Hallelujah, les mots de Leonard Cohen ★★☆☆

Le sous-titre de ce documentaire Hallelujah: Leonard Cohen, A Journey, A Song aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. Il y sera autant question de la chanson iconique de Leonard Cohen que de la vie et de l’oeuvre de ce poète canadien né en 1934 venu à la musique sur le tard et mort en 2016 après une longue carrière.

On pourrait, si l’on était difficile, lui en faire le reproche et l’accuser de ne pas avoir su choisir son parti : l’histoire d’une chanson ou l’histoire d’une carrière ? À force d’avoir vu tant de biopics qui racontent la vie d’un artiste du début à sa fin, on aurait aimé qu’il ait l’originalité de se focaliser sur la seule chanson. Mais hélas, tel n’est pas le cas. Disons, pour être synthétique, que Hallelujah raconte la vie de Leonard Cohen à travers le prisme de cette chanson-là. C’est déjà pas mal.

On y apprend que Leonard Cohen venait d’une famille juive aisée de Montreal, qu’il a d’abord écrit des poèmes avant de les chanter par hasard. On évoque à mots couverts sa vie amoureuse très riche, ses addictions (à l’alcool), sa quête spirituelle qui le conduisit notamment à se retirer pendant trois ans dans un monastère bouddhiste, ses soucis financiers (son impresario lui vola plusieurs millions de dollars et l’accula à la faillite).

La chanson Hallelujah aurait, à elle seule, justifié tout un film. Le documentaire nous raconte que Leonard Cohen a mis des années à l’écrire et a rédigé plusieurs centaines de couplets différents. Elle figure dans l’album Various Positions produit par Columbia qui refuse étonnamment, pour des motifs que le documentaire n’éclaire guère sinon en évoquant l’animosité du PDG de Columbia, qu’il sorte aux Etats-Unis.
Leonard Cohen en a chanté plusieurs versions, en puisant dans le stock immense des innombrables couplets qu’il avait composés. La première est d’inspiration mystique, qui fait référence au roi David. Ses deux premiers vers sont sublimes de beauté : « Now I’ve heard there was a secret chord/That David played, and it pleased the Lord » – alors que le troisième m’a toujours semblé bien pataud : « But you dont really care for music, do you? ». Mais bientôt, sur scène, Cohen change les paroles pour donner à la chanson un tout autre sens, beaucoup plus séculier.
La chanson ne sera guère connue avant d’être reprise, d’abord par Bob Dylan et John Cale, le chanteur gallois du Velvet Underground, puis par Jeff Buckley en 1994, dont la mort tragique en 1997 finit de conférer à ce tube une aura magique. C’est sa version dans le dessin animé Shrek, elle-même inspirée de la version de Rufus Wainwright, qui la fit connaître en 2001 du grand public.

Le problème de ce documentaire est, comme souvent dans ce genre, son académisme. On y retrouve toujours le même cocktail d’archives de l’époque et d’interviews de quelques survivants – dont on ne peut systématiquement s’empêcher de se dire qu’ils ont bien (= beaucoup) vieilli. Son autre problème est aussi de nous servir jusqu’à l’indigestion la chanson Hallelujah. Elle a beau être sublime, elle risque vite de provoquer une overdose !

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EO ★☆☆☆

EO est un âne paisible qui vit, à son corps défendant, bien des aventures. Il est employé dans un cirque sous la protection aimante d’une acrobate ; mais la faillite du cirque lui fait perdre sa protectrice. Il travaille ensuite comme bête de somme dans un haras où il jalouse les soins donnés aux plus beaux étalons. Il s’enfuit dans la forêt et est capturé au petit matin par des pompiers. Il devient la mascotte d’une équipe de foot mais tombe sous les coups des supporters de l’équipe rivale. Transporté de Pologne en Italie par un routier louche, il est recueilli par un prêtre défroqué, le fils d’une riche comtesse (Isabelle Huppert).

Jerzy Skolimowski, 84 ans, est une figure tutélaire du cinéma polonais. Ses réalisations, interrompues pendant dix-sept ans pour lui permettre de se consacrer à la peinture, traversent depuis plus de cinquante ans l’histoire du cinéma de son pays, à cheval, comme Roman Polanski son illustre compatriote, entre l’Est et l’Ouest. Sa filmographie frappe par sa richesse et sa variété : quoi de commun entre Deep End, qui suit un jeune garçon de bains employé dans une piscine du Swinging London, Essential Killing, où l’incandescent Vincent Gallo interprète un taliban en fuite, et 11 minutes un récit polyphonique ultra-moderne où la vie de plusieurs personnes se percute violemment l’espace d’un bref instant ?

EO s’inspire sans s’en cacher de Au hasard Balthazar. Mais la focale en est différente. Si dans le film de 1966 de Robert Bresson l’âne Balthazar tendait un miroir aux humains, l’âne EO de Skolimowski est le véritable héros de son film. Ou pour le dire autrement et employer de grands mots, EO est le premier film (je n’en connais pas d’autres mais me trompe peut-être) authentiquement animaliste et antispéciste [P.S. : je me trompais évidemment : il y eut Okja de Bong-Joon Ho en 2017]

Ce courant de pensée entend détrôner l’Homme de la position surplombante qu’il s’est arrogée depuis Descartes et reconnaître à tous les êtres vivants, quels qu’ils soient, un égal respect. Selon qu’on y soit favorable ou pas, sans doute l’opinion qu’on se fera du film variera. Essayons, même si ce n’est pas aisé et même si peut-être ce n’est pas pertinent, d’en faire abstraction et de juger EO sur ses seules qualités cinématographiques.

EO se veut un film sensoriel. On pense à la caméra caressante de Terrence Malick. On découvre la réalité à travers les yeux de EO – on imagine que si les contours de l’image sont flous c’est parce qu’un âne a une vision périphérique dégradée. On aurait aimé que EO pousse le parti pris jusqu’au bout et soit entièrement filmé en caméra subjective ; mais tel n’est pas le cas. On a aussi droit à quelques photos saisissantes de EO au milieu de la nature.

Mon sentiment mitigé sur le film vient de son scénario. Il est constitué d’une succession de vignettes où l’on suit EO à travers ses multiples aventures. Le problème est leur enchaînement et leur accumulation. Il y aurait pu en avoir trois de plus ou trois de moins sans que l’histoire s’en trouve significativement modifiée. Et la toute dernière, en Italie, où l’on retrouve (hélas) la surprenante Isabelle Huppert dans le rôle d’une richissime (et incestueuse ?) comtesse a achevé de me perdre.

La bande-annonce

R.M.N. ★★★☆

Après avoir frappé son contremaître dans la boucherie industrielle qui l’employait en Allemagne, Matthias rentre rapidement chez lui en Roumanie. Il y retrouve sa femme, dont il était sur le point de divorcer, son fils, qui s’est muré dans le silence depuis un événement traumatisant qui lui est arrivé sur le chemin de l’école, son vieux père, dont la santé s’affaiblit, et sa maîtresse. Le village de Matthias en Transylvanie est peuplé de roumanophones, de magyarophones et de germanophones unis par une haine commune à l’égard des Tziganes. Ce racisme va à nouveau s’exprimer quand la boulangerie industrielle située sur le territoire de la commune, après avoir sans succès diffusé une offre d’emplois, recrute trois Sri-Lankais.

Cristian Mungiu est peut-être le plus grand réalisateur roumain contemporain. La Palme d’or décernée en 2007 à 4 mois, 3 semaines, 2 jours a permis à de nombreux réalisateurs roumains talentueux de lui emboîter le pas et de se faire connaître à l’étranger : Cristi Puiu, Radu Jude, Radu Muntean, Corneliu Porumboiu, Marius Olteanu… Chacun des films de Mungiu est un événement. Son avant-dernier, Baccalaureat, aurait amplement mérité la quatrième étoile que, trop chiche, je lui ai refusée en 2016 à sa sortie …. mais il a obtenu pour se consoler le Prix du scénario et un double prix d’interprétation pour ses deux actrices à Cannes cette année-là.

Cristian Mungiu explore la même veine dans son dernier film dont le titre, ambitieux, annonce le programme. RMN est l’acronyme roumain d’IRM, cet examen radiologique prescrit au père de Matthias et auquel Mungiu soumet la Roumanie d’aujourd’hui pour en dénoncer les tares. Tout part d’un questionnement simple et d’un paradoxe intenable : pourquoi les Roumains qui, lorsqu’ils vont travailler en Europe de l’Ouest, sont en butte à un racisme ordinaire, ne se montrent-ils pas plus bienveillants à l’égard des étrangers qui s’installent dans leur pays ? À ce premier questionnement s’en greffe un second : pourquoi en particulier un petit village composé de plusieurs minorités qui ont appris à vivre ensemble ne se montre-t-il pas plus hospitalier que le reste de la Roumanie ethniquement plus homogène ?

Les films de Mungiu prennent le temps d’exposer leur sujet. Au-delà des collines et Baccalaureat dépassaient les deux heures. C’est aussi le cas de R.M.N. ; mais on ne s’y ennuie pas une seconde grâce à un scénario brillamment ficelé qui multiplie les points de vue et les rebondissements. Son point culminant est un long plan fixe de dix sept minutes filmé dans la salle des fêtes du village où tous les habitants sont rassemblés pour décider de l’expulsion des Sri-Lankais. Tour à tour, toutes les opinions s’expriment, la plupart manifestant une xénophobie aussi primaire que détestable (« les étrangers vont empoisonner notre pain, voler nos biens et violer nos femmes… »).

Je lance un appel au secours. R.M.N. se termine par une scène déroutante à laquelle je n’ai rien compris. Je lis dans Télérama que « dans une ultime pirouette, Cristian Mungiu réfute le pessimisme, en montrant ce que la nuit recèle aussi de profondeur énigmatique » ce qui ne m’a guère éclairé.

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L’Origine du mal ★★☆☆

Une jeune femme (Laure Calamy), à l’existence précaire, travaille à la chaîne dans une poissonnerie industrielle du sud de la France. Elle perd son logement. Sa mère, qui l’a élevée seule, vient de mourir. Son amoureuse purge en prison une longue peine. Elle se résout à recontacter son père (Jacques Weber), un richissime homme d’affaires qui vit reclus dans son hôtel particulier sur l’île de Porquerolles. Diminué par une attaque, le vieillard antisémite et homophobe, portant toujours beau, est entouré d’un quatuor de femmes qui réserve à la nouvelle arrivante un accueil hostile : sa femme (Dominique Blanc), une diva droguée au télé-achat, sa fille (Dora Tillier) qui a repris les rênes de l’empire familial, sa petite fille (Céleste Brunquell), l’œil vissé derrière son appareil photo, sa domestique (Véronique Ruggia Saura)…

Quelqu’un ment nous dit l’affiche. Mais qui ? L’Origine du mal n’est pas un whodunit construit autour d’un crime et de sa résolution. Sa structure est moins familière et plus complexe. On découvre vite l’identité du dissimulateur comme on comprend ses motifs. L’enjeu du film se déplace pour savoir s’il parviendra à ses fins et comment. Le scénario révèle quelques jolis rebondissements. Il aurait pu s’achever au tribunal ou à l’hôpital ; mais il continue une demi-heure supplémentaire dont l’utilité scénaristique ne saute pas aux yeux.

Sébastien Marnier, qui avait déjà signé deux films épatants (Irréprochable avec Marina Foïs et L’Heure de la sortie avec Laurent Lafitte) prend un plaisir communicatif à créer autour de Jacques Weber un décor hitchcockien de serre exotique étouffante (la bande son du dernier plan est saturée de cris nocturnes d’une faune équatoriale). Dominique Blanc s’en donne à cœur joie dans un personnage qu’on n’imaginait plus voir à l’écran depuis Le Boulevard du crépuscule. En revanche, Céleste Brunquell, un des plus grands espoirs du jeune cinéma français, est sous-exploitée.

Mais c’est surtout Laure Calamy dont le talent explose. On avait pris l’habitude depuis Antoinette dans les Cévennes de la cantonner aux rôles de quadragénaire nature et marrante. Déjà dans À plein temps – sans doute l’un des meilleurs films de l’année – elle montrait son potentiel dramatique. Ici, elle joue un personnage border line, vénéneux, chabrolien à souhait. Une nouvelle corde à son registre décidément très large.

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Tori et Lokita ★★★☆

Tori et Lokita sont deux mineurs subsahéliens immigrés en Belgique. Ils vivent dans un foyer, travaillent au noir dans une pizzeria et se rendent complices de petits trafics pour gagner un peu d’argent. Inséparables depuis qu’ils se sont rencontrés sur le bateau qui leur a fait traverser la Méditerranée, ils se font passer pour frère et sœur. Mais leur histoire ne tient pas devant les services de l’immigration qui, s’ils ont accepté de délivrer un titre de réfugié à Tori, le refusent à Lokita.
Pour obtenir de faux papiers et rester en Belgique auprès de Tori, Lokita est obligée d’accepter le travail que lui confient des trafiquants de drogue sans scrupule.

Depuis un quart de siècle les frères Dardenne nous livrent à intervalles réguliers des drames ciselés au scénario soigneusement écrit, au montage hyper efficace, mettant en scène des héros désespérés, damnés de la terre, filmés souvent de dos, caméra à l’épaule, confrontés à des dilemmes moraux insurmontables. Leur cinéma est encensé par la critique. Chacun de leurs films est sélectionné à Cannes et en repart couvert de gloire : deux Palmes d’Or (pour Rosetta en 1999 et L’Enfant en 2005), prix du scénario pour Le Silence de Lorna en 2008, Grand Prix pour Le Gamin au vélo en 2011, prix de la mise en scène pour Le Jeune Ahmed…. Tori et Lokita est reparti de Cannes en 2022 avec le prix du 75ème, inventé tout exprès pour les frères Dardenne.

Cette avalanche de récompenses peut susciter la lassitude sinon le soupçon. Cette constance à explorer la même veine peut être dénoncée comme l’épuisement d’un genre et l’incapacité à le renouveler. Murielle Joudet dans Le Monde, l’exprime à la perfection dan sa critique de Tori et Lokita : « C’est l’habituel marathon de la souffrance, un peu plus sombre que d’habitude. Consciemment, l’intention des cinéastes reste inchangée : ils veulent éveiller les consciences, faire que les spectateurs « éprouvent aussi un sentiment de révolte contre l’injustice qui règne dans nos sociétés ». Inconsciemment, la mise en scène articule tout autre chose : celle-ci ne provoque plus vraiment d’empathie face à deux héros excessivement sanctifiés, mais un effet de déréalisation face à la démultiplication des malheurs, au dépouillement des décors, et au pessimisme qui semble teinter la conscience politique des Dardenne. Ici, ce n’est pas la violence du monde qui s’acharne sur le noble duo, mais bien plutôt un engrenage scénaristique, reconnaissable au premier plan. »

La critique est pertinente. Elle n’en est pas moins injuste : reproche-t-on à une montre suisse de donner l’heure exacte ?
Certes, le cinéma des films Dardenne n’a pas changé et reproduit de film en film les mêmes recettes éprouvées. Mais il le fait avec une telle efficacité qu’on ne s’en lasse pas. Loin de céder à la facilité, les frères Dardenne, bientôt septuagénaires, filment toujours à l’os, en retirant de leurs scénarios tout ce qui n’y est pas indispensable. Leurs films dépassent rarement l’heure et demie (Tori et Lokita dure quatre-vingt-huit minutes) car ils n’ont pas besoin de plus pour produire leur effet et délivrer leurs messages.

Alors, oui : les frères Dardenne ne sont pas des optimistes benêts. Leurs films se terminent rarement par un happy ending œcuménique. Et Tori et Lokita n’y fera pas exception. Mais c’est peut-être parce que l’état du monde et celui des plus fragiles n’incitent guère à l’optimisme hélas.

Un seul bémol peut-être : la pauvreté de l’interprétation. Dans leurs films précédents, les frères Dardenne savaient s’entourer des meilleurs : Jérémie Renier, Olivier Gourmet, Cécile de France, Adèle Haenel, Marion Cotillard…. Depuis Le Jeune Ahmed, ils font tourner des quasi-inconnus qui n’en ont pas le talent.

La bande-annonce

Un beau matin ★★☆☆

Sandra (Léa Seydoux) est interprète trilingue français-anglais-allemand. Elle élève seule sa fille. Son père, Georg Kinsler (Pascal Greggory), ancien professeur de philo, est atteint d’une maladie dégénérative rare, le syndrome de Benson, qui rend impossible son maintien à domicile. Avec sa mère (Nicole Garcia) et sa sœur, Sandra va devoir organiser son placement en EHPAD et disposer de son impressionnante bibliothèque.

Qu’une réalisatrice aussi sensible que Mia Hansen-Løve (L’Avenir avec Isabelle Huppert, Maya, Bergman Island sans doute son film le plus abouti à ce jour) ait décidé d’évoquer la fin de vie d’un être cher avait tout pour séduire, même si le sujet est devenu ces temps derniers au cinéma un marronnier (Tout s’est bien passé, Falling, Supernova, The Father…). Sa bande-annonce m’avait donné l’eau à la bouche.

J’avoue une légère déception. La raison en est triple.

La première tient à Léa Seydoux. Sans aller jusqu’à provoquer chez moi la réaction épidermique que suscite une certaine actrice, je trouve que décidément son jeu est très pauvre et m’interroge sur son talent. Si en plus, elle accepte de s’enlaidir dans un jean hideux et avec une coupe à la garçonne, on passe la mesure.

La deuxième tient à la romance qui s’esquisse avec Clément (Melvil Poupaud), un astrophysicien ou un cosmo-chimiste qui n’a pour seul défaut que celui d’être marié et d’avoir beaucoup de mal à se détacher de sa femme. Outre que les atermoiements du bellâtre donnent le tournis (un jour je reste, l’autre je pars), cette histoire d’amour nous détourne du sujet du film : la sénilité de Georg et sa mort inéluctable.

La troisième tient précisément à la façon dont ce sujet-là est traité. Aucun blâme à adresser à Pascal Greggory dont la richesse et la finesse du jeu éclatent dans son incroyable interprétation, le regard vide, la démarche hésitante et le sourire aux lèvres du vieillard bienveillant qui, au lieu de râler sur son sort, s’excuse du tracas qu’il cause à ses proches et leur est reconnaissant du temps qu’ils lui consacrent. Mais une critique au scénario faiblard qui ne raconte pas grand chose des difficultés à trouver un établissement accueillant et de la culpabilité qui ronge ses proches à l’y abandonner. Point aveugle du récit : le décès inéluctable de Georg que le scénario n’a pas su comment traiter et que, lâchement, il préfère éviter en s’achevant avant terme en queue de poisson par un happy end aussi frustrant qu’improbable.

La bande-annonce

Simone, le voyage du siècle ★☆☆☆

La vie de Simone Veil (1927-2017) a traversé le siècle, ses épreuves et ses combats. Déportée à Auschwitz à seize ans à peine, elle y survit par miracle avec sa sœur aînée, mais y perd sa mère. Mariée à Antoine Veil, avec qui elle aura trois enfants, elle doit renoncer à devenir avocate et entre dans la magistrature. À l’administration pénitentiaire, elle se bat pour améliorer la condition des détenus. Elle entre au Gouvernement en 1974 et porte courageusement le projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse. En 1979, elle conduit la liste UDF aux élections européennes et devient la première femme à présider le Parlement européen. En 1993, elle revient aux Affaires sociales et prend la mesure de l’épidémie du Sida. À la fin de sa vie, adulée par les Français, elle entre à l’Académie française et écrit ses Mémoires.

Il y avait un risque fatal à statufier la figure intimidante de Simone Veil. Olivier Dahan, dont l’économie n’est pas la marque de fabrique, ne l’évite pas tout à fait. Son biopic, au sous-titre pontifiant, tombe souvent dans le piège de la grandiloquence. Il ramène toute la vie de Simone Veil sur l’événement traumatisant qui l’a fondée : sa déportation à Auschwitz, qui est filmée sans nous en épargner le moindre des passages obligés : le long périple en wagon à bestiaux bondé, l’arrivée nocturne au camp au milieu des SS, de leurs chiens et des kapos, le tri devant le portail sinistrement orné de la devise « Arbeit macht frei », la tonte humiliante, les appels interminables sous la pluie glacée, la vie sur les bat-flanc à disputer sa maigre nourriture aux rats, les cheminées qui crachent les cendres des gazés…
Le film passe beaucoup plus vite hélas sur le reste de la vie de Simone Veil, en particulier sur son combat pour l’avortement, expédié en deux coups de cuillère à pot, là encore en alignant les lieux communs : le célèbre discours à la tribune du Palais-Bourbon, la misogynie veule des autres députés, les lettres d’insulte, la sororité des femmes reconnaissantes à la ministre de leur avoir enfin donné le droit de disposer librement de leur corps…

La critique a été particulièrement prompte à dénoncer la maladresse de ce film boursouflé et bien-pensant – même si s’en prendre à la figure irréprochable de Simone Veil pouvait sembler a priori blasphématoire. Télérama s’en donne à cœur joie : « Une biographie de Simone Veil en sainte laïque qui, au fil de cent quarante minutes en paraissant le double, suscite une consternation plus ou moins rigolarde puis une franche colère ». Le Monde n’est guère plus tendre : « un art de la reconstitution et du jeu plâtreux, corseté, irrespirable, qui aurait davantage sa place au Musée Grévin qu’au cinéma ».

Au seul vu de la bande-annonce, tout pétri de préjugés que j’étais, je suis allé voir ce film en imaginant déjà avec une joie mauvaise le mal que j’en dirais. Mais l’honnêteté me l’interdit. Simone est moins mauvais que je l’avais pensé. Certes le maquillage imposé à Elsa Zylberstein est dérangeant. Mais la fraîcheur et l’énergie de Rebecca Marder qui interprète Simone jeune (on aura compris que Elsa Zylberstein interprète Simone vieille… oui… je sais… lamentable…. pardon….) le font presque oublier. Le montage qui joue à saute-moutons à travers les époques sans imposer au spectateur une interminable narration chronologique dynamise le spectacle. Et les vues ensoleillées de la baie de la Ciotat, du Bec de l’aigle et de la calanque de Figuerolles auront achevé de m’amadouer.

La bande-annonce

L’Innocent ★★★☆

Jeune veuf, Abel (Louis Garrel) est abasourdi d’apprendre que sa mère Sylvie (Anouk Grinberg), la soixantaine joyeusement frappée, a décidé d’épouser Michel (Roschdy Zem), un braqueur à qui elle donnait des cours de théâtre en prison. Si Michel, à sa libération, a promis de se ranger et propose à sa nouvelle épouse d’ouvrir une boutique de fleurs dans le Vieux Lyon, Abel et sa meilleure amie Clémence (Noémie Merlant) ont raison de suspecter anguille sous roche. Car bientôt Michel les entraîne dans la préparation d’un casse rocambolesque.

L’Innocent déboule sur les écrans, précédé d’une réputation flatteuse. Les critiques sont excellentes. La foule, dont on craignait qu’elle ait déserté les salles obscures, s’y presse pour aller le voir. Elle ne sera pas déçue : L’Innocent est une totale réussite.

Cette réussite, Louis Garrel la doit au scénario malin qu’il a co-écrit avec Tanguy Viel, le romancier à succès dont les livres exigeants publiés aux Editions de Minuit aiment raconter des intrigues complexes très cinématographiques.
Sa mise en place est lente sinon besogneuse. Il faut près d’une heure à L’Innocent pour poser le cadre de son intrigue et caractériser ses personnages. Mais le spectateur impatient sera bientôt récompensé par une scène d’anthologie que chaque critique, chaque interview du réalisateur évoque longuement : celle où Abel et Clémence doivent jouer une scène de ménage pour détourner l’attention du conducteur du camion rempli de caviar qu’Abel et un complice veulent dévaliser. Cette scène, où les deux protagonistes se révèlent l’un à l’autre leurs sentiments profonds, est un bijou de drôlerie, d’émotion et de dramaturgie.

Louis Garrel réunit autour de lui des acteurs exceptionnels. Lui ferait-on le procès de se mettre une fois encore en scène (comme il l’avait déjà fait dans les trois précédents films dont il avait signé la réalisation Les Deux Amis, L’Homme fidèle, La Croisade), on lui répondrait qu’il ne se donne pas le beau rôle. Au contraire. Son personnage est un veuf triste, un fils inquiet et protecteur que la moindre prise de risque tétanise. Ce sont les trois autres personnages qui dirigent l’action et la font subir à Abel : Sylvie interprétée par Anouk Grinberg que l’on pensait définitivement rangée des voitures, Michel, ce voyou élégant dont Roschdy Zem endosse avec un plaisir communicatif le veston en cuir des petites frappes, et Clémence. Noémie Merlant est éblouissante dans ce rôle. On le pressent dès la bande-annonce où elle crève l’écran (je ne me lasse pas de l’entendre répéter « Je veux draguer le chauffeur »). On le mesure dans le fameux face-à-face dans le restoroute – malgré les faux-raccords sur son maquillage.

Cerise sur le gâteau : Louis Garrel a habillé sa bande-annonce de tubes des années 80 joyeusement démodés, dont les dégueulandos sont restés gravés dans notre mémoire : Pour le plaisir de Herbert Léonard, Nuit magique de Catherine Lara, Une autre histoire de Gérard Blanc….

Mon meilleur ami, cinéphile aux goûts pointus (il vénère Ruben Östlund, Peter Greenaway ou Michael Hanneke et ne supporte pas Cédric Klapisch ou Michel Hazanavicius) est sorti de l’Escurial très déçu. Le film, à l’en croire, était mal joué. L’intrigue d’après lui manquait de crédibilité. Sa conclusion, accuse-t-il, était prévisible et téléphonée. Je comprends sa critique. Je reconnais que L’Innocent ne restera pas dans les annales et que la marque qu’il laissera sera vite effacée. Pour autant, je me refuse à bouder le plaisir jubilatoire que ce feel good movie fait naître au croisement du polar, de la comédie familiale et de la romance.

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Butterfly Vision ★☆☆☆

Lilya (Rita Burkovska) est une jeune opératrice ukrainienne pilote de drone. Capturée par les séparatistes du Donbass, elle fait l’objet d’un échange de prisonniers et rentre à Kiev où l’attendent Tokha son époux, un ancien militaire comme elle, sa mère et ses anciens compagnons de lutte démobilisés. Malgré ses cauchemars récurrents, Lilya cache aux siens les viols qu’elle a subis et l’enfant qu’elle attend. Elle doit rapidement décider d’avorter ou pas.

Présenté à la sélection Un certain regard au dernier festival de Cannes, Butterfly Vision est le premier film d’un jeune réalisateur ukrainien. Il a pour thème le retour au foyer d’un ancien prisonnier de guerre après une captivité traumatisante. C’était celui de Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter) ou de Rambo. Une scène du premier m’avait marqué – sans parler évidemment de la roulette russe jouée par Christopher Walken : celle où Robert De Niro sort du taxi qui le ramène chez lui, voit sa maison pavoisée et ses amis qui l’y attendent pour célébrer son retour, mais se refuse à y rentrer. Elle m’avait dérouté à l’époque. Je ne comprenais pas comment on pouvait ne pas avoir envie de fêter sa libération avec les siens. La maturité – et la misanthropie – aidant, je la comprends mieux aujourd’hui.

L’invasion qu’a subie l’Ukraine a provoqué une telle indignation à travers le monde qu’elle a compliqué la réception des films ukrainiens, surtout lorsqu’ils ont la guerre pour objet. Comment ne pas les applaudir en solidarité avec les épreuves que ce peuple courageux traverse ? Comment s’autoriser la moindre réserve qui ne soit pas aussitôt interprétée comme un manque de soutien à la résistance ukrainienne voire un appui silencieux à l’agresseur russe honni ?

Butterfly Vision appelle d’autant moins de réserves qu’il a reçu des critiques unanimement positives et qu’il a l’honnêteté, à travers le personnage de Tokha et les choix qu’il fait, d’évoquer la face sombre du nationalisme ukrainien. Pour autant, je dois avouer honteusement que ce film ne m’a pas embarqué. Une fois qu’on a compris le traumatisme subi par son héroïne et pressenti la décision qu’elle va prendre, Butterfly Vision perd toute tension, tout suspens. Le fil du récit se détend. Si Lilya inspire de la sympathie et sa résilience de l’admiration, son histoire tristement banale et la façon dont elle se dénoue ne suscitent guère d’intérêt.

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Les Harkis ★★☆☆

Les Harkis raconte la vie de 1959 à 1962 de ces hommes algériens qui se sont engagés sous le drapeau français avec la promesse que jamais la France ne les abandonnerait. À travers l’histoire de Salah, de Kaddour et de Djilali qui rejoignent la harka placée sous les ordres du lieutenant Pascal, on comprend le quotidien de ces supplétifs chargés des basses oeuvres de l’armée française. Quand la rumeur des négociations menées par le Gouvernement français avec le FLM s’ébruite, leur inquiétude sur leur sort croît. Quand la victoire des fellaghas et l’indépendance se dessinent, ils savent qu’aucun retour en arrière n’est pour eux possible. La seule issue est le départ en métropole avec leur famille. Mais la France a tôt fait d’oublier ses promesses et la détermination du seul lieutenant Pascal à les aider ne suffira pas.

Philippe Faucon est un réalisateur toulonnais qui a creusé depuis trente ans un sillon original dans le cinéma français. Son oeuvre peut se lire comme le portrait d’une France post-coloniale qui n’a jamais réussi à solder un passé qui ne passe pas. La guerre d’Algérie en constitue le point aveugle dont les repercussions continuent à travailler la communauté maghrébine installée en France et compliquent son intégration. Philippe Faucon a obtenu la consécration en 2015 avec le César du meilleur film pour Fatima. Mais ce film, qui est resté un semi-échec au box-office, ne lui a pas pour autant apporté la célébrité.

Les Harkis a deux qualités éminentes. La première est de lever le voile sur un pan oublié de notre histoire. Contrairement à un raccourci souvent répété, la guerre d’Algérie n’est pas la grande absente du cinéma français. Plusieurs films, plusieurs documentaires, et non des moindres, lui ont été consacrés : Le Petit Soldat de Jean-Luc Godard, Avoir vingt ans dans les Aurés de René Vautier, La Guerre sans nom de Bertrand Tavernier, Mon Colonel de Laurent Herbiet… Philippe Faucon lui-même s’était déjà frotté au sujet en adaptant le bref récit de Claude Sales La Trahison. Pour autant, la guerre d’Algérie n’a pas laissé dans le cinéma français l’empreinte dont celle du Vietnam a marqué Hollywood.

La seconde est la méticulosité quasi documentaire avec laquelle Les Harkis radioscopie une panoplie de situations humaines. À travers les destins de Salah, de Kaddour, de Djelali, c’est un échantillon très représentatif des profils de ces hommes et des motifs pour lesquels ils s’engageaient qui est passé en revue : attachement sincère à la France et à l’Algérie française, réaction au crime barbare d’un frère par les fellaghas, nécessité économique de nourrir sa famille…. Ce souci sociologique poussé trop loin finit d’ailleurs par donner au film le ton un peu trop appliqué d’un essai de sciences politiques.

Le principal défaut du film est sa brièveté : une heure et vingt-deux minutes seulement pour une fresque qui aurait pu constituer la matière d’une série à épisodes. Les personnages y sont trop brièvement dessinés sans qu’on parvienne clairement à les identifier et a fortiori à s’y attacher. Le film se termine brutalement et a besoin de longs cartons explicatifs pour se clore, une autre page de la vie des harkis s’ouvrant après 1962, en Algérie ou en France.

Mais Les Harkis a un autre défaut. Il démontre, s’il en était besoin, que la France a en Algérie auprès de ces hommes doublement trahi sa parole. Elle l’a trahie en leur faisant miroiter une victoire sur les indépendantistes dont ils auraient pu partager les dividendes. Elle l’a trahie en leur promettant de les protéger dans la défaite alors qu’elle n’avait jamais eu l’intention ni les moyens de tous les rapatrier en métropole avec leurs familles.
La faute ne fait pas de doute. Mais, à elle seule, aussi grave soit-elle, elle peine à constituer le ressort dramatique de tout un film.

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