Seules les bêtes ★★★☆

Sur le causse Méjean, enseveli sous la neige, une femme disparaît. Evelyn Lucat (Valeria Bruni Tedeschi) avait la quarantaine et vivait dans une grande bâtisse rénovée. Qui est responsable de sa mort ? Marion (Nadia Tereszkiewicz), la serveuse qu’Evelyn a rencontrée à Sète et qui l’a suivie par amour jusque chez elle ? Joseph (Damien Bonnard), un paysan bourru reclus dans sa ferme avec son chien depuis la mort de sa mère ? Alice (Laure Calamy), l’assistante sociale venue aider Joseph et devenue sa maîtresse ? Michel (Denis Ménochet), le mari trompé d’Alice qui cherche sur Internet un peu de chaleur humaine ? Ou même Armand (Guy Roger N’Drin), un jeune ivoirien qui se fait passer pour la pulpeuse Amandine pour arnaquer Michel ?

Une semaine après À couteux tirés, Seules les bêtes raconte un Cluedo à la française. Pas de manoir anglais sinon les paysages désertiques de la Lozère. Pas de Hercule Poirot sinon un brave major de gendarmerie. On est plus proche de Fargo que de Dix petits nègres. Pas de stars hollywoodiennes, mais quelques uns des acteurs les plus solides de la nouvelle génération française (à commencer par Denis Ménochet qui aurait, selon moi, plus mérité pour Jusqu’à la garde le César du meilleur acteur que Léa Drucker de la meilleure actrice). Pas de twist renversant sinon une construction méticuleuse d’un récit polyphonique.

C’est ce scénario au cordeau qui retient l’attention et force l’intelligence. Seules les bêtes est un puzzle dont chaque pièce s’agence parfaitement avec les précédentes jusqu’à révéler les motifs tragicomiques de la disparition d’Evelyn Lucat. Cette narration à la Rashomon, savante et toujours lisible, faite de flash-back entrelacés, est un vrai régal pour l’intelligence même si le procédé devient parfois un peu trop systématique – chaque zone d’ombre, chaque mystère trouvera un peu plus tard son explication.

Les deux dernières scènes concluent magistralement le tout, quand bien même elles n’étaient pas strictement nécessaires à l’achèvement du puzzle. L’une boucle la boucle en réunissant deux personnages secondaires. L’autre ouvre le récit sur un gouffre : celui de l’intolérable solitude qu’on est prêt à tout pour combattre. Que le grand cric me croque si je n’ai pas réussi à vous donner envie d’aller voir ce film.

La bande-annonce

It Must Be Heaven ★★☆☆

Comme dans ses précédents films (Intervention divine, Le Temps qui reste), Elia Suleiman se met en scène, spectateur silencieux et pince-sans-rire des dérives absurdes de notre monde. On le suit cette fois-ci en train d’écrire son prochain film et d’essayer d’en boucler le financement sur trois continents : d’abord à Nazareth, ensuite à Paris, enfin à New York.

On peut bien sûr, aimer la poésie d’Elia Suleiman, la façon à la fois tendre et mordante qu’il a de croquer le monde qui nous entoure, par exemple dans sa peinture de la capitale française, vidée de ses habitants et de ses touristes par la paranoïa sécuritaire qui la gagne. On peut saluer l’élégance avec laquelle il mène sa charge pour la reconnaissance de la Palestine, où ses pas le ramènent à la fin du film, tel Ulysse à la fin d’un long voyage. On peut s’attacher aux pas de ce héros silencieux, qui rappelle immanquablement les stars tristes du cinéma muet, et partager sa colère rentrée contre toutes les absurdités du monde : la désinvolture de ce voisin envahissant qui vient sans autorisation cueillir des citrons dans le jardin de la maison familiale de Nazareth (métaphore à peine voilée de l’occupation israélienne), l’attitude de ce producteur français (interprété par Vincent Maraval himself) qui rejette le projet du réalisateur au motif qu’il n’est pas « assez palestinien », le cauchemar d’une société américaine surarmée où les clients d’une supérette feraient leurs courses l’arme au poing….

Mais on peut aussi trouver le procédé un peu répétitif d’enchaîner les saynètes – dont les plus réussies ont déjà été diffusées en boucle avec la bande annonce – sur le même format. Aucune ne fait franchement rire – sauf à trouver drôle une bénévole du Samu qui porte assistance à un SDF parisien en lui servant un plateau repas avec les mêmes tics qu’une hôtesse de l’air. Certaines sont franchement ratées – Vincent Maraval est certainement un producteur inspiré mais c’est un acteur calamiteux – et tournent vite au cliché – fallait-il organiser un (long) défilé de mannequins rue Montorgeuil pour encenser la beauté des Parisiennes ?

S’il faut reconnaître à Elia Suleiman le talent d’avoir inventé son personnage, burlesque et poétique, le procédé a ses limites. Avec It must be heaven, elles ont été atteintes.

La bande-annonce

Brooklyn Affairs ★★☆☆

En 1957, à New York, Lionel Essrog (Edward Norton), affecté du syndrome de la Tourette, a été recueilli et formé par Frank Minna (Bruce Willis), un détective privé. Quand son mentor est assassiné, Lionel enquête sur le crime. Ses recherches le mènent à Moses Randolph (Alec Baldwin), l’homme le plus puissant de la ville, et à Laura Rose (Gugu Mbatha-Raw), une avocate qui s’est mis en tête d’en dénoncer les pratiques mafieuses.

Brooklyn Affairs est l’adaptation d’un roman à succès de Jonathan Lethem dont l’action se déroulait de nos jours. Edward Norton a pris le parti de la transposer dans les années cinquante. C’est l’occasion pour lui, pour son décorateur et pour sa costumière de reconstituer l’ambiance du film noir façon Dashiell Hammett ou Raymond Chandler. Ils ont soigné chaque détail avec un soin jaloux. Grosses caisses, club de jazz, toilettes et chapeaux : rien ne manque à cette reconstitution soignée.

Le scénario n’est pas le point fort de ce film. Il n’est pas assez inventif pour surprendre le spectateur. Et il est suffisamment emberlificoté pour le semer en cours de route. Si on rajoute son manque de crédibilité – l’idylle téléphonée entre le héros et l’héroïne – on frise la catastrophe.

Mais on l’évite grâce au jeu des acteurs. À commencer par Edward Norton qui s’attribue le rôle principal – on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Cet acteur à l’air d’éternel adolescent a soufflé ses cinquante bougies, mais n’a pas eu la carrière qu’il aurait méritée. Il est certes devenu célèbre ; mais il n’a pas accédé au statut de super star. Pourtant, il a joué dans quelques chefs d’oeuvre (Fight Club, American History X, Moonrise Kingdom) et y a toujours fait preuve d’une étonnante richesse de jeu dans des personnages souvent borderline comme celui qu’il interprète ici. À ses côtés, on retrouve quelques pré-retraités hollywoodiens (Bruce Willis, Willem Dafoe, Alec Baldwin), en compagnie desquels les 2h25 que dure Brooklyn Affairs passent sans regarder sa montre.

La bande-annonce

The Irishman ★☆☆☆

Frank Sheeran (1920-2003) a raconté sa vie dans un livre intitulé « J’ai tué Jimmy Hoffa » dans lequel il revendique l’assassinat en 1975 du chef des Teamsters américains. Le titre original de ces mémoires est moins tonitruant : « I Heard You Paint Houses ». Tels auraient été les premiers mots adressés par Hoffa à Sheeran. Il s’agissait moins de saluer ses talents de peintre en bâtiment que d’évoquer à demi mots sa profession de tueur à gages, l’expression renvoyant au sang de ses victimes giclant sur les murs des maisons où elles étaient exécutées.

Un Irlandais devenu italien. Le sujet est posé. Il est de ceux que Scorsese affectionne, qui constitua déjà la toile de fond de quelques uns de ses plus grands films : Les Affranchis, Casino, Les Infiltrés. Il opte pour un titre différent de celui, trop elliptique, du livre qu’il adapte : ce sera The Irishman, qui donne la vedette à Robert De Niro, son acteur fétiche, même s’il partage l’affiche  avec deux autres acteurs d’anthologie, Al Pacino (qui n’avait jamais tourné avec Scorsese) et Joe Pesci (un fidèle de la première heure), sans oublier Harvey Keitel qui tenait un rôle dans le tout premier film de Scorsese tourné en….1967.

Petits meurtres entre amis. Autant dire qu’on est entre vieilles connaissances septuagénaires. Autant dire que The Irishman a des airs intemporels de testament. Martin Scorsese aurait pu signer le même film, avec les mêmes personnages, le même scénario, il y a vingt ou trente ans, à l’époque glorieuse des Affranchis ou de Casino – qui, lui, comptait une figure féminine (ah ! Sharon Stone !) dont hélas The Irishman est dépourvu.

Le maestro prend son temps. The Irishman dure plus de trois heures et avance à un rythme de corbillard. Scorsese veut bien qu’on l’enterre ; mais la cérémonie se fera au tempo qu’il aura décidé ; et le tempo n’est pas prestissimo. Du coup, on s’ennuie un peu. La première heure est languissante, qui met en place un procédé qui mélange trois temporalités (les confessions de Sheeran racontées en flashback depuis une maison de retraite, une virée automobile en 1975 des couples Sheeran et Buffalino, la vie proprement dite de Sheeran depuis la fin de la Seconde guerre mondiale), dont on peine à comprendre l’architecture. Tout s’accélère avec l’entrée en scène de Jimmy Hoffa, campé par un Al Pacino toujours aussi ébouriffant, quels que soient les toupets qui le coiffent.

Martin Scorsese fait des infidélités aux salles obscures en sortant son film sur Netflix. Le procédé, venant d’un des monstres sacrés du septième art, peut surprendre. Scorsese sur Netflix ? Et puis quoi encore ? Gracq publié en poche ? Chostakovitch en replay sur NRJ ? Soulages exposé aux Quatre Temps ?
Le problème de cette modalité de diffusion est qu’elle m’a privé du recueillement et de la concentration que la salle impose. Devant un (petit) écran d’ordinateur, distrait par toutes les sollicitations de la vie quotidienne, je ne me suis pas plongé dans le film. J’en ai saucissonné le visionnage en trois épisodes. J’ai du coup eu l’impression de regarder une mauvaise mini-série. L’aurais je vu en salle trois heures de rang, je me serais peut-être forgé une toute autre opinion.

La bande-annonce

J’aimerais qu’il reste quelque chose ★☆☆☆

Les personnes qui le souhaitent peuvent déposer au Mémorial de la Shoah à Paris les archives personnelles des déportés juifs et de leurs familles. Des bénévoles les accueillent, les écoutent et prennent en dépôt les documents (photos, lettres, objets) qui leur sont confiés, les classent, les archivent.

Ludovic Cantais a travaillé en 2012 au Mémorial de la shoah à une exposition consacrée aux Enfants de la shoah. C’est là qu’a germé l’idée de ce reportage : filmer les personnes qui déposent des archives et filmer celles qui les reçoivent, comprendre les motivations des unes et des autres.

Le documentaire n’atteint qu’en partie son objectif. Sans doute voit-on et entend-on les témoignages souvent poignants de rescapés de la déportation – souvent très jeunes à l’époque des faits – ou de leurs descendants immédiats. La motivation de leur démarche : faire en sorte « qu’il reste quelque chose » de leurs souvenirs ou du souvenir de leurs proches décédés.

En revanche, on n’apprend pas grand-chose des bénévoles qui accueillent à Paris le public ou qui vont à leur rencontre en province. On constate leur immense patience face à la logorrhée désordonnée des déposants qui leur racontent des vies souvent tragiques et leur livrent dans le désordre des masses de documents. Mais on ne saura rien de leurs vies à eux et des motifs pour lesquels ils ont accepté bénévolement la responsabilité de cette tâche. Dommage…

La bande-annonce

Knives and skin ★☆☆☆

Dans une petite ville sans histoire de l’Illinois, une jeune fille disparaît. Le garçon dont elle a repoussé les avances et qui est le dernier à l’avoir vue vivante est rongé par la culpabilité. Ses amies s’inquiètent pour elle. Sa mère, qui dirige la chorale du collège, perd vite pied.

Jennifer Reeder se revendique de David Lynch. Son Knives and Skin emprunte aux mêmes recettes que Twin Peaks : une disparition, une enquête policière, une bourgade assoupie et ses habitants plus ou moins chtarbés. Autre filiation assumée : Gregg Araki et ses apocalypses adolescentes (Totally F***ed Up, The Doom Generation, Nowhere). Pour donner à son film une touche psychédélique, elle a porté un soin particulier à l’image – saturée de violet, de magenta et de cyan – et à la musique – la chorale interprète sur un tempo lent et triste les tubes les plus sucrés des 80ies (Girls Just Want To Have Fun de Cindy Lauper, Birds Fly de The Icicle Works).

Hélas, la sauce ne prend pas. Le scénario se disperse entre trop de personnages : la mère folle, le clown dépressif, la copine lesbienne, le séduisant demi de mêlée, etc. Le sous-texte féministe n’imprime pas. L’interprétation est anonyme.  L’ultra-stylisation reste vaine. L’émotion ne perce jamais.

La bande-annonce

Les Enfants d’Isadora ★☆☆☆

Isadora Duncan (1877-1927) est une danseuse américaine à laquelle on prête l’invention de la danse moderne libérant le corps du carcan imposé par le tutu et les pointes. Le 19 avril 1913, ses deux enfants, Deirdre, six ans, et Patrick, trois ans, ont trouvé la mort dans un accident de voiture. Isadora Duncan ne se remit jamais de ce drame qui lui inspira dix ans plus tard un solo déchirant intitulé La Mère sur la musique de Scriabine.
Il n’existe ni photo ni  enregistrement vidéo d’Isadora Duncan dansant La Mère.

Danseur de formation, le réalisateur Damien Manivel revient à ses premières amours après un détour par la fiction (Le Parc). Mi-fiction, mi-documentaire, Les Enfants d’Isadora suit quatre femmes parties à la rencontre de ce solo : une jeune danseuse (Agathe Bonitzer) qui déchiffre la partition en notation Leban au Centre national de la danse à Pantin avant d’en esquisser les premiers mouvements avec une grâce infinie, une professeure de danse (Marika Rizzi) et son élève trisomique (Manon Carpentier) qui en préparent la mise en scène, et une spectatrice anonyme (Elsa Wolliaston) qui assiste au spectacle monté par les deux précédentes, le visage raviné de larmes, et rentre chez elle le pas lourd à la nuit tombée.

Ainsi présenté, Les Enfants d’Isadora est à la fois poignant et beau. Ne lui en retirons pas le mérite. Mais, son rythme est si lent, son sujet si glaçant, la juxtaposition de ces trois histoires si pesante, que l’heure vingt quatre de film finit par s’étirer interminablement et que le charme n’opère plus.

La bande-annonce

Sympathie pour le diable ★★☆☆

En 1992, l’ex-Yougoslavie est à feu et à sang. Sarajevo est en état de siège. La communauté internationale, impuissante, compte les morts. Quelques journalistes, parqués à l’hôtel Hilton, informent le monde au péril de leurs vies. Parmi eux, Paul Marchand, reporter freelance pour France Info, la RTBF, Radio Suisse romande et Radio Canada. Il a trente ans à peine, un cigare (cubain) cloué au bec, un bonnet de marin vissé sur le crâne. Son éthique intransigeante le force à rendre compte avec autant d’objectivité que possible d’une guerre fratricide. Sa sensibilité l’empêche de rester neutre dans un conflit qui s’éternise.

Paul Marchand est une figure du journalisme contemporain. Avant d’arriver en Bosnie, il avait couvert pendant près de huit ans la guerre au Liban. À Sarajevo, après dix huit mois de séjour, un sniper lui arrache le bras, l’obligeant à une retraite forcée. Paul Marchand se donnera la mort en 2009. Après avoir lu son livre Sympathie pour le diable publié en 1997, le canadien Guillaume de Fontenay l’avait rencontré. Il aurait pu réaliser un documentaire. Il choisit finalement une œuvre de fiction, très fidèle aux faits, qu’il est allé tourner, non sans difficultés, en plein hiver à Sarajevo.

Récemment, un film d’animation passé inaperçu et pourtant admirable avait pris un parti différent. Chris the Swiss racontait dans un noir et blanc expressionniste la vie de Christian Wurtemberg, un journaliste de guerre, son départ pour la Croatie en 1991 et sa mort en Slavonie dans des conditions restées obscures.

L’autre référence qui vient immédiatement à l’esprit, c’est bien sûr le récent Camille de Boris Lojkine sur la photographe française tuée en mai 2014 en République centrafricaine. Nina Meurisse y interprétait une jeune femme profondément empathique, curieuse, faisant ses premiers pas dans le journalisme de guerre, dévorée par le doute sur le sens de son métier. Niels Schneider campe tout le contraire : un professionnel pénétré par la haute idée qu’il se fait de lui-même et de sa tâche, refusant les concessions, péremptoire et souvent cassant. Bien sûr, son humanité perce, dans sa relation avec sa traductrice, la belle Ella Rumpf, dont il réussit à exfiltrer de Sarajevo l’oncle catarrheux. Mais son refus d’être aimable est tellement efficace que c’est son autoportrait qu’à la fin on peine à aimer.

La bande-annonce

Proxima ★☆☆☆

Le rêve de Sarah Loreau est sur le point de se réaliser. Cette brillante astronaute a été retenue pour participer à la prochaine mission internationale Soyouz vers la Station spatiale internationale (ISS) en orbite autour de la Terre. Objectif : préparer la conquête de Mars.
Sarah, qui travaille à Cologne, à l’Agence spatiale européenne (ESA) va devoir quitter sa fille unique pour se préparer. D’abord à la Cité des étoiles près de Moscou puis à Baïkonour sur le pas de lancement. Même si elle est séparée, elle peut compter sur Thoma, le père de Stella, pour prendre soin d’elle.

Depuis quelques années, suite peut-être au succès de Gravity et d’Interstellar, la conquête spatiale redevient à la mode. Mais elle n’est pas traitée sur le mode épique des décennies passées façon L’Étoffe des Héros ou Appolo 11. Le genre est plutôt le prétexte à une introspection métaphysique – comme l’était déjà en son temps le génial 2001. C’est le cas du très raté High Life comme des très réussis Ad Astra ou Premier contact.

Proxima explore le même filon, sur un mode quasi-documentaire. On y suit le parcours d’obstacles que doit franchir un astronaute avant son départ. Et l’épreuve est d’autant plus éprouvante que c’est une femme qui la subit, en proie non seulement à la dureté objective d’un programme épuisant, mais aussi au machisme ambiant – incarné ici par Matt Dillon. Le film du coup se teinte de féminisme.

Mais le vrai sujet du film est, comme l’annonce son affiche, dans la relation mère-fille. Le plus dur pour Sarah Loreau ne sera pas en effet de s’arracher à l’attraction terrestre, mais de couper le cordon ombilical qui l’unit à son enfant. Le dilemme est cruel qui l’oblige à choisir entre vivre l’accomplissement de sa carrière professionnelle et abandonner sa fille pendant une longue année.

Le dilemme est sans doute poignant quoique – et j’écris la phrase qui suit en tremblant de me faire arracher les yeux par mes lectrices et par la moitié de mes lecteurs – il le soit sans doute plus pour une mère que pour un père. Mais plus grave, il ne fonctionne pas ; car, pas l’ombre d’un instant on ne doute de la détermination de la froide astronaute à aller au bout de sa mission.

Proxima ne décolle pas. Il ne quitte pas la surface de la Terre pas plus qu’il ne suscite de vraie émotion.

La bande-annonce

Gloria Mundi ★☆☆☆

Osons le dire de but en blanc : Gloria Mundi est raté. Pourtant la critique est unanime, des Cahiers du Cinéma à L’Humanité (évidemment), en passant par Elle, Marianne et Les Inrocks. Le film a fait un triomphe à la Mostra de Venise où Ariane Ascaride s’est vu décerner le Prix de la meilleure actrice. Seul émet une voix dissidente Le Figaro – ce qui serait plutôt de nature à accréditer l’idée d’une partialité suspecte du grand quotidien de droite pour cet inlassable porte-voix de la cause prolétarienne.

Il ne s’agit ici de critiquer ni l’homme ni l’œuvre . Un homme dont la saine colère contre les injustices de notre monde force l’admiration. Une œuvre qui compte vingt-et-un films en près de quarante ans, dont un immense succès populaire (Marius et Jeannette en 1997) et plusieurs grandes réussites (ma préférence va aux Neiges du Kilimandjaro qui m’avait ému aux larmes fin 2011).

Comme Ken Loach, Robert Guédiguian vieillit. Et, comme Ken Loach dont j’ai dit ici tout le mal que je pensais de son dernier film, il vieillit mal. Je lui en avais déjà fait le reproche fin 2017 à la sortie de La Villa. Les mêmes défauts sont toujours là. Pire, ils sont amplifiés.

À commencer par le scénario. Regardez la bande-annonce. On y voit un bébé, Gloria, sa mère Mathilda (Anaïs Demoustier en rage contre l’injustice du monde), son père Nicolas (Robinson Stévenin, victime naïve des sirènes de l’ubérisation), sa grand-mère Sylvie (Ariane Ascaride qui nettoie les WC des ferry-boats en pull cachemire avec un brushing impeccable), sa tante (Lola Naymark, cagole égoïste qui se ridiculise dans une sextape embarrassante) et le mari de celle-ci (Grégoire Leprince-Ringuet, « premier de cordée » carburant à la coke et au stupre). Élevée par son beau-père Richard (Jean-Pierre Darroussin, un bloc d’humanité généreuse), Mathilda n’a pas connu son père biologique Daniel (Gérard Meylan, sorte de Jean Valjean amateur de haïkus) qui revient à Marseille après avoir purgé une longue peine de prison juste à temps pour donner à Gloria l’amour paternel qu’il n’a pas su manifester à sa fille.
Tout est dit, avec une économie admirable, en une minute trente. Tout est dilué, avec du fil très blanc, des coutures épaisses, une lourdeur pachydermique, des rebondissements prévisibles, durant les cent-sept minutes que dure le film. [Attention spoiler : la fin de Gloria Mundi est inutilement tragique. Un crime accidentel sera commis. Je vous laisse deviner qui en sera la victime, qui en sera l’auteur et qui acceptera, dans un ultime sacrifice, d’en assumer la responsabilité. Ce n’est pas très difficile.]

La bande-annonce