Les Bonnes manières.

La bande-annonce

La Méthode Williams ☆☆☆☆

Richard Williams (Will Smith) a méticuleusement planifié la carrière de ses filles, Vénus et Serena, pour en faire deux des  joueuses les plus titrées de l’histoire du tennis.

J’avais raté à sa sortie, le 1er décembre 2021, ce film, d’ailleurs éclipsé par le dernier Almodovar et une énième resucée de SOS Fantômes. L’Oscar du meilleur acteur attribué à Will Smith et le tollé provoqué par sa gifle colérique sur la scène du Dolby Theater de Los Angeles m’ont incité à rattraper mon retard. Que de temps perdu ! La Méthode Williams (dont le titre original, King Richard, est autrement savoureux, mais nettement moins explicite) est un mauvais film parasité par le cabotinage de son héros-producteur.

Venus Williams et Serena, sa cadette de quinze mois, sont des sportives hors du commun dont la carrière méritait sans l’ombre d’un doute un biopic. La façon dont leur père les a coachées, dont il a décidé, contre toute raison, de ne pas leur faire suivre la voie traditionnelle empruntée par toutes leurs prédécesseurs pour les inscrire directement dans le circuit pro sans les faire concourir aux Juniors, est originale. Pour autant, l’hagiographie à laquelle se prête Will Smith – et que co-produisent les deux tenniswomen – est bien trop univoque pour satisfaire la curiosité que ce sujet avait fait naître.

Richard Williams y est présenté comme un homme sans défaut, sinon celui de nourrir une ambition démesurée pour ses filles et de mettre en oeuvre un plan sans jamais y déroger. Rien n’est dit de son passé – avant de rencontrer la mère de Venus et Serena, il eut une première épouse et, avec elle, quatre enfants – ni de son divorce en 2003, ni de son remariage en 2010 avec une jeune femme de trente-sept ans sa cadette. Rien n’est dit non plus de sa « méthode » dont on ne saura pas après deux heures et vingt-cinq minutes de film, comment elle réussit à faire de deux filles apparemment ordinaires des joueuses d’exception.

La Méthode Williams tangente un sujet qui aurait mérité de plus amples développements : la complicité et la rivalité entre les deux sœurs, leur père ayant d’abord fait le choix de n’encourager que l’aînée avant que la cadette, grandie dans son ombre, ne l’égale puis ne la dépasse.

La bande-annonce

The Housewife ★☆☆☆

Toko a arrêté de travailler après son mariage pour élever son enfant. Coincée entre sa belle-mère, son mari et sa petite fille , elle s’étiole à vue d’oeil. Lorsqu’elle croise un ancien amant, avec qui elle avait effectué un stage une dizaine d’années plus tôt dans un cabinet d’architecture, et renoue avec lui une liaison adultère, elle se décide à reprendre le travail. Son nouveau poste lui offre de nouvelles perspectives mais l’oblige à remettre en cause son mariage et son statut.

The Housewife est le curieux titre choisi par les distributeurs français de ce film de la réalisatrice Yukiko Mishima, sorti au Japon, mais aussi aux Etats-Unis et au Royaume-Uni sous le titre Red. Red est en effet le titre du roman publié en 2014 par la jeune écrivaine Rio Shimamoto. La couleur rouge fait allusion, semble-t-il, au sang, aux liens familiaux, que la culture japonaise place au-dessus de tout et dont l’héroïne de The Housewife doit se libérer.

Film de femme, adapté d’un roman écrit par une femme, The Housewife a le mérite de battre en brèche quelques uns des préceptes masculinistes sur lesquels le Japon est construit : la femme doit souvent y renoncer à son travail après son mariage ; elle doit se consacrer à l’éducation de ses enfants ; silencieuse et aimante, elle doit décharger son mari des tâches domestiques.

L’actrice Kaho (qu’on avait déjà vue chez Kurosawa et chez Kore-Eda) a ce mélange de force et de faiblesse qui convient parfaitement à ce rôle. Hélas le scénario la dessert, qui essaie assez artificiellement d’enchasser dans la narration chronologique de son histoire des flash-forwards nébuleux dont le sens ne s’éclairera que très progressivement. The Housewife présente des scènes de sexe très explicites – ce qui n’est pas monnaie courante dans le cinéma japonais depuis Oshima. Mais c’est bien là la seule originalité d’un film qui accumule les poncifs mélodramatiques.

La bande-annonce

Des mots qui restent ★★☆☆

Ancienne directrice de la photographie chez Varda, Féret ou Allio, la franco-israélienne consacre sa retraite studieuse à la réalisation de documentaires autour de sa passion : les langues, leur traduction, leur transmission. Après Traduire (2011), Signer (2018) et Yiddish (2019), voici Des mots qui restent consacré aux dialectes arabes mâtinés d’hébreu parlés tout autour du bassin méditerranéen et retranscrits en caractères hébraïques : le ladino (ou haketia) judéo-espagnol du nord du Maroc, le judéo-libyen parlé par Aldo Naouri dans son enfance, le judéo-persan….

Je suis allé le voir dans le même cinéma bobo du Quartier Latin où j’avais vu ses trois précédents documentaires, probablement entouré des mêmes spectateurs fidèles, âgés et fins lettrés.

Nurith Aviv interviewe chez eux, à Paris, à New York, en Israël, six spécialistes de ces idiomes. Elle les filme systématiquement en six séquences d’une dizaine de minutes chacune selon le même schéma. D’abord, dos à leur fenêtre, ils prononcent quelques mots usuels dans leur langue. Puis, face caméra, ils donnent une longue interview. La séquence se termine par la lecture d’un court texte, tiré d’un classique de la littérature judéo-arabe ou d’un écrit d’un des interviewés.

Les cinquante-deux minutes formatées et la structure métronomique de ce documentaire n’en font pas un objet de cinéma. Il doit sa sortie très limitée à l’audience que les documentaires de Nurith Aviv y ont acquise auprès d’un public CSP++ vieillissant et passionné de sémiologie. Pour autant, son sujet si savant n’en est pas moins fascinant. Et, l’intelligence lumineuse des différents intervenants est volontiers communicative. Si écouter des orateurs intelligents rendait intelligent, on serait moins bête à la sortie de la salle.

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Marché noir ★★★☆

Un drame est survenu dans un abattoir. Trois individus, piégés dans une chambre froide y sont morts congelés. Le patron, M. Motevalli, en blâme Abed, le vieux gardien de nuit, qui appelle immédiatement à l’aide Amir, son fils aîné, qui traîne derrière lui un vieux passé de délinquant. Les trois hommes enterrent les cadavres derrière un corps de ferme et s’espèrent quittes.
Mais quelques jours plus tard, Amir voit débouler les deux enfants d’un des disparus dont les révélations éclairent d’un autre jour les circonstances du drame.

Il y a un embouteillage de films iraniens sur les écrans depuis quelques mois : La Loi de Téhéran, Le Pardon, Le diable n’existe pas, Un héros, Les Enfants du soleil… Ils sont tous d’une excellente facture, même si peut-être La Loi de Téhéran les dépasse tous d’une courte tête. Ils ont le défaut de se ressembler un peu. À chaque fois, il s’agit de films forts, qui louchent pour certains du côté du thriller (c’était le cas de La Loi de Téhéran et c’est le cas de Marché noir), qui peignent, dans des sociétés cyniques et hypocrites, des individus abandonnés à eux-mêmes face à des dilemmes cornéliens.

C’est le cas une fois de plus de ce polar qui a reçu le prix du Jury au festival du film policier de Reims (le Grand Prix étant précisément attribué à La Loi de Téhéran). Le suspense qu’il distille nous tient en haleine ; ses personnages, notamment celui de M. Motevalli, y ont de l’épaisseur ; ses rebondissements sont nombreux ; et surtout, il nous fait découvrir l’économie souterraine et illégale du trafic de devises en Iran dans une scène particulièrement vertigineuse. Pour autant, il n’a pas une originalité telle qu’il sorte du lot et le rende inoubliable.

La bande-annonce

Women Do Cry ★★☆☆

Ana, Veronica et Yoana sont trois sœurs. Leur mère, qui avait consacré sa vie à les élever est morte. Leur père, un homme violent et autoritaire, est diminué par un AVC qui l’a à moitié paralysé. Ana est la mère de deux jumelles : Lora est ingénieure en BTP et Sonja (Maria Bakolova qui interprétait la fille de Sacha Baron Cohen dans le second Borat) vient d’apprendre que son amant, un homme marié, lui avait transmis le VIH. Veronica fait une dépression post-natale avec son bébé qu’un mari absent lui laisse élever seule. Yoana vit en couple avec une femme dans une société qui accepte mal les couples LGBT.

Il n’ya rien de la délicatesse de Tchekov dans cette chronique militante filmée par un couple de réalisatrices bulgares et lesbiennes. Il tire à boulets rouges sur la société bulgare, sa misogynie, son patriarcalisme. Constamment, l’histoire de ces cinq femmes résonne avec les débats qui agitent la Bulgarie autour de la ratification de la Convention d’Istanbul contre les violences faites aux femmes qui a été caricaturée comme une tentative de l’Occident de diffuser la théorie du « genre » – un mot dont on apprend qu’il n’a pas de traduction en bulgare – et de corrompre les familles.

La charge est rude. Elle n’en est pas moins efficace. À lui seul, le personnage de Sonja, le vertige qui le saisit quand elle apprend sa contamination, auraient pu faire l’objet d’un seul film. À vouloir à tout prix y rajouter les histoires de sa mère – qui s’estime coupable d’avoir tu pendant toute son enfance les violences domestiques dont sa propre mère était victime – et de ses deux tantes, Women Do Cry charge un peu trop la barque au risque de la faire couler.

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Cinq nouvelles du cerveau ★☆☆☆

Le réalisateur suisse Jean-Stéphane Bron s’est fait un nom dans le monde du documentaire en filmant les conséquences de la crise des subprimes aux Etats-Unis (Cleveland contre Wall Street, 2010), en disséquant les failles du régime démocratique suisse menacé par la montée de l’extrême-droite (L’Expérience Blocher, 2013) et en pénétrant dans les coulisses de l’Opéra de Paris (L’Opéra, 2017).

Il change du tout au tout de focale en nous invitant dans le monde fascinant des neurosciences. Des neurologues, des mathématiciens, des informaticiens, des roboticiens essaient d’y répondre à des questions vertigineuses : comment fonctionne notre cerveau ? ses fonctionnalités peuvent-elles être reproduites par une machine ? une intelligence artificielle pourra-t-elle apprendre et se perfectionner ? risquera-t-elle un jour de dominer son créateur ?

Ces questions sont passionnantes. Mais hélas, les éléments de réponse que nous offre le documentaire de Jean-Stéphane Bron sont décevants.
Il interviewe l’un après l’autre cinq chercheurs (quatre hommes et une femme seulement, ce qui ne va pas sans poser un problème d’équilibre des genres que des esprits vétilleux soulèveront sans doute) là où une approche thématique aurait peut-être été plus efficace. Chacun présente pendant une petite vingtaine de minutes ses travaux, comme s’il courait seul dans son couloir, alors qu’un chercheur progresse en discutant et en confrontant ses hypothèses avec ses collègues.

Certains des interviewés sont plus attachants que d’autres et laisseront une marque plus profonde, tels Niels Bierbaumer dont les travaux sur les interfaces cerveau-machine permettent à certains malades victimes de locked-in syndrom (tel le héros du Scaphandre et du Papillon) de communiquer avec leurs proches. D’autres donnent froid dans le dos, tel David Rudrauf qui imagine sans sourciller vaincre la mort en « téléchargeant » nos consciences dans des machines.
Mais au total, on n’apprend pas grand chose qu’on ne savait et, plus grave, on ne trouve pas les réponses aux questions qu’on se posait.

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Ma nuit ☆☆☆☆

Marion (Lou Lampros) a dix-huit ans. Sa mère (Emmanuelle Bercot) ne parvient pas à faire le deuil de sa fille aînée, morte cinq ans plus tôt dans des circonstances qui resteront inconnues, dont elle célèbre  ce jour-là l’anniversaire avec quelques amis. Marion fuit l’appartement familial pour déambuler dans Paris. Elle retrouve son amie Justine et va avec elle à une fête. En en sortant, elle rencontre Alex (Tom Mercier) qui lui propose de la raccompagner en scooter.

Antoinette Boulat filme sur le tard son premier film après avoir depuis plus de vingt ans dirigé des castings. Cette première réalisation frappe par son manque d’originalité. On y voit, comme on l’a déjà vu mille fois, une jeune femme, pas tout à fait encore sortie de l’enfance ni entrée dans l’âge adulte, errer l’espace d’une nuit dans les rues de la capitale. Comme de bien entendu, cette errance sera l’occasion de plusieurs rencontres qui la feront évoluer et, qui sait ?, rencontrer l’amour.

Bien loin de l’élégance antonionienne de La Notte, Ma nuit (pourquoi cet adjectif possessif ?) multiplie les poncifs : les longs plans séquence dans un Paris noctambule et désert, le passage en boîte de nuit avec lumière stroboscopique, le plongeon dans la Seine…
La jeune révélation Lou Lampros (déjà aperçue dans De son vivant – où elle jouait la jeune étudiante de théâtre amoureuse de Benoît Magimel – et dans Médecin de nuit) est condamnée à répéter les mêmes moues dépressives. L’indéfinissable accent de Tom Mercier, le héros israélien déraciné à Paris de Synonymes, introduit une touche d’exotisme dont le scénario ne sait pas que faire.

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Un fils du sud ★☆☆☆

Bob Zellner (Lucas Hill)un jeune Blanc d’Alabama, dont le grand-père est membre du KuKluxKlan, réussit à vaincre les préjugés de son milieu et à s’engager pour la défense des droits civiques dans le Sud raciste des années soixante.
Un fils du sud raconte son histoire.

La ségrégation raciale dans le Sud, le racisme dont les Afro-Américains ont été victimes et la lutte pour les droits civiques constituent des sujets éminemment cinématographiques qui ont donné lieu à plusieurs films remarquables : Mississipi Burning, Miss Daisy et son chauffeur, La Couleur des sentiments, Selma, Green Book, Loving, Marshall Un fils du sud se rajoute à cette longue liste en prenant pour héros non pas un Noir victime de discrimination, mais un Blanc qui s’engage courageusement dans cette cause.

C’était déjà le prisme de Du silence et des ombres (l’adaptation du roman à succès de Harper Lee Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur) qui avait été tourné en 1962 alors que le sujet était d’une brûlante actualité.  Il avait pour héros Gregory Peck qui interprétait le rôle d’un avocat veuf et père de famille qui assurait la  défense d’un Noir accusé de viol.
C’est faire beaucoup trop d’honneur de mettre sur le même plan le chef d’oeuvre multi-oscarisé de 1962 et ce biopic oubliable, d’un manichéisme réducteur, que rien ne sauve sinon peut-être la grâce de Lex Scott Davis qui, la malheureuse, n’a même pas sa place à l’affiche.

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La Mif ★★☆☆

Audrey, Novinha, Précieuse, Faustine, Tamra, Allison et Caroline ont été placées par la protection suisse des mineurs dans un foyer proche de Genève. Elles forment une famille, une « mif » en verlan. Lora, la directrice, et les éducateurs spécialisés qui la secondent veillent jalousement sur elles et essaient de les aider à reconstruire leurs vies cabossées.

Des films sur des foyers de mineurs, on en a vu treize à la douzaine avec leurs adolescents perturbés mais au fond si touchants, avec leurs éducateurs dévoués, mais parfois faillibles : La Tête haute, States of Grace, Hors normes
Il y a deux mois à peine sortait Placés sur le même thème, dont la bande-annonce ne m’avait pas donné envie de le voir. Je suis pourtant allé voir La Mif à cause des bonnes critiques qui le précédaient. Une semaine à peine après sa sortie, il n’était plus à l’affiche que d’une seule salle parisienne à des horaires impossibles.

Mon entêtement a porté ses fruits. J’ai réussi à voir La Mif avant qu’il ne disparaisse de la programmation. Et j’ai beaucoup aimé ce film réalisé par un ancien éducateur spécialisé, aux frontières du documentaire et de la fiction.

Je l’ai beaucoup aimé pour une raison évidente et assez prévisible : le portrait touchant qu’il dresse de ces adolescentes à fleur de peau et de ces adultes qui tentent tant bien que mal de les protéger.
Mais je l’ai beaucoup aimé pour une autre raison plus surprenante : sa construction très sophistiquée, kaléidoscopique, qui, autour d’une même trame narrative, s’intéresse successivement à chacune des pensionnaires. Chacune des jeunes filles devient à tour de rôle l’héroïne d’une histoire qui est à la fois commune et singulière. La narration diffractée n’en reste pas moins cohérente, prenant comme fil rouge le scandale causé par la relation sexuelle d’Audrey avec un jeune garçon de quatorze ans à peine.
Elle prend dans le dernier tiers du film un tour inattendu en se focalisant sur Lora, la directrice. La Mif opte alors pour un ton mélodramatique qu’on n’imaginait pas. Frédéric Baillif en a-t-il un peu trop rajouté ? peut-être. Mais cette débauche lui est vite pardonnée.

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