Au cœur du monde ★☆☆☆

Contagem est une banlieue sans âme de Belo Horizonte, la capitale du Minais Gerais brésilien.
Un coup de feu mortel tiré le soir de l’anniversaire de Marcos va bouleverser ce microcosme. Beto l’assassin refuse de suivre les conseils de Miro, son frère aîné, et de quitter la ville. Ana, la fiancée de Marcos, n’en peut plus des soins qu’elle doit prodiguer à son père grabataire et de son emploi sous-payé. Selma, l’associée de Marcos dans une petite entreprise de photographie, leur propose de participer à un braquage.

Le cinéma brésilien se porte bien. Cette année, on a vu débouler sur les écrans hexagonaux autant de films de ce pays que, disons, d’Allemagne ou d’Espagne : Bacurau, La Vie invisible d’Eurídice Gusmão, Indianara, Bixa Travesty, Le Chant de la forêt, Temporada, Hard Paint

Au cœur du monde se présente comme un film choral. Il en a les qualités et les défauts. Il nous fait rencontrer une myriade de personnages mais ne nous laisse pas le temps de nous attacher à eux. Ce défaut est corrigé dans la seconde moitié du film qui se concentre sur le trio dessiné en haut d’affiche : Marcos, Selma et Anna associés dans un braquage.

Mais, pour exotique qu’il soit, le film est trop scolaire. Trop scolaire dans sa façon de brosser par petites touches le portrait d’une communauté dans sa première partie. Trop scolaire dans sa façon certes efficace de filmer un braquage sans surprise comme on a déjà vu des milles et des cents.

À noter la révélation Kelly Crifer dans le rôle d’Anna – la circonstance qu’elle soit belle comme le jour étant bien entendu sans incidence sur l’objectivité de mon jugement.

La bande-annonce

The Lighthouse ★★☆☆

Deux gardiens de phare que tout oppose, un vieux loup de mer (Willem Dafoe) et un jeune novice (Robert Pattinson), sont confinés dans une île déserte, isolés du continent par la tempête.

Le résumé du film est court. Le film hélas est long.
De quoi est-il question dans The Lighthouse ? Du lent processus qui conduit un homme à la folie. Il est interprété par Robert Pattinson qu’on n’attendait pas ici. Il joue le rôle d’un jeune homme dont c’est la première mission pour le compte de l’administration américaine des phares. Précédemment, il travaillait au Canada dans l’industrie du bois. Il est placé sous l’autorité d’un gardien-chef tyrannique, flatulent et alcoolique. L’isolement, la dureté des tâches que son aîné sadique lui impose et la tempête, auront bientôt raison de sa raison.

La folie et comment on y glisse est un sujet qui a souvent été traité au cinéma. Les plus grands s’y sont frottés : Truffaut avec L’Histoire d’Adèle H., Polanski avec Répulsion, Cronenberg avec Spider ou Le Festin nu, Aronofsky avec Black Swan. Je le trouve pourtant d’une grande pauvreté. Au début du film, le héros ou l’héroïne manifeste quelques signes de folie, qui s’aggravent progressivement avant de le submerger totalement. Point. Aucun suspense, aucune bifurcation possible si ce n’est l’inexorable spirale du processus psychotique.

Du coup, c’est moins le sujet qui retient l’attention dans The Lighthouse que son traitement. Il suffit de jeter un oeil à la bande-annonce pour s’en convaincre : ce film-là est différent du tout-venant. Tourné en noir et blanc, au format 1.19/1 presque carré – qui enserre les personnages dans un cadre étouffant – The Lighthouse a le grain et le son des films des années cinquante. Flirtant avec le fantastique, il fait penser aux délires surréalistes et oniriques d’un Wojciech Has (Le Manuscrit trouvé à Saragosse, La Clepsydre) ou d’un Alexei Guerman (Il est difficile d’être un dieu). Ses dialogues très travaillés ont la même densité que les tirades de Shakespeare. Pour les écrire, le réalisateur Robert Eggers et son frère Max, co-scénariste du film, se sont plongés dans l’oeuvre de Melville et de Stevenson.

Reparti avec le prix Fipresci à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes et avec le prix du jury au Festival de Deauville, The Lighthouse n’a pas été mieux résumé que par son réalisateur lui-même : « Rien de bon ne peut arriver quand deux hommes sont isolés dans un phallus géant. »

La bande-annonce

Les Deux Papes ★★☆☆

2005. Jean-Paul II est mort. « Un nouveau pape est appelé à régner. Araignée ? Quel drôle de nom. »
Oups… je m’égare.
2005 donc. Le conclave se réunit dans la Chapelle Sixtine pour élire un nouveau pape. Doyen du collège des cardinaux, Joseph Ratzinger (Anthony Hopkins) est le grand favori. Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il incarne la continuité d’un pape très populaire mais aussi très conservateur. Pourtant, au sein du conclave, des voix s’élèvent en faveur de Jorge Bergoglio (Jonathan Pryce), un jésuite argentin aux positions plus progressistes.
Sept ans plus tard, le cardinal Bergoglio, atteint par la limite d’âge, souhaite renoncer à son office. Ratzinger, élu pape sous le nom de Benoît XVI, le convoque dans sa résidence d’été, à Castel Gandolfo, pour le mettre dans la confidence d’un incroyable secret.

La renonciation de Benoît XVI est un des actes les plus importants qu’a vécu la papauté ces dernières décennies, un des plus surprenants, des plus « disruptifs » de la part d’un pape réputé au contraire pour sa fidélité au dogme.
Il était tentant d’en raconter l’histoire, quitte à en simplifier les enjeux. On aurait volontiers imaginé une pièce de théâtre, un huis clos mettant en présence les deux papes, comme Talleyrand et Fouché dans Le Souper, ou Choltitz et Nording dans Diplomatie. Le réalisateur brésilien Fernando Mereilles (qu’on avait connu plus audacieux dans ses précédents films La Cité de Dieu, The Constant Gardener, Blindness, 360) n’ose pas opter pour ce parti pris radical. Si les face-à-face entre les deux hommes, à Castel Gandolfo d’abord, dans la Chapelle Sixtine ensuite, constituent le plat de résistance du film, il s’est senti obligé de les entourer d’amuse-bouche et de trous normands.

Et c’est bien dommage. Car le film aurait dû se focaliser sur leurs rencontres. Il aurait dû confronter leurs visions antagonistes de l’Église : un attachement irréductible et d’une imparable cohérence intellectuelle au Dogme chez Benoît, une vision d’une Église en mouvement, obligée de s’adapter au monde dans lequel elle vit, chez le futur pape François. Il aurait dû creuser les grands dossiers qui ont fait tomber Benoît qui ne sont mentionnés qu’en passant : les scandales financiers à la Banque vaticane, le silence gardé sur les abus sexuels commis par certains religieux, l’attachement forcené de la Curie romaine à ses privilèges…

Le film s’égare dans des chemins de traverse. Des flash-back sépia nous montrent le jeune Bergoglio au mitan des années cinquante hésiter sur sa vocation apostolique dans une Buenos Aires sépia. On le voit ensuite, en couleurs, sous la dictature argentine, prendre des positions compromettantes qui le hanteront tout le reste de sa vie. On le voit enfin dans les années 2000 mener son sacerdoce au contact des plus pauvres dans les banlieues de Buenos Aires. Ces développements certes nous éclairent sur la personnalité du pape François et son passé ; mais ils nous éloignent du vrai sujet du film qui aurait dû être la confrontation entre les deux hommes.

Mais nous sommes dimanche. Les cloches sonnent. La messe nous appelle. Il est temps de clore cette critique.

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Talking about trees ★★☆☆

Quatre sexagénaires se battent pour faire revivre le cinéma au Soudan. Ibrahim Shaddad, Suleiman Ibrahim, Manar Al-Hilo et Altayeb Mahdi ont consacré leur vie au septième art. Ils ont fondé le Sudanese Film Group (SFG) pour le faire vivre dans un pays qui lui a tourné le dos, par la faute des imams et du piratage. À bord d’un minivan Volkswagen à bout de souffle, ils sillonnent le pays pour organiser des projections en plein air. Dans la banlieue de Khartoum, ils veulent rouvrir une salle, mais se heurtent à une bureaucratie kafkaïenne.

Les cinéastes aiment parler de cinéma. La nostalgie des salles d’antan, le désarroi devant leur fermeture est un sujet qui a inspiré beaucoup d’oeuvres de fiction ou de documentaires. Tout le monde pensera à Cinema Paradiso, que j’avais vu en projection officielle à Cannes en 1989 (il faut bien frimer de temps en temps) ou à Splendor de Ettore Scola, contemporain du film de Giuseppe Tornatore, dont il reproduisait la même recette avec beaucoup moins de succès. Sorti début 2019, Kabullywood racontait les tentatives de quatre jeunes cinéphiles de rouvrir un cinéma dans la capitale afghane.

Le quatuor de Talking about trees est la version senior des quatre jeunes Afghans de Kabullywood. Une sorte de Buena Vista Social Club sans musique.
La persévérance de ces quatre gentils papys, leur humilité et leur sens de l’humour font immanquablement mouche. Il est impossible de ne pas les trouver sympathiques. Ils sont la mémoire du cinéma soudanais, formé dans les années soixante-dix à Moscou. Ils sont la mémoire de leur pays qui a connu, depuis l’indépendance une histoire chaotique, alternant de courtes période démocratie et de longues dictatures.

Mais leur histoire est racontée par Suhaib Gasmelbari – un réalisateur soudanais formé en France – avec un minimalisme qui la rend bien vite ennuyeuse. Le réalisateur a pris le parti de refuser tout sensationnalisme. Il filme quelques plans d’une poignante beauté : un drap blanc dans la nuit sur lequel est projeté Les Temps modernes de Chaplin, un chameau déambulant dans les allées désertes d’un cinéma en plein air… Mais une succession de beaux plans ne suffit pas à donner chair à un film.

Le film a été tourné à la fin du long règne de Omar el Bechir, au moment de sa énième réélection avec 94.5 % des suffrages. Depuis lors, la rue a renversé le pouvoir. Et le cinéma « La Révolution » a pu rouvrir.

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Marriage story ★★★☆

Charlie (Adam Driver) est un metteur en scène qui dirige à New York une troupe d’avant-garde. Nicole (Scarlett Johansson) est une jeune actrice hollywoodienne qui, après avoir rencontré Charlie, a décidé de quitter la Californie pour s’installer et travailler avec lui sur la Côte Est.
Charlie et Nicole ont eu un garçon, Henry, huit ans. Mais Charlie et Nicole ne s’aiment plus. Quand Nicole se voit proposer un premier rôle dans une série à succès à Hollywood, elle décide de rentrer en Californie, chez ses parents, et d’engager une procédure de divorce. Les deux époux souhaitent qu’elle soit la moins traumatisante possible. Mais ils se déchirent bientôt autour de la garde de Henry.

Il y a des feel-good movies. Il y a aussi des feel-bad movies. Les premiers sont plus attractifs que les seconds : on préfère en général se faire du bien que du mal. Le monde dans lequel on vit serait si triste, la charge mentale si lourde que nous aspirerions à des loisirs récréatifs qui nous le ferait trouver plus drôle et nous la ferait trouver plus légère.
« Les chants désespérés sont les chants les plus beaux et j’en sais d’éternels qui sont de purs sanglots ». Il faut réhabiliter les sujets graves, les feel-bad movie, les unhappy ending. J’ai vu Docteur Jivago à quinze ans et ne me suis jamais remis de sa scène finale. Idem pour Titanic quinze ans plus tard. Et pour La La Land quinze ans après. Sans parler de West Side Story, des Parapluies de Cherbourg ou de Roméo et Juliette

Ce long paragraphe inutile ne sert à rien. Sinon à vous rappeler mon Top 5, fidèle lecteur, en ces périodes de palmarès, et de vous prévenir : Marriage Story, contrairement à ce que son titre annonce, n’est pas une comédie sur le mariage ou sur le re-mariage mais parle d’un sujet triste.

Quarante ans après Kramer vs. Kramer (cinq Oscars dont celui du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur acteur), Noah Baumbach raconte au scalpel un divorce. Il sait de quoi il parle : il est passé par là. Après cinq ans de mariage, il s’est séparé de Jennifer Jason Leigh en 2010 – pour se mettre en couple l’année suivante avec Greta Gerwig (de vingt ans sa cadette). Son divorce a traîné trois ans et n’a été prononcé qu’en 2013.

Le divorce aurait dû se faire à l’amiable. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Bientôt Charlie et Nicole s’écharpent par avocats interposés. Dans le rôle de l’avocate de Nicole, Laura Dern, mielleuse et machiavélique, livre une prestation époustouflante – qui doit beaucoup, osons le dire, à une silhouette qui, époustouflante, l’est elle aussi.
Le scénario parvient excellement à rendre compte de ce glissement inéluctable. Dans la plus grande scène du film, qui à elle seule dure près d’un quart d’heure, on voit les deux héros tenter de s’entendre, faisant preuve l’un comme l’autre de bonne volonté, refusant de se laisser enfermer dans leurs rôles, mais cédant peu à peu à leurs émotions dans un lent crescendo qui se conclut par des hurlements.

Marriage Story est en ligne sur Netflix. C’est une énigme et un scandale. Que des œuvres de cette qualité ne soient pas distribuées au cinéma mais réservées aux seuls abonnés d’une chaîne payante est à la fois le signe de l’incroyable culot de Netflix, qui, après Roma et The Irishman, se positionne désormais sur tous les segments du cinéma, même le plus auteuriste, et un défi pour la salle qui aurait dû être son réceptacle naturel.

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Jeune Juliette ★★☆☆

Juliette a quatorze ans. Comme toutes les adolescentes de son âge, elle attend quelque chose ; mais elle ne sait pas quoi. Juliette a quelques kilos en trop qui lui attirent les sarcasmes de ses camarades d’école. Sa mère lui manque qui a quitté le foyer familial pour aller vivre à New York où Juliette brûle de la rejoindre.
Mais elle a un père aimant, sur le point de refaire sa vie avec une prof de yoga congolaise, un grand frère cool, une meilleure amie fidèle et un crush pour le play boy du collège.

Des teen movies, on en a vu treize à la douzaine sur l’adolescence, ses joies et ses peines. Venant de tous les continents, certains sont très réussis : l’Américain Juno, le Français Gang de filles, l’Israélien Vierges, l’Ukrainien Classe à part ; d’autres sont oubliables.
Celui-ci ne révolutionnera pas le genre, qui fait l’éloge convenu du refus de la norme. Peu importe que Juliette soit trop grosse, que sa meilleure amie Léane soit lesbienne, que le gamin de sixième dont elle a la garde soit Asperger, l’indéfectible solidarité qui unit le trio vaincra, comme de bien entendu, l’hostilité mesquine que le monde lui oppose.

Jeune Juliette n’évite pas les clichés (les insultes grossophobes essuyées par l’héroïne) et les passages obligés (la party organisée en cachette des parents)
La fraîcheur du film vient notamment de ce qu’il nous arrive du Québec. Le thème est le même que celui de Une colonie sorti le mois dernier, qui donnait déjà le premier rôle à une ado canadienne. Le film se déroulait aussi durant l’été, comme si le cinéma québécois trouvait son inspiration dans la touffeur inhabituelle à ces terres septentrionales.

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Notre dame ★★★☆

Maud Crayon (Valérie Donzelli aussi à l’aise devant la caméra que derrière) est une maman solo. Provinciale montée à Paris, elle y a rencontré le père de ses deux enfants, un adulescent immature (Thomas Scimeca). Elle s’en est séparée, tout en continuant à l’accueillir de temps en temps sous son toit et dans son lit. Et elle apprend qu’elle attend de lui un troisième enfant.
Architecte DPLG, elle travaille dans un cabinet dirigé par un patron tyrannique (Samir Guesmi à contre-emploi) mais peut compter sur l’amitié de son collègue (Bouli Lanners lui aussi à contre-emploi dans le rôle d’un employé timide).
Par un incroyable concours de circonstances, Maud Crayon emporte le concours de la ville de Paris pour la réhabilitation du parvis de Notre-Dame. Un journaliste (Pierre Deladonchamps charmant et charmeur) va l’aider à affronter les médias qui bientôt se déchaînent contre son projet disruptif.

On adore Valérie Donzelli, son charme, son humour parfois loufoque, parfois fantastique, la délicatesse très contemporaine du regard qu’elle porte sur les gens et les choses. C’est un acte de foi qu’il faut poser au début du film, une condition sine qua non à sa réception. Mais c’est une condition qui n’est pas si difficile à réunir : on voit mal comment on pourrait ne pas adorer Valérie Donzelli.

Valérie Donzelli a creusé un sillon bien à elle dans le cinéma français. Elle a commencé sa carrière comme actrice sous la direction de Gilles Marchand, d’Anne Fontaine ou de Guillaume Nicloux, avant de réaliser des films auto-fictionnels. La Reine des pommes racontait les chagrins d’amour d’une trentenaire. La guerre est déclarée, sans doute l’un des meilleurs films français de la décennie, le combat d’un jeune couple contre la leucémie de leur enfant. Main dans la main l’amour fusionnel entre un miroitier de province et la directrice de l’école de danse de l’Opéra Garnier. À chaque fois le rôle masculin principal des films de Valérie Donzelli était interprété par Jérémie Elkaïm, son compagnon à la ville et le père de ses deux enfants dont elle s’est depuis séparée.

Après l’échec injuste de Marguerite & Julien, Valérie Donzelli revient devant la caméra et tourne sans Jérémie Elkaïm – même si le rôle interprété par Thomas Scimema et son phrasé dans la dernière scène rappellent inexorablement le grand absent parti refaire sa vie avec Anaïs Demoustier.
Valérie Donzelli réalise une comédie incroyablement attachante, qui louche du côté de la BD, mettant en scène le Paris d’avant l’incendie de Notre-Dame. Les relations humaines n’y sont pas toujours bienveillantes (les claques cinglent, les jurons fusent) ; mais la ville est belle.
L’héroïne célibattante inspirera à tous les spectateurs une immédiate sympathie : elle ploie sous la même charge mentale qui nous écrase tous mais sait la gérer avec la désinvolture gracieuse des vraies Parisiennes au cœur d’artichaut.

Et puis, surtout, Notre dame est drôle. Très drôle. On n’avait plus autant ri devant la scène de présentation du projet architectural de Maud Crayon et les réactions outragées qu’il suscitera le lendemain dans la presse.

Notre dame est si attachant qu’on en excuse les erreurs. C’est que Valérie Donzelli s’essaie à tous les genres avec un inégal succès : présentation 3D, film muet à cartons, comédie musicale… Tout ne fonctionne pas. Mais, on l’aura compris à la lecture de cette critique partiale et subjective, tout lui est pardonné.

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Lola vers la mer ★☆☆☆

Lola est trans. Elle a dix-huit ans. Elle vit dans un foyer. Elle va subir l’opération qui la transformera définitivement. Son père l’a mise à la porte. Sa mère, qui continuait en secret à la voir, vient de mourir des suites d’une longue maladie.
Quand Lola revient dans sa famille pour les funérailles de sa mère, les retrouvailles avec son père sont violentes.

La transidentité est décidément un sujet à la mode. On ne compte plus les documentaires (XY Chelsea, Coby, Finding Phong…) et les – excellents – films de fiction qui en traitent : Tomboy, Une femme fantastique, Girl

Comme Girl, Lola vers la mer se passe en Belgique. Mais la ressemblance s’arrête là hélas.
Là où l’héroïne de Girl nous touchait par sa fragilité et par sa grâce, celle de Lola vers la mer se borne à jouer l’adolescente révoltée à l’identité entravée. Et on n’entrera pas ici dans le débat si un tel rôle doit être joué par un acteur cisgenre (comme dans Girl) ou transgenre (comme dans Lola…).
Là où le scénario de Girl avançait à l’aveugle dans une fragile indétermination jusqu’à une conclusion qui en a surpris plus d’un.e, celui de Lola – qui voudrait nous faire croire que la centaine de kilomètres qui sépare Bruxelles de Ostende peut donner lieu à un long périple initiatique – est cousu de fil blanc jusqu’à une inévitable autant qu’improbable réconciliation.
À la relation si pleine d’amour et de compréhension qui unissait Lara à son père dans le film de Lukas Dhont s’opposent terme à terme la haine et l’incompréhension que manifeste Philippe (Benoît Magimel) avec cet enfant qu’il persiste à appeler Lionel. Aussi bien joué soit-il par Benoît Magimel, le personnage de ce père homophobe est par trop caricatural. Sa beauferie veule puis son inévitable adoucissement sont si téléphonés qu’on ne s’y laisse guère émouvoir.

Les grosses ficelles du scénario – qui réunissent, contre toute logique, Lola et son père dans un dernier pèlerinage autour d’une urne funéraire – n’arrangent rien.

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Pahokee, une jeunesse américaine ★★☆☆

Comptant six mille habitants à peine, située en Floride dans le nord des Everglades, Pahokee est une bourgade sans caractère, paupérisée par la crise de l’agriculture et l’appauvrissement des sols, majoritairement peuplée de Noirs-américains et d’immigrés hispaniques.
Ivete Lucas et Patrick Bresnan, deux documentaristes formés à l’école du court-métrage, y ont planté leur caméra pour y suivre les élèves de terminale durant leur dernière année de lycée. Ils n’ont pas filmé les cours, mais les rites de passage qui scandent cette année charnière : les matchs de l’équipe de football américain, l’élection de la reine de beauté du lycée, la cérémonie de remise des diplômes, le bal de promo, etc.

Frederick Wiseman (Ex Libris, In Jackson Heights…) fait des émules. L’immense réalisateur américain a créé un style : le documentaire non interventionniste, sans voix off ni sous-titre où la seule mise en scène est censée suffire à donner du sens au propos.

Lucas & Bresnan marchent sur ses traces. Il s’agit pour eux toutefois moins de réaliser une radioscopie de l’Amérique profonde – comme Monrovia, Indiana en avait l’ambition – ou de brosser une étude en coupe de la jeunesse américaine – comme le sous-titre français inutilement explicatif prétend l’annoncer – que de raconter des rites. Des rites typiquement américains – et pour nous, spectateurs d’outre-Atlantique, terriblement exotiques – qui scandent la vie lycéenne.

Lucas & Bresnan embrassent le parti d’ignorer l’arrière plan social et économique de la ville où ils posent leur caméra. On ne saura rien ou presque de ses paysages sans caractère, du sous-emploi qui la mine, de la guerre des gangs qui s’y livre, si ce n’est en assistant en temps réel à un règlement de compte qui laissera un mort sur le bitume.
Ils préfèrent s’intéresser à ces moments clés, et volontairement festifs, de l’année de terminale. Ils ont pour nous un charme un peu ridicule. Quoi de plus kitsch que ces jeunes filles à peine majeures déguisées en starlettes, outrancièrement maquillées, juchées sur de hauts talons vertigineux ?

Pour donner corps à leur propos, les réalisateurs ont choisi de suivre plus spécifiquement quatre personnes, deux filles et deux garçons : Na’Kerria, la dauphine malheureuse de l’élection de la reine de beauté, Jocabed, une jeune Mexicaine de la deuxième génération dure à la tâche, BJ, un jeune Afro-américain qui rêve de devenir une star du football américain et Junior, le percussionniste virtuose de la fanfare, dont l’échec scolaire et la naissance d’un enfant semblent compromettre l’avenir.
Le procédé est un peu racoleur. Pas sûr qu’il soit conforme aux exigeants préceptes wisemaniens. Mais il est diablement efficace. Car on s’attache à chacun d’entre eux. Et, sauf à avoir un cœur de pierre, on verse une larme en écoutant le discours de fin d’année de Jocabed devant ses parents et ses grands-parents.

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Toute ressemblance… ★★☆☆

Depuis dix-huit ans, Cédric Saint Guérande alias CSG (Franck Dubosc) est le présentateur préféré des Français. Chaque soir, à vingt heures tapantes, il présente le journal télévisé. Il doit son succès et sa popularité à un mélange de talent, de charme, d’esbrouffe. Adulé par le public comme par sa concierge (Sylvie Testud), fidèlement secondé par son producteur (Jérôme Commandeur), tendrement aimé par sa femme (l’ancienne James Bond girl Caterina Murino), CSG est au firmament de sa gloire. Mais l’arrivée à la présidence de la chaîne de Julien Demaistre (Denis Podalydès), précédé d’une solide réputation de coupeur de têtes, menace sa toute-puissance.
Toute ressemblance avec des faits réels ne serait pas nécessairement fortuite

On a dit beaucoup de mal du film de Michel Denisot. « Caricatural et vulgaire » (Le Figaro), « affligeant » (Le Monde). Nous voilà prévenus : nous n’irons pas voir un chef d’oeuvre, tout au mieux une aimable pochade sur les petits secrets du monde de la télévision. Tant de tomates lancées sur l’un des plus célèbres animateurs de France nous inciteraient presqu’à l’indulgence. Son film mérite-t-il tant de fiel ?

Non. Toute ressemblance… ne mérite certainement pas quatre étoiles. Ni trois. Avec une indulgence coupable, on lui en mettra deux ; car c’est une gentille comédie qui se regardera volontiers un dimanche soir sur petit écran, ni meilleure ni pire que les feel-good movies qu’on y voit trop souvent.

Michel Denisot ne fait pas dans la dentelle en décrivant des stars du PAF obsédées par le pouvoir, l’argent, le sexe, le botox et la drogue. De journalisme, d’éthique du travail, il n’est guère question. Le parti pris est plus gaulois. Il n’empêche qu’il fait souvent mouche et qu’on découvre quelques scènes hilarantes que la bande-annonce n’avait pas déflorées.

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