Le Lycéen ☆☆☆☆

Lucas est un lycéen sans histoire. Il vit en Savoie entouré de l’affection aimante de sa mère (Juliette Binoche), professeure des écoles, et de son père (Christophe Honoré himself), prothésiste dentaire. Son homosexualité assumée ne pose aucun problème à sa famille. Sa vie éclate brutalement lorsque son père meurt dans un accident de la circulation. Son frère aîné (Vincent Lacoste), qui s’est installé à Paris, propose de l’héberger quelques jours pour lui changer les idées. Lucas y fait la rencontre de Lilio (Erwan Kepoa Falé), le meilleur ami de son frère, un artiste noir déclassé, et en tombe immédiatement amoureux.

Christophe Honoré a perdu son père à quinze ans. Dans une troublante mise en abyme, il prend la place de ce mort en interprétant le rôle du père de Lucas, et le volant de la voiture (donc pas la place du mort) dans laquelle son père se tuera (donc il est bien à la place du mort). Comprenne qui pourra….
La mort du père occupe le premier tiers du film qui en comprendra deux autres. Ils suivent Lucas dans son travail de deuil. Sa première partie se déroulera à Paris chez ce frère aîné auquel Lucas est si intimement lié mais avec lequel pourtant il ne cesse de s’affronter dans de violentes disputes. Sa seconde – dont je je dis déjà trop – voit Lucas revenir à Chambéry, plonger au fond du gouffre et en ressortir.

Je conçois parfaitement qu’on puisse s’enthousiasmer pour ce Lycéen, qu’on y voie le portrait, doux et dur à la fois, d’un adolescent en pleine crise existentielle. Je comprends qu’on salue la révélation de Paul Kircher, le fils de la sublime Irène Jacob (dont le dernier plan dans La Double Vie de Véronique constitue pour moi, et à jamais, un sommet de grâce indépassable). Je comprends encore qu’on puisse être touché par le chagrin de ce deuil, surtout si on l’a soi-même vécu, et par les tâtonnements de cet adolescent qui, au seuil de l’âge adulte, se cherche une place dans le monde.

Mais, je dois hélas avouer que ce quatorzième fils de Christophe Honoré, comme d’ailleurs la plupart de ses précédents depuis Dans Paris, Les Chansons d’amour, Plaire, aimer et courir vite, m’a déplu. Je n’aime pas les affèteries de son cinéma (un mot dont je maîtrise mal le sens mais qui, dans mon esprit critique son artificialité, ses tics, sa vacuité). Je le trouve parisianiste dans le pire sens du terme, vain, superficiel ou, pour le dire autrement, faussement profond.
C’est le jugement sans appel et éminemment subjectif que je porte sur le personnage chouinant de Lucas auquel je me suis retenu, tout le film durant, de filer des claques en le renvoyant dans sa chambre.

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Une comédie romantique ★☆☆☆

César (Alex Lutz), un artiste raté, revient à Paris après trois ans d’absence. Il squatte l’appartement de son frère, dont l’épouse est sur le point d’accoucher. Il retrouve Salomé (Golshifteh Farahani), son amoureuse, qu’il avait abandonnée sans lui donner de nouvelles et qui élève désormais leur petite fille, âgée de trois ans. Est-il trop tard pour César pour se racheter et reconquérir Salomé ?

Sitôt la question posée, on connaît déjà sa réponse. Un coup d’oeil à l’affiche aura suffi. Une comédie romantique est une comédie du remariage, comme le cinéma de l’âge d’or de Hollywood savait nous en offrir (Cette sacrée vérité, L’Impossible Monsieur Bébé) et comme il en retourne encore de temps en temps quelques unes (Ticket to Paradise, que je n’ai pas vu, en est semble-t-il le dernier médiocre avatar en date).

J’adore Alex Lutz. Je n’ai pas eu la chance d’assister à ses seuls en scène. Mais j’ai trouvé 5ème set (sur l’impossible retour au sommet d’un joueur de tennis vieillissant) et surtout Guy (sur un artiste de variété déchu) incroyablement originaux et réussis.
J’attendais beaucoup de sa rencontre avec l’incandescente Golshifteh Farahani. Je n’ai pas été déçu par le jeu des deux acteurs, aussi pétillants l’un que l’autre. Mais j’ai été consterné par la platitude du scénario de ce film, tourné dans le décor archi-caricatural de Montmartre. Tout récemment, l’adaptation de la BD de Bagieu & Boulet, La Page blanche, y avait été tournée aussi. C’est à se demander ce que les réalisateurs recherchent dans ces décors essorés jusqu’à la trame depuis une certaine Amélie P.

On ne pourra pas reprocher à cette Comédie romantique de nous tromper sur la marchandise. Son titre, son affiche annoncent la couleur. J’aurais dû me méfier et m’épargner d’aller le voir en salles. Un film parfait à regarder avec son amoureux.se un dimanche sous la couette…. mais pas mieux.

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Juste une nuit ★★☆☆

Fereshteh est une jeune Iranienne, installée de fraiche date à Téhéran, qui a caché à ses parents provinciaux sa grossesse et la naissance de son enfant dont le père refuse d’assumer la paternité. C’est la panique quand ses parents s’invitent chez elle sans préavis, risquant de découvrir le pot-aux-roses. Elle doit d’urgence vider son appartement des objets susceptibles de révéler l’existence de son bébé et le confier à un bon Samaritain pendant qu’elle accueillera ses parents.

Le cinéma iranien est décidément d’une étonnante richesse. Il est aussi – et c’est un reproche qu’on a mauvaise conscience de lui adresser – un peu répétitif : les grands réalisateurs que sont Jafar Panahi ou Asghar Farhadi nous livrent à chaque fois des histoires tragiques qui nous serrent le cœur, où il est question de libertés étouffées et de destins contrariés. Sans doute a-t-il de bons motifs de l’être, l’actualité nous rappelant la révolution qui y couve.

Juste une nuit a été conçu et tourné avant les événements récents. Il n’en annonce pas moins la trame en prenant pour héroïne une de ces femmes iraniennes qui ploient sous l’adversité, confrontées à une société patriarcale déshumanisante. Parce que son amoureux n’était pas prêt à le reconnaître, parce que ses parents n’étaient pas prêts à l’entendre, elle a dû assumer seule sa maternité et la naissance de son enfant. Pour l’épauler, elle ne peut compter que sur une amie, Atefeh. Mais Atefeh, qui habite dans une résidence universitaire, ne peut pas héberger l’enfant. Pas plus ne peut-elle prendre une chambre d’hôtel qu’on refuserait de louer à une femme seule avec un bébé qui n’est pas le sien. Il faut donc lui trouver un toit et un gardien.

Le film, quasiment réalisé en temps réel, suivra pendant quelques heures les deux amies dans une course contre la montre asphyxiante. Son défaut est qu’on sait par avance qu’elles échoueront systématiquement – dans l’hypothèse inverse, le film s’arrêterait immédiatement : en sonnant à la porte d’une voisine, en sollicitant un ancien flirt, en retrouvant la trace du père… Chaque épisode est une nouvelle étape sur un long chemin de croix, de plus en plus pénible. On pense à Rosetta ou Deux jours, une nuit des frères Dardenne et à leurs héroïnes têtues filmées de dos, comme les deux héroïnes de Juste une nuit.

Le défaut de ce film est sa linéarité qui prend le spectateur en otage. Il se termine comme on l’avait pressenti. Il se clôt sur un gros plan face caméra, une formule de style qui devient la norme (c’est avec le même regard que se terminent La Maison sorti le même jour ou Les Repentis sorti la semaine précédente), mais qui est diablement efficace.

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Les Bonnes Etoiles ★☆☆☆

Une jeune femme abandonne, par une pluvieuse nuit d’été, son bébé dans une « baby box » à Busan en Corée. Au lieu d’être recueilli par l’association charitable dont c’est le rôle, ce bébé est kidnappé, par deux filous, Dong soo, un enfant trouvé lui aussi, et Sang-hyeon (Song Kang-Ho, le héros de Parasite, dont l’interprétation ici lui a valu le prix d’interprétation masculine à Cannes), le propriétaire d’un pressing au bord de la faillite. Poursuivis par deux policières qui les traquent en attendant de les arrêter en flagrant délit et bientôt rejoints par la mère du bébé, prise de remords, Dong soo et Sang-hyeon prennent la route pour vendre le bébé à un couple en mal d’adoption.

Le dernier film d’Hirokazu Kore-eda mettait l’eau à la bouche. On avait adoré les précédents films de ce grand réalisateur japonais, en particulier Nobody Knows (2004) sur une nombreuse fratrie abandonnée par sa mère et condamnée à survivre tant bien que mal sans elle. Une affaire de famille recevait la Palme d’or en 2018, une distinction qui récompensait autant sinon plus une œuvre tout entière qu’un seul film.

Les Bonnes étoiles – dont le titre prend un parti beaucoup plus bienveillant que son titre original, « Broker », un terme anglais nettement plus péjoratif, qui désigne un courtier ou un intermédiaire – explore une fois encore un thème cher à Kore-eda : la famille. De qui sommes-nous les enfants ? De nos parents biologiques ou de ceux qui nous ont élevés ? À longueur de films Kore-eda ressasse la même question, dont il faut reconnaître que la réponse ne fait guère de doute : les liens de l’affection ne sont pas moins puissants que ceux du sang.

J’attendais énormément de ces Bonnes Etoiles. Je n’en ai été que plus amèrement déçu. J’avoue avoir été perdu par un scénario inutilement compliqué, qui multiplie les fausses pistes. Plus grave : alors que je pensais pleurer des rivières, je n’ai pas été ému un seul instant, même pas dans cette dernière demi-heure que les critiques m’avaient promise lacrymale à souhait. Est-ce le signe que j’ai un cœur de pierre ? que je suis passé à côté du film ? qu’il vaut moins que ce qu’on en dit ?

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Rimini ★★☆☆

Richie Bravo (Michael Thomas) est un crooner vieillissant qui chante des mélopées sirupeuses dans des thés dansants organisés pour quelques touristes allemandes du troisième âge dans la cité balnéaire de Rimini, sur la côte adriatique, à la morte saison. Il vivote des cachets de ses concerts et des cadeaux de ses amantes, vieilles et esseulées. Sa mère vient de mourir en Autriche et son père se meurt dans un EHPAD. La vie de Richie Bravo bascule lorsque sa fille, Tessa, lui rend visite à Rimini et exige qu’il lui paie les pensions alimentaires qu’il n’a jamais versées à sa mère.

Ulrich Seidl est un réalisateur autrichien provocateur et dérangeant. Il vient du documentaire et ses fictions en gardent la trace. Sa filmographie est une radioscopie houellebecquienne du mal-être de ses contemporains, de leur misère sentimentale et sexuelle et du passé mal refoulé de ses compatriotes autrichiens.
Son triptyque Paradis n’avait rien de paradisiaque : l’Amour est celui, voué à l’impasse, d’une quinquagénaire esseulée pour un go-go boy kenyan, la Foi est celle d’une prêcheuse fanatique qui transforme son appartement en chapelle expiatoire, l’Espoir est celui d’une adolescente obèse qui tombe amoureuse de son nutritionniste.
Son Sous-sols renvoyait évidemment au ça freudien, aux zones les plus turpides de notre inconscient.

Son dernier film en date est aussi amer et dérangeant que les précédents. Il est filmé dans le décor incroyable d’une station balnéaire italienne noyée dans un épais brouillard et même recouverte de neige. Il montre, sans en rien édulcorer (ses scènes de sexe glauques lui valent une interdiction justifiée aux moins de douze ans) la vie sordide d’un vieux gigolo qui profite de la solitude de ses admiratrices pour leur arracher quelques billets. On comprend qu’il a connu sinon la gloire du moins une certaine notoriété qui lui a permis de vivre dans une relative aisance. Mais sa grande villa envahie des reliques de cette gloire passée porte les marques de sa lente et inexorable décrépitude.

Le film aurait pu en rester là. Il l’aurait dû. Mais il aurait risqué de faire du sur place. Pour le dynamiser, le scénario a imaginé l’irruption de la fille du héros. C’est dommage. Car les efforts de Richie Bravo pour renouer les liens avec sa fille perdue de vue semblent bien mièvres au regard de ce qu’on avait vu jusque là sans avoir besoin de le verbaliser.
On sait par avance que Rimini se conclura par le versement du père à sa fille de la dette qu’il lui doit. En ayant déjà trop dit, je n’en dirai pas plus. Mais j’évoquerai pour la déplorer une postface sentencieuse et inutile.

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Plus que jamais ★★★☆

Hélène (Vicky Krieps) est frappée d’une maladie mortelle, une fibrose pulmonaire idiopathique (FBI) qui risque de l’asphyxier si elle n’est pas greffée. L’attention aimante de son conjoint, Matthieu (Gaspard Ulliel), ne suffit pas à réconforter la jeune femme qui décide de fuir, seule, en Norvège pour y décider de son destin.

La campagne marketing de Plus que jamais repose en grande partie sur un argument morbide : ce serait le dernier film de Gaspard Ulliel, brutalement décédé dans un accident de ski en janvier 2022, après le tournage l’été précédent.

Plus que jamais n’a pas besoin de cet argument-là pour se vendre. Son sujet à lui seul suffit à en justifier l’intérêt. Il pose en effet une question universelle : comment réagir à l’imminence de la mort ? Faut-il en parler ? faut-il la taire ? La question résonne tout particulièrement pour ceux qui, comme moi, affichent narcissiquement le moindre de leurs faits et gestes sur les réseaux sociaux : posterons-nous la radio scintillante de nos métastases osseuses comme on poste complaisamment celles de nos dernières lectures avec une tasse de café fumant ?
Ce film en pose une autre, encore plus effrayante : comment partagerons-nous notre maladie avec nos proches ? Leur en fera-t-on porter le poids ? Le véritable amour ne consiste-t-il pas à les épargner et à les laisser vivre en euphémisant notre souffrance et notre angoisse ? Ou bien, au contraire, est-il orgueilleux de se draper dans un stoïcisme hors de propos et d’affronter seul la maladie ? De ces deux attitudes opposées, laquelle est la plus égoïste ?

À toutes ces questions, Plus que jamais répond frontalement avec une extraordinaire pudeur. Il le doit à la justesse du jeu de Vicky Krieps, cette actrice luxembourgeoise dont la célébrité explose depuis quelques années (De nos frères blessés, Serre-moi fort, Old, Bergman Island, Phantom Thread….). Elle réussit à être fragile et forte à la fois : la vie la quitte lentement à chaque inspiration, de plus en plus haletante, mais son esprit se débat avec une force inentamée entre instinct de survie et acceptation apaisée de l’inéluctabilité de la mort.
L’autre atout du film est les paysages majestueux des fjords de Norvège. Leur beauté sauvage est l’écrin intimidant dans lequel Hélène veut, contre toute raison, vivre ses derniers moments. Le soleil de minuit qui l’empêche de dormir éclaire paradoxalement ce film crépusculaire.

À me lire, vous vous imaginez déjà la dernière scène du film. Elle ne sera pas pourtant celle que vous croyez. Elle m’a rappelé celle de Quelques heures de printemps – où Vincent Lindon accompagnait dans son ultime voyage sa mère, interprétée par Hélène Vincent, qui souhaitait être euthanasiée en Suisse. Comme elle, elle m’a arraché des sanglots.

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Service public ★★☆☆

Vous aimez le journalisme ? Vous aimez la politique ? ce documentaire est pour vous.
Salhia Brakhlia anime depuis 2020 avec Marc Fauvelle la matinale de France Info. Pendant l’année qui précède les élections présidentielles, elle a accepté d’être suivie par la caméra de Mouloud Achour.

L’exercice a sa part d’ambiguïté : les séquences retenues font un peu trop la part belle à sa réalisatrice/personnage principal/héroïne. Quelles sont celles qui ne l’ont pas été et qui l’auraient peut-être présentée sous un jour moins favorable ?

Toujours est-il que ce documentaire éclaire la profession de journaliste, en en montrant d’abord les contraintes : se lever chaque jour à 3h30, pour lire la presse et être sur le pont pour ouvrir la matinale. Mais la principale contrainte est dans la neutralité qu’il faut impérativement garder. Neutralité dans la liste des invités qui doit englober tous les candidats. Neutralité dans la façon de mener les interviews en évitant le double écueil systématiquement reproché à tous les journalistes : qu’ils portent la contradiction, on leur reprochera d’être de parti pris, qu’ils se taisent, on leur reprochera leur complaisance. Ce défi-là semble avoir été gagné. La preuve : les critiques reçues de tous les horizons qui reprochent à France Info à la fois d’être le suppôt de la Macronie et de faire le jeu de l’opposition.

S’il éclaire la profession de journaliste, ce documentaire a un second atout : ce qu’il nous montre des politiques, tout en nous offrant un regard rétrospectif dont on mesure a posteriori les emballements (Zemmour, Pécresse….). Chacun des candidats passe à la matinale de France Info et chacun a droit à sa scène : Marine Le Pen, qui se plaint qu’on vienne lui chercher des poux dans la tête quand elle est interrogée sur le salaire qu’elle reçoit de son parti alors qu’elle n’y exerce plus aucune fonction officielle, Anne Hidalgo qui s’illusionne sur ses chances – alors que Bertrand Cazeneuve est autrement plus lucide – Valérie Pécresse qui se ridiculise quand elle parle de ses électeurs qui se connectent moins aux réseaux sociaux parce qu’ils travaillent plus, Eric Zemmour qui revendique aux journalistes le droit d’avoir des opinions et de les afficher, Jean-Luc Mélenchon, que la matinale a dû traquer à La Réunion pour avoir une interview qu’il refusait de faire à Paris, Emmanuel Macron, qui après avoir refusé de faire campagne, accepte de venir à Radio France entre les deux tours…
Le plus impressionnant est Jordan Bardella – qui n’était pas candidat à la présidentielle mais qui est pourtant régulièrement invité à France Info pour y porter la parole de Marine Le Pen. Impressionnant par son calme et sa maîtrise. Impressionnant par les monstruosités racistes qu’il assène sans ciller. Glaçant….

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La Générale ★★☆☆

Valentine Verda a suivi pendant sa dernière année d’enseignement Christine, une enseignante de SVT en classe de seconde au lycée Emile-Dubois dans le 14ème arrondissement à Paris. Professeure principale d’une classe de seconde, Christine s’est tout particulièrement attachée à deux de ses élèves en difficultés : Imane, une jeune fille survoltée, et Salah, un redoublant sur le point de basculer dans la délinquance.

On ne compte plus les documentaires sur le lycée ni les fictions qui le prennent pour cadre. J’ai tendance à fuir les seconds : je n’ai vu ni L’école est à nous, ni La Cour des miracles – même si j’avais beaucoup aimé La Vie scolaire ou bien sûr Entre les murs. En revanche, j’ai un goût particulier pour les premiers que je rate rarement, sans doute attiré par la nostalgie régressive du vert paradis de mes amours enfantines. Au printemps dernier, j’avais beaucoup aimé – et je recommande – Allons Enfants qui filmait une classe de hip hop au lycée Turgot à Paris. Je cite souvent avec enthousiasme Chante ton bac d’abord qui suivait des lycéens de Boulogne-sur-mer durant l’année précédant leur bac.

Cette Générale – du nom de la première générale qui est le graal de tous les lycéens de seconde – est un peu moins enthousiasmante. Elle n’en est pas moins juste et attachante.
La principale vertu de Valentine Varela et de son montage est de rendre justice à ses personnages sans les héroïser : les enseignants comme leurs élèves sont filmés dans leurs vérités, sans encenser leurs qualités (la patience des premiers a ses limites, l’ingénuité des seconds aussi) ni noircir leurs défauts.
Sa caméra a réussi à filmer des scènes étonnantes, comme celle où Imane est surprise en flagrant délit de tricherie ou celles où Salah et sa mère sont reçus par la directrice.

Ce qui frappe dans ce film – mais cette réflexion classe immédiatement celui qui l’énonce – est le désordre et le chahut qui règnent dans ces classes de seconde. On comprend mieux dans quel état les enseignants en ressortent, essorés et amers. On comprend mieux aussi le mode de relation, particulièrement trivial, qu’ils nouent avec leurs élèves, qui est le seul qui leur soit probablement audible.
Ce qui frappe enfin c’est la lucidité avec laquelle ces enseignants considèrent leur métier. Ils déplorent la politique démagogue permettant à tous les élèves qui le souhaitent l’accès au baccalauréat, reculant de quelques années une inéluctable sélection. Mais loin de baisser les bras, loin de céder au laxisme ambiant, ils continuent à enseigner leurs matières et surtout, à entourer de leur aimante vigilance les jeunes dont ils ont la charge. Chapeau !

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Museum ★☆☆☆

Yonathan Levy est allé à Auschwitz Birkenau. Il n’en est pas revenu avec les images vues et revues du porche d’entrée d’Auschwitz I (avec l’inscription Arbeit Macht Frei), du mirador d’Auschwitz et des rails de chemin de fer qui y mènent, de la cheminée d’une chambre à gaz ou des montagnes de lunettes conservées dans le musée et immortalisées par Alain Resnais dans son documentaire Nuit et Brouillard.
Yonathan Levy s’est intéressé aux touristes qui visitaient Auschwitz et à eux seuls. C’est eux qu’il filme et surtout c’est eux dont il enregistre les propos triviaux ou décalés.

Ce changement de focale était terriblement stimulant sur le papier. Il annonçait une sociologie des visiteurs d’Auschwitz : qui sont-ils ? qu’attendent-ils de cette visite ? Il annonçait surtout une analyse de leurs réactions : comment réagissent-ils à ce choc ?

Hélas, la première question n’est pas abordée. On ne saura rien du profil type d’un visiteur d’Auschwitz : de quel pays vient-il ? quel âge a-t-il ? pourquoi vient-il visiter Auschwitz : parce que l’un de ses membres de sa famille y a été tué ? parce qu’il s’intéresse à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ? parce qu’il passe des vacances dans la région ?

Quant à la seconde, la réponse qui y est donnée est vite décevante et répétitive. Les visiteurs d’Auschwitz – comme tous les visiteurs de n’importe quel musée au monde – sont moutonniers et bêtes. Pour en rajouter une louche, Yonathan Levy les a filmés en plein été, à une époque de l’année où leur nombre très élevé fait ressembler les couloirs du musée d’Auschwitz à ceux de la gare Saint-Lazare aux heures de grande affluence et où leur tenue débraillée, tongs et T-shirts, détonne dans un lieu aussi solennel. Le même contraste déplaisant aurait sauté aux yeux à Saint-Pierre de Rome ou sur l’île de Gorée.

Les bribes de dialogues qu’il a captées – mais qu’une mauvaise prise de son l’a obligé à post-synchroniser en studio – sont croustillantes, au point de constituer une collection de « perles » d’un goût parfois douteux. Les unes sont triviaux : « j’ai perdu mess clés » « il faudra faire du change » « j’ai renversé ma bouteille de Coca ». Les autres, franchement malaisantes, frisent le négationnisme : « pourquoi y a-t-il tant de photos si le lieu était top secret ? ». Tous laissent transpirer la déception de ne rien « voir » à Auschwitz, posant la question fondamentale : que va-t-on « voir » à Auschwitz ?

Bien entendu, il n’y a rien à dire à Auschwitz. La seule réaction appropriée est le silence et le recueillement voire le sanglot que ne peut contenir la jeune fille émue aux larmes filmée dans le dernier plan du film. Il était intelligent de clore le documentaire avec ce plan-là ; mais on peut interroger le choix, partisan, d’avoir filmé une jeune fille drapée dans un drapeau israélien comme si le chagrin suscité par la visite d’Auschwitz était l’apanage d’une seule nation.

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Fumer fait tousser ★☆☆☆

Les Tabac Force sont cinq justiciers, Benzène (Gilles Lellouche), Nicotine (Anaïs Demoustier), Méthanol (Vincent Lacoste), Mercure (Jean-Pascal Zidi), Ammoniaque (Oulaya Amamra), unis pour sauver la planète des forces démoniaques qui la menacent. Après un combat homérique contre une tortue géante, Chef Didier (Alain Chabat), un rat libidineux et baveux qui leur sert de mentor, les avertit des projets sataniques de l’immonde Lezardin (Benoît Poelvoorde). Avant de l’affronter, les cinq combattants sont invités à se resourcer quelques jours aux bords d’un lac retiré. C’est l’occasion pour eux, au coin du feu, de se raconter des histoires.

Quentin Dupieux s’est fait une place bien à lui dans le cinéma français. Sa marque de fabrique : l’absurde, décliné selon les cas sous un mode comique (Mandibules, Au poste !) ou plus grave (Incroyable mais vrai, Le Daim). Moins de six mois après son dernier film, Dupieux est de retour, au risque de saturer les écrans. L’affiche de son dernier film, présenté hors compétition à Cannes, est toujours aussi kitsch. Elle louche ostensiblement vers un genre qui fit la joie des gamins des 80ies, une génération à laquelle le réalisateur et moi appartenons : les super sentai façon Bioman ou Power Rangers. Les Inconnus en avaient déjà signé une caricature d’anthologie

Quentin Dupieux a une immense qualité : aimanter le gotha du cinéma français dont on imagine aisément qu’il est ravi de participer à une immense déconnade entre copains. Outre les cinq stars à l’affiche, Fumer fait tousser réunit aussi Blanche Gardin, Grégoire Ludig, Adèle Exarchopoulos, Dora Tillier… excusez du p(n)eu (fine allusion, pour ceux qui ne l’auraient pas comprise, à un précédent film de Quentin Dupieux).

Mais ce casting séduisant est la seule qualité d’un film qui sent un peu trop le foutage de gueule pour être pris au sérieux. Ça tombe bien, me rétorquerez-vous : être pris au sérieux est le cadet des soucis de ce réalisateur.

Son problème est son absence criante de scénario. Certes, le film a une idée : faire revivre les héros japonais de notre enfance dans leur combinaison criarde en latex. Mais ce pitch est vite épuisé au bout de trente minutes. Que contiennent les cinquante restantes d’un film qui a certes la politesse de durer – comme la plupart des films de Dupieux – quatre-vingts minutes à peine ? Deux sketches sans aucun lien avec l’histoire. Le premier met en scène Dora Tillier qui enfile un casque de soudeur avant de se transformer en serial killeuse. Le second se déroule dans une scierie où Blanche Gardin emploie son neveu.

Certes ces deux sketches sont aussi absurdes que drôles. Le public, nombreux, jeune et manifestement fidèle, qui aime cet humour noir et qui s’est pressé hier pour voir Fumer fait tousser le jour de sa sortie, en aura eu pour son argent. Quant aux autres….

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