Amours à la finlandaise ★★☆☆

Juulia (Alma Pöysti, en tête d’affiche des Feuilles mortes), une députée qui aspire à prendre la présidence de son parti avant peut-être d’entrer un jour au Gouvernement, et Mattias, pasteur protestant élevé dans une éducation rigoureuse, forment un couple aimant. Mais leur belle entente se fissure quand Juulia découvre que son mari entretient depuis un an une relation adultère. La stupéfaction le cède bientôt à la colère avant de laisser place au désir de fonder leur relation sur de nouvelles règles : le polyamour.

On aurait tort de résumer le cinéma finlandais aux seuls films de Kaurismäki. Le géant taciturne et ses oeuvres si immédiatement reconnaissables ont le défaut d’éclipser le reste de la production nationale. J’aurais bien du mal à citer d’autres films finlandais que j’aurais vus ces dernières années : Compartiment n° 6, Any Day Now, Pulse, L’Etrange histoire du coupeur de bois, Tom of Finland….

Ces Amours n’ont rien de typiquement finlandais, sinon peut-être la langue si mystérieuse parlée par leurs personnages et l’absence de hiérarchie des relations sociales (imaginerait-on en France une députée cheffe de parti embrasser à bouche que veux-tu une drag queen dans une boîte de nuit ?). Cette histoire pourrait tout aussi bien se dérouler dans n’importe quel pays d’Europe, à l’exception de ceux, mais en existe-t-il encore, où la morale la plus pudibonde s’immisce dans l’intimité des chambres à coucher.

Le triangle amoureux, qui se transforme bientôt en rectangle sinon en pentagone, pourrait sembler bien improbable. On pourra à bon droit reprocher au film de céder à la facilité dans sa façon de se conclure. Pour autant, l’histoire reste crédible. Elle n’a rien de comique sinon précisément dans ses dernières scènes. Au contraire – et c’est là peut-être précisément où le film porte l’héritage de ses origines – elle est lestée d’une gravité toute nordique.

Tout y est aussi profondément empathique. Ce qui fait la qualité du film est la chaleur et la sincérité des relations humaines qui s’y jouent, sans jamais sombrer dans la mièvrerie. Deux écueils menaçaient cette histoire (comme ils menaçaient un autre film sorti cette semaine, Iris et les hommes) : l’excès de grivoiserie ou, à rebours, de bien-pensance, l’éloge de la polygamie ou celle de la monogamie. Intelligemment, là où le film français était trop binaire – si on ose dire – le film finlandais trouve un juste équilibre, un « en même temps » qui, aussi décrié soit-il en ces temps d’anti-macronisme hystérisé, est finalement la solution la plus intelligente qui soit.

La bande-annonce

Priscilla ★☆☆☆

Lorsque Priscilla Beaulieu rencontre Elvis Presley en 1959, sur une base américaine en Allemagne où le chanteur effectue son service militaire, il est déjà une star adulée alors qu’elle n’est encore qu’une collégienne de quatorze ans. Leur flirt s’interrompt avec le retour d’Elvis aux Etats-Unis quelques mois plus tard ; mais en 1962 Priscilla est invitée à Graceland et arrachera à ses parents l’accord pour s’y installer l’année suivante.
Si Priscilla jouit à Graceland d’un statut de princesse, elle étouffe vite auprès d’Elvis qui ne lui laisse aucune liberté et la gave de barbituriques. Après leur mariage et la naissance de Lisa, leur fille unique, Priscilla décide de quitter Graceland en 1972 après neuf ans de vie commune.

C’est peu dire que la sortie de Priscilla était impatiemment attendue. Le film, depuis sa projection à Venise, où son actrice principale, la révélation Cailee Spaeny, avait obtenu la Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine, était précédé d’une rumeur enthousiaste. La renommée de sa réalisatrice y était pour beaucoup. Depuis vingt-cinq ans, Sofia Coppola a réussi à se faire un prénom. Son dernier film est très cohérent avec le reste de sa filmographie : comme Virgin Suicides, Lost in Translation ou Marie-Antoinette, Priscilla raconte l’adolescence, le luxe, la solitude et l’ennui.

Certes Priscilla séduira la ou le fashionista qui se terre en chacun.e d’entre nous : Sofia Coppola a le don – ou le défaut ? – de filmer certaines de ses scènes comme des pubs de produits de marque qui subliment les bijoux, les sacs à main, les chaussures, les ensembles…

Mais Priscilla se heurte à un écueil redoutable : raconter paresseusement une histoire jouée d’avance, sans enjeu ni suspense. On sait que Priscilla est une oie blanche, trop jeune et trop timide pour se marier qui, passé l’émerveillement ressenti devant tout ce luxe désormais accessible (ah ! ces petits pieds aux ongles vernis qui s’enfoncent dans cette moquette rose si profonde !), va s’ennuyer ferme dans une prison dorée. On sait aussi qu’Elvis est un grand dadais immature, étouffé par son père et son impresario, écrasé par sa soudaine célébrité, qui n’imagine pas que sa femme puisse revendiquer la moindre liberté. Le film évoque sans y insister et avec beaucoup de doigté – sans que je sache si cette dimension a déjà été révélée dans les (nombreuses) biographies du King – son homosexualité refoulée.

Le film aurait pu emprunter d’autres voies plus audacieuses. Il aurait pu tourner au thriller en évoquant les tentatives ratées de Priscilla de s’enfuir, voire au porno trash, en décrivant une jeune femme avilie par les délires sexuels de son seigneur et maître. Mais Priscilla est bien trop sage. On s’y ennuie ferme et on accueille avec soulagement la séparation du couple, longtemps attendue et trop longtemps différée.

La bande-annonce

Iris et les hommes ★☆☆☆

Iris Beaulieu (Laure Calamy) s’étiole. Son mari (Vincent Elbaz), accro au boulot, ne la touche plus. Sa vie a beau être sans nuages – un métier prenant, deux filles merveilleuses, un splendide appartement haussmannien dans le centre de Paris – Iris, la quarantaine, s’ennuie. Sur le conseil d’une amie, elle s’inscrit sur un site de rencontres en ligne. C’est le début d’une nouvelle vie…

En 2020, Antoinette dans les Cévennes avait tout raflé : 900 000 entrées, le César de la meilleure actrice… Caroline Vignal et Laure Calamy reforment ce duo gagnant et le rappellent sur l’affiche du film, espérant ainsi rafler le même succès.

Hélas, si les mêmes ingrédients sont rassemblés – une tête d’affiche toujours aussi tonique, des situations souvent drôles dans lesquelles chacun et chacune se reconnaîtront, une morale gentiment consensuelle (« l’important c’est de se retrouver ») – la recette fonctionne mal.

La raison en est qu’on sait par avance où le film, bien sage, nous conduira. Dès le départ, tout est écrit : Iris s’ennuie et les rencontres qu’elle fera n’ont d’autres fonctions que de la désennuyer. La règle est affichée – elle ne quittera pas son mari – et elle est fidèlement tenue. Tout ce qui se passe entre le postulat de départ et le point d’arrivée est donc ravalé au rang de péripéties plus ou moins savoureuses, sans tension ni enjeu.

On bute alors sur le second défaut du film. Cette succession de rencontres, où vient s’intercaler un numéro de comédie musicale au rythme endiablé du célèbre It’s Raining men bizarrement traduit en français, est plus ou moins drôle. Est-elle censée représenter l’échantillon moyen des rencontres qu’une quadragénaire parisienne est supposée faire sur Meetic : un dépressif trop collant, un Dom Juan prétentieux, un métis terriblement séduisant, un fétichiste vaguement inquiétant, un post-ado en mal de cougar ? Rassurez-vous (ou désespérez-vous) : aucune de ces rencontres ne violera le code Hays et ne mettra notre vaillante héroïne en danger [on peut légitimement se demander si la façon dont elle rembarre son harceleur est une dangereuse minoration des violences sexuelles dont les femmes sont victimes ou tout simplement la réaction la plus saine et la plus pertinente à avoir dans de telles situations].

Une seule pépite sauve l’ensemble du naufrage : le rôle hilarant tenu par l’assistante médicale d’Isis (Suzanne de Baecque) dont la réaction à la dick pic qui s’affiche sur le portable de sa patronne restera le moment le plus drôle du film.

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Moi capitaine ★☆☆☆

Seydou et Moussa, deux adolescents dakarois, attirés par les mirages de l’eldorado européen, décident, contre l’avis de leur famille, de tenter leur chance et d’émigrer. Les voilà en route vers l’Italie. Leur chemin, à travers le Sahara et la Libye, sera semé d’embûches.

Matteo Garrone est peut-être l’un des réalisateurs italiens les plus prometteurs. On lui doit Gomorra, prix du jury à Cannes en 2008, adapté du brûlot du journaliste d’investigation napolitain Roberto Saviano. On lui doit aussi Dogman, qui avait raté de peu la Palme en 2018 et s’était consolé avec le prix d’interprétation masculine et le David , l’équivalent des Oscars, du meilleur réalisateur.

Moi capitaine a reçu le Lion d’argent à la Mostra de Venise en septembre dernier. C’est un film fort sur un sujet désormais bien connu hélas : l’odyssée des migrants subsahariens qui traversent le continent africain et la Méditerranée au péril de leur vie pour essayer de rallier le continent européen. Cette équipée meurtrière aurait – les estimations sont en l’espèce hasardeuses – causé la mort de vingt-sept mille migrants ces quinze dernières années.

Moi capitaine a une incontestable valeur pédagogique. Pédagogique pour nous Occidentaux afin que nous prenions conscience du traitement inhumain des migrants qui parviennent non sans mal sur notre sol et que nous n’accueillons pas toujours fraternellement. Pédagogique – à supposer qu’ils le voient – pour les Arabes qui abusent de cette main d’oeuvre bon marché. Mais pédagogique aussi pour tous les Africains subsahariens qui s’imaginent à tort que le voyage vers l’Europe est une expédition sans danger.

Mais un film ne saurait se réduire à sa seule dimension pédagogique. Moi capitaine a le défaut de venir après d’autres films qui ont déjà traité du même sujet : la traversée du Sahara par des migrants (Mediterranea), le sort qui leur est réservé en Libye (L’Ordre des choses). Michael Winterbottom avait de la même façon documenté la traumatisante odyssée d’un immigré afghan vers l’Angleterre (In this world).

Mais il a surtout un défaut rédhibitoire : être tout entier enfermé dans son pitch et dans sa bande annonce. En moins de deux minutes, elle nous montre le film tout entier et nous permet de faire l’économie de ses deux longues heures inutilement démonstratives.

La bande-annonce