What You Gonna Do When The World’s On Fire? ★☆☆☆

À Baton Rouge en Louisiane, à l’été 2017, le documentariste Roberto Minervini a mis ses pas dans ceux de quelques membres de la communauté afro-américaine traumatisée par la multiplication des crimes racistes et l’inaction de la police. La quarantaine, la langue bien pendue, Judy peine à maintenir à flots le bar dont elle a repris la direction et à s’occuper de sa mère, chassée de son appartement. Ronaldo , quatorze ans, et Titus, neuf ans, sont frères. Ils déambulent dans les rues en violation des consignes de prudence de leur mère. Krystal Muhammad est la présidente du New Black Panther Party, une organisation paramilitaire qui prône l’usage de la violence pour lutter contre les discriminations dont les Noirs sont victimes.

Après avoir filmé les Blancs rednecks du Sud dans The Other Side (2015), le documentariste italien Roberto Minervini, installé au Texas depuis une dizaine d’années s’intéresse aux Noirs marginalisés. Il aurait pu écrire un pesant traité de sociologie. Il préfère un tableau impressionniste. La démarche frappe par sa modestie. On frise parfois l’ennui dans ses longs plans-séquences où la caméra suit ses personnages dans leurs déambulations et enregistre leurs discours logorrhéiques.

What You Gonna Do When The World’s On Fire? est filmé dans un très beau noir et blanc. Le procédé donne au documentaire poésie et intemporalité. Il lui donne une qualité esthétique qui n’est pas forcément pertinente : Minervini veut-il esthétiser les réalités qu’il filme ? en adoucir la violence en les dépeignant avec poésie ?

La faiblesse de ce documentaire est moins dans ce qu’il montre que dans ce qu’il dit. Le propos est simple sinon simpliste : les Noirs sont, depuis toujours, les victimes d’une domination de race. Le ressassement victimaire semble être le seul discours que les protagonistes soient capables d’énoncer et d’entendre. Est-il légitime ? On veut le croire même si la caméra n’insiste pas sur les signes bien réels de cette oppression. Est-il opérant ? On a plus de doute.

Le film dure plus de deux heures. C’est plus que de nécessaire. Avec trente minutes de moins, What You Gonna Do When The World’s On Fire? n’aurait pas été moins efficace.

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Une affaire de famille ★★★☆

Dans la maison exiguë d’une vieille retraitée s’entasse une bruyante tribu joyeusement amorale qui vit d’expédients. Osamu travaille sur les chantiers ; Noboyu arrondit son salaire dans un pressing industriel en faisant les poches des vêtements qu’elle repasse ; Aki se déguise en Lolita dans un peep show ; Shota préfère faire les courses sans passer par la caisse qu’aller à l’école. S’y greffe bientôt Juri, une gamine de cinq ans, victime de violences familiales.

Depuis une vingtaine d’années, le réalisateur japonais Hirokazu Kore-Eda tisse une œuvre d’une étonnante cohérence. Comme Ozu auquel on l’a souvent comparé, ses films sont autant de variations autour du même thème : la famille. Il questionne la filiation/parenté pour montrer qu’elle n’est pas conditionnée par les liens du sang, que les familles d’élection sont souvent plus unies, plus heureuses que les familles dites « naturelles ».

Ce thème a rarement été aussi développé que dans son dernier film. Il l’est selon une chronologie paradoxale. La manière conventionelle de le traiter aurait été de montrer comment des individus isolés font le choix de s’unir pour vivre heureux. Une affaire de famille fait le choix inverse : celui de nous laisser imaginer, depuis son titre même, que nous sommes face à une famille « normale » alors qu’il n’en est rien.

[Attention spoiler] La première partie du film nous introduit à une « famille » – même si son mode de vie la classe en marge de la société. La seconde prend des airs d’enquête policière pour révéler les secrets qu’elle cache en fait : Osamu et Noboyu ne sont pas mariés, Aki n’est pas la petite fille de sa soi-disant grand-mère, Shota a été recueilli…

Kore-Eda est un abonné des festivals. L’acteur principal de Nobody Knows avait obtenu le prix d’interprétation à Cannes en 2004 ; Tel père, tel fils le Prix du jury en 2013. Si la Palme était décernée à un réalisateur pour l’ensemble de son œuvre, Kore-Eda l’aurait amplement méritée. Sans doute Une affaire de famille n’est-il pas un chef d’œuvre absolu, sans doute même n’est il pas le meilleur film de Kore-Eda (je lui ai de beaucoup préféré Nobody Knows qui m’avait durablement bouleversé) ; pour autant il n’est que justice que ce réalisateur-là ait eu la Palme, fût-ce pour ce film-ci.

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Unfriended: Dark Web ★★☆☆

Une bande d’amis se retrouve comme chaque soir sur le Web. Parmi eux Matias étrenne un nouvel ordinateur, plus puissant que l’ancien, qui lui permet de développer une application pour communiquer avec Amara, son amie sourd-muette. Mais en explorant la mémoire de son ordinateur, Matias découvre une porte d’entrée sur le Dark Web qu’il aurait mieux fait de ne pas entrouvrir.

Il y a quatre ans, Unfriended filmait en temps réel six internautes derrière leur écran un an après la mort de l’une de leurs amies poussée au suicide par la mise en ligne d’une vidéo compromettante.

Sorti depuis l’été dernier aux États-Unis, Unfriended: Dark Web n’est pas la suite de Unfriended mais en reprend le même dispositif en en changeant le scénario. Comme dans le premier film, il s’agit d’un tournage en temps réel, nerveux et dynamique. Comme dans le premier, les seules images montrées au spectateur sont celles qui s’affichent sur les écrans des protagonistes. Comme si on était assis devant notre ordinateur, on voit une arborescence de fenêtres qui s’ouvrent et se ferment à une vitesse vertigineuse : discussion sur Skype, photos d’Instragram, posts de Facebook, fiches Wikipédia… Les jeunes, dont c’est le lot quotidien, n’y verront rien d’extraordinaire ; les moins jeunes en auront le tournis.

Le scénario de cette fausse suite diffère de celui du premier sans véritablement révolutionner le genre. Il ne s’agit plus d’un groupe d’adolescents confronté à la mort de l’un des leurs ni de la disparition de l’intimité à l’heure des réseaux sociaux mais du Dark Web, lieu fantasmé de tous les trafics. L’ordinateur « emprunté » par Matias s’avère en effet être celui d’un internaute qui réalise pour le compte d’une mystérieuse congrégation des snuff movies et kidnappe des jeunes filles pour en être les actrices forcées. Le sujet serait effrayant s’il était novateur.

Réalisé avec un budget d’un million de dollars seulement, Unfriended: Dark Web en a rapporté dix fois plus aux États-Unis. Sans exagérer ses qualités, on lui souhaite un succès comparable en France où son dispositif novateur et son scénario malin sauront attirer les ados qui en sont le cœur de cible.

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Pupille ★★★★

Théo naît sous X à l’hôpital de Brest. Une assistance sociale (Clotilde Mollet) explique la procédure à sa mère. Pendant deux mois durant lesquels elle bénéficiera d’un droit de rétractation, Théo, pupille provisoire, sera placé par le service de l’aide sociale à l’enfance (ASE), dans une famille d’accueil. Au terme de ce délai, Théo deviendra pupille de l’État et sera adoptable.
Karine (Sandrine Kiberlain) de l’ASE confie la garde de Théo à Jean (Gilles Lellouche). Pendant ce temps, Lydie (Olivia Côte) au service de l’adoption plaide en faveur du dossier d’Alice (Élodie Bouchez), une femme stérile qui a déposé une demande depuis huit ans.

Regardez la bande-annonce de Pupille. Si, comme moi, la larme vous est montée à l’œil, lisez la suite et courez voir ce film bouleversant. Si au contraire vous êtes resté.e de marbre, mieux vaut en rester là car le sentimentalisme dans lequel baignent les lignes qui vont suivre risque de vous convaincre définitivement d’abandonner la lecture de mes critiques quotidiennes.

Pupille aurait pu être un documentaire. Il en a toutes les vertus pédagogiques. Grâce à lui on découvre toute la procédure de l’accouchement sous X et son admirable humanité, tant à l’égard de la genitrice qui est éclairée sur les conséquences de son choix sans qu’il soit jamais critiqué, qu’à l’égard de l’enfant dont seul le bien-être importe. On est ébaubi devant un tel luxe et, à rebours de tous les Yaka-Faucon qui critiquent notre bureaucratie et le poids de nos dépenses publiques, on est fier de vivre en France et d’y payer des impôts.

Mais Pupille est avant tout un film. Le plus émouvant qui soit. Par le sujet qu’il traite. Et par la pudeur qu’il y met. La bienveillance et l’humanité dont font preuve chacun des personnages ne versent jamais dans le moralisme ou dans la bien-pensance. Comme dans Hippocrate, comme dans Patients, deux films tout aussi émouvants qui avaient pour théâtre l’hôpital, on y montre des professionnels dévoués à leur tâche et des « patients » en demande.

Le personnage de Jean, interprété par Gilles Lellouche, est le plus étonnant. Dans le rôle d’un accueillant, on n’imaginait pas a priori un papa poule. On imaginait encore moins Gilles Lellouche dont certains rôles ont véhiculé l’image d’un macho voire d’un « hétéro-beauf ». Il est pourtant bouleversant d’humanité dans l’amour sans retour qu’il porte à Théo. C’est lui qui détecte les premiers indices d’un manque de tonicité du bébé – qui va créer un suspense sans lequel le film aurait pâti d’un manque de rythme. C’est lui qui transmet Théo à Alice, qu’elle rebaptise Mathieu, symbole du passage à une autre phase.

Le personnage d’Alice, interprété par Élodie Bouchez, est le plus émouvant. On espère qu’il lui vaudra le César de la meilleure actrice en février, vingt ans après celui qui lui fut décerné pour La Vie rêvée des anges. La réalisatrice, surfant sur l’actualité, aurait pu en faire une lesbienne militante. Elle n’a pas cédé à cette facilité. Alice est plus banalement une hétérosexuelle stérile qui a engagé une procédure d’adoption depuis une dizaine d’années mais dont les chances de voir son dossier retenu ont chuté depuis son divorce.

Vous cherchez un feel-good movie pour les fêtes ? un film qui vous émeuve sans vous décérébrer ? qui vous (re)donne foi en l’humanité sans anesthésier vos neurones ? Ne cherchez plus…

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Roma ★☆☆☆

Roma est le quartier de Mexico où le jeune Alfonso Cuarón a passé son enfance. Roma en raconte une année à cheval entre 1970 et 1971. Il nous plonge au cœur de la vie d’une famille de la classe moyenne supérieure mexicaine. Quatre jeunes enfants, un père absent, une mère qui peine à assumer seule les charges du ménage et deux bonnes corvéables à merci, sans oublier une palanquée de chiens crotteurs.

On a beaucoup parlé de Roma pour des motifs qui n’avaient rien à voir avec ses qualités cinématographiques. Sa diffusion par Netflix, son absence des salles de cinéma, le refus pour ce motif des organisateurs du Festival de Cannes de l’y programmer, l’opportunisme de ceux du Festival de Venise qui lui ont décerné le Lion d’Or : autant d’événements qui ont eu tôt fait de conférer au huitième long métrage de Alfonso Cuarón, le réalisateur mexicain poly-oscarisé en 2014 pour Gravity, le statut d’un symbole : celui de la mort des salles obscures et de l’avènement des plateformes de streaming. Faisons litière de ce débat en notant un paradoxe : son noir et blanc esthétisant, l’ampleur et la complexité de ses plans séquence font de Roma un film qui se prête mal à l’exigüité d’un écran d’ordinateur ou de télévision et aurait mérité d’être visionné en Scope.

Et parlons du film. En commençant par ses évidentes qualités. Son sujet – faire la chronique de la vie d’une famille – le propulse immédiatement, avec Amarcord de Fellini, Fanny et Alexandre de Bergman voire La Recherche de Proust au nombre des fresques artistiques les plus ambitieuses. Sa durée – plus de deux heures – sans se presser lui donne le temps de se déployer. L’humilité de son histoire n’a pas besoin de rebondissements dramatiques pour se tenir. Son point de vue – donner le rôle principal à Cleo la bonne – le rattache à ces films latino-américains où la domesticité et les liens ambigus qu’elle entretient avec les « maîtres » joue un rôle si important : La Nana de Sebastián Silva, Une seconde mère d’Anna Muylaert, Les bonnes manières de Juliana Rojas et Marco Dutra

Et venons-en à ses défauts. Alfonso Cuarón, on le sait et il le sait hélas, est un grand réalisateur. Le plan séquence des Fils de l’homme est dit-on le plus impressionnant, le plus complexe, le plus réussi jamais filmé. Du coup, il se sent obligé de nous en mettre plein la vue. Chaque plan millimétrique, d’une complexité folle, se veut plus étonnant que le précédent. Pourtant, chacun reproduit peu ou prou les recettes du précédent : un (très) lent balayage latéral de caméra qui finit par endormir le spectateur. Cette esthétique m’as-tu vu devient vite répétitive. Elle ne nous touche pas. Pire elle finit par nous énerver.
Quant au sujet, qui voudrait nous rendre attachant le destin de la bonne (nom commun ? adjectif qualificatif ?) Cléo, la sympathie le dispute à l’amertume. Bien sûr, Cléo suscite l’empathie dont l’amour infini qu’elle donne aux enfants n’a d’égal que la fatalité du déclin qui l’accable – un sombre idiot lui fait un enfant et l’abandonne. Mais le traitement qu’elle subit de la part de cette famille blanche, tout à la fois soucieuse de son bien-être, mais profondément enracinée dans son mépris de classe et de race, laisse un goût amer.

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Aquaman ★☆☆☆

Arthur alias Aquaman (Jason Momoa) est un sang mêlé : le fils d’un gardien de phare (Temuera Morisson) et de la reine de l’Atlantide (Nicole Kidman).
Quand son demi-frère, le roi Orm (Patrick Wilson), se met en tête de coaliser les royaumes des Sept Mers et de lancer une guerre meurtrière contre les Surfaciens, le vizir Vulko (Patrick Defoe) décide de convaincre Arthur de réclamer ses droits au trône afin de garantir la paix. Mais pour ce faire, Arthur, accompagné de la princesse Mera (Amber Heard), la fille du roi Nereus (Dolph Lundgren), doit d’abord retrouver le trident du roi Atlan.

Super-héros DC, déjà aperçu dans dans Batman v Superman : L’Aube de la justice et Justice League de Zack Snyder, l’homme-poisson Aquaman, au nom de détartrant WC, tient le haut de l’affiche du dernier blockbuster de la Warner.

Comme Wonder Woman l’an dernier, Aquaman met en scène un héros entre deux mondes, le monde contemporain et un au-delà merveilleux. Il joue sur le comique de situation qui naît de la rencontre de ces deux univers. Il convoque, dans un improbable brouet steampunk quelques grandes figures de la mythologie : on a ainsi droit en quelques plans trop courts à l’engloutissement de l’Atlantide. Comme dans un James Bond, les héros font le tour du monde, passant des sables du Sahara qui recouvrent une cité engloutie à un petit village de Sicile, réveillé de sa torpeur estivale par la furie dévastatrice d’un combat épique entre Aquaman et ses poursuivants.

Mais surtout Aquaman est une énorme machine de guerre à plus de deux cents millions de dollars qui nous en met plein les yeux et les oreilles. On y voit défiler des stars sur le retour qui acceptent d’entacher leur filmographie en échange d’un chèque qu’on imagine rondelet. On y voit surtout, pendant plus de deux heures, une succession crescendo de scènes exonérées de tout réalisme par l’apesanteur qui règne dans les grands fonds.

Les enfants adoreront. Quant aux autres….

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Mon père ★★☆☆

Dans les Andes péruviennes, Noé initie Segundo, son fils, à son métier : il construit des retables peuplés de figurines, faites de plâtre et de pommes de terre, censées représenter des scènes de la vie quotidienne.
L’adolescent de quatorze ans nourrit une admiration et une tendresse sans bornes pour son père. Elles seront mises à mal par la découverte de l’homosexualité de celui-ci. Quand elle devient de notoriété publique, Segundo doit choisir : restera-t-il fidèle à son père au risque d’être mis comme lui au ban de la communauté ?

Mon père (Retablo) a l’apparence de l’exotisme. Il nous transporte aux fins fonds du Pérou entre les montagnes où les bêtes paissent et les vallées où Noé fait commerce de son art. Les protagonistes n’y parlent pas espagnol mais quechua. Pendant la première demie heure, craignant le pire, on se croirait à une conférence Voyages du monde sur les Andes, la voix chevrotante du conférencier en moins.

Pourtant, Mon père traite de sujets universels. Le plus évident est l’homophobie, d’autant plus violente qu’elle touche des communautés reculées et virilistes. Il y a dans son exposition et dans sa dénonciation son lot de bien-pensance qui garantissait à ce film une récompense aux Teddy Awards de Berlin qu’il a reçu sans coup faillir.
Mais le thème principal de Mon père est – comme le titre français l’annonce – ailleurs : la relation père-fils et l’effondrement de la figure paternelle. Là encore, le film n’évite pas le simplisme dans son approche en trois temps : l’adoration paternelle, le rejet d’autant plus brutal et enfin la réconciliation finale. Pour autant, il est difficile de résister à l’émotion que suscite la conclusion déchirante de cette histoire.

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Nous les coyotes ★★★☆

Amanda et Jake ont quitté l’Illinois en voiture pour la Californie. Ils arrivent à Los Angeles et espèrent y commencer une vie ensemble. Mais hélas, les déconvenues s’accumulent sur leur chemin. Ils se fâchent avec la tante d’Amanda qui les héberge et juge Jake de haut. L’entretien d’Amanda pour un emploi dans une maison de disques tourne au fiasco. Leur voiture mal garée est emmenée à la fourrière et ne leur sera restituée qu’en échange d’une amende qui assèche leurs maigres économies.

Amanda et Jake ont vingt ans et aimeraient pouvoir dire, n’en déplaise à Paul Nizan, que c’est le plus bel âge de la vie. Hélas, Paul Nizan n’a pas tort si l’on en croit les déboires qu’ils rencontrent. Dès les premières images on s’attache à ce couple fusionnel, uni l’un à l’autre comme le sont des adolescents pas tout à fait sortis de l’enfance. On sent par avance que le monde adulte ne leur sera pas tendre et on endure avec eux les avanies de leur première journée dans la mal-nommée Cité des anges. Les co-réalisateurs et co-scénaristes Hanna Ladoul et Marco La Via, deux Français exilés en Californie dont on imagine aisément la part d’autobiographie que recèle leur premier film, nous racontent des galères qui n’ont rien de comique ni d’imaginaire.

Le charme de Nous les coyotes doit beaucoup au talent de ses deux jeunes acteurs. On avait déjà croisé McCaul Lombardi et sa coolitude branchée dans deux films américains indé Sollers Point et American Honey. On se souvient de la  moue boudeuse de Morgan Saylor, la fille du héros de la série Homeland. L’un et l’autre ont grandi et on espère les revoir bientôt dans des productions plus ambitieuses.

Avec son petit budget, son sujet rebattu, la linéarité de sa narration, Nous les coyotes vacille sur le gouffre de l’insignifiance. Mais il n’y tombe pas. Et c’est ce qui fait tout son prix. Nous les coyotes réussit, grâce à sa durée ramassée, à ne jamais être ennuyeux. Mieux, il n’est jamais moraliste. Il ne verse ni dans le cynisme ni dans l’angélisme. S’il se conclue par un deus ex machina qui nous met le sourire aux lèvres et nous donne foi dans l’humanité, il ne verse pas dans le feel good movie niaiseux et tire-larmes.

Nous les coyotes est un film minuscule, quasiment pas distribué, qui risque fort de passer sous les radars en cette période de fêtes bien chargée. Au bout de deux semaines d’exploitation, seul le MK2 Beaubourg le distribue encore dans Paris intra muros. C’est pourtant une pépite rare, d’une fraîcheur revigorante, dont le moindre mérite n’est pas de donner tort à Paul Nizan : vingt ans est décidément le plus bel âge de la vie pour ceux qui sont prêts à le croquer à pleines dents.

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L’Empereur de Paris ★☆☆☆

Après avoir une nouvelle fois réussi à déjouer la vigilance de ses gardiens,  Eugène-François Vidocq (Vincent Cassel) s’est échappé du bagne de Toulon. Il est l’évadé le plus célèbre de la France de Napoléon. Mais la clandestinité lui est devenue insupportable. Arrêté pour un crime qu’il n’a pas commis, il propose au chef de la sûreté (Patrick Chesnais) un marché : il accepte de mettre sa connaissance du crime au service de la police en échange de sa lettre de grâce.

Précédé d’une campagne publicitaire envahissante, L’Empereur de Paris envahira les écrans de Noël et a l’ambition d’y être un blockbuster familial. Les frères Altmayer et Gaumont n’ont pas lésiné sur les moyens, consacrant à la superproduction un budget de 22 millions d’euros et convoquant autour de Vincent Cassel une pléiade de stars, confirmées ou riches d’avenir. On reconnaît ainsi Fabrice Luchini dans le rôle de Fouché, la splendide Olga Kurylenko dans celui d’une fausse baronne et la prometteuse Freya Mavor dans celui d’Annette, la fiancée de Vidocq.

Le résultat déçoit. Sans doute l’argent investi se voit-il dans quelques reconstitutions splendides du Paris du Consulat : ainsi de l’Arc de Triomphe en cours de construction ou de la Cour du Louvre que venait clore vers l’Ouest le palais des Tuileries incendié sous la Commune (seule erreur dans ce plan splendide : la lumière du soleil y vient du… Nord !). Mais le scénario manque cruellement de chien, réduisant L’Empereur de Paris à une (longue) succession de combats plus ou moins répétitifs, à coups de poings, de sabres ou de pistolets.

Jean-François Richet, qu’on avait connu plus iconoclaste dans ses précédents films, louche ostensiblement vers Alexandre Dumas ou Eugène Sue dans la peinture feuilletonesque d’un Paris sale et violent, gangrené par le crime, peuplé de personnages pleins de gouaille et de vie. Mais cette galerie de trognes irrésistibles – au premier rang desquelles Denis Lavant qui, comme toujours, en fait trop – ne suffit pas à faire un film. Il y faudrait une histoire. Or celle de Vidocq ne nous réserve aucune surprise. La raison de ce manque de subtilité est peut-être dans le choix du public visé, entre douze et seize ans. Pas sûr qu’il accroche à ce produit trop lisse, trop sage, trop formaté pour emporter l’enthousiasme.

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Pig ★☆☆☆

À Téhéran, de nos jours, un mystérieux serial killer assassine les cinéastes les plus réputés, tranche leurs têtes et trace sur leur front au cutter les lettres du mot « cochon » (« khook »).
Hassan Kasmai, la cinquantaine, est interdit de tournage par le régime. Il survit en tournant des spots publicitaires insipides. Il étouffe entre sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer, sa femme et sa fille qui lui sert d’attachée de presse. Il vit très mal de n’avoir pas été pris pour cible par le serial killer et y voit le signe du déclin de sa célébrité au moment où son actrice fétiche menace de le quitter pour un réalisateur plus populaire.

Le cinéma iranien est d’une étonnante richesse, au point de faire jeu égal, en qualité sinon en quantité avec celui des autres géants asiatiques : Chine, Inde, Japon… Pas un mois ou presque sans que nous arrive de Téhéran une curiosité. Rien qu’en 2018, on a vu notamment La Permission de Soheil Beiraghi, Invasion de Sharam Mokri, Trois visages de Rafar Panahi, Un homme intègre de Mohammad Rasoulof…

Pig a toute sa place dans cette brillante galerie. Son sujet est audacieux et on se demande comment il a franchi la censure iranienne. Jugez-en par vous-même : un réalisateur bâillonné par le régime (poke Jafar Panahi), un meurtrier qui assassine impunément, un policier ridicule et impuissant, des soirées chic qui rassemble la haute société téhéranaise…

Le héros narcissique, aux faux airs de Gustave Kervern iranien, est irrésistible. On l’imaginerait volontiers dans un film d’Almodovar intitulé Réalisateur au bord de la crise de nerfs. Pig est une parodie de film de genre, un faux thriller, une farce entrecoupée de quelques scènes purement oniriques… Les thèmes qu’il traite sont ambitieux, trop peut-être : la célébrité, la tyrannie des réseaux sociaux, la maturité…

Le problème est que la mayonnaise ne prend pas. Passée la première demie-heure et l’étonnement que le sujet suscite, on se lasse vite des rebondissements d’une intrigue cruellement dépourvue de crédibilité. On peine à s’attacher aux personnages pas plus qu’on n’adhère à un scénario qui se termine en queue de poisson. Dommage…

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