Le Diable, tout le temps ★★★☆

Aux confins de l’Ohio et de la Virginie occidentale, de la Seconde guerre mondiale aux années soixante, le destin de plusieurs personnages se croise. Parmi eux, Alvin Russell (Tom Holland). Sa mère (Haley Bennett) est morte d’un cancer pendant son enfance. Son père (Bill Skarsgård), déjà traumatisé par les atrocités qu’il a vécues dans le Pacifique sud pendant la Seconde guerre mondiale, ne s’est pas remis du décès de sa femme. Le jeune Alvin est élevé par sa grand-mère auprès d’une autre orpheline, Lenora (Eliza Scanlen), dont la mère (Mia Wasikowska) a été sauvagement assassinée. Lenora, profondément pieuse, tombe sous l’emprise d’un pasteur pervers (Robert Pattinson) dont Alvin jure de se venger. Mais il croise bientôt la route de deux amants meurtriers protégé par un shérif véreux.

Le résumé que je viens de faire du Diable, tout le temps – au risque d’en révéler quelques uns des ressorts – est passablement confus ? Oui, aussi grands furent les efforts que j’ai déployés pour le simplifier.
Cela signifie-t-il pour autant que le film soit incompréhensible ? Non. Il réussit le miracle de rendre très fluide une narration pourtant passablement emberlificotée.

Il est l’adaptation fidèle d’un roman à succès de Donald Ray Pollock sorti en 2012 et immédiatement salué par la critique. Le roman emprunte au style dit du « Country noir ». Il s’agit d’un sous-genre du roman noir dont l’action se déroule dans l’Amérique profonde, celle des rednecks, des white trash. Faulkner en fut l’inspirateur avant l’heure. Le style a traversé l’Atlantique et on en retrouve la trace dans les « polars ruraux » qui rencontrent depuis quelques années en France un grand succès, signés par Franck Bouysse (Né d’aucune femme, Buveurs de vent), Cécile Coulon (Une bête au paradis) ou Colin Niel (Seules les bêtes brillamment porté à l’écran l’été dernier).

Le Diable, tout le temps s’inscrit dans une riche généalogie cinématographique. Tourné dans les Appalaches, il utilise les mêmes décors que Délivrance. Le couple d’amants criminels interprété par Jason Clarke (abonné au rôle de méchant) et Riley Keough (la petit-fille de Elvis Presley révélée dans Mad Max: Fury Road) semble tout droit sorti d’un roman noir de James Ellroy ou des Tueurs de la lune de miel. Mais ce sont peut-être les références à la religion, à la bigoterie, au charlatanisme qui sont les plus frappantes et qui évoquent les rôles immenses tenus par Robert Mitchum dans La Nuit du chasseur, Burt Lancaster dans Elmer Gantry ou, plus près de nous, Daniel Day-Lewis dans There Will Be Blood. Il n’y a pas un mais deux prédicateurs torturés dans Le Diable tout le temps : Harry Melling (le cousin d’Harry Potter) et Robert Pattinson qui ont le courage l’un et l’autre d’endosser des rôles terriblement antipathiques.

Mais il n’est nul besoin d’avoir vu tous ces films – ni d’en faire l’étalage – pour apprécier Le Diable, tout le temps. Il faut simplement avoir le cœur bien accroché et se laisser emporter dans cette histoire à la fois terriblement lyrique et atrocement cruelle.

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Eurovision Song Contest: The Story of Fire Saga ★★★☆

Lars Erickssong (Will Ferrell) est né et a grandi à Húsavík , un minuscule port de pêche perdu au nord de l’Islande. Depuis qu’il a vu à la télé Abba emporter le concours en 1974, il nourrit une obsession : remporter l’Eurovision. Il l’a fait partager à Sigrit Ericksdottír (Rachel McAdams) qui l’aime depuis toujours d’un amour sans réciprocité. Rien ne saurait le dissuader : ni l’hostilité de son père (Pierce Brosnan), ni ses médiocres talents.

Eurovision Song Contest est une immense bouffonnerie et se revendique comme telle. Le matériau est en or : ce concours de l’Eurovision qui, sans qu’il soit besoin d’en rajouter, est déjà à lui seul si hilarant avec ses groupes de hard rock biélorusses et ses drag queens autrichiennes [je tremble que la phrase qui précède me valle une accusation de transphobie].

Cet humour volontiers outrancier n’est pas sans rappeler celui des frères Farrelly dont Will Ferrell fut longtemps l’homme lige. C’est d’ailleurs le principal reproche qu’on pourrait adresser à ce film : il aurait pu être tourné dix ans plus tôt et a d’ailleurs pour têtes d’affiche deux acteurs qui étaient au summum de leur popularité dans les années 2000. Will Ferrell a d’ailleurs dépassé sa date de péremption dans un rôle pour lequel il accuse une bonne vingtaine d’années en trop. Rachel McAdams en revanche n’a rien perdu de son charme ni de son humour. Sa performance crève l’écran.

Après une première partie en Islande qui raconte la qualification rocambolesque du duo, la seconde se transpose à Édimbourg où est censée se dérouler la finale de l’Eurovision. Les deux chanteurs y retrouvent leurs concurrents lors d’une soirée endiablée qui se transforme en vidéo clip façon Bollywood. On reconnaît au passage quelques uns des chanteurs de l’Eurovision tels Conchita Wurst, Netta ou Bilal Hassani. Les chansons de la BOF, très riche, sont au diapason de celles qu’on entend chaque année à l’Eurovision : gentiment ridicules mais en même temps terriblement galvanisantes.

Eurovision Song Contest ne se moque pas seulement du concours européen et de son décorum si caricatural. Il se moque aussi des Islandais, décrits comme un peuple innocemment consanguin, uniformément vêtu de pulls de Noël kitschs et discutant à ses heures perdues avec les elfes. Le film a été tourné sur place et son moindre atout n’est pas de nous montrer les incroyables paysages de ce sympathique pays.

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Forte ☆☆☆☆

Nour (Mehla Bedia) a une vingtaine de kilos en trop, un CDI dans une salle de fitness où elle assure l’accueil en en tenant la compta, une mère très collante et deux meilleurs-amis-pour-la-vie. Nour est une footballeuse talentueuse ; mais son surpoids la complexe. Avec Sissi (Valérie Lemercier), la coach farfelue de son club, elle veut s’initier à un sport plus féminin : la Pole dance.

Grossophobie. Forte fait partie de ces comédies françaises qui tiennent tout entier dans leur pitch. Avant même son commencement, on sait déjà à quoi on aura droit : une fille en surpoids qui, après quelques épisodes drôles sinon embarrassants, apprendra à s’accepter telle qu’elle est. En mineur lui fait écho le personnage de Steph (Bastien Ughetto), dont la sexualité est encore hésitante et qui trouvera à ses questionnements une réponse étonnante.
Sauf que le scénario de Forte, si l’acceptation de soi constitue son sujet, part dans une mauvaise direction : en quoi réussir à se contorsionner sensuellement autour d’une barre métallique constituera-t-il pour Nour la meilleure façon de s’accepter ? Le football où elle excelle (Mehla Bedia avait commencé, dans la vraie vie, une carrière professionnelle au PSG) n’aurait-il pas été un meilleur terrain d’accomplissement ?

Dans le meilleur des cas, on peut escompter passer un bon moment, entre éclats de rire et émouvante empathie. Dans le pire, on ne décrochera pas un sourire et les passages plus graves ne provoqueront qu’un silence consterné. Hélas, Forte – un titre qui, on l’aura compris, renvoie aussi bien au surpoids de l’héroïne qu’à sa force de caractère – relève plutôt de la seconde catégorie.

Pourtant Melha Bedia, l’actrice principale, aussi co-scénariste et co-dialoguiste, s’était bien entourée : son grand frère Ramzy Bedia, Valérie Lemercier, Jonathan Cohen et Alison Wheeler font les utilités. Le problème est que, sauf à être d’une coupable indulgence, elle n’est jamais ni drôle ni émouvante. Son bagout ne fait pas rire ; ses complexes ne font pas réfléchir.

Forte devait sortir le 18 mars 2020. Son affiche avait commencé à décorer les métros et les bus. Las ! le confinement lui barrait l’accès en salles – mais permettait à ses affiches de rester en place pendant plus de deux mois (à côtés de celles de Pinocchio et de Sans un bruit 2). Finalement, Forte est sorti directement sur Amazon Prime – alors que la plupart des films programmés en mars-avril-mai allait trouver finalement, durant l’été ou le début de l’automne, un chemin en salles. Pas sûr que le cinéma y ait perdu au change.

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La Poursuite impitoyable (1966) ★★★☆

La petite ville de Tarl au Texas apprend avec stupéfaction l’évasion de Bubber Reeves (Robert Redford) du pénitencier où il purge la peine qui lui a été infligée pour divers larcins commis dans sa jeunesse.
Son épouse, Anna (Jane Fonda), entretient une liaison avec Jason Rodgers dont le père, enrichi dans l’industrie du pétrole, tient la ville en coupe réglée. C’est lui qui a nommé shérif Barrett Clader (Marlon Brando), un fermier sans terre.
L’évasion de Bubber Reeves dont il y a lieu de craindre que la découverte de l’adultère de sa femme n’excite sa violence, échauffe les esprits de la petite communauté où se déroulent ce jour-là deux soirées bien arrosées : la première pour l’anniversaire de Val Rodgers, la seconde moins huppée, à l’autre bout de la ville, qui réunit des employés travaillant sous ses ordres.

La Poursuite impitoyable fait partie de ces films iconiques qui valent au moins autant pour leurs qualités cinématographiques que pour le miroir qu’ils tendent à l’époque qu’ils filment.

Ils rassemblent une pléiade de stars autour de Marlon Brando pourtant dans le creux de la vague après les éclatants succès des années cinquante (Un tramway nommé désir, Viva Zapata !, Jules César, Sur les quais) et avant son retour en majesté dans les années soixante-dix avec Le Parrain. Trois jeunes acteurs, de dix ans son cadet, gravitent autour de lui : Jane Fonda, Robert Redford et, dans un rôle plus modeste, Robert Duvall. L’extraordinaire beauté, la rayonnante jeunesse des deux premiers crèvent l’écran. La puissance féline de Marlon Brando n’est pas de reste dont une scène est entrée dans la légende : celle de son tabassage en règle par trois vigilantes ivres de haine qui veulent mettre la main sur le prisonnier en fuite.

La Poursuite impitoyable dresse un portrait effroyable de l’Amérique profonde, du racisme et des préjugés de classe qui la gangrènent. Il décrit une petite communauté qu’une nuit d’ivresse suffit pour y faire ressurgir une violence atavique.

Toute l’action du film se déroule en l’espace d’une journée jusqu’à son dénouement fatal, donnant à ce western contemporain des allures de tragédie grecque.

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Le Tigre blanc ★★☆☆

Balram est un enfant particulièrement doué dont le seul défaut est d’être né dans l’Inde rurale. La mort de son père, la tutelle écrasante de sa grand-mère lui ferment les portes de l’école. Sa seule possibilité d’ascension sociale passe par un emploi dans la famille du potentat local, un homme violent et corrompu. Balram devient le chauffeur de son fils et de sa belle-fille qui reviennent tous les deux des Etats-Unis et affichent plus de respect pour leurs domestiques que leurs aînés. Mais ce discours moderniste ne résiste pas au drame qui survient un soir…

Le Tigre blanc est d’abord un livre écrit en 2008 par Aravind Adiga. Il a sa place au panthéon des grands romans indiens avec les œuvres de Salman Rushdie, de Vikram Seth, de Rohinton Mistry, de Vikram Chandra, d’Amitav Gosh ou de Kiran Desai. Tous ces livres ont en commun leur souffle et leur ambition : à travers le destin individuel de quelques personnages pleins d’énergie, piégés dans un système étouffant et injuste, il y est question de modernité et de tradition, de relations de classes, d’ascension sociale, de liberté individuelle.

Ces œuvres là ont pour certaines été portées à l’écran. Attention à l’amalgame ! Il ne s’agit pas ici du cinéma de Bollywood, de ses comédies musicales un peu mièvres, souvent trop longues et toujours trop sucrées. Il s’agit d’un cinéma qui, comme ce Tigre blanc, se concocte à cheval sur plusieurs continents : si son action se déroule en Inde, la production en est souvent américaine ou européenne.
Slumdog Millionaire en est l’exemple le plus fameux. Sorti en 2008, adapté d’un roman de Vikas Swarup, réalisé par le Britannique Danny Doyle, ce film a connu un succès mondial mérité : huit Oscars (dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur), sept Bafta, quatre Golden Globes – et le César du meilleur film étranger.

Le Tigre blanc marche sur ses traces. Son histoire lui ressemble, qui met en avant un jeune Indien pauvre mais plein de ressources. Mais son traitement est plus grave.

Le Tigre blanc explore le thème de la domesticité. Un thème universel qui avait déjà été traité en Inde avec l’excellent Monsieur, en Asie avec The Housemaid ou Parasite, en Amérique latine avec La Nana, Une seconde mère, Roma ou Trois étés, au Royaume-Uni dans The Servant de Losey et dans la série à succès Downton Abbey, en France avec La Cérémonie de Chabrol, sans parler du Journal d’une femme de chambre. Le thème est d’une grande richesse qui peut se prêter à toutes sortes de traitements, romantique, comique ou tragique. Entre les maîtres et leurs domestiques se tisse en effet un lien structurellement inégalitaire et paradoxalement très intime.

C’est sur cette matière très fertile que se construit Le Tigre blanc. Son seul défaut est de le faire sans surprise. On sait, dès le commencement, que si Balram ne veut pas être écrasé par ses maîtres, il devra utiliser les mêmes armes qu’eux. Du coup, son cynisme revendiqué vide de l’émotion qu’elles auraient dû susciter les épreuves qu’il traverse. Reste néanmoins l’exotisme d’un film qui, deux heures durant, nous fait voyager dans un pays si dépaysant. Un luxe précieux en ces temps de confinement…

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Move ★★☆☆

Move est une mini-série documentaire Netflix en cinq épisodes. Elle nous propose un tour de monde de la danse contemporaine à travers les portraits qu’elle dessine de cinq des plus grands chorégraphes au monde : Jon Boogz et Lil Buck aux Etats-Unis, Ohad Naharin en Israël, Israel Galvan en Espagne, Kimiko Versatile à la Jamaïque, Akram Khan au Royaume-Uni. Chacun a inventé un langage chorégraphique bien à lui tel la méthode Gaga ou exploré, développé, modernisé révolutionné, un style déjà ancien tel le flamenco ou le kathak.

Thierry Demaizière et Alban Teurlai forment depuis plus de quinze ans un duo inséparable. Pour la télévision d’abord, pour le cinéma ensuite, ils ont signé ensemble plusieurs documentaires. Les trois derniers, sortis en salles, entretenaient avec leurs sujets une distance toujours juste : Relève  sur Benjamin Millepied à l’Opéra de Paris, Rocco sur le célèbre acteur porno et Lourdes sur les pèlerins affluant au sanctuaire de Bernadette Soubirous. Leur talent ne pouvait pas passer inaperçu de Netflix qui, en 2019, leur a commandé une série ambitieuse.

Chaque épisode de quarante-cinq minutes environ est construit selon le même schéma et emprunte les mêmes ressorts, au risque parfois de la répétition. Systématiquement, les parents du chorégraphe sont interviewés, qui ne cachent pas bien sûr leur admiration pour leurs brillants rejetons mais aussi les conflits que leurs choix parfois radicaux ont pu entraîner : le père d’Akram Khan voulait qu’il reprenne le restaurant familial, celui d’Israel Galvan a longtemps refusé qu’il s’écarte de la tradition flamenco.

On voit ensuite les chorégraphes avec leurs compagnies. C’est la partie la plus intéressante du documentaire, celle où on les voit travailler ensemble, le front plissé par la concentration, les muscles tendus par l’effort. Il s’agit pour eux de préparer un spectacle dont on voit quelques images, trop courtes, à la toute fin du documentaire. C’est le cas notamment de la chorégraphie, toute en puissance, que monte Akram Khan au Bengladesh, en mars 2020, pour le centième anniversaire de la naissance du fondateur de ce pays. Ultime regret : ne pas prendre plus de temps devant ces spectacles dont on est frustré de n’en apercevoir que quelques passages et qu’on aurait aimé regarder plus longtemps.

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Lovely Bones (2009) ★☆☆☆

En 1973, en Pennsylvanie, Susie Salmond (Saoirse Ronan) est assassinée par son voisin. D’outre-tombe, elle observe sa famille faire son deuil et l’enquête policière peiner à retrouver l’auteur de son crime.

The Lovely Bones est l’adaptation du roman éponyme d’Alice Sebold publié sept ans plus tôt. En France le roman était publié sous le titre L’Empreinte de l’ange. Mais le film y sortira sous son titre d’origine – bizarrement amputé de son article. Pourquoi ? Peut-être parce que quelques mois plus tôt un film de Safy Nebbou était sorti sous le même titre.

Cette précision lexicale faite – où on aura retrouvé mon intérêt quasi-obsessionnel pour les titres originaux et les bizarreries de leur traduction – venons-en au fond.

En 2008, Peter Jackson vient de boucler la trilogie du Seigneur des anneaux, puis de réaliser King Kong. Hollywood est à ses pieds. Il pourrait avoir un chèque en blanc pour tourner n’importe quoi. Bizarrement, il jette son dévolu sur le roman à succès d’Alice Sebold, loin des hobbits, des orques et des elfes de la Terre du Milieu. Il retrouve les accents et les thèmes d’un de ses premiers films néo-zélandais, l’oublié Créatures célestes – qui avait pourtant révélé Kate Winsley.

Lovely Bones a le même mérite : il révèle Saoirse Ronan – qui n’était pas tout à fait une inconnue depuis le second rôle qu’elle tenait deux ans plus tôt dans Reviens-moi de Joe Wright. L’actrice a quinze ans à peine mais elle est époustouflante dans le rôle de la jeune Susie. Sous la gamine perce la star qui à ce jour a déjà été nommée trois fois à l’Oscar de la meilleure actrice (en 2016 pour Brooklyn, en 2018 pour Ladybird et en 2020 pour Les Filles du docteur March) et dont il faut espérer qu’elle décroche vite la prestigieuse statuette.

Hélas, la prestation de la jeune première, qui éclipse les seconds rôles tenus pourtant par des acteurs aussi chevronnés que Mark Wahlberg, Rachel Weisz et Susan Sarandon, est la seule qualité du film. Les effets spéciaux, aussi coûteux soient-ils, dont Peter Jackson pare les limbes d’où Susie observe le monde des vivants, ressemblent à des fonds d’écran Windows. Et le sujet du film, passablement guimauve, ne soutient pas l’intérêt pendant les deux heures trop longues de sa durée.

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Dick Johnson Is Dead ★★★☆

Kirsten Johnson est documentariste. Elle vient de perdre sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. Elle va bientôt perdre son père, frappé du même mal, auquel elle est profondément attachée.
Pour conjurer l’inévitable, elle décide d’en faire le héros d’un documentaire loufoque où il jouera sa propre mort et son arrivée au paradis.

Dick Johnson Is Dead est à la fois très drôle et très émouvant. Ce documentaire bénéficie d’un personnage en or : Dick Johnson lui-même, un anti-Tatie Danielle. Cet octogénaire tout en rondeur, ancien psychiatre, est le père ou le grand-père qu’on rêverait tous d’avoir. D’où tient-il son inaltérable bonne humeur ? De sa foi profonde (il est adventiste du septième jour) ? De la vie qui semble-t-il lui fut douce même si on n’en apprend pas grand-chose ? De l’amour dont l’entourent sa fille et son fils ?

On le découvre à quatre vingt ans passés, veuf depuis déjà quelques années, entouré de ses petits-enfants bruyants et joueurs. Son état de santé déclinant l’oblige à fermer son cabinet de consultation (on travaille vieux aux Etats-Unis) et à quitter Seattle pour aller habiter à New York avec sa fille. Il lui faut vendre sa voiture et renoncer à conduire. C’est la première renonciation, douloureuse, à son indépendance. Il y en aura d’autres…

Dick Johnson Is Dead n’entretient aucun suspens et ne contient aucun coup de théâtre. La vie hélas n’en présente guère dont on sait d’avance l’inéluctable conclusion. C’est avec cette conscience éclairée et un solide sens de l’humour que Kirsten Johnson l’affronte. L’acceptation sereine de l’irrémissible dégradation de l’état de santé de son père est sa seule ligne de conduite. Elle n’exclut pas un profond chagrin et une sourde colère. Elle est ponctuée de ces scènes de pure comédie où elle filme la mort de son père dans un escalier glissant, au volant, sur un trottoir, etc.

Son documentaire pourra sembler nombriliste et un peu vain. Il n’en reste pas moins un témoignage profondément touchant d’amour filial.

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Seberg ★☆☆☆

En 1968, Jean Seberg (Kristen Stewart) a trente ans à peine et est déjà une star. La petite fiancée de l’Amérique, née à Marshalltown (Iowa) doit sa renommée à son interprétation de Jeanne d’Arc dans le film de Preminger – durant lequel elle fut gravement brûlée. Avec À bout de souffle de Godard, elle est devenue une icône de la Nouvelle Vague. Elle vit à Paris avec son mari, Romain Gary (Yvan Attal), dont elle a eu un fils.
Jean Seberg est aussi une femme engagée que le combat pour les droits de l’homme dans son pays ne laisse pas insensible. Adhérente au NAACP depuis son plus jeune âge, elle prend fait et cause pour les Black Panthers et leur verse des dons généreux. Ses engagements vont attirer l’attention du FBI qui la place sous surveillance. Harcelée, dénigrée, la jeune actrice va lentement glisser dans la folie.

Seberg n’est pas tout à fait un biopic. Il ne raconte pas toute la vie de Jean Seberg, mais se concentre sur quelques années bien particulières : celles de son engagement au côté des Black Panthers et de sa mise sous surveillance par le FBI.

Ce parti pris appelle plusieurs commentaires. Le premier est un regret : celui d’un choix qui laisse de côté la période la plus intéressante peut-être de la vie de l’actrice, celle des débuts de cette jeune ingénue, encore mineure, de son arrivée en France, de sa rencontre avec le flamboyant Romain Gary (la journaliste Ariane Chemin vient de consacrer un bref livre à leur mariage en catimini en 1962 dans un petit village corse).

Il appelle aussi une critique : les libertés prises avec l’histoire. Seberg a tendance à héroïser l’actrice, la transformant en pasionaria de l’antiracisme. C’est lui faire sans doute trop d’honneur. Seberg, qui était en pleine séparation avec son mari, le trompait éhontément et a eu une liaison avec Hakim Jamal, un lointain cousin de Malcom X, qui la battait et l’extorquait.

Le film est construit autour d’une seule idée : la paranoïa de Jean Seberg ne lui était pas imputable mais avait pour cause la mise sous écoute dont elle fut l’objet. Il voudrait se conclure avec une note positive, en inventant le personnage – totalement fictif – d’un agent du FBI qui, sous le poids du remords, lui dévoile le dispositif policier déployé autour d’elle. La fin de l’histoire, on le sait, est plus triste : Jean Seberg s’est lentement enfoncée dans l’alcool et dans les médicaments jusqu’à se suicider en 1979.

Seberg est une grosse production hollywoodienne portée par l’interprétation de Kristen Stewart. Yvan Attal se sort sans démériter de l’interprétation périlleuse de Romain Gary, dont il copie la barbe et les gilets. Projeté hors compétition à Venise et à Deauville en 2019, Seberg n’est jamais sorti en salles et n’est accessible qu’en VOD.

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La Vague (2008) ★★★☆

Chargé de réaliser un projet autour du thème de la dictature, un professeur de lycée lance avec ses élèves une expérience grandeur nature qui lui échappe rapidement.

La Vague fait partie de ces films-culte qui ne firent pas grand bruit à leur sortie, mais qui acquirent au fil du temps une renommée grandissante. Il la doit en grande partie aux professeurs d’allemand qui le projettent souvent à leurs élèves pour leur montrer comment une dictature peut s’installer. J’ai hélas une bonne vingtaine d’années de trop pour l’avoir vu au lycée (à mon époque, des profs d’allemand soixante-huitards nous y faisaient écouter 99 Luftballons de Nina pour nous alerter sur les dangers de la division allemande). C’est donc avec une dizaine d’années de retard que je le découvre.

La Vague s’inspire d’une expérience menée dans un lycée californien à la fin des années soixante. Elle donna lieu dix ans plus tard à un téléfilm et à un roman. Que son adaptation allemande soit passée à la postérité est en soi significatif. Car c’est évidemment au nazisme et aux ressorts qu’il a utilisés pour subvertir la société allemande que La Vague fait immanquablement référence.

La Vague démonte les mécanismes par lesquels un groupe, sous l’emprise d’un leader (Führer en allemand, Duce en italien), se constitue une identité, en se dotant d’un uniforme, d’un logo, d’un salut et en rejetant tous les éléments qui lui sont étrangers ou hostiles.

Le sujet est glaçant. La façon dont il est mis en scène souffre hélas d’une certaine lourdeur démonstrative. Chaque personnage est réduit à sa caricature : le prosélyte enthousiaste, le Kapo bas du front, la résistante, l’opportuniste, etc. Le film est sauvé par son dénouement qu’on n’oubliera pas de sitôt.

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