Le Miracle du saint inconnu ★☆☆☆

Un voleur poursuivi par la police enterre un magot au sommet d’une colline  et le dissimule sous une pierre tombale, avant d’être arrêté. Quelques années plus tard, à sa sortie de prison, il découvre à sa grande déconvenue qu’un mausolée a été construit sur cette tombe. Les villageois alentour le fréquentent assidûment et prêtent à l’eau de sa fontaine des vertus miraculeuses. Un garde et son chien y veillent à la nuit tombée rendant délicate sinon impossible l’exhumation du magot.

Le jeune réalisateur marocain Alaa Eddine Aljem, formé à Marrakech et à Bruxelles, s’inscrit dans les pas d’Elia Suleiman ou d’Aki Kaurismäki pour mettre en scène une fable désopilante. Comme ses aînés, il opte pour un humour pince-sans-rire quasiment sans dialogues.

La petite communauté qu’il invente se réduit à quelques archétypes d’ailleurs privés de prénoms : le voleur, bientôt rejoint par son acolyte, un camarade de prison surnommé par dérision « le cerveau » tant il était bête, le gardien du mausolée plus attaché à son chien qu’à son fils, le docteur du village et son aide-infirmier qui se désespèrent de tenir un dispensaire boudé par les vraies malades qui lui préfèrent le mausolée et, enfin, un vieux villageois irréductiblement attaché à sa terre qui refuse à son fils pourtant adulte de la quitter.
On peut, avec beaucoup d’indulgence, y voir un microcosme du Maroc contemporain bloqué entre tradition et modernité.

Présenté à la Semaine internationale de la critique à Cannes en 2019, Le Miracle du saint inconnu ne tient pas tout à fait les promesses que son affiche et son pitch ont fait naître. Une fois le décor planté, une fois les personnages introduits, le scénario fait du surplace qui se contente d’enregistrer les tentatives infructueuses du malheureux voleur de déterrer son trésor. Le film dure une heure quarante. Il aurait pu durer vingt minutes de plus. Il aurait du durer vingt minutes de moins.

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Play ★★★☆

Max (Maxime Boublil) a bientôt quarante ans. À treize ans, en 1993, ses parents (Noémie Lvovsky & Alain Chabat) lui ont offert une caméra. Avec elle, il a filmé sa vie, ses amis, ses amours, ses emmerdes. Il a surtout filmé Emma (Alice Isaaz).

Osons le dire : Play est un film concept construit à partir de vrais-faux rush, ceux filmés par la caméra de Max tout au long de sa vie. D’où sa structure extrêmement hachée, composée d’une succession de petites saynètes au son dégueulasse, à l’image mal cadrée, et ses nombreuses ellipses qui nous font gaillardement sauter les années (le noir se fait après qu’à quatorze ans Max se fait confisquer sa caméra par sa mère par la faute de ses mauvais résultats scolaires et l’image se rallume quatre ans plus tard au moment où Max passe son bac).

Play est un film générationnel qui raconte les années 90 et 2000. Il le raconte à travers des objets : la PlayStation, les premiers ordinateurs connectés et la stridulation insupportable de leur modem à l’allumage, l’affiche de Romeo + Juliet. Il le fait à travers des événements : la liesse populaire de la Coupe du monde 1998 (mais bizarrement sont passés sous silence le 11 septembre 2001 et le 21 avril 2002). Il le fait surtout à travers des chansons qu’aucun trentenaire ou quadragénaire ne pourra ré-entendre sans taper du pied : Wonderwall de Oasis, Where is my mind des Pixies, American Boy de Estelle, Crazy de Gnarls Barkley…

Play est un film potache qui fait rire aux éclats sans sombrer dans la vulgarité. S’il nous fait tant rire, s’il nous touche autant, c’est qu’il nous fait revivre tous les rites initiatiques que nous avons traversés : le bac, la fac, le permis, la première cuite, le premier joint, les premières amours. Je ne me suis pas encore remis du fou rire piqué devant la scène de l’accident de voiture du jeune Max, qui vient de fêter son permis, avec ses potes et percute un conducteur irascible. On n’avait rien vu d’aussi drôle depuis Les Nouveaux Sauvages.

Et enfin Play est un film romantique sur le vert paradis de nos amours enfantines. Vous savez, fidèle lecteur, qui me lisez depuis plus de quatre ans, combien la nostalgie est un sentiment qui m’émeut. Mettez moi un film qui raconte un souvenir ou une perte, je fonds en larmes et les étoiles pleuvent. Comme de bien entendu, j’ai fondu devant l’idylle contrariée qui, à travers les années, réunit Max et Emma.

Eric Neuhoff a-t-il vu Play ? Ce critique du Figaro vient de commettre un essai rance, couronné par le Prix Renaudot Essai – dont le jury, il est vrai, ne se distingue pas par sa clairvoyance (c’est lui qui en 2013 couronnait Gabriel Matzneff) – dans lequel il conchie le cinéma français. À l’en croire, il n’a rien produit de bon depuis Un taxi mauve et La Gifle. Certes Alice Isaaz ne montre ni ses seins ni son cul – ce qui semble une condition sine qua non pour exciter l’intérêt de Pervers Eric – mais elle a un charme, une fraîcheur, une répartie, une énergie qui nous réconcilient illico avec le cinéma français et avec ses actrices.

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Les Filles du docteur March ★☆☆☆

Dans la famille du docteur March, je demande le père : il s’est enrôlé durant la guerre de Sécession pour servir en qualité d’aumônier dans les rangs des Unionistes. Je demande la mère : elle élève seule à force d’abnégation ses filles. Je demande les filles : nous, lecteurs français, savons qu’il y en a quatre à cause de la traduction hasardeuse du roman à succès de Louise May Alcott publié en 1868 sous le titre « Little Women ».
Meg (Emma Watson), l’aînée, est la plus raisonnable. Jo (Saoirse Ronan) est un garçon manqué qui rêve d’écrire. Beth (Eliza Scanlen) est la plus timide. Amy (Florence Pugh), la cadette, est la plus frivole.

Au temps où les lectures étaient genrées, au temps où les garçons jouaient au train électrique et les filles à la poupée, ceux-ci lisaient Tom Sawyer et rêvaient de cabanes au Mississipi tandis que celles-là lisaient Les Quatre Filles du docteur March en attendant de rencontrer le prince charmant.

Pourquoi diable Greta Gerwig, icône du jeune ciné indé américain de la Côte Est, est-elle allée signer une énième adaptation de ce roman hors d’âge ? Quel sous-texte féministe pensait-elle pouvoir en exhumer ?

Bien sûr, si on a gardé la nostalgie de ses lectures d’enfance, si on a plusieurs sœurs auxquelles nous unissent des liens d’indéfectible amour, si on aime les films en costumes et les happy endings, on se laissera emporter par le romantisme hors d’âge de ce film. Cela fera, me dira-t-on, beaucoup de monde – auxquels on peut ajouter ceux qui se laisseront séduire par la fougue garçonne de Saoirse (prononcer Seer-sha) Ronan, le nez mutin et les robes éblouissantes de Florence Pugh (prononcer Piou).

Mais les autres bâilleront d’ennui devant cette chronique feuilletonesque que Greta Gerwig essaie de dynamiser sinon dynamiter avec une alternance de flash-back et de flash-forward, désespérément privée de sexe et de sensualité (les jeunes filles en fleurs ne ressentent-elles aucun désir ?), où tous les rêves d’indépendance des héroïnes se fracassent inéluctablement sur des mariages tristement conventionnels.

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First Love, le dernier yakuza ★★☆☆

Leo, un boxeur auquel on vient de diagnostiquer un glioblastome foudroyant, et Monika, une toxicomane réduite en esclavage sexuel pour rembourser les dettes de jeu d’un père incestueux, n’étaient pas destinés à se rencontrer. Une arnaque improbable, imaginée par un escroc minable, avec la complicité d’un flic ripou, les rapprochera pourtant. Leo et Monika se trouvent à leurs corps défendants plongés dans une guerre de gangs entre un mafieux chinois manchot, un yakuza récemment libéré de prison… et une veuve assoiffée de vengeance.

Takashi Miike aurait, dit-on, réalisé déjà plus de cent films. Seule une minorité est sortie en France, qui ne permet guère qu’une vision partielle de l’oeuvre de ce réalisateur prolifique. J’ai gardé un souvenir vif de l’ambiance sado-masochiste de Audition, au début des années 2000, interdit aux moins de seize ans.

First Love sort en France sous un titre particulièrement niaiseux. Qui attendrait une romance adolescente serait immanquablement déçu. Qui escompte au contraire une série B tarantinesque, choc et pop, en aura pour son argent.

Car First Love ne nous fait pas prendre des vessies pour des lanternes. Un scénario passablement alambiqué, qu’on peine à comprendre pendant le premier quart d’heure mais qui se remet gentiment sur les rails, nous offre le lot promis de violence décomplexée, de gun fights et d’éclairs de sabres.
Tout cela ne va pas très loin. Mais ne boudons pas ce plaisir régressif.

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Cunningham ★★☆☆

Merce Cunningham est sans doute l’une des figures les plus marquantes de la danse contemporaine. Sa carrière se déroule sur près de soixante-dix ans depuis la création de sa compagnie à New York en 1953 jusqu’à sa mort en 2009, pendant lesquels il montera 180 ballets et participera à 700 performances.
Elle est marquée par sa collaboration avec John Cage, un maître de la musique minimaliste, et avec d’autres artistes de la scène new-yorkaise : Bob Rauschenberg, Andy Warhol, Jasper Johns…

La réalisatrice Alla Kovgan revient sur les trente premières années de sa carrière de 1942 à 1972 – rien ne permettant de comprendre clairement pourquoi elle s’y est limitée. Elle le fait avec des images d’archives, des interviews et des ré-interprétations contemporaines des oeuvres iconiques de Cunningham : Antic Meet (1958) avec lequel Cunningham fait ses débuts sous les huées à Paris, dansant seul, une chaise attachée au dos, Summerspace (1958) dans le décor pointilliste et solaire de Rauschenberg (qu’on voit sur l’affiche du film), Rainforest (1968) avec les incroyables oreillers remplis d’hélium de Warhol.

Rompant avec l’enseignement de Martha Graham, Merce Cunningham prône une danse sans émotion. Il refuse de lui donner un sens. Il tourne le dos à l’interprétation dans le sens classique du terme. Il s’en remet au hasard pour l’organiser. Il répertorie une gamme de mouvements puis jette les dés pour en définir l’ordre et la direction. La musique y joue un rôle accessoire, les danseurs s’entraînant d’ailleurs en silence avec pour seul repère le chronomètre de Cunningham.

Une telle approche fascine et glace en même temps. La danse de Cunningham est parfaite. Mais elle n’a pas de cœur.
Le documentaire de Alla Kovgan lui ressemble. Il raconte chronologiquement l’histoire de la création de la compagnie. Il évoque le couple indissociable que forment Merce Cunningham et John Cage jusqu’à la mort de ce dernier en 1992. Mais aucun sentiment n’affleure. Ni entre les deux amants, ni parmi les membres de la troupe où l’on devine que la froideur du maître a causé bien des frustrations, ni dans la danse de Cunningham, belle mais vide.

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Echo ★★☆☆

Echo n’est pas un film comme les autres. Mais est-ce seulement un film ?
On y voit cinquante-six courtes saynètes tournées en plan fixe. Certaines durent quelques secondes à peine ; d’autres dépassent la minute. Une séance d’aquagym dans une piscine à ciel ouvert. Une employée de musée qui se dispute au téléphone avec le père de son enfant. Une femme et son bébé qui regardent la neige tomber par la fenêtre. Des éboueurs qui ramassent les poubelles dans une rue de Reykjavik. Deux réfugiés expulsés de force par la police d’un temple protestant où ils avaient trouvé refuge.
Pas de lien logique entre chacun de ces plans sinon l’unité de temps : ils se déroulent tous autour des fêtes de Noël.

Le cinéma, comme tous les arts, est construit autour de règles. Et les cinéastes comme tous les artistes ont envie de les outrepasser.
Après avoir réalisé des films conventionnels, Rúnar Rúnarsson a voulu rompre avec la linéarité du récit dans un film aussi kaléidoscopique que son affiche l’annonce. La démarche est la même que celle qui avait inspiré Roy Andersson dans Chansons du deuxième étage. C’était aussi celle de Régis Jauffret dans son énorme roman Microfictions qui comptait cinq cent minuscules nouvelles. Il s’agit de coller bout à bout une série de vignettes, des scènes de fictions ou purement documentaires, pour raconter le monde.

À condition d’en avoir été prévenu, on peut se laisser hypnotiser par le procédé et apprécier chaque saynète comme on goberait des M&M’s, l’un après l’autre. Certaines sont plus marquantes que d’autres : en particulier celle qui met face à face les deux filles d’un couple recomposé qui se rencontrent pour la première fois.

Pour ne pas sembler moins disruptif que l’époque l’exige, on peut aussi se laisser convaincre par la démarche iconoclaste du réalisateur et par son refus de la linéarité du récit. Le problème est que ces vignettes, aussi léchées soient-elles, auraient dû au bout du compte faire sens. Et ce n’est pas toujours le cas. On comprend que Rúnar Rúnarsson ambitionne de dresser un portrait à charge de la société islandaise. Mais son film, qui a l’élégance de durer une heure et dix-neuf minutes à peine, aurait pu durer une heure de plus ou de moins sans que rien n’y change.

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Official Secrets ★★★☆

En mars 2003, alors que les États-Unis et le Royaume Uni s’apprêtaient à déclencher les hostilités contre l’Irak de Saddam Hussein en dépit d’une opinion publique hostile à la guerre, Katharine Gun, une employée du GCHQ, le service de renseignements électroniques britannique, a fait fuiter un mémo confidentiel de la NSA demandant à Londres son soutien pour connaître et influencer le vote des membres du Conseil de sécurité des Nations Unies sur une résolution autorisant le déclenchement des hostilités.

Vous avez réussi à lire jusqu’au bout la phrase qui précède, inutilement longue et alambiquée ? Vous vous passionnez pour la géopolitique et l’histoire des relations internationales ? Vous aimez le droit ? Vous allez adorer Official Secrets, un film terriblement intelligent inspiré de faits réels.

Official Secrets a pour héroïne une lanceuse d’alerte, interprétée par la gracile Keira Knightley – qui pour une fois, ne joue pas en crinoline, une jeune femme d’un roman de Jane Austen. Profondément hostile à la guerre contre l’Irak – à l’instar d’une large majorité de la population britannique – révulsée par les mensonges de Bush et de Blair – qui voulaient faire croire à l’existence d’armes de destruction massive en Irak pour convaincre l’opinion de l’urgente nécessité d’un conflit – elle entre grâce à ses fonctions au GCHQ en possession d’un document qui révèle la conspiration dont le gouvernement américain se rend coupable. Le divulguera-t-elle au risque de violer la loi qu’elle a juré de respecter au moment de son recrutement et au risque de mettre en cause sa vie et celle de la famille ? Le suspense est mince. Quelle stratégie de défense adoptera-t-elle avec l’aide de son avocat (interprété par le mielleux Ralph Fiennes qui semble porter sur ses frêles épaules tout le malheur du monde) ? La question est déjà plus intéressante.

Star system oblige, le film prend le parti de raconter l’histoire du personnage interprété par Keira Knightley. Mais on sent le scénario hésiter à suivre une piste différente et pas moins stimulante : il s’agit d’abandonner un instant la lanceuse d’alerte et de s’intéresser à la façon dont la presse va recevoir ses informations et décider de leur publication. Pendant une demi-heure le scénario bifurque et nous entraîne, comme les excellents Spotlight ou Pentagon papers l’avaient déjà fait, au sein de la rédaction de The Observer. On y retrouve une poignée de journalistes courageux, interprétés par des seconds couteaux britanniques (Matt Smith, le prince Philipp de The Crown, Matthew Goode, Rhys Ifans…). Et on en viendrait presque à regretter que cette piste-là, à laquelle on commençait à s’attacher, ne soit pas plus creusée.

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La Vérité ★★☆☆

Fabienne (Catherine Deneuve) est une immense star. À l’occasion de la publication de ses mémoires, sa fille Lumir (Juliette Binoche), scénariste à New York, lui rend visite à Paris. L’accompagnent sa propre fille et son mari (Ethan Hawke), longtemps tenu à l’écart des tournages par son alcoolisme. Fabienne est en train de tourner un film de science-fiction avec une jeune actrice en pleine ascension (Manon Clavel) qui interroge son statut de mère et de star.

La présence en France du réalisateur japonais Kore-Eda pour y tourner avec deux des plus grandes actrice françaises son dernier film, juste après Un air de famille sacré à Cannes en 2018, n’était pas nécessairement une bonne nouvelle.

Parce que les précédentes expériences françaises des grands réalisateurs asiatiques n’avaient pas vraiment convaincu. Qu’on aime ou pas Kiyoshi Kurosawa, Hong Sang-Soo ou Hou Hsia Hsien, on ne saurait tenir Le Secret de la chambre noire (avec Tahar Rahim), La Caméra de Claire (avec Isabelle Huppert) ou Le Voyage du ballon rouge (avec Juliette Binoche) pour les œuvres les plus accomplies de ces grands cinéastes.

Parce que, surtout, on ne comprend pas ce qu’il faut attendre de cette fertilisation croisée. Car de deux choses l’une a priori. Soit le réalisateur asiatique expatrié en France n’arrivera pas à se départir de ses habitudes et on voit mal pourquoi s’être donné le mal de venir tourner en France. Soit, au contraire, il les aura si bien gommées qu’on lui reprochera d’y avoir perdu son identité.

Kore-Eda est-il tombé dans l’un de ses travers ? En partie. La Vérité est un film absolument français qu’on aurait volontiers attribué à André Téchiné ou Benoît Jacquot si on n’avait rien su du nom de son réalisateur. Est-ce en soi un mal ? Nullement. Au contraire. L’ironie grinçante du film fait mouche, peu importe l’identité de celui qui l’a réalisé. Et  Kore-Eda ne peut qu’être félicité pour avoir su avec autant de finesse, sans parler un mot de français, s’approprier les codes de notre cinéma.

Sauf que… Sauf que on ne voit pas très bien les raisons de lui avoir fait traverser l’Eurasie pour réaliser ce film-là. Il démontre certes l’étendue de ses talents, la richesse de sa palette. Mais à quoi bon ? Proposerait-on à Bong Joon-Ho de tourner après Parasite un remake du Dernier métro.

On pourra ne pas me suivre dans cette argumentation spécieuse qui dit tout et son contraire et préférer considérer le film pour ce qu’il est : une formidable entreprise par Catherine Deneuve d’auto-démythification – si on m’autorise ce néologisme hardi.
J’ai déjà dit souvent mon ras le bol devant cette actrice qui n’a pas quitté la tête d’affiche depuis cinquante ans. Mais force m’est de reconnaître son immense talent et son audace à endosser le rôle quasi-autobiographique d’une diva péremptoire, hautaine, égocentrique, cruelle et injuste avec ses proches. J’ignore ce que sa fille Chiara en a pensé ; mais j’imagine volontiers que ses rires furent parfois jaunes.
Chapeau l’artiste !

Et puis, même si la prestation de Mlle Deneuve (ansi qu’elle est créditée au générique) pourrait lui valoir le troisième César de son interminable carrière, il faut saluer celle des autres acteurs auxquels pourtant elle ne laisse guère de place. Juliette Binoche – dont l’anglais est décidément excellent – accepte le rôle ingrat de la fille écrasée par sa mère qui tente en vain de s’en affranchir. Ethan Hawke est épatant dans le rôle de l’Américain à Paris – qu’il a, il est vrai, déjà endossé auprès de Julie Delpy. Il n’est pas jusqu’à la gamine, interprétée par Clémentine Grenier, qui ne soit pas juste.

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Lillian ★★☆☆

En 1927, Lilian Alling a disparu en ralliant à pied la Russie depuis New York en traversant le continent américain puis le détroit de Béring. Un réalisateur autrichien, Andreas Horvath, a transposé cette histoire vraie à notre époque et confié le rôle principal, quasiment muet, à une plasticienne polonaise, Patrycja Planik.

Lillian est une longue errance à travers les États-Unis. On y retrouve la soif d’absolu qui nourrissait déjà Into the Wild, Wild, Captain fantastic ou Leave no Trace dont les protagonistes mutiques tournaient le dos à la société et revenaient à la nature. Si Lilian a la même radicalité que ces quatre films-là, il n’est pas aussi réussi qu’eux.

La faute peut-être à une trop grande radicalité. Le réalisateur refuse d’expliquer la dromomanie de Lillian : on ne saura rien de son passé, de ce qu’elle fuit et de ce vers quoi elle va. Il refuse également d’enjoliver les étapes de son périple de rencontres édifiantes. Il filme à l’os une femme qui marche, seule, dans une nature, splendide et indifférente. Seule dérogation à ces principes rigoureux : des épisodes quasi-documentaires qui sont autant de témoignages sur l’Amérique profonde, celle même que documentait Frederick Wiseman dans Monrovia, Indiana, Claus Drexel dans America ou Stéphanie Gillard dans The Ride, ses rednecks confits dans leurs préjugés, ses rares belles âmes compatissantes.

Les images sont belles. On peut se laisser happer par leur beauté hypnotique. Jusqu’à un épilogue étonnant filmé au milieu du détroit de Béring, auprès d’Inuits chassant la baleine au harpon comme au temps jadis.
Mais on risque aussi de trouver le temps long. Très long.

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Docteur ? ★☆☆☆

Le soir de Noël, à Paris, le docteur Serge Mamoumani (Michel Blanc) est de garde. Brinquebalé d’un bout à l’autre de la capitale par le standard de SOS-Médecins (on reconnaît la voix inimitable de Chantal Lauby), ce médecin bougon et vieux jeu rassure les hypocondriaques et soulage les vrais malades.
Son chemin croise celui de Malek (Hakim Jemili), un livreur Uber Eats.

Nous arrive sur les écrans le 10 décembre une comédie de Noël. La présence de Michel Blanc en tête d’affiche rappelle inévitablement Le père Noël est une ordure. Mais hélas, le drôlerie de Docteur ? n’arrive pas à la cheville de celle, iconique, de la troupe du Splendid.

Tristan Séguéla utilise la trame archi-usée du buddy movie, en plaçant côte à côte deux héros antinomiques, le vieux docteur amer et le jeune livreur ubérisé, respectivement interprétés par une vieille gloire du cinéma comique français et une star montante du seul-en-scène YouTubisé.

Il faut presqu’une demie heure au scénario pour poussivement réunir ces deux personnages. La maladresse du second ayant entraîné l’incapacité du premier à continuer sa garde, le docteur Mamoumani va envoyer le jeune Malek à sa place en visite, le téléguidant par une oreillette avec son portable. Le dispositif se décline ensuite en une demie-douzaine de gags, plus ou moins réussis, plus ou moins drôles. J’y aurai appris un mot nouveau : fécalome.

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