Des dizaines de patients attendent, une nuit de décembre 2018, au service des urgences de l’hôpital Lariboisière à Paris, après une manifestation des Gilets Jaunes. Parmi eux, Raf (Valeria Bruni-Tedeschi), la quarantaine, une dessinatrice en pleine crise conjugale avec son épouse Julie (Marina Foïs) qui tremble pour son fils Kevin, parti manifester et dont elle est sans nouvelles. Yann (Pio Marmaï), un routier nîmois en colère, monté à Paris pour manifester, dont la jambe a été blessée par une grenade de désencerclement. Et Kim (Aïssatou Diallo Sagna) qui enchaîne sa sixième nuit de garde, alors même que sa fille est malade, et qui tente avec toute la bonne volonté du monde et des moyens cruellement insuffisants, d’accueillir et de soulager la douleur des patients.
Catherine Corsini, figure installée de l’establishment cinématographique, réalisatrice notamment de Un amour impossible, adapté de Christine Angot, et La Belle Saison, mon coup de cœur de l’année 2016, s’attaque à un sujet casse-gueule et ouvertement politique. Son titre au singulier qui, au premier degré, évoque la fracture du coude qui conduit Raf à l’hôpital, est en fait pluriel. La fracture dont elle parle est triple.
Premièrement, fracture dans le couple. Le film raconte la crise conjugale de deux femmes qui vivent ensemble depuis dix ans. L’hystérie de chaque instant de Raf a achevé d’éloigner Julie qui souhaite rompre et déménager. Hantée par la peur de l’abandon, hyper-possessive, Raf ne l’accepte pas et invente tous les prétextes pour retenir Julie.
Deuxièmement, fracture dans la société. C’est la crise des Gilets Jaunes bien sûr qui est évoquée à travers le personnage de Yann, bouillant de rage et de colère, contre une vie de petits boulots, un salaire de misère et le sentiment humiliant de n’être ni écouté ni respecté.
Troisièmement, fracture à l’hôpital. Un service public gratuit où l’on soigne tous les malades sans considération de son statut. Mais un service public menacé par le manque de moyens et les cadences infernales.
La barque aurait pu être lourde et La Fracture sombrer. Tel est d’ailleurs l’avis de quelques amis particulièrement critiques avec ce film. Tel n’est pas le mien.
J’ai au contraire particulièrement goûté la fluidité de l’écriture de ce scénario qui maintient le rythme et l’intérêt sans temps mort. Unité de temps, unité de lieu, unité d’action : après un court prologue, tout se passe entre les quatre murs de l’hôpital bientôt assiégé par les forces de l’ordre qui veulent y poursuivre les Gilets jaunes qui y ont reflué.
Outre la qualité de son écriture, le principal atout de La Fracture est dans son interprétation. Avec une double mention pour Valeria Bruni-Tedeschi et Pio Marmaï. Le registre de la première n’est pas nouveau : l’hystérie ; mais elle l’interprète avec un tel talent qu’on ne peut qu’applaudir à sa prestation. Pio Marmaï lui aussi ne sort guère de sa zone de confort : celle du chien fou à la Dewaere ; mais là encore, il y est excellent.