Crache cœur ★★☆☆

Des coming-of-age movies, on en a vu treize à la douzaine. Ces films qui décrivent l’adolescence – évidemment compliquée – des garçons et plus encore des filles, on en a vu dans le cinéma français autant sinon plus que dans le cinéma américain qui n’en est pourtant pas avare (Juno, Boyhood, Le Lauréat, Ghost World, Virgin Suicides…) Certains constituent d’ailleurs des réussites remarquables et remarquées : La Vie d’Adèle, Gangs de filles ; d’autres, qui n’ont pas connu un tel succès, l’auraient mérité : Naissance des pieuvres (qui révéla Adèle Haenel), L’Année suivante (qui révéla Anaïs Demoustier), Dans les cordes (qui révéla Soko), Belle Épine (qui révéla Léa Seydoux), Respire (qui ne révéla personne)…

La jeune réalisatrice Julia Kowalski courait le risque de voir son premier film comparé à ces belles – et nombreuses – réussites. Elle ne réussit qu’à moitié à relever ce défi.

À son crédit, un parti pris original : l’anti-LOL ou, pour le dire autrement, le refus de filmer une jolie adolescente, fraîche et désirable. Loin des clichés, Rose (Liv Henneguier) est une ado revêche et mal dans sa peau, autrement plus crédible que les héroïnes stéréotypées que le cinéma américain nous a trop souvent servies. Son désir peine à se fixer : est-elle attirée par Roman, le bad boy du lycée ? ou par le père de celui-ci recruté pour refaire le rez-de-chaussée de sa maison ?

À son débit, des personnages secondaires trop stéréotypés (le père compréhensif, la meilleure copine girly) et une intrigue qui se conclut, comme tous les films du genre, de manière hélas trop prévisible, avec une héroïne plus forte des expériences traversées.

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Le Secret des Banquises ★★☆☆

Voilà un pitch qui sort des sentiers battus : Christophine (sic), thésarde folle d’amour pour le professeur Quignard, va s’inoculer de l’ADN de pingouin pour l’aider à décrocher le prix Nobel et pour conquérir son cœur. Depuis Monkey Business et Docteur Jekyll et Mister Love – qui m’avait fait pleurer de rire quand j’avais dix ans – le monde de la recherche n’a guère inspiré le cinéma. C’est souvent le point de départ – ou le passage obligé – des films de super héros avec transmutation anabolisante à la clé : Hulk, Spiderman, Les Quatre Fantastiques… Mais son univers aseptisé, ses luttes de pouvoirs, sa quête frénétique et souvent frustrante d’une percée scientifique n’ont jamais été filmés.

Ce Secret des banquises onirique aux décors trop clairs, trop propres ne constitue pas une illustration réaliste du monde de la recherche et n’en a d’ailleurs pas l’ambition. Ce laboratoire dont la caméra ne s’échappe guère – sinon pour un épilogue maladroit à l’autre bout de la planète – n’est au fond qu’un écrin pour une histoire d’amour. Certes, il ne s’agit pas d’une histoire d’amour banale, cucul  la praline comme le cinéma nous en a tant servi. Christophine (Charlotte Le Bon, toujours aussi jolie, mais dont la maigreur devient dérangeante) se languit d’amour pour son beau professeur (Guillaume Canet calamiteux à force de jouer l’impassibilité et pas crédible pour un sou dans le rôle d’un prix Nobel) qui, lui, la considère uniquement comme un objet d’étude scientifique. D’un côté la passion ; de l’autre la raison. Et la science pour les réconcilier à travers la recherche du « stimulus » qui active cette mystérieuse hormone capable d’immuniser les pingouins des agressions extérieures.

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Folles de joie ★☆☆☆

En 1999, Winona Ryder était plus connue que Angelina Jolie. Celle-ci n’avait que le deuxième rôle de Girl, interrupted dont le premier revenait à celle-là.  Pourquoi cette introduction ? Parce que Girl, interrupted racontait l’amitié de deux jeunes femmes internées dans un asile psychiatrique.

Folles de joie (quel excellent titre !) raconte la même histoire. Beatrice (Valeria Bruni Tedeschi plus exubérante que jamais) est une grande bourgeoise solaire, blonde, extravagante, égocentrique et bavarde. Donatella (Micaela Ramazzotti) est une ancienne stripteaseuse brune, tatouée, mutique, anorexique. Aussi différentes soient-elles en apparence, elles sont rongées par le même mal : la solitude. Elles se font la malle ensemble pour retrouver qui l’homme qu’elle aime, qui l’enfant enlevé à sa garde.

Le film de Paolo Virzí baigne dans les chaudes lumières de l’été italien. Valeria Bruni Tedeschi joue la folie avec une conviction qui force l’admiration au risque d’écraser sa partenaire. Et l’histoire de leur cavale est attachante. Pour autant Folles de joie raconte une histoire trop conventionnelle, aux rebondissements trop convenus, à la conclusion trop formatée, pour offrir mieux qu’un oubliable divertissement.

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Tous les chats sont gris ★☆☆☆

Paul est détective privé. Il ne se console pas d’être séparé de Dorothy, sa fille biologique. La mère de l’adolescente a refait sa vie et fondé un foyer. Jusqu’au jour où Dorothy recrute Paul pour… retrouver son père !

Le premier film de Savina Dellicour aurait pu prendre le chemin de la comédie. C’est avec une immense délicatesse qu’il préfère questionner le lien père-fille dans ce double portrait d’une ado à la recherche de ses origines et d’un père à celle de sa fille qu’il n’a pas vu grandir.

Bouli Lanners, trop souvent cantonné au répertoire comique, y démontre la richesse de son jeu. Dans le rôle ingrat de la mère, arc-boutée sur le refus d’un passé refoulé, Anne Coesens manifeste un talent injustement ignoré. Quant à la jeune Manon Capelle, elle joue sans cabotiner.

Pour autant, aussi grandes que soient les qualités de ce film bien écrit et bien joué, il traite d’un sujet trop rebattu, sur un mode trop conventionnel, pour laisser une marque durable.

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Un homme d’État ☆☆☆☆

Longtemps le cinéma français s’est tenu éloigné du monde politique. Longtemps il fut de bon ton de s’en étonner, le comparant au cinéma américain qui, depuis toujours, n’a pas hésité à mettre en scène les sommets de l’État. La situation est en train de – lentement – évoluer : l’excellent La Conquête, le drolatique Quai d’Orsay, le surcoté L’Exercice de l’État, la série Les Hommes de l’ombre décrivent avec plus ou moins de succès les arcanes du pouvoir et les moyens de le conquérir.

Un homme d’État s’inscrit dans cette veine de plus en plus abondante. Librement inspiré de la campagne présidentielle de 2012, il raconte comment un président de droite sans scrupules, candidat à sa réélection, courtise un vieux leader de gauche dont le ralliement lui permettrait d’être réélu.

Hélas, comme souvent au cinéma, la reconstitution des cercles du pouvoir manque cruellement de crédibilité. Des acteurs, trop vieux ou trop jeunes, récitent sans naturel des dialogues trop écrits. Les rebondissements de l’intrigue sont trop grossiers. Les caractères sont trop machiavéliques ou trop naïfs et vivent dans un luxe indécent de limousines, d’hélicoptères, d’hôtels cinq étoiles, révélateur de l’image faussée qu’on se fait des élites politiques et des hauts fonctionnaires.

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La Loi de la jungle ★☆☆☆

Antonin Peretjatko fait partie de ces jeunes réalisateurs qui font souffler un grand vent d’air frais dans le cinéma français. Après La Fille du 14 juillet, il récidive avec ses deux acteurs fétiches. Vincent Macaigne est un éternel stagiaire envoyé par le ministère de la Norme (sic !) en Guyane pour y valider un projet de construction d’une piste de ski (re-sic !). Vimala Pons, elle aussi en stage pour les Eaux et Forêts, est affectée à son service en qualité de chauffeur. La distribution est complétée par quelques vieux habitués : Pascal Légitimus, Mathieu Amalric, Jean-Luc Bideau, Philippe Laudenbach…

Le cinéma français a rarement filmé la Guyane. Au début des années 90, Christophe Malavoy – qui depuis a sombré dans l’anonymat – y campait le rôle de Jean Galmot, un chercheur d’or. Et puis c’est tout. Antonin Peretjatko s’en donne à cœur joie, tournant un Tintin au pays des picaros complètement déjanté et aussi cartoonesque. Les gags s’enchaînent, tous aussi délirants et irrespectueux les uns que les autres. La première moitié du film tient du feu d’artifice, alors que le rythme s’essouffle au fur et à mesure que nos deux héros s’enfoncent dans la jungle.

L’humour d’Antonin Peretjatko ne fonctionne pas à vide. C’est ce qui en fait l’intérêt ; c’est ce qui en fait aussi la principale limite. Car au-delà de l’histoire d’amour – très convenue – qui se noue entre ces deux héros sympathiques, le réalisateur entend brocarder l’administration, ses normes idiotes, son formalisme passé d’âge. C’est parfois bien vu (des stagiaires bientôt quarantenaires qui peuplent l’administration et accomplissent les tâches que les titulaires dédaignent) ; c’est parfois assez creux (Vincent Macaigne ne se sépare jamais de son code Dalloz). Plus grave, ce n’est jamais vraiment très drôle.

Je me sens un peu cul-serré de ne mettre qu’une seule étoile à ce film. Jetez un œil à la bande-annonce et donnez-moi votre opinion.

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Dans les forêts de Sibérie ★☆☆☆

En quête d’absolu, Sylvain Tesson a passé six mois reclus dans une modeste cabane de pêcheur sur les bords du lac Baïkal. L’adaptation à l’écran de son récit, couronné par le prix Médicis Essai en 2011, présente un avantage mais se heurte à un obstacle quasi insurmontable.

L’avantage : Safy Nebbou filme des paysages grandioses que la lecture du livre de Sylvain Tesson ne permettait que d’imaginer. La première scène, d’une sublime beauté, montre une camionnette glisser sur le lac gelé. D’autres scènes sont tout aussi marquantes, même si l’hostilité de ce climat glacial est difficile à imaginer quand on l’admire depuis une salle parisienne climatisée.

L’obstacle : filmer un homme seul dans la taïga est un défi lancé au scénariste. Que filmer ? Comment construire une histoire ? Ce n’était pas la moindre réussite de Seul au monde avec Tom Hanks que d’avoir réussi à montrer un naufragé sur une île déserte. Safy Nebbou n’est pas Robert Zemeckis et a la main plus lourde. Il s’aide de deux béquilles. La première : le recours à la voix off pour expliquer les agissements ou les états d’âme de Teddy, notre solitaire héros, dès lors que la mise en scène ne réussit pas à le faire silencieusement. Seconde béquille : l’intervention d’une tierce personne – mais Daniel Defoe n’en avait-il pas lui aussi usé pour donner du nerf à son Robinson ? Safy Nebbou a inventé un braconnier vivant en ermite dans les bois dont Teddy devient, sans surprise, l’élève puis l’ami.

Du coup, la fascination, née de la beauté austère des paysages et de l’isolement du héros, se dissout dans une histoire plus convenue dont l’épilogue trop lacrymal (ah ! ces grosses larmes à la glycérine qui coulent sur les joues de Raphaël Personnaz) met plus mal à l’aise qu’il n’émeut.

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Mia madre ★★☆☆

Le dernier film de Nanni Moretti est couvert d’éloges. Il les mérite.
Le plus grand réalisateur italien contemporain est au sommet de son art. Après une série de films politiques, berlusconisme oblige (Le Caïman, Habemus Papam), il revient à l’autobiographie de ses tout premiers films (Palombella Rossa, Journal intime). Mais, comme Woody Allen, il n’interprète plus son propre rôle : il le confie à Margherita Buy qui joue le rôle d’une réalisatrice hypocondriaque qui peine à terminer son dernier film tandis que sa mère se meurt à l’hôpital. Moretti, lui, joue à contre-emploi le rôle de son frère, rassurant et plein de bon sens.

Le maestro réussit comme jamais à maintenir la balance entre la comédie italienne bouffonne et le drame intimiste.
D’où vient alors mon manque d’enthousiasme pour ce film dont je viens de chanter les louanges ? D’un scénario qui mollement chemine jusqu’à un épilogue attendu ? D’une galerie de personnages tous excellemment joués mais stéréotypés (la diva américaine, la mère courageuse, l’ado paumée…) ?

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Un traître idéal ★☆☆☆

On dit souvent de John le Carré que c’est le plus grand maître du roman d’espionnage. Ses romans sont d’une grande complexité et laissent peu de place à l’action. Ses héros sont des hommes et des femmes ordinaires avec leurs faiblesses et leurs lâchetés.

John le Carré a été, plus qu’à son tour, porté à l’écran. Une erreur fréquemment commise a consisté à vouloir faire de ces films, jusque dans le choix de ses héros, des James Bond bis : La Maison Russie (1990) avec Sean Connery ou Le Tailleur de Panama (2001) avec Pierce Brosnan. Deux autres adaptations sont en revanche de purs bijoux qui délaissent l’action pour se focaliser sur le portrait psychologique : La Constance du jardinier (2005) et surtout La Taupe (2011). Ce dernier film, sa musique hypnotique, ses couleurs donnaient physiquement à sentir l’atmosphère lourde qui régnait au MI6 en pleine guerre froide.

Les dernières adaptations en date de John le Carré sont en revanche oubliables : Un homme très recherché (2013) et aujourd’hui Un traître idéal. Tout se passe comme si le réalisateur, effrayé par la complexité de l’intrigue et soucieux de la resserrer sur sa dimension la plus spectaculaire, l’avait essorée jusqu’à la priver du moindre intérêt. Du coup, si la mise en place de l’histoire, pendant la première moitié du film, suscite l’intérêt, le soin destructeur avec lequel l’intrigue se réduit à une banale course-poursuite dans la seconde en réduit l’intérêt à peu de chose.

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L’Idéal ☆☆☆☆

Commençons ce coup de gueule par l’aveu d’un coup de cœur. J’adore Frédéric Beigbeder. Son dandysme revendiqué m’enchante, son horripilant nombrilisme me ravit, son autodérision m’amuse. J’ai lu tous ses livres. J’ai regardé pendant des années Le Cercle, l’émission de critique cinématographique qu’il anime de 2007 à 2015 sur Canal + Cinéma.

J’avais beaucoup aimé L’Amour dure trois ans, le film autant que le livre. J’avais moins goûté 99 francs. Pas de chance : L’Idéal louche plutôt vers celui-ci que vers celui-là. Comme dans 99 francs son héros, double autobiographique de l’auteur réalisateur auquel il emprunte la barbe et la chevelure, travaille dans la pub. « Model scout », il traque dans la Russie la nouvelle Claudia Schiffer, la moderne Gisele Bündchen. Il est employé par la firme L’Idéal – qui donne son nom au film – derrière laquelle on reconnaît sans peine L’Oréal dont le passé trouble durant l’Occupation est même lourdement évoqué.

Le film de Beigbeder, comme le roman Au secours pardon dont il est l’adaptation, regorge de jolies filles, de coke et de fêtards décérébrés. Mais le roman les décrivait avec une fascination ambiguë alors que le film les tourne en ridicule. Le film y perd en subtilité et verse dans une satire convenue : satire du monde de la mode, de la beauté artificielle, du capitalisme sans âme. Seule valeur de remplacement proposée : un éloge bien-pensant de la paternité.

Plus grave : Beigbeder n’est pas drôle, ses vannes tombent à plat, des situations censées faire rire provoquent une gêne embarrassante.

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