Sur le causse Méjean, enseveli sous la neige, une femme disparaît. Evelyn Lucat (Valeria Bruni Tedeschi) avait la quarantaine et vivait dans une grande bâtisse rénovée. Qui est responsable de sa mort ? Marion (Nadia Tereszkiewicz), la serveuse qu’Evelyn a rencontrée à Sète et qui l’a suivie par amour jusque chez elle ? Joseph (Damien Bonnard), un paysan bourru reclus dans sa ferme avec son chien depuis la mort de sa mère ? Alice (Laure Calamy), l’assistante sociale venue aider Joseph et devenue sa maîtresse ? Michel (Denis Ménochet), le mari trompé d’Alice qui cherche sur Internet un peu de chaleur humaine ? Ou même Armand (Guy Roger N’Drin), un jeune ivoirien qui se fait passer pour la pulpeuse Amandine pour arnaquer Michel ?
Une semaine après À couteux tirés, Seules les bêtes raconte un Cluedo à la française. Pas de manoir anglais sinon les paysages désertiques de la Lozère. Pas de Hercule Poirot sinon un brave major de gendarmerie. On est plus proche de Fargo que de Dix petits nègres. Pas de stars hollywoodiennes, mais quelques uns des acteurs les plus solides de la nouvelle génération française (à commencer par Denis Ménochet qui aurait, selon moi, plus mérité pour Jusqu’à la garde le César du meilleur acteur que Léa Drucker de la meilleure actrice). Pas de twist renversant sinon une construction méticuleuse d’un récit polyphonique.
C’est ce scénario au cordeau qui retient l’attention et force l’intelligence. Seules les bêtes est un puzzle dont chaque pièce s’agence parfaitement avec les précédentes jusqu’à révéler les motifs tragicomiques de la disparition d’Evelyn Lucat. Cette narration à la Rashomon, savante et toujours lisible, faite de flash-back entrelacés, est un vrai régal pour l’intelligence même si le procédé devient parfois un peu trop systématique – chaque zone d’ombre, chaque mystère trouvera un peu plus tard son explication.
Les deux dernières scènes concluent magistralement le tout, quand bien même elles n’étaient pas strictement nécessaires à l’achèvement du puzzle. L’une boucle la boucle en réunissant deux personnages secondaires. L’autre ouvre le récit sur un gouffre : celui de l’intolérable solitude qu’on est prêt à tout pour combattre. Que le grand cric me croque si je n’ai pas réussi à vous donner envie d’aller voir ce film.