Peppermint ☆☆☆☆

Riley North (Jennifer Garner) a une gamine adorable et un mari aimant dont le seul défaut est d’avoir approché de trop près la mafia de la drogue. Quand il est éliminé par les sicaires à ses trousses et que sa fille meurt d’une balle perdue, Riley North voit sa vie s’effondrer. Si elle reconnaît les assassins et les fait juger, un juge véreux les fait libérer.
La mère de famille, assoiffée de vengeance, décide d’obtenir justice par ses propres moyens.

L’affiche de Peppermint rappelle celle de la série The Leftovers avec laquelle, hélas, ce vigilante film n’a rien en commun. Un vigilante film a pour thème l’auto-justice et pour héros un citoyen ordinaire, confronté à l’impuissance des pouvoirs publics, qui décide de se venger seul du meurtre de sa famille. Le genre est fécond depuis Charles Bronson dans Un justicier dans la ville et son récent remake avec Bruce Willis.

Le parti pris de Peppermint, avec son titre déroutant de friandise sucrée, est de faire endosser le rôle vedette par une femme. Pierre Morel est à la manœuvre, un Frenchie qui, depuis Banlieue 13 et Taken, est parti à Hollywood monnayer son talent à chorégraphier les scènes d’action sans se montrer trop regardant sur le scénario qui en est le prétexte. Son cynisme revendiqué, la complaisance avec laquelle il filme les meurtres à la chaîne commis par son héroïne pour remonter jusqu’à l’odieux chef de gang responsable de la mort de sa fille et de son mari font question.

Le plus gênant peut-être est que Pierre Morel sait y faire, qu’il sait tourner des fusillades, qu’il sait tenir en haleine son public jusqu’à un dénouement qu’on connaît pourtant d’avance. Et Jennifer Garner, révélée au début des années 2000 dans Alias et Daredevil, qui s’était perdue depuis une dizaine d’années dans des comédies familiales sans relief, fait honnêtement le job.

On tremble que Peppermint fasse un carton chez les ados, qui oublieront les dilemmes éthiques posés par le film et n’en retiendront que l’efficacité des bastons.

La bande-annonce

Première année ★★☆☆

Antoine (Vincent Lacoste) a eu beau travailler jour et nuit, il triple sa première année après avoir échoué d’un cheveu à obtenir la dernière place en médecine offerte par le numerus clausus. Au début de la nouvelle année, il rencontre sur les bancs de la faculté un jeune bachelier Benjamin (William Lebghil) qui ne semble pas mesurer l’ampleur de la tâche mais se révèle très vite redoutablement doué.

Vous êtes médecin/normalien/énarque ? vous avez passé entre 18 et 22 ans les quatre années les plus traumatisantes mais aussi les plus enrichissantes de votre vie ? vous avez consommé plus de Guronsan et de boules Quies que d’ecstasy dans les soirées et de bouchons anti-bruits dans les concerts ? vous avez les mains moites en regardant Questions pour un champion ? vous faites des cauchemars en vous imaginant redoubler ? Première année est pour vous qui raconte, comme peu de films l’ont fait, une histoire difficile à filmer, mais qui est le lot commun de nombreux étudiants qui sacrifient leur vie – amicale, amoureuse, culturelle – pour décrocher le Graal du concours hypersélectif.

En tout état de cause, vous avez aimé Hippocrate ou Médecin de campagne, les précédents films de Thomas Lilti, un ancien médecin passé à la réalisation ? Vous apprécierez cette nouvelle plongée dans le monde des carabins, même si on y perd de vue la noblesse de ce métier et la belle humanité qui s’y déploie.

Si vous avez encore des hésitations, jettez un œil à la bande annonce. Et laissez vous séduire par sa communicative énergie.

Le problème de Première année est qu’il n’a pas grand chose de plus à offrir que cette bande annonce. Filmer des étudiants qui étudient est ingrat. Et Thomas Lilti se refuse, à raison, à agrémenter ce récit d’histoires annexes qui ne lui auraient rien apporté. Pas d’amourettes – sinon une voisine de palier chinoise (ou philippine ?) avec qui Benjamin partage un café à ses heures perdues. Pas de drames familiaux, sinon des parents inquiets de voir leurs progénitures se dessécher dans des études épuisantes. Bref, des étudiants qui vont en cours, en bibliothèque, au resto U, en révisant, révisant, révisant encore.

En creux bien sûr se dessine une critique cinglante de ce bourrage de crâne imbécile, de ce mode de sélection absurde qui recrute des médecins sur leur capacité à remplir des QCM et non à soigner des patients. Mais le sujet du film n’est pas là. Il n’a d’autre ambition que de nous faire partager le quotidien de deux étudiants dans un tunnel de révision.

Vincent Lacoste (25 ans) et William Lebighl (28 ans) sont peut-être un peu trop vieux pour rendre tout à fait crédibles des étudiants de première année. Mais leurs personnages posent un autre problème plus délicat. Le premier est censé incarner l’étudiant d’origine modeste, obligé à des allers-retours épuisants en banlieue. Le second au contraire a un père chirurgien, camarade de promo du doyen de la faculté, et s’est vu payer une chambre à une encablure de l’université. Le second maîtrise les codes ; le premier ne les maîtrise pas. Or, les études de médecine, leurs critères de sélections, en première année au moins, sont sans doute les cursus qui prêtent le moins le flanc à la critique bourdieusienne, à la différence d’autres parcours où l’oral, la manière d’être, de s’exprimer ont autrement d’importance.

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Mademoiselle de Joncquières ★★☆☆

Madame de la Pommeraye (Cécile de France) a perdu son mari et s’est retirée sur ses terres. Elle ne s’est jamais fait d’illusion sur l’amour et ne nourrissait nul penchant pour son mari dont le décès ne l’affecte pas.
Le marquis des Arcis (Edouard Baer) lui fait une cour assidue et ne se laisse pas décourager par ses rebuffades amusées. Sa constance est finalement récompensée par la veuve qui lui cède. Mais, passées les premières semaines d’extase, le frivole marquis se lasse de son amante qui, le cœur brisé, n’a d’autre ressource que de lui rendre sa liberté.
Toutefois la femme blessée entend faire payer à l’amant inconstant sa trahison. Une mère désargentée (Natalia Dontcheva) et sa fille à la beauté angélique, Mademoiselle de Joncquières (Alice Isaaz), contraintes de vivre de leurs charmes suite à leurs revers de fortune, seront les instruments de sa vengeance.

Depuis une vingtaine d’années, le marseillais Emmanuel Mouret creuse un sillon bien à lui dans le cinéma français en y semant comme autant de pépites de charmants marivaudages dont les titres faussement candides annoncent l’esprit  : Laissons Lucie faire, Un baiser s’il vous plaît !, L’art d’aimer, Caprice. En regardant son premier film d’époque, on se demande comment il n’est pas venu plus tôt au Siècle des Lumières, à la perfection de sa langue, à l’élégance de ses toilettes.

Emmanuel Mouret emprunte à Diderot un épisode de Jaques le Fataliste qui avait inspiré à Robert Bresson Les Dames du bois de Boulogne. L’intrigue déroule sans anicroches sa mécanique (trop ?) bien huilée. Les scènes se succèdent qui inexorablement voient le marquis des Arcis tomber sous le charme de la jeune demoiselle de Joncquières, d’autant plus séduisante qu’elle ne prononce pas une parole, lui promettre une rivière de diamants, une rente, un hôtel particulier et, bientôt, le mariage.

Lorsqu’au lendemain de la nuit de noces, Mme de la Pommeraye triomphe en révélant au mari berné son aveuglement, on croit l’histoire terminée. Il n’en est rien. Elle dure vingt minutes de plus qu’Emmanuel Mouret emprunte en partie à Diderot et extrapole pour le reste. Ce qu’il emprunte à Diderot, c’est un dénouement bancal que Diderot lui-même avait critiqué : le marquis des Arcis, par amour pour sa femme, accepte sans broncher la mésalliance au risque de devenir la risée du tout-Paris. On se souvient que l’histoire de la Pommeraye est racontée à Jacques et à son maître par la patronne de l’Auberge du Grand-Cerf où ils passent la nuit et la critique qu’en font Jacques et son maître est l’occasion, comme l’a brillamment analysé Kundera, de poser les bases de l’art du roman moderne

Emmanuel Mouret conclut son film avec Mme de la Pommeraye, renvoyée à son amère solitude, qui croyait punir le marquis de son inconstance, mais qui, à son corps défendant, lui a permis de connaître la félicité d’un mariage heureux, nonobstant le passé caché de son épouse. Cette conclusion ne figure pas dans l’œuvre de Diderot. Elle coule pourtant de source. Sa brutalité saisit. En un clin d’œil on passe de Marivaux à Choderlos de Laclos.

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Invasion ★☆☆☆

Quelques extraterrestres ont débarqué sur notre planète avant son invasion générale et ont pris apparence humaine pour comprendre la psyché de ses habitants. D’un simple contact du majeur, ils volent aux humains leurs « concepts » : la famille, la peur, l’amour…

Ce résumé éveille en vous un souvenir ? C’était le même que celui du précédent film de Kiyoshi Kurosawa Avant que nous disparaissions sorti en mars 2018. Entretemps, le prolixe réalisateur japonais a réalisé sur ce sujet une mini-série en cinq épisodes qu’il ramasse aujourd’hui en cent quarante minutes.

L’impression désagréable d’avoir sous les yeux à un « produit dérivé » dont la dispensable sortie en salles n’a guère d’autre but que d’augmenter la rentabilité d’un filon est le premier reproche qu’on peut adresser à Invasion. Ce n’est pas le seul.

À force d’avoir vu ses films qui sortent à jet continu tous les six mois, on n’est plus dépaysé par le cinéma de Kiyoshi Kurosawa. Avec peu de moyens, sinon un art du cadrage consommé et une musique très travaillée, le réalisateur s’est fait une spécialité de glisser dans les failles d’un quotidien anodin mille angoisses. Il (ré)invente le film gore sans hémoglobine, le film de SF sans petits hommes verts. Au premier, on crie au génie ; au vingtième, on étouffe un bâillement d’ennui car la recette ne révèle plus guère de surprises.

C’est le cas de cet Invasion qui a le défaut de reprendre, à quelques bémols près, la même trame que son précédent film. Avant que nous disparaissions suivait les traces de trois extra-terrestres. Invasion est plus ramassé – sinon par sa durée – qui en suit un seul, le docteur Makabe (le bien-nommé) qui a pris l’apparence d’un immense chirurgien. Pour l’aider dans ses premiers pas sur terre à déchiffrer ces humains décidément bien imprévisibles, il s’est adjoint les services d’un « guide », Tatsuo, qui travaille comme lui à l’hôpital. Tatsuo a une femme, Setsuko, qui se révèle la véritable héroïne du film, autour de laquelle le récit se construit. Car Setsuko possède le don rare de résister aux viols psychologiques des extra-terrestres. Et on comprendra que ce don exceptionnel trouve son origine dans le sentiment qu’elle éprouve pour son mari : l’amour.

On voudrait nous faire acheter – et je l’avais moi-même écrit en conclusion de ma critique de Avant que nous disparaissions – que, sous couvert de parler d’invasion extra-terrestre, le film de Kurosawa interroge d’abord notre propre humanité. Je conclurai avec moins de grandiloquence ma critique aujourd’hui pour déplorer la vacuité métaphysique de ce pompeux discours.

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Whitney ★★☆☆

Whitney Houston (1963-2012) fut l’une des chanteuses pop les plus célèbres de son temps. Elle aurait vendu plus de 200 millions d’albums et de singles. Son premier album, sorti en 1985, disque de diamant, enregistre les meilleures ventes de tous les temps pour un artiste solo et contient trois singles classés numéro un : Saving All My Love for You, How Will I Know et Greatest Love Of All. Son deuxième est dès sa sortie en juin 1987 en tête des charts avec notamment le hit I Wanna Dance with Somebody (Who Loves Me). En 1992, la gloire de Whitney Houston est à son apogée avec le film Bodyguard et sa B.O. vendue à 44 millions d’exemplaires à travers le monde.
Mais vampirisée par sa famille, brutalisée par son mari, la star sombre peu à peu dans la drogue. Elle ne s’en relèvera jamais.

Le réalisateur britannique Kevin Macdonald prend son temps pour raconter la vie de Whitney. Il y consacre deux heures, qui passent sans regarder sa montre tant l’histoire de la jeune fille de Newark est captivante. On a beau en connaître les principales étapes et l’issue fatale, on la regarde sans s’ennuyer.

Le réalisateur, qui a déjà signé des documentaires consacrés à Eric Campbell, Mick Jagger, Bob Marley, ne force pas son talent en alternant paresseusement les images d’archive et les interviews face caméra des proches de l’actrice. On ne lui en fera pas grief. La raison de notre indulgence ? Sans doute la sympathie coupable qu’on nourrit, comme tous les fans du Top 50 qui finirent leur adolescence dans les années 1985-1987 et achetèrent avec leur argent de poche la cassette ou le 33 Tours Whitney dans ces années-là.

Whitney ressemble à Amy sorti il y a deux ans, car la – courte- vie de Amy Winehouse ressemble à celle – un peu plus longue – de Whitney Houston. Même talent fou, même succès mondial, même famille toxique, même inéluctable plongée dans l’addiction. Avec un chouïa de putasserie, Kevin Macdonald remue les histoires sales et étale ce qu’on reproche aux tabloïds de dévoiler. Le voyeurisme du spectateur en est récompensé. Mais son cœur s’étreint, au moins autant à l’évocation du destin de la chanteuse qu’à celui de sa fille, enfant unique d’un couple toxique, ballottée d’une salle de concert à l’autre, plongée par mimétisme dans la drogue et morte à vingt-deux ans d’une overdose dans sa baignoire dans des circonstances analogues à celles du décès de sa mère.

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Sofia ★★★☆

Sofia est enceinte. Mais elle refuse de l’admettre. Au Maroc, hélas, le déni de grossesse est un délit de grossesse – comme le titre joliment Le Monde – pour qui a conçu un enfant hors mariage. Il faut toute la débrouillardise de Lena, la cousine de Sofia, étudiante en médecine, et de Leila, sa tante, pour permettre à Sofia d’accoucher dans une clinique privée et de sortir du commissariat où elle est ensuite détenue. Pour y parvenir, les trois femmes ont dû convaincre Omar, l’homme que Sofia rend responsable de sa maternité.

Régulièrement nous arrivent du Maghreb des petits films coupants comme le silex. Ils ont en commun de dénoncer le sort réservé aux femmes et de documenter les rapports de classes : l’Algérien À mon âge je me cache encore pour fumer, le Tunisien La Belle et la Meute, le Marocain Much Loved. Couronné par le prix du scénario dans la section Un certain regard à Cannes et au festival du film francophone d’Angoulême, Sofia a sa place dans cette liste de films qui marquent durablement.

La force en vient de son scénario qui rappelle, par son déroulement implacable, ses ellipses et ses coups de théâtre, les meilleurs Dardenne et Farhadi. Sans un temps mort, Meryem Benm’Barek filme les vingt-quatre heures qui séparent la découverte de la grossesse de Sofia de l’accord d’Omar pour reconnaître son enfant. Le film pourrait s’arrêter là ; mais il s’offre une longue postface pour le mariage de Sofia et d’Omar qui est l’occasion d’un coup de théâtre qui en revisite le sens. On n’en dira pas plus.

Plus encore que sur le sort des femmes et l’archaïsme des dispositions du code pénal marocain, c’est dans la peinture des relations de classe que Sofia excelle. Car Sofia, Léna et Omar appartiennent à trois milieux bien différents. Léna, dont la mère a épousé un riche Français, appartient à la classe aisée et habite une belle maison à Anfa en bord de mer. Sofia, dont les parents habitent un appartement du centre-ville de Casablanca, appartient à la classe moyenne. Quant à Omar, soutien de famille depuis la mort de son père, son adresse dans le quartier défavorisé de Derb Sultan signe son appartenance à la classe pauvre. Entre eux trois et leurs familles, un poker menteur se joue qui fait froid dans le dos.

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Ultra Rêve ☆☆☆☆

Un groupe de musique joue une dernière fois ensemble avant de se séparer. Un homme, une femme et un monstre au visage difforme font l’amour sur une scène de spectacle. Une réalisatrice, amoureuse de son actrice, lui raconte son prochain film pour la convaincre de ne pas la quitter.

La société de production Ecce Films sort dans quelques cinémas confidentiels un programme de trois moyens métrages. Formule audacieuse tant ce format semble avoir perdu le chemin des salles.

L’attelage est étrange. Le premier des trois ne ressemble guère aux deux suivants. Il est l’œuvre de deux réalisateurs inconnus qui filment un groupe d’adolescents (une fille, trois garçons) dans une plaine glacée, à l’orée d’un bois, dont on comprend qu’ils se réunissent une dernière fois pour interpréter une de leurs chansons avant leur inéluctable séparation. On dirait un long clip de vingt minutes filmé sans imagination ni talent.

Les deux autres sont bien différents. Ce sont l’œuvre de deux réalisateurs confirmés : Yann Gonzalez et Bertrand Mandico. Le premier des deux vient de signer Un couteau dans le cœur ; le second Les Garçons sauvages. J’ai déjà dit ici tout le mal que je pensais et de l’un et de l’autre.

Rien de surprenant donc à ce que je n’ai guère goûté Les Îles (Yann Gonzalez) et Ultra Pulpe (Bertrand Mandico) qui en reproduit les tics et le toc. Les deux creusent la veine de l’anti-naturalisme et du kitsch sur fond de couleurs criardes et de musique électro. Gonzalez filme un jeune couple qui invite un monstre au sexe turgescent à leurs ébats, deux amants qui font l’amour dans un parc sous le regard de voyeurs onanistes, une jeune femme qui enregistre la scène et se masturbe en la réécoutant… Mandico fait lui aussi de l’erotico-gore. Les Garçons sauvages était un pastiche de film de pirates ; Ultra Pulpe est, de l’aveu même d’un des personnages, de la « science-fiction-frisson-nichon ».

Si les deux moyens métrages de Gonzalez et Mandico avaient été complétés d’un troisième qui partage avec eux la même esthétique, on aurait, à la limite, saluer la cohérence de l’ensemble, à défaut d’en comprendre le sens. Mais la présence pataude du moyen métrage de Poggi & Vinel au générique nous prive de cet unique argument pour sauver Ultra Rêve.

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Les Vieux Fourneaux ★★☆☆

Pierrot (Pierre Richard), Mimile (Eddy Mitchell) et Antoine (Roland Giraud) ont grandi ensemble dans le même petit village du Tarn. Si Pierrot est monté à Paris sans rien sacrifier à ses rêves soixante-huitards, si Mimile se languit dans un mouroir à Meuricy (sic), le trio se reforme à l’occasion de la mort de Lucette, l’épouse d’Antoine.
Aux lendemains des obsèques, le veuf inconsolable découvre que sa femme aurait eu une liaison avec Garan-Servier, le patron de l’usine où elle travaillait comme secrétaire et Antoine comme syndicaliste. Fou de rage, il se précipite en Italie où le vieux capitaine d’industrie, à moitié sénile, s’est retiré. Pierrot et Mimile, accompagné de Lucie, la petite-fille d’Antoine, se jettent à sa poursuite pour lui éviter de commettre l’irréparable.

L’affiche du film, le sous-titre aussi drôle qu’élégant qui la barre (« Il n’y a pas d’âge pour faire chier le monde »), la bande-annonce, la brochette d’acteurs principaux, dont l’heure de gloire remonte aux années soixante-dix, tout dans ces Vieux Fourneaux me faisait fuir. Et pourtant, dans un moment de relâchement, parce que je n’avais pas envie de voir un film lituanien en noir et blanc et qu’il passait dans l’UGC Gobelins flambant neuf qui vient de rouvir ses portes à un jet de pierre de chez moi, je suis allé le voir.

Ai-je bien fait ? Oui et non. Mon avis est mitigé comme le sont les deux étoiles que je lui attribue.
Car, dans sa première partie, Les Vieux Fourneaux a hélas conforté mes lourds a priori. Notre trio de vieilles canailles cabotine sans retenue et enchaîne les blagues pas drôles – sauf à trouver hilarant un papy bigleux qui jette la voiture qu’il conduit dans le décor ou fraude les péages d’autoroutes avec le brouilleur d’ondes qu’il a bricolé.
Mais dans sa seconde partie Les Vieux Fourneaux surprend. Non pas en entonnant le chant nostalgique et prévisible du grand âge qu’il faut savoir assumer avec sérénité, mais celui plus surprenant du passé qui ne passe pas. Il le fait à travers trois flash-back tournés chacun dans un style différent. Le troisième est le plus touchant, filmés en stop-motion avec de petites marionnettes en carton mâché.

La comédie pataude avec ses blagues téléphonées se leste soudain d’une gravité inattendue. Le scénario, dont on aurait pu craindre qu’il se contente d’aligner paresseusement les saynètes, se révèle avoir une unité et un sens. Autant de qualités qu’on n’attendait pas.

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Printemps tardif / Fin d’automne ★★★★

Depuis le 1er août, dans plusieurs salles d’art et d’essai de Paris et de province, la rétrospective Ozu est l’occasion de voir ou de revoir quelques uns des meilleurs films du maître japonais. Leur accumulation produit le même effet que la lecture trop rapprochée des livres de Patrick Modiano : ils s’accumulent et se perdent dans nos souvenirs formant une masse aux contours indistincts.

Il faut dire que Ozu – comme Modiano – ne nous aide guère. Ses films aux titres interchangeables sans lien avec leur contenu (Printemps tardif, Eté précoce, Fin d’automne…) sont joués avec la même troupe d’acteurs fidèles (Chishū Ryū dans le rôle du père, Setsuko Hara dans celui de la fille, Haruko Sugimura dans celui de la tante…) et explorent indéfiniment les mêmes sujets, comme autant de variations autour d’un même thème.

Avec Voyage à Tokyo, Printemps tardif est souvent présenté comme le chef d’œuvre d’Ozu. À raison. Car tous les éléments du cinéma du maître y sont poussés à un point de perfection jamais égalé.

On a beaucoup parlé de son art de la mise en scène. Chaque plan, filmé à ras de tatami – Ozu s’était fait construire des pieds spéciaux pour pouvoir abaisser sa caméra au ras du sol – est soigneusement construit. Les arrières plans ne sont jamais rectilignes, mais offrent toujours de savantes lignes de fuite. Si les dialogues ne sont jamais ennuyeux, c’est parce que la façon de les filmer est originale : les champs-contrechamps les filment face caméra – alors que l’usage est de décaler la caméra de l’axe du regard des personnages. Assis sur un tatami, les personnages sont filmés de trois quarts dos. Étonnamment, ces postures artificielles donne une miraculeuse impression de naturel.

Voilà pour la forme. Mais c’est le fond du cinéma d’Ozu qui bouleverse. Quoi de plus simple, de plus ténu que le sujet de Printemps tardif ? Un veuf vieillissant et aimant une fille unique qui tarde à se marier moins par manque de prétendants – elle est belle comme le jour – que par attachement à son père. Sublime sacrifice : le père feindra de se remarier pour convaincre sa fille de le quitter pour prendre époux. Le traitement n’est jamais languissant ; l’histoire nous surprend qui emprunte des voies qu’on n’attendait pas.

Un chef d’œuvre… qu’Ozu répètera onze ans plus tard dans Fin d’automne en en modifiant légèrement le sujet. Ce n’est plus d’un veuf qu’il s’agit mais d’une veuve (interprétée cette fois ci par Setsuko Hara qui jouait le rôle de la fille dans Printemps tardif) qui viendra lentement à bout des réticences de sa fille avec la complicité de trois amis de son défunt époux. Le ton est plus léger que dans Printemps tardif, presque bouffon quand Ozu se moque des fausses espérances de l’un des amis qui espèrent épouser la mère. Printemps tardif se concluait par une scène d’anthologie : seul chez lui, sa fille mariée, Chishū Ryū pèle une pomme et sent s’abattre sur lui le poids de la solitude. On attendait Ozu et Setsko Hara au tournant onze ans plus tard. Qu’allaient ils inventer pour surpasser cette scène indépassable, pour lui être fidèle sans la singer ? Le résultat est d’une simplicité désarmante. Du grand art…

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Shéhérazade ★★★★

Zachary a dix-sept ans. C’est un ado brinquebalé entre une mère trop jeune incapable de l’éduquer et des foyers éducatifs incapables de l’aimer, une caillera dont les petits larcins l’ont déjà conduit en EPM (établissement pénitentiaire pour mineurs).
Un jour, Zachary rencontre Shéhérazade, le verbe haut, la jupe courte, qui tapine sur les trottoirs de Marseille.

Depuis Zéro de conduite et Les quatre cents coups, la jeunesse délinquante n’a cessé d’inspirer le cinéma. Les films sont légion, en France comme à l’étranger, qui peignent des jeunes gens à peine sortis de l’enfance et plongés trop vite dans la violence de l’âge adulte. Certains sont excellents et mémorables : Orange mécanique (1971), Le Petit Criminel (1990), La Haine (1995), Mon nom est Tsotsi (2005), This is England (2006), Guerrière (2011), La Tête haute (2014)…

Shéhérazade peut sans rougir s’ajouter à cette liste prestigieuse. Ce premier film aux fausses allures de documentaire a largement mérité sa sélection à la Semaine de la Critique et le prix Jean-Vigo qui lui a été décerné. Il nous plonge dans les bas-fonds de Marseille, ses banlieues déshumanisées, ses trottoirs conquis de haute lutte par les gangs pour y placer leurs filles, ses squats sordides… Les acteurs, tous amateurs, y parlent un argot presqu’incompréhensible sans sous-titre, mélange de français avé l’assent et d’arabe où on s’emboucane à tout bout de champ en jurant sur le Coran. Leur abrutissement, leur rage impuissante qu’ils ne savent que convertir en violence contre eux-mêmes et contre autrui nous désolent autant qu’ils nous touchent.

Jean-Bernard Marlin prend son temps en posant ses personnages. Zachary est le principal – qui aurait pu légitimement revendiquer le titre du film. L’histoire tourne autour de lui depuis sa sortie d’EPM jusqu’à sa rencontre avec Shéhérazade dont il devient sans l’avoir vraiment prémédité le proxénète. La relation qu’ils nouent relève de l’évidence. Elle a la pudeur des amours adolescentes et la violence des pactes de sang. Zachary protège Shéhérazade comme un mac protège ses filles mais n’a pas le droit de confesser ses sentiments ni celui de la considérer autrement qu’un tapin.

On sent poindre l’ennui quand arrive la fin des une heure trente réglementaire. Mais Shéhérazade compte vingt minutes de plus qui en bouleverse l’économie et en illumine le propos. Zachary va être confronté à un dilemme moral aussi simple qu’éprouvant comme les frères Dardenne en ont le secret. Il y a un procès. Des témoignages sont filmés sans fioriture. On les a déjà vus mille fois. On est pourtant ému jusqu’à l’âme. Limpide. Terrible. Bouleversant.

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