Sons of Philadelphia ★★☆☆

Peter (Matthias Schoenaerts) a grandi avec son cousin Michael (Joel Kinnaman). Leur travail dans le BTP est une façade qui cache leur activité de racket et de trafic pour la pègre irlandaise, une activité que menace la malavita italienne. Volontiers psychopathe, Michael aurait tendance à jeter de l’huile sur le feu. Plus prudent, Peter tente avec plus ou moins de succès de réfréner la violence de son cousin. Mais, plus profondément, cette guerre des gangs est l’occasion pour les deux cousins de solder de vieux comptes.

Auteur à succès de polars noirs, Jérémie Guez passe derrière la caméra et porte à l’écran pour sa seconde réalisation Brotherly Love, un livre de Pete Dexter (dont j’avais beaucoup aimé Paperboy adapté avec Matthew McConaughey et Nicole Kidman au début des années 2010).

Bien sûr, ce petit polar poisseux invoque les mânes de Martin Scorsese ou de James Gray, de leurs sagas familiales tendues et ténébreuses. Rapporté à cette aune, Sons of Philadelphia peine à supporter la comparaison. Il n’a pas la nervosité, la noirceur, l’exubérance, en un mot le génie des œuvres de ces réalisateurs d’exception. Mais qui peut se targuer de les posséder ?

Sons of Philadelphia n’en est pas pour autant un mauvais film, même s’il plaira plus aux amateurs du genre et à ceux qui acceptent de se laisser prendre à son rythme un peu lent. Il est servi par l’interprétation du toujours impeccable Matthias Schoenaerts qui, décidément, depuis De rouille et d’os, tisse une carrière exceptionnelle sur les deux rives de l’Atlantique (A Bigger Splash, Maryland, Red Sparrow, Frères ennemis, Kursk, Nevada, The Laundromat, Une vie cachée…). Son intérêt vient surtout de son scénario qui, lentement, fait ressurgir des secrets de famille trop longtemps refoulés.

La bande-annonce

Benedetta ★☆☆☆

Benedetta Carlini a été placée au couvent des Théatines à Pescia, dans le grand-duché de Toscane, à neuf ans à peine suite au vœu prononcé par ses parents alors qu’elle combattait une grave maladie infantile qui aurait pu lui être fatale. Cette enfant très pieuse prétendit parler à Jésus. Les stigmates qu’elle présentait conduisirent le nonce apostolique de Florence à diligenter une enquête. Témoigna au procès une jeune novice, Sœur Bartolomea, qui reconnut avoir eu des relations sexuelles avec son aînée.

C’est sur ce fond historique, soigneusement documenté dans les années quatre-vingts par une historienne de Stanford, Judith C. Brown, dans un ouvrage savant intitulé Immodest Acts – The life of a lesbian nun in Renaissance Italy publié en français dans la très sérieuse Bibliothèque des histoires de Gallimard sous le titre Sœur Benedetta, entre sainte et lesbienne, que Paul Verhoeven fait un retour fracassant dans les salles.

Benedetta est projeté en compétition officielle à Cannes. Le film est annoncé par une rumeur insistante que les confinements à répétition ont enflée. Sa bande-annonce tourne en boucle dans toutes les salles depuis leur réouverture. La présence de Virginie Efira à l’affiche, l’une des stars les plus bankables du moment, et son sujet sulfureux garantissent d’ores et déjà à Benedetta un succès au box office.

Pourtant sa première moitié, mal jouée (qu’est venue faire Clotilde Courau dans cette galère ?), mal éclairée, mal montée, est calamiteuse. L’action tarde à démarrer avec un préambule trop long consacré à l’enfance de la jeune moniale. On entre dans ce monastère dont on ne sortira guère et où se jouera dix-huit ans plus tard le sort de la religieuse. On comprend vite le double ressort de cette histoire. D’un côté une enquête théologique autour de prétendus miracles dont Benedetta est peut-être l’actrice sincère ou l’inventrice rouée. De l’autre la relation coupable que Benedetta entretient bientôt avec une jeune novice, aussi innocente que tentatrice, qu’elle a prise sous sa coupe.

Ce double ressort n’a rien de très passionnant. Il y a bien longtemps que les miracles de l’Église n’intéressent plus personne. En revanche, les ébats de Benedetta et de Bartolomea, surtout lorsqu’ils sont joués, dans leur crâne nudité, par Virginie Efira et Daphné Patakia (une jeune première que j’ai passé le film à confondre avec Marina Vacth) sont beaucoup plus stimulants, au point qu’on hésite à avouer, au temps de #MeToo, l’intérêt suspect qu’on prend à les regarder et qu’on finit, correction politique oblige, par reprocher à Paul Verhoeven de leur consacrer une place disproportionnée.

On en est donc là au milieu du film : se désintéresser superbement des enjeux théologiques de cette histoire et en être réduit à jouir d’un plaisir coupable du spectacle dénudé de ses deux actrices. Et on se dit que la seconde moitié risque d’être bien longue.

Et c’est là que le film est sauvé par là où on ne l’attendait pas. Après avoir fait du surplace pendant une heure, il met enfin en présence des personnages, crée une tension, bref, raconte une histoire. On se prend donc au jeu de ce suspens dont on ignore encore l’issue. C’est aux personnages secondaires qu’on le doit : Charlotte Rampling, Lambert Wilson, des vieux chevaux sur le retour auxquelles les critiques pourtant nombreuses, aimantées par la staritude de Virginie Efira et par la révélation de Daphné Patakia, n’ont pas consacré une ligne.

La bande-annonce

Une histoire à soi ★★☆☆

Une histoire à soi est un documentaire consacré à l’adoption internationale. La réalisatrice Amandine Gay, après un appel à contributions, a rencontré près d’une centaine d’enfants adoptés et a écouté leurs histoires de vies. Elle s’est focalisée sur cinq d’entre eux, qui disposaient de suffisamment d’archives pour illustrer leur discours : Anne-Charlotte, Joohee, Céline, Niyongira, Mathieu, respectivement originaires d’Australie, de Corée du Sud, du Sri Lanka, du Rwanda et du Brésil.

Documentariste engagée, afro-féministe et LGBT, Amandine Gay avait réalisé en 2017 Ouvrir la voix, portrait kaléidoscopique de vingt-quatre femmes noires racontant face caméra les discriminations racistes et sexistes dont elles sont victimes. Son second documentaire est aussi intelligent que le premier. Il emprunte une forme différente : aux interviews face caméra, Amandine Gay préfère utiliser le fonds d’archives très riche que chacun des témoins a conservé de son enfance.

Le titre de ce documentaire a des accents woolfiens. Une histoire à soi renvoie à Une chambre à soi, le célèbre essai de l’écrivaine anglaise qui décrivait les conditions matérielles indispensables à l’émancipation féminine. Dans le jargon  franglais contemporain, on parle désormais d’agentivité : la capacité pour un être à devenir l’agent, le responsable de sa propre vie.

Ce que pointe Une histoire à soi est précisément le déni d’une telle agentivité aux enfants adoptés. L’adoption internationale les présente comme des enfants « sauvés », sauvés d’un destin misérable dans un pays du Tiers monde en proie à la guerre et/ou à la famine, sauvés par des familles d’adoption bienveillantes qui leur ont offert amour et confort. Dans une démarche qui n’est pas exempte de parti pris, Une histoire à soi veut montrer le traumatisme que  cette adoption provoque chez un enfant, souvent très jeune, coupé de ses racines, obligé sa vie durant, à vivre « le cul entre deux chaises », entre sa famille d’adoption et sa famille biologique, entre son identité française et une autre identité souvent stigmatisée.

Les cinq enfants adoptés qui témoignent ont tous entrepris une démarche pour retrouver leurs origines. On les suit dans les voyages qu’ils ont entrepris dans leur pays de naissance, y renouant avec une immense émotion les liens avec leurs familles biologiques. On en déduit, à tort ou à raison, que cette quête des origines est très fréquente sinon omniprésente chez les enfants adoptés. Elle s’effectue le plus souvent avec l’accord des familles d’adoption, même si elle suscite chez celles-ci des réticences bien compréhensibles – c’est notamment le cas semble-t-il chez les parents de Anne-Charlotte.

On voit mal que quiconque s’intéresse à l’adoption internationale (enfants adoptés, familles adoptantes, associations….) ne soit pas encouragé à le visionner, ce qui promet à Une histoire à soi un bel avenir en VOD.

La bande-annonce

Un espion ordinaire ★★★☆

Greville Wynne (Benedict Cumberbatch), la quarantaine, est un VRP anglais que le MI6 et la CIA recrutent pour se rendre à Moscou sans attirer l’attention du KGB. Sa mission : contacter une taupe soviétique, Oleg Penkovsky et recueillir de lui des informations classifiées sur le programme nucléaire soviétique.

Pendant le mois de juin passait en boucle dans tous les cinémas la bande-annonce de cet Espion ordinaire. J’en adorais les images, filmées dans un gris-bleu sans âge, les décors et les costumes, ressuscitant l’élégance folle du début des années soixante, la musique qui me rappelait celles de Dunkerque et de La Taupe. Bref, Un espion ordinaire fut pendant un mois le film dont j’ai attendu avec le plus d’impatience la sortie.

C’est peut-être pour cette bande-annonce et pour cette impatience que je lui mets aujourd’hui, avec une indulgence laxiste, trois étoiles. C’est aussi parce qu’il revisite un sous-genre que j’adore : le film d’espionnage historique. Un sous-genre qui compte quelques pépites parmi mes films préférés : L’Espion qui venait du froid, Le Rideau déchiré, La Mort aux trousses

J’ai aimé l’interprétation tendue de Benedict Cumberbatch, décidément l’un des acteurs les plus intéressants et les plus polymorphes de sa génération. Sa femme est interprétée par Jessie Buckley, une jeune actrice britannique dont on suit avec curiosité la carrière depuis Jersey Affair et Wild Rose. Elle n’a pas le glamour de Rachel Brosnahan – qui interprète ici une agent de la CIA – mais elle a certainement plus de talent qu’elle.

J’ai lu qu’après une première moitié prometteuse – qui raconte le recrutement de Greville Wynne et son premier voyage à Moscou – le film basculait dans un registre plus sentimental et plus convenu. Je ne suis pas d’accord. Je trouve que la tension est maintenue tout du long et que ce qu’il advient des deux espions, britannique et soviétique, entre lesquels une relation trouble se noue (ai-je à ce point l’esprit mal placé que j’ai cru deviner l’esquisse d’une romance queer ?), est à la fois crédible et touchant.

La bande-annonce

Solo ★★☆☆

Martín Perino fut un jeune pianiste prodige, couvé par sa mère, pianiste professionnelle elle aussi, avant de sombrer dans la paranoïa et la schizophrénie. Le réalisateur Artemio Benki est allé le débusquer dans un hôpital psychiatrique de Buenos Aires où il était interné. Il l’accompagne à la sortie de l’hôpital et l’aide à retrouver une vie normale, dans l’appartement désaffecté de ses parents décédés, au contact de ses anciens professeurs, à la recherche de nouveaux cachets.

Piano et folie. En 1997 Shine s’inspirait de la vie du pianiste David Helgfoot, un prodige du clavier que de graves troubles psychiatriques éloignèrent de la scène avant un retour triomphal. Le film australien valut à son acteur principal, Geoffrey Rush, l’Oscar, le Golden Globe et le BAFTA du meilleur acteur.
En 1993 déjà le canadien François Girard avait réalisé une oeuvre originale, à mi-chemin du documentaire et de la fiction autour de la vie de Glenn Gould : Twenty Short Films About Glenn Gould que le confinement m’a permis de voir et qui n’a pas pris une ride.

C’est du même sujet que traite le documentaire d’Artemio Benki. Il a pour héros un pianiste moins célèbre que le génial Canadien, mais pas moins attachant. Martín Perino est un gros nounours attachant aux paluches monstrueuses dont on n’imagine pas qu’il puisse jouer avec une telle sensibilité et avec une telle virtuosité. Il présente manifestement tous les signes d’un grave déséquilibre psychiatrique dont attestent ses internements à répétition et sa consommation massive de médicaments. Sa maladie le rend d’autant plus attachant.

J’ai pensé devant ce documentaire à l’héroïne du Jeu de la dame, la mini-série à succès que le monde entier a regardé pendant le confinement. Comme Beth Harmon, Martín Perino ne vit que par et pour son art. Sans piano, il dépérit. Avec un piano, il s’isole du reste du monde dans une spirale suicidaire. Le Jeu de la dame se terminait sur une note d’optimisme, happy ending hollywoodien oblige. Solo ne subit pas les mêmes injonctions et peut s’autoriser une fin plus ouverte, mais moins euphorisante.

La bande-annonce

Annette ★☆☆☆

Henry (Adam Driver), un comédien de stand-up à l’humour féroce, et Anne (Marion Cotillard), une cantatrice française, forment l’un des couples les plus glamours et les plus adulés de Hollywood. Ils ont bientôt ensemble une fille qu’ils prénomment Annette. Mais le comportement de Henry change imperceptiblement…

Le nouveau film de Leos Carax est sans doute le plus attendu du moment. On a vu tourner sa bande-annonce pendant tout le mois de juin. Il fait l’ouverture du festival de Cannes. Il constitue seulement le sixième film de ce réalisateur hors normes, aussi fantasque qu’exigeant, révélé dans les années quatre-vingts par l’énergie et la poésie de ses deux premiers films Boy Meets Girl et Mauvais Sang avant de se brûler les ailes dans le pharaonique Amants du Pont-Neuf.

Reconnaissons honnêtement que cette impatience n’était pas vaine – même si la bande-annonce, comme souvent hélas, a déjà dévoilé l’essentiel. Somptueux opéra rock au lyrisme revendiqué, Annette nous en met plein les mirettes pendant plus de deux heures. Leos Carax réussit, avec une audace inentamée, à revisiter toutes les formes du cinéma – la comédie musicale, le drame shakespearien, le thriller, le film fantastique – à les malaxer et à faire naître une forme nouvelle d’une vibrante énergie.

Mais c’est bien là le seul atout d’un film qui devient très vite désagréable à force de prétention. On a l’impression qu’à chaque plan, Leos Carax veut nous démontrer qu’il est toujours un cinéaste qui compte, capable de nous étonner. Tant d’application m’as-tu-vu dans la démonstration devient hélas vite contreproductif. Surtout si elle ne s’accompagne pas d’un minimum de sens. Or, de sens, Annette n’en a guère. Quel en est le sujet ? un homme qui sombre dans la folie meurtrière ? un couple que la célébrité étouffe ? une enfant prodige qui trouve le courage de rompre avec son père toxique ? les trois à la fois ?

On a l’impression que Carax se désintéresse de l’histoire qu’il raconte, obnubilé qu’il est par la perfection formelle de chacune des scènes qui la composent. C’est peut-être une façon efficace d’écrire un opéra – et Annette, grâce à la musique indémodable des Sparks, contient en effet quelques scènes d’anthologie. Mais ce n’est pas la meilleure pour réaliser un film.

La bande-annonce

Midnight Traveler ★★★☆

Hassan Fazili est un cinéaste afghan dont la tête fut mise à prix par les Talibans pour avoir réalisé une fiction qui montrait l’un d’entre eux déposer les armes. Avec sa famille, il se réfugia d’abord une année au Tadjikistan, espérant obtenir l’asile en Australie avant de décider, de guerre lasse, de tenter sa chance en Europe par la route. C’est cette longue odyssée, à travers l’Iran, la Turquie, la Bulgarie et la Serbie, qui allait durer plus de trois ans, qu’il filme avec son téléphone portable.

En 2002, le réalisateur britannique Michael Winterbottom avait raconté dans In This World le long périple de deux cousins afghans depuis un camp de réfugiés au Pakistan jusqu’au Royaume-Uni. C’est le même sujet qui, hélas, n’a rien perdu de sa triste actualité, que traite près de vingt ans plus tard Midnight Traveler. Mais l’émotion qu’on avait déjà éprouvée devant la fiction de Michael Winterbottom est décuplée par l’effet de réalité que produit l’autobiographie de Hassan Fazili : c’est lui qui traverse cette terrible épreuve avec sa femme et ses deux fillettes, provoquant chez le spectateur une bouleversante identification.

Cette petite famille si ordinaire vit le lot des avanies qu’un tel voyage comporte : des traversées clandestines de frontières à l’orée du jour, des attentes interminables dans des centres d’accueil plus ou moins pouilleux, des humiliations administratives à répétition, des abus de confiance de passeurs véreux…. Hassan Fazili peut se borner à filmer la réalité qu’il vit sans chercher à la dramatiser : elle l’est déjà suffisamment.

Aurait-il eu recours à des acteurs professionnels, il n’en aurait pas trouvé de meilleurs que sa femme et ses deux filles. Elles conservent, malgré les contretemps qu’elles rencontrent, une joie de vivre qui réchauffe le cœur. Il y aurait pourtant de quoi se décourager et on sent parfois son épouse à bout de forces. Mais sa force de vivre et l’amour qu’elle doit à ses enfants, notamment à Nargis, l’aînée, une petite brunette joyeuse et délurée, lui permettent toujours de reprendre le dessus.

Midnight Traveler n’est pas seulement un documentaire filmé en caméra cachée. C’est aussi une réflexion sur le cinéma en train de se faire par un réalisateur qui filme et se filme, en tant qu’époux et en tant que père. La réalisation de ce film semble avoir constitué pour lui et pour sa femme – elle aussi réalisatrice – une planche de salut, une raison de vivre pour ne pas perdre l’espoir qui aurait pu les abandonner si souvent.

Regarder Midnight Traveler, c’est non seulement vivre de l’intérieur une expérience poignante, une de celle qui devrait durablement modifier la perception qu’on peut avoir des réfugiés en France qui sont parvenus à franchir de tels obstacles avant d’arriver sur notre sol. Mais c’est aussi – ce qui n’est pas si fréquent – regarder une oeuvre de cinéma qui a sauvé la dignité d’une famille.

La bande-annonce

Teddy ★☆☆☆

Teddy (Anthony Bajon) a dix-neuf ans. Il vit dans un petit village des Pyrénées, entre sa tante grabataire, son oncle gentiment retardé, sa copine Rebecca (Christine Gautier) et sa patronne Ghislaine (Noémie Lvovsky). Même si la vie n’a pas été très tendre avec lui, Teddy imagine un avenir heureux avec Rebecca dans la maison avec pergola qu’il rêve de construire. Mais un loup sauvage rode autour du village et mord Teddy, provoquant chez le jeune homme une lente et inquiétante métamorphose.

La bande-annonce de Teddy, en sélection officielle à Cannes en 2020, m’avait mis l’eau à la bouche (si j’ose dire). Plusieurs choses m’attiraient dans ce film.

La première : Anthony Bajon, une gloire montante du cinéma français, déjà nommé deux fois aux Césars du meilleur espoir masculin (pour l’exceptionnel La Prière et le non moins exceptionnel Au nom de la terre) en 2019 et 2020.

La deuxième : le naturalisme rural et prolétarien d’une France périphérique croquée avec un mélange d’humour et de cynisme et beaucoup de second degré façon Bruno Dumont (P’tit Quinquin) ou Kervern & Delépine (I feel good, Effacer l’historique) – sans qu’il soit besoin ici d’ouvrir le débat sur le bourgeois gaze avec lequel cette France-là est filmée

La troisième : le mélange de ce naturalisme-là avec une couche de cinéma fantastique qui semble désormais constituer la marque de fabrique d’un nouveau nouveau cinéma français décidément sacrément remuant (Mandico, Ducournau, Philippot…)

Programme alléchant et peut-être trop ambitieux qui ne tient hélas pas ses promesses.
Car Teddy ne fonctionne pas. J’ai beau essayer de lui trouver des qualités – le jeu d’Anthony Bajon au premier chef qui, lui, ne déçoit pas – j’en reviens à ce constat sans appel : la pesante métaphore autour duquel est construit le film (Teddy est un monstre inadapté dont la société ne veut pas) trouve bien vite ses limites.

La bande-annonce

De l’or pour les chiens ★☆☆☆

Esther (Tallulah Cassavetti), dix-sept ans, a été élevée par sa mère (Julie Depardieu) entre un père absent et un beau-père lubrique. Elle a un job d’été sur la côte landaise chez un vendeur de glaces. Elle y a rencontré Jean (Corentin Fila), un barman plus âgé qu’elle, en est tombée amoureuse et s’est donnée à lui. Quand l’été se termine et quand Jean remonte à Paris, Esther décide de l’y suivre. Mais le jeune homme la repousse, ne laissant à Esther d’autre alternative que de frapper à la porte d’un couvent.

Tourné en plan fixe, extérieur jour, le premier plan du film, une scène d’amour très crue entre Esther et Jean, rappelle l’ouverture de 37°2 le matin. Hélas, De l’or pour les chiens n’a pas la fiévreuse folie du film de Beineix, pas plus qu’il ne révèle une actrice avec le talent d’une Béatrice Dalle.

Certes Tallulah Cassavetti, une jeune première, incarne à la perfection la jeune Esther. De la jeune femme, elle a déjà les rondeurs aguichantes et la sexualité généreuse ; mais elle a gardé les traits poupins de l’enfance et la voix innocente. Malheureusement pour elle, de telles actrices et de tels rôles, on en a déjà vu treize à la douzaine, pour ne citer ces dernières années que Olivia Cooke dans Katie Says Goodbye, Jessie Buckley dans Jersey Affair. ou Céleste Brunnquell dans Les Éblouis.

Le point faible de ce film est la banalité de son thème déjà vu et revu. Il aurait fallu à ce sujet un traitement exceptionnel pour le rendre intéressant. Or tel n’est pas le cas. Le scénario et la caméra déroulent paresseusement une histoire jouée d’avance de laquelle on se désintéresse lentement. On voit d’abord quelques beaux couchers de soleil sur l’Atlantique auxquels ne manquent que les couplets de Laurent Voulzy. Puis on suit Esther à Paris sachant par avance la cruelle déception qu’elle y vivra. Enfin, le dernier tiers du film se déroule derrière les murs du couvent de Port-Royal. S’agit-il d’une énième péripétie dans le parcours chaotique d’Esther ? ou de son achèvement comme tendrait à le montrer le long monologue de sœur Laëtitia, une moniale qui rompt son vœu de silence pour expliquer à la jeune fille …. pour expliquer quoi au fait ?!

La bande-annonce

My Zoé ★★★☆

Zoé est une adorable fillette de six ans dont les parents se disputent la garde. Sa mère, Isabelle (Julie Delpy), une généticienne franco-américaine, avait accepté quelques années plus tôt de suivre à Berlin son mari, James (Richard Armitage), un architecte britannique, avant de le quitter. Elle vit désormais en couple avec Akil (Saleh Bakir), un immigré en attente de régularisation.
Isabelle et James tentent de protéger la fillette des querelles permanentes qui les déchirent. Ils y parviennent tant bien que mal jusqu’à un événement dramatique auquel ils réagiront d’une façon bien différente.

Julie Delpy est décidément une femme de cinéma étonnante qui mène depuis trente ans une carrière inhabituelle devant et derrière la caméra. Son physique de jeune première lui a valu de débuter très tôt sous la direction des plus grands : Godard (elle fait ses débuts seins nus à quinze ans dans Détective), Tavernier (il lui donne le rôle titre de La Passion Béatrice), Leos Carax (Mauvais Sang), Kieslowski (la trilogie BleuBlancRouge)… À trente ans à peine, elle passe à la réalisation. Elle signe la réalisation, écrit le scénario, incarne le rôle principal du diptyque Two Days in ParisTwo Days in New York, du Skylab et de La Comtesse. My Zoé est son septième film.

Parler de My Zoé est une sacrée gageure pour le critique qui n’a pas le droit d’en révéler les rebondissements sans gâcher le plaisir et l’intérêt qu’on prendrait à le voir. Comment dire tout le bien qu’on pense de Sixième Sens sans expliquer pourquoi ? On m’a suffisamment fait, à tort ou à raison, le reproche de divulgâcher pour que je m’avance avec une prudence de Sioux.
En présentant le film, j’ai déjà laissé entendre qu’il comportait trois parties. La première, on peut en parler sans détour, met en scène un couple qui se déchire autour de son enfant. Il y a quelques mois, j’ai consacré une longue critique à Marriage Story qui racontait la séparation de deux personnages d’un couple interprétés par Adam Driver et Scarlett Johansson. j’y disais déjà le malaise que provoquait un tel spectacle – soit qu’on l’ait déjà vécu dans sa vie personnelle, soit qu’on appréhende de le vivre un jour – mais aussi l’intérêt de ces feel-bad movies, un néologisme qui ne fait guère florès, tant il est peu vendeur.
La deuxième partie s’organise autour d’une catastrophe. Je n’en dirai pas plus, sinon qu’il ne faut pas être grand clerc pour la deviner et qu’il faut l’être encore moins une fois que je vous aurais dit qu’elle m’a fait penser à La guerre est déclarée, le film exceptionnel du duo Valérie Donzelli – Jérémie Elkaïm dont vous vous rappelez le sujet.
Vient la troisième partie, celle qu’on voit le moins venir. Un long fondu au noir la sépare des deux précédentes. Le lieu de l’intrigue se déplace. On quitte Berlin pour Moscou – c’est un spoiler, mais un petit spoiler. Le ton du film change : on passe du drame familial à… autre chose. Un indice : il y a dans les deux premières parties du film un plan qu’on regarde sans le comprendre mais sans non plus y prêter attention, qui donne la clé de cette troisième partie.

J’en ai certainement trop dit…. ou pas assez. Je n’avais pas le droit d’expliquer pourquoi ce film vertigineux m’a secoué sans en révéler le contenu et en raconter l’intrigue. Vous êtes réduit à me faire confiance en courant le voir…. ou pas !

La bande-annonce