La Danseuse ★★★☆

Dans la danse classique, tout part des pieds. Loïe Fuller décida de danser avec ses bras et inventa la danse moderne en 1892. Tournoyant sur un piédestal dans des jeux de lumière, noyée dans des mètres de soie, cette Américaine connut la gloire à Paris avant d’être éclipsée par sa compatriote Isadora Duncan.

C’est cette histoire haute en couleurs que raconte Stéphanie Di Giusto dans un premier film audacieux. À cheval sur les deux rives de l’Atlantique, « La Danseuse » est une reconstitution soignée de la Belle époque, un splendide portrait de femme(s) et surtout un choc esthétique.

Du Far West à l’Opéra de Paris, pas un bouton de manchettes ne manque aux acteurs tous remarquables qu’on retrouve avec plaisir : Gaspard Ulliel en dandy proustien autrement plus convaincant que chez Dolan, Mélanie Thierry qui gagne en profondeur avec les années sans rien perdre de sa grâce, François Damiens et Louis-Do de Lencquesaing en directeurs de salle…

Deux femmes se distinguent que, hors l’amour fou de leur art, tout oppose. Deux danseuses qui se disputent, dans un combat perdu d’avance par Loïe Fuller, le rôle titre : Soko au visage dur, presque masculin, au corps athlétique et souffrant, à la détermination inébranlable et, dans le rôle de Isadora Duncan, Lily-Rose Depp, si frêle, si gracieuse, si enfantine, qu’on peine encore à regarder sans chercher en elle les traits de ses deux parents.

Les chorégraphies de Loïe Fuller, éclairées par Benoît Debie, sont envoûtantes. Elles sont d’une telle beauté qu’elles en éclipsent le reste du film. On aurait aimé que les scènes dialoguées soient plus courtes et les scènes dansées plus longues.

La bande-annonce

Summer ★★☆☆

Sangailé, dix sept ans, est mal dans sa peau, qu’elle taillade à coups de cutter. Elle rencontre Austié, une fille de son âge dans un aérodrome à l’occasion d’un show aérien.
Ensemble, elles feront le grand saut, partiront en vrille, grimperont au septième ciel…
« Summer » (titre français de « Sangailé ») est dix fois moins bien que « La vie d’Adèle », cinq fois moins bien que « La belle saison »… mais nous donne l’occasion rare de voir des jeunes filles en fleur parlant une langue terriblement étrangère s’ébattre entre une centrale nucléaire et un aérodrome.

Red Rose ★★☆☆

Le cinéma iranien connaît depuis quelques années une belle effervescence.
Interdit de quitter son pays, condamné à filmer sous le manteau, Jafar Panahi en est devenu le porte-drapeau. Ashgar Farhadi, le réalisateur de « Une séparation », Ours d’or à Berlin et Oscar du meilleur film étranger, en incarne la face la moins polémique. La sublime Goshifteh Farahani, découverte par Fahradi dans « La Vie d’Elly », aujourd’hui exilée en France en est devenue l’égérie internationale et libérée.
Mais le cinéma iranien ne se résume pas à ces trois personnalités.

Comme Mehrand Tamadon qui, en 2014, avait questionné l’iranité en se confrontant, l’espace d’un week-end avec un trio de mollahs aussi intolérants que ficelles, Sepideh (quel merveilleux prénom !) Farsi filme un huis clos.
Cette fois-ci le conflit est hors champ : dans la rue où se déroulent les manifestations de la « révolution verte » qui avait accompagné la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009. Une manifestante, l’oreille rivée à son téléphone, l’œil collé aux réseaux sociaux, trouve refuge dans l’appartement d’un militant des droits de l’homme plus âgé qu’elle. Deux générations confrontent leurs espérances, leurs désillusions et s’aiment l’espace d’une nuit.

Le procédé, théâtral, touche vite ses limites. La fin est maladroite. Mais la situation actuelle de l’Iran, qu’on sent sur le point d’exploser, mérite qu’on s’y intéresse.

La bande-annonce

Agents très spéciaux : code U.N.C.L.E. ★★★☆

Vous cherchez un film qui ne vous fatigue pas les neurones ? qui vous divertisse sans vous faire perdre votre temps ? Regardez le DVD de « Agents très spéciaux : Opération U.N.C.L.E »

Comme son nom l’indique, c’est un film d’espionnage. L’action se déroule en pleine guerre froide entre Berlin et Rome. Deux agents de la CIA et du KGB que tout oppose sont obligés de faire cause commune pour sauver le monde.
Tout est bien sûr au second voire au troisième degré façon OSS 117. Les acteurs, quasi-inconnus, sont beau comme des dieux – et belles comme des déesses – et d’une élégance renversante.

C’est plus drôle qu’un Jason Bourne, moins long qu’un James Bond et plus sexy qu’un Mission impossible.

La bande-annonce

Mémoires de jeunesse ★★☆☆

« Mémoires de jeunesse » est un film qui nous parle de la mort. Son titre en anglais « Testament of youth » a d’ailleurs une nuance morbide que sa traduction en français a gommée.
La mort, c’est la première guerre mondiale qui fauche la fine fleur de l’aristocratie britannique. ils sont jeunes, ils sont beaux, mais ils vont mourir. Sortez les Kleenex !

Mais « Mémoires de jeunesse » nous parle aussi de la vie [c’est beau ce que j’écris !!]
La vie de Vera, jeune, belle, intelligente, féministe. Sauvée du narcissisme par le choc de la guerre. Admise à Oxford – dont les jeunes filles avaient à l’époque le droit de suivre les cours mais pas d’en décrocher le diplôme – elle suspend ses études pour s’engager comme infirmière. En Angleterre, puis en France, elle assiste, impuissante à la boucherie. Quelques deuils plus tard, elle en reviendra avec un nouvelle cuase à défendre : le pacifisme.

Les noms des acteurs principaux ne vous diront peut-être rien.
Pourtant Alicia Vikander et Kit Harrington sont de futurs stars. La première, qui sort avec Michael Fassbinder (la veinarde !), a partagé l’affiche du dernier Jason Bourne avec Matt Damon. Le second, plus connu sous le nom de John Snow, a ressuscité dans la dernière saison de Game of Thrones.

La bande-annonce

Brooklyn Village ★☆☆☆

Une famille new-yorkaise emménage dans une maison à Brooklyn héritée d’un père défunt. Son rez-de-chaussée est occupé par une couturière à laquelle le propriétaire avait accordé un loyer modéré. Les nouveaux propriétaires ne l’entendent pas de cette oreille.

« Brooklyn Village » est le titre français (sic) de « Little Men ». Les distributeurs français ont parié sur le cachet local du film. Alors qu’il n’en a aucun. Et ajouté un commentaire stupide : « Un cousin éloigné de Woody Allen ». Alors que ce film ne se situe jamais sur le registre comique.

Tout au plus « Brooklyn Village » peut-il se voir comme un documentaire sur la gentryfication d’un quartier de New York jadis populaire. L’arrivée des classes moyennes fait monter les prix et entraîne l’éviction des classes laborieuses.

Mais le sujet du film est ailleurs. C’est dans son titre original qu’il faut le chercher. « Little Men » : des gens de peu, des petites gens qui, comme l’aurait dit Jean Renoir, ont tous leur raison. Leur raison d’élever le loyer pour ces bobos moins aisés qu’il n’y paraît (elle fait bouillir la marmite tandis qu’il rêve de percer sur les planches) et leur raison de s’y opposer pour cette immigrée chilienne unie au précédent propriétaire par des liens dont la nature restera mystérieuse.

Mais surtout « Little Men » fait référence aux deux ados : le fils du couple, artiste et rêveur, le fils de la couturière, plus extraverti. Entre eux naîtra dès la première rencontre une amitié comme seule l’adolescence en connaît. Viendra-t-elle à bout du conflit qui oppose les adultes ? C’est tout l’enjeu du scénario.

Et telle est la limite de « Brooklyn Village ». Tout le film est basé sur un suspense assez pauvre : les adultes trouveront-ils une solution à leur conflit immobilier ? La réponse brutale manque de subtilité.

La bande-annonce

Classe à part ★★★☆

Dans les teen movies, tout commence en général mal pour le héros/l’héroïne, lâché(e) dans un univers hostile dont il/elle ne maîtrise pas les codes. Puis tout finit par s’arranger jusqu’au happy end inévitable.

« Classe à part » renverse les codes. Tout y commence plutôt bien pour Lena, une adolescente belle comme le jour, qui, après plusieurs années recluse chez elle à soigner une myopathie qui l’a privée de l’usage de ses jambes, est admise dans une classe d’adaptation. Premières rencontres, premiers baisers… on nage en plein teen movie.

Et puis tout se détraque. Parce qu’on est en Russie et pas en Californie. Dans une société dure aux faibles où la cruauté des enfants entre eux n’a d’égale que la lâcheté des adultes. C’était la même société, la même cruauté qu’avait dépeint The Tribe, le film ukrainien de Myroslav Slaboshpytskiy dont l’action se déroulait dans un internat spécialisé pour sourds et muets.

« Lamborghini aux roues cassées », Lena vivra une lente descente aux enfers. Jusqu’au dénouement qui glace les sens.
Un des meilleurs films de l’année 2015

La bande-annonce

Victoria ★★★☆

Ténor du barreau, sexy et intelligente, Victoria est pourtant en pleine crise de la quarantaine : sa vie sexuelle est un néant, son ex la diffame sur son blog, son meilleur ami, accusé d’agression à main armée, insiste pour qu’elle assure sa défense au mépris des règles déontologiques de sa profession.

La bande-annonce semblait tout dire d’une RomCom au déroulé prévisible : cette cousine de Bridget Jones allait se tirer d’une mauvaise passe en retrouvant l’amour avec son baby sitter. Bizarrement, « Victoria » raconte cela. Mais il le fait avec une telle subtilité, un tel charme, une telle intelligence que ce film moins léger qu’il n’y paraît est une réussite absolue.

Grâce à qui ? À Justine Triet, espoir de la nouvelle vague française, révélée par son premier film « La Bataille de Solférino ». Son scénario est un splendide portrait de femme. Sur la corde raide de la comédie et du drame. Infiniment crédible. Victoria, on l’a tous déjà rencontrée – surtout si on est parisien, juriste et quarantenaire. C’est la fille sympa, brillante et drôle qui a toujours su traverser la vie et ses cahots à force de volonté. On sent qu’elle a des fêlures, mais elle les cache bien. Le film de Justine Triet montre à la perfection comment ces fêlures menacent de s’élargir. La séquence sans paroles qui voit Victoria sombrer dans la dépression est un modèle du genre.

Mais c’est surtout à Virginie Efira que « Victoria » doit sa réussite. De tous les plans, l’actrice belge a peut-être trouvé le rôle de sa vie. Un rôle qui la tire loin des comédies un peu pataudes dans lesquelles sa fraîcheur menaçait de se faner. Un rôle loin des caricatures que ce cinéma-là nous sert trop souvent : Victoria n’est ni une célibataire en mal de mec, ni une bourgeoise mal mariée. Victoria est une femme de son temps. Une mère célibataire. Qui aime son travail, mais n’y réussit pas toujours. Qui aime ses enfants mais ne leur consacre pas assez de temps. Qui aime l’amour, mais est saturée de sexe ; qui aime le sexe, et qui cherche l’amour. Victoria, c’est vous ; Victoria, c’est moi. Enfin presque.

La bande-annonce

War Dogs ★★☆☆

Deux potes deviennent trafiquants d’armes… pour le gouvernement américain.

Que tourner après « Very Bad Trip » ? Pour répondre à ce défi, Todd Phillips a commencé par tourner « Very Bad Trip 2 » en 2011 puis « Very Bad Trip 3 » en 2013. Puis, parce qu’il fallait bien passer à autre chose, il s’est emparé de cette histoire vraie.

Des war dogs, des chiens de guerre qui s’enrichissent du commerce des armes, le cinéma en a déjà montrés. « Lord of War » d’Andrew Niccol avec Nicholas Cage peignait la vie du trafiquant d’armes ukrainien Viktor Bout.

Mais « War Dogs » n’est pas un film sur la guerre et ses trafics. « Arms and the Dudes » aurait fait un titre plus fidèle. Car s’il y est question d’armes, son sujet est les deux lascars qui s’enrichissent de leur commerce. Jonah Hill est un escroc à la petite semaine dont le bagout se rit de tous les obstacles. Miles Teller joue son ami d’enfance, entrainé malgré lui dans des mensonges de plus en plus dangereux. 

« War Dogs » a un double défaut. Il n’est pas assez drôle pour être drôle : malgré la présence de Jonah Hill au générique, Todd Phillips a égaré l’humour transgressif qui avait fait le succès du premier « Very Bad Trip » (jetons un voile pudique sur les deux suivants oubliables et oubliés). Il n’est pas non plus assez sérieux pour être sérieux. « Lord of War » et son inoubliable première scène étaient indépassables. Ils ne seront pas dépassés.

La bande-annonce

The Look of Silence ★★★☆

Cette page de l’histoire indonésienne est mal connue en Occident : en 1965-1966 la dictature du général Suharto a massacré entre 500.000 et un million de communistes ou suspectés de l’être.

Joshua Oppenheimer, un documentariste américain, est parti à la recherche des auteurs de ces crimes et de leurs survivants survivants. Il en a tiré un premier film en 2012 « The Act of Killing ». « The look of silence » en constitue le second volet qui s’attache aux pas du frère de l’une des victimes. Sans esprit de vengeance, avec une étonnante placidité, il profite de l’exercice de son métier d’opticien de campagne pour reconstituer les circonstances de la mort de son frère.

« The Act of Killing » présentait des assassins bravaches qui, loin de nier les crimes commis ou de s’en repentir, s’en enorgueillissaient, allant même jusqu’à en reconstituer la scénographie devant la caméra. « The Look of Silence » est tout aussi troublant qui place les bourreaux face à leurs victimes. Ce face-à-face est extrêmement malaisant. Car les bourreaux comme les victimes n’ont pas le comportement ou les réactions qu’on attendrait d’eux. L’opticien enquêteur affiche en toutes circonstances un visage impavide comme si aucun sentiment le traversait : ni désir de vengeance, ni chagrin. Les bourreaux et leurs familles ne sont guère plus expressifs, manifestant tout au plus quand ils sont poussés dans leurs retranchements, une gêne agacée.

Du coup, ces confrontations produisent sur le spectateur occidental un résultat paradoxal. Au lieu de nous sensibiliser aux atteintes portées à l’universalité de la condition humaine, elles nous font toucher du doigt l’immense fossé culturel qui nous sépare.

La bande-annonce