Belfast ★★★☆

Buddy, neuf ans, est un adorable garçonnet couvé par sa mère qui grandit, malgré les absences de son père qui travaille en Angleterre, sans avoir conscience des nuages qui s’accumulent au-dessus de sa tête. Belfast, à l’été 1969, est frappé par la guerre civile qui oppose catholiques et protestants. Les tensions interconfessionnelles transforment la rue de Buddy en camp retranché. La question du départ se pose à ses parents qui ne veut pas abandonner la ville où il a grandi et ce grand-père si attachant qui se meurt lentement de silicose.

Les hasards du calendrier ont quasiment fait se percuter les dates de sortie de Mort sur le Nil et de Belfast. Pourtant, si ces deux films sont signés du même réalisateur, ils n’ont rien en commun. Le premier est une superproduction hollywoodienne, une machine à cash. Le second est au contraire un film beaucoup plus arty et beaucoup plus personnel où Kenneth Branagh ne se cache pas de revisiter ses jeunes années dans la capitale de l’Irlande du Nord.

Cette autobiographie à peine déguisée n’est que bienveillance. Il ne s’y loge pas une once de méchanceté ou de malice. Même les « méchants » du film – les deux Protestants qui voudraient attirer le grand frère de Buddy dans leur combat haineux – deviendraient presqu’inoffensifs à force d’être caricaturaux. Le résultat évite de justesse l’overdose mielleuse de bons sentiments.

La réussite de Belfast tient beaucoup, outre son merveilleux noir et blanc, à la qualité de son interprétation, entièrement irlandaise. Il est difficile d’apprécier le jeu du jeune Jude Hill, un peu trop adorable pour être tout à fait honnête. En revanche, j’ai trouvé terriblement sexy les deux acteurs qui interprètent ses parents :  Jamie Dorman (qui avait déjà hystérisé la gent féminine par son interprétation de Cinquante nuances… et de ses avatars) et Caitrionia Balfe (dont je vais de ce pas apprendre à prononcer correctement le prénom au cas où je la croise un jour et me jette à ses pieds). Judie Dench (qui démontre qu’il y a une vie après James Bond) et l’excellent Ciarán Hinds, qu’on a déjà souvent vu dans un tas de films anglo-saxons sans jamais avoir été capable de retenir son nom, complètent cette remarquable distribution.

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Le Bal des folles ★★☆☆

À la fin du dix-neuvième siècle, Eugénie Cléry (Lou de Laâge) est une jeune fille de la haute bourgeoisie parisienne dont les parents collets montés n’apprécient guère les foucades féministes. Quand Eugénie prétend communiquer avec les esprits, ils la placent à l’asile de la Salpêtrière dans le service du docteur Charcot qui met en oeuvre des méthodes révolutionnaires pour soigner l’aliénation mentale. Terrifiée par son nouvel environnement, Eugénie apprend à connaître les autres convalescentes. Elle supplie qu’on la libère et révèle ses dons à Geneviève, l’infirmière en chef (Mélanie Laurent).

Il ne faisait guère de doute que le roman de Victoria Mas (la fille de), gros succès de la rentrée littéraire 2019, serait promptement porté à l’écran. Il possédait en effet toutes les qualités d’une oeuvre cinématographique : un sujet en or (le sort des aliénées à la fin du dix-neuvième siècle), des personnages bien trempées (la pure Eugénie, la menaçante Geneviève…), une histoire riche en rebondissements qui s’achève dans une folle bacchanale, digne des tableaux enfiévrés de James Ensor.

Quelques mois à peine après la sortie du livre, le projet de Mélanie Laurent était déjà sur les rails avec une brillante distribution. Mélanie Laurent elle-même interprèterait le rôle de Geneviève ; la jeune Lou de Laâge, éternel espoir du cinéma français, jouerait celui d’Eugénie. Les deux héroïnes seraient entourées de seconds rôles prestigieux : André Marcon (qu’on vient de voir dans Illusions perdues et dans Boîte noire), Emmanuelle Bercot, le jeune Benjamin Voisin (Lucien de Rubempré dans l’adaptation de Balzac), Valérie Stroh (qui m’enflammait quand elle était jeune et jouait dans les films de René Féret)…

Gaumont aurait dû le produire, mais y renonça. Amazon, qui poursuit sa stratégie d’expansion mondiale, le reprit en chemin et en fit le porte-étendard de sa chaine de VOD pour un lancement à grands frais en septembre dernier, loin hélas des salles de cinéma où cette oeuvre-là aurait eu pourtant sa place.

C’est pitié en effet de regarder sur son ordinateur ou, pire, sur sa tablette, ce film en costumes qui utilise l’hôpital de la Marine de Rochefort pour reconstituer la Salpêtrière. Tout y est léché dans la reconstitution de la France de la Troisième République, depuis la foule qui se presse au Panthéon pour l’enterrement de Victor Hugo jusqu’à ces culs de basse-fosse où l’on cantonnait les malheureuses aliénées et où on les soumettait aux pires expérimentations.

Charcot y voit son étoile écornée, au mépris d’ailleurs de la réalité historique. De ce point de vue, le film Augustine d’Alice Winocour (2012) où Vincent Lindon interprétait le rôle du grand neurologue était plus convaincant.

Comme dans les grands romans du dix-neuvième siècle – on pense beaucoup à Zola en lisant Le Bal des folles ou en en regardant l’adaptation, ce qui est plus un éloge qu’un reproche – l’oeuvre est manichéenne, les rebondissements parfois téléphonés (on imagine mal comment M. Cléry décide d’abandonner sans espoir de retour sa fille à l’asile et on ne dira rien du dénouement pas vraiment crédible). Tout est un peu trop prévisible dans une histoire cousue de fil blanc.

Autre reproche : le sort misérable des aliénées aurait gagné à être incarné, non pas par une jeune bourgeoise dotée de dons extra-lucides, sorte de Superwoman dans les chaînes, mais au contraire par une femme ordinaire comme l’était l’héroïne du film d’Alice Winocour.

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Piccolo Corpo ★☆☆☆

Au début du vingtième siècle, dans un petit village de pêcheurs sur une plage du Frioul, Agata accouche d’une fille mort-née, enterrée avant d’être baptisée. La jeune mère ne se résout pas à laisser son enfant errer anonyme dans les limbes. Elle a vent d’une légende : il existerait un sanctuaire dans la montagne où les enfants mort-nés sont ressuscités le temps qu’on les prénomme. Elle décide, contre toute raison, de s’y rendre. En chemin, sa route croise celle de Lynx, un autre vagabond.

Présenté à la Semaine de la Critique, à Cannes, en 2021, Piccolo Corpo fait partie de ces films exotiques et intemporels, qui auraient pu être filmés sous n’importe quelle latitude, à n’importe quelle époque. On retrouve, en le regardant, le parfum des vieux films des frères Taviani ou de Ermanno Olmi (on pense à L’Arbre aux sabots, Palme d’or à Cannes en 1978). On y retrouve des gens de peu, des paysans durs à la tâche, vivant depuis des temps immémoriaux des fruits trop rares qu’une Nature ingrate leur concède.

Piccolo Corpo suit pas à pas Agata dans son long voyage. Les personnes qu’elle rencontre parlent toutes sortes de langages (que je ne suis pas certain d’avoir tous reconnus) : l’italien, le frioulan, le slovène peut-être. On s’attend à ce que cette odyssée la change, à ce qu’on nous raconte son émancipation. Mais hélas, son registre ne change jamais. Un seul motif la meut, aussi irrationnel soit-il : le deuil impossible de son enfant. Piccolo Corpo, bien qu’en constant mouvement, fait du surplace, jusqu’à sa conclusion tristement prévisible. L’ambiguïté de Lynx, qu’on découvrira à la toute fin ou, si on a été attentif, à la lecture de la distribution, est à peine exploitée.

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Great Freedom ★☆☆☆

En vertu de l’article 175 du Code pénal allemand, qui depuis 1871 pénalise l’homosexualité, Hans Hoffmann (Franz Rogowski) a été arrêté et déporté sous le nazisme. Mais, à la chute d’Hitler il doit encore exécuter le reliquat de sa peine avant d’être libéré. En 1957 et en 1968, il sera à nouveau arrêté et emprisonné dans le même établissement où il retrouve Viktor (Georg Friedrich), un héroïnomane qui deviendra, malgré son homophobie, son ami le plus cher.

Que la pénalisation de l’homosexualité – en Allemagne comme dans bien d’autres pays du monde – fut et reste encore aujourd’hui une aberration et une monstruosité, bien difficile de ne pas le reconnaître. Le sujet est bien connu qui donna lieu à beaucoup de livres, de films, de documentaires, au rang desquels celui réalisé en 2000 par Rob Epstein et Jeffrey Friedman ressorti le mois dernier à l’Espace Saint-Michel.

Mais on se demande diable quelle actualité a poussé Sebastian Meise, réalisateur allemand inconnu de ce côté-ci du Rhin, à réaliser en 2020 ce film-là. S’il s’inspire de faits réels, il a inventé de toutes pièces le personnage de Hans, remarquablement interprété par Franz Rogowski (découvert chez Christian Petzold), et de Viktor. Sans guère de surprises, l’homophobie de son compagnon de cellule se dissout lentement pour se transformer en une émouvante amitié.

Si le montage de Great Freedom (pourquoi ce titre anglais d’un film allemand ?) permet de passer élégamment d’une époque à une autre, ce film trop classique dure une bonne demie heure de trop.

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Ils sont vivants ★★☆☆

Béatrice a quarante-quatre ans. Aide soignante dans un hôpital gériatrique, elle vient de perdre son mari, employé de police violent, alcoolique et volontiers raciste. À Calais, ni lui, ni elle ni les autres policiers qui l’assurent de son amitié ne portent dans leurs cœurs les réfugiés qui s’entassent dans la « jungle » dans l’attente d’un hypothétique passage en Angleterre.
Une succession de hasards conduit néanmoins Béatrice à secourir un réfugié, à apporter de vieux vêtements au camp, à accepter d’y travailler bénévolement et même à recevoir chez elle quelques réfugiés. Parmi eux, Mokhtar, un Iranien, l’attire irrésistiblement

Il y avait bien des dangers à transposer à l’écran Calais mon amour, le témoignage de Béatrice Huret, une Calaisienne tombée amoureuse d’un migrant iranien et condamnée en 2017 pour aide au séjour irrégulier d’un étranger en France. Le premier : verser dans la bluette amoureuse. Le deuxième : le recours un peu trop racoleur aux bons sentiments censés inspirer l’injustice faite aux migrants. Le troisième : que l’histoire et ses rebondissements nous soient déjà connus d’avance.

Jérémie Elkaïm, dont le charme primesautier fait depuis longtemps merveille devant la caméra surtout quand il est filmé avec le regard énamouré de Valérie Donzelli, ne les évite qu’en partie dans sa toute première réalisation. Ils sont vivants n’est pas sans défaut, à commencer par son titre lourdement démonstratif (Calais mon amour – dont Ils sont vivants ne dévie guère – aurait fait un titre plus fidèle).

Mais il est sauvé par l’interprétation extraordinaire, toute en subtilité, de Marina Foïs. Elle ne campe pas une pasionaria droitsdelhommiste, une pieta qui viendrait au secours de toute la misère du monde (la soi-disant pieta jouée par Laetitia Dosch en prend plutôt pour son grade). Elle décoche dans les premières minutes du film quelques répliques à faire se pâmer les zemmouristes les plus enragés – et il n’est pas certain qu’elle ne les décocherait pas non plus à la fin.
Mais, entretemps, l’amour la transfigure. Rien de niaiseux dans cette transfiguration. Au contraire, l’expression d’une attirance sexuelle, d’un désir qui ne mâche pas ses mots – même si l’absence de langue commune à Béatrice, qui ne parle pas l’anglais, et à Mokhtar, qui ne parle pas le français, les empêche de communiquer. On trouve dans Ils sont vivants une scène de sexe particulièrement explicite (bien que le film soit classé « tous publics ») et parfaitement réaliste.

[Il y a quelques jours, j’ai écrit une critique particulièrement méchante de Vous ne désirez que moi. Je reprochais notamment au film de ne pas donner sa juste part à la dimension sexuelle de la relation entre Marguerite Duras et Yann Andréa, sinon à travers quelques dessins apocryphes, réalisés pour le film. Claire Simon raconte qu’elle avait hésité à filmer des scènes de sexe mais y avait renoncé. Eût-elle vu le film de Jérémie Elkaïm, elle aurait pu utilement s’en inspirer.]

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Selon la police ★☆☆☆

Une journée presque banale sur les pas de cinq policiers toulousains. Zineb (Sofia Lesaffre) a caché à ses parents qu’elle avait l’intention d’intégrer les rangs de la police. Elle partage une chambre d’hôtel avec Delphine (Laëtitia Casta), la quarantaine, qui est de service de nuit et souffre d’être éloignée de son mari et de ses enfants. Tristan (Simon Abkarian) est un brigadier aguerri qui doute de plus en plus du sens de sa mission. Drago (Alban Lenoir) est un flic au sang chaud qui essaie de convaincre son frère Joël (Emile Berling) de suivre la même voix que lui.
La banale journée de ces cinq policiers là a commencé par le geste peu banal d’un sixième : le brigadier Laborderie alias Ping Pong (Patrick d’Assumçao) – le surnom lui vient des matchs de ping pong qu’il organisait dans les quartiers difficiles pour y faire retomber la tension – a brûlé sa carte professionnelle avant de disparaître.

Selon la police est organisé selon une structure très ambitieuse et très intelligente. Tout part de la scène filmée en plan-séquence où on voit Ping-Pong quitter le commissariat au matin. Il y croise Zineb, Delphine, Tristan, Drago et Joël qu’on retrouvera à tour de rôle pendant les vingt-quatre heures qui suivent. Ils sont tour à tour les personnages principaux de cinq histoires qui s’entrelacent et qui ont pour fil directeur la longue errance de Ping-Pong dans les rues de Toulouse – qu’on peine à reconnaître tant elle est filmée à rebours de l’image de carte postale qu’on en donne souvent.

Cette construction sophistiquée est hélas la seule qualité du film qui, sinon, accumule les défauts. Là où Polisse de Maïwenn réussissait à brosser un portrait kaléidoscopique d’un commissariat, Selon la police (pourquoi ce titre qui laisserait plutôt escompter l’histoire d’un fait divers où la version officielle et la vérité divergent ?) sombre dans la caricature. Ses personnages sont faussement ambigus ou, pour le dire autrement, cachent tous une dualité qui emprunte aux mêmes ressorts : ainsi du personnage interprété par Simon Abkarian, un mauvais flic qui cache un cœur d’or. Certains personnages sont assez peu crédibles tels que Joël.

Selon la police achève de se décrédibiliser dans son dernier quart d’heure. Deux scènes le clôturent dont on s’interdira de trop en dire. La première est exagérément dramatique ; la seconde trop mélodramatique.

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Les Poings desserrés ★★☆☆

Ada, la vingtaine, étouffe à Mirouz, une petite ville d’Ossétie du Nord, entre son père et son frère cadet. Son malaise tient à un traumatisme qu’elle cache. Son frère aîné, parti travailler à Rostov-sur-le-Don, lui manque. Son retour lui permettra peut-être de s’émanciper enfin d’un environnement familial trop toxique et du traumatisme qui la paralyse.

Il y a quatre ans, j’avais été scotché par Tesnota, le premier film de Kantemir Balagov, un jeune réalisateur formé par Alexandre Sokourov. Les Poings desserrés est le second film de Kira Koulokova, la compagne de Balagov, elle aussi passée par l’atelier de cinéma de Sokourov.

Les deux films partagent bien des caractéristiques : la même énergie fiévreuse, les mêmes longs plans-séquences tournés au plus près du corps de leur actrice principale, la même violence rentrée dont on en vient à se demander si, décidément, elle est partie intégrante de ces frontières chaudes de l’empire soviétique.

En regardant la bande-annonce, quasi muette mais débordante de fièvre, des Poings desserrés, j’attendais le même choc que celui ressenti à la découverte de Tesnota – ou d’autres films russes dont décidément la marque de fabrique semble être leur renversante capacité à nous renverser : Leviathan de Zvianguintsev, Arythmie de Khlebnikov, Classe à part de Tverdovsky… Je suis un peu resté sur ma faim. J’ai moins été touché par l’Ada de Kovalenko que par l’Ila de Balagov. L’atmosphère pesante qui règne dans ce fond de vallée a fini par me peser – même si le film a l’élégance de ne durer que quatre-vingt seize minutes. Et, des deux issues prévisibles (la mort tragique vs. l’échappée libératrice), celle qui a finalement été choisie m’a semblé aussi peu justifiée que celle qui ne l’a pas été.

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Maigret ★☆☆☆

Une nouvelle énigme se pose au commissaire Maigret de la Brigade criminelle du 36, Quai des orfèvres : le cadavre d’une femme tuée de cinq coups de couteau, retrouvée sans papiers d’identité dans une luxueuse robe de soirée.

Le dernier film de Patrice Leconte est l’adaptation de Maigret et la Jeune Morte, un roman de 1954. Maigret y est fatigué, malade, proche de la retraite – même si Simenon lui consacrera encore une trentaine de romans jusqu’en 1972.

Le célèbre commissaire est interprété par Gérard Depardieu. Il faudrait habiter sur la planète Mars pour l’ignorer tant la campagne de promotion a été omniprésente depuis quelques semaines, à la télévision, (Depardieu a eu les honneurs de La Grande Librairie), au cinéma (où la bande-annonce tourne en boucle depuis trois semaines), sur le flanc des bus….
On pourrait se lasser de notre Gégé national, dire qu’on l’a trop vu comme on le dit parfois d’Isabelle Huppert. On pourrait aussi lui reprocher les choix hasardeux de sa vie privée, comme sa russophilie satrapesque. Mais force est de constater qu’il se coule à merveille dans l’imperméable du commissaire. Il ne lui manque que la pipe – même si on la lui voit à la main sur l’affiche – car son docteur lui a interdit le tabac.

Le problème de Maigret ne vient donc pas de son acteur principal. Il ne vient pas non plus de son réalisateur qui, bien loin des Bronzés du tout début de sa carrière, retrouve les accents crépusculaires et les tons froids de Monsieur Hire, une autre adaptation de Simenon qu’il avait tournée à la fin des années 80 avec un Michel Blanc à contre-emploi et une Sandrine Bonnaire encore toute jeunette.

Le problème de Maigret vient de Maigret lui-même. On l’a tellement lu, on l’a tellement vu (c’est la cinquième fois que ce roman-là est adapté sans parler des dizaines sinon des centaines d’épisodes qu’on a vus avec Jean Richard ou Bruno Crémer) qu’on le connaît par cœur. Son personnage ne nous surprend plus. Et que dire de ses intrigues qui, si elles furent un jour encensées pour leur subtilité, pâlissent (ou jaunissent) au regard de la complexité de toutes celles que mille et un films ou séries nous ont depuis cinquante ans servie ?

La bande-annonce

Vous ne désirez que moi ☆☆☆☆

En novembre 1982, la journaliste Michèle Manceaux (Emmanuelle Devos) vient à Neauphle-le-Château, chez Marguerite Duras, pour y interviewer à sa demande Yann Andréa (Swann Arlaud) qui partage depuis deux ans la vie de l’écrivaine.

Je lis partout des critiques élogieuses du film de Claire Simon sorti déjà depuis près de deux semaines. On encense l’interprétation de Swann Arlaud et on bien raison de le faire tant elle est subtile, réussissant, sans jamais plagier le vrai Yann Andréa, à en faire vivre les failles. On encense aussi celle d’Emmanuelle Devos, ce qui me laisse plus dubitatif : je n’ai pas trouvé que ses interventions, hésitant entre « Là-dessus, tu dois en dire plus » et « Pardon, je te coupe encore la parole », apportent grand’chose aux échanges.

Mais, au-delà du jeu des acteurs, c’est le regard porté sur le couple hors normes formé par Marguerite Duras (qu’on ne verra jamais sinon à travers quelques images d’archives) et Yann Andréa qui m’a gêné. Sans doute ce couple interroge-t-il : qu’y avait-il entre cette écrivaine au sommet de sa gloire et ce jeune homosexuel un peu (beaucoup) paumé de trente-huit ans son cadet ? De l’amour ? de l’attirance ? du sexe ? Les trois à la fois… et quelques chose d’autre ?

En donnant la parole au seul Yann Andréa, le film se condamne à n’examiner qu’un versant de l’histoire. Et ce versant n’est pas agréable à voir. L’amant souffre. Il souffre au point de confesser une tentative de suicide. Suscite-t-il pour autant l’empathie ? Guère. Car, aussi subtilement interprété soit-il par l’excellent Swann Arlaud, Yann Andréa donne l’impression d’être une grande chiffe molle, totalement envoûtée et dominée, ayant renoncé à toute autonomie. Même si ce reproche jamais n’effleure, les esprits mal tournés – dont je suis – pourraient le suspecter de parasitisme.
Quant à Marguerite Duras – dont la prose faussement simple et horriblement prétentieuse me donne des boutons (Cf Suzanna Andler) – elle ne ressort pas grandie de cette histoire, sorcière maléfique, mante religieuse qui étouffe son amant après l’avoir vidé de son suc.

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Nous ★☆☆☆

La documentariste Alice Diop suit le tracé de la ligne du RER B pour croquer en quelques tableaux un portrait kaléidoscopique de la banlieue parisienne. Elle y filme notamment un garagiste malien dans une casse à La Courneuve, des catholiques rassemblés à la basilique Saint-Denis pour une messe à la mémoire de Louis XVI, le mémorial de Drancy, l’écrivain Pierre Bergounioux dans sa maison de Gif-sur-Yvette, etc. Elle suit les pas de sa sœur aînée, infirmière libérale en Seine-Saint-Denis dans la tournée de ses vieux patients (dont un carton final nous apprend qu’ils sont tous les quatre décédés depuis le tournage). Elle exhume enfin quelques bandes VHS de sa famille tournées sur les lieux de son enfance dans la Cité des 300.

Jean Rolin que j’adore a écrit plusieurs carnets de voyages où il décrit Paris et ses banlieues anomiques (La Clôture, Le Pont de Bezons…). C’est le même principe qui avait guidé François Maspéro qui, pendant un mois, au début des 90ies, avait arpenté la ligne du RER B, de Roissy à Saint-Rémy-lès-Chevreuse pour en décrire chacune des étapes, accompagnée d’une photographe. Trente ans plus tard, une sociologue, Marie-Hélène Bacqué, reprenait le même chemin que Maspéro pour mesurer les changements survenus sur son itinéraire.

Il y a beaucoup de défauts dans le documentaire d’Alice Diop que j’étais allé voir avec peut-être trop d’attentes.

Le premier est d’avoir voulu utiliser son histoire familiale. Qu’elle se fût déroulée à la Courneuve sur la ligne du RER B ne suffisait pas à le justifier. Car cette histoire aurait pu, à elle seule, constituer la matrice d’un autre film : un film – qui aurait rappelé Leur Algérie de Lina Soualem – sur l’arrivée en France dans les années soixante du père d’Alice Diop, travailleur immigré sénégalais, et de sa mère, de leur installation en banlieue parisienne, de la naissance de leurs enfants et de leur éducation à cheval entre deux cultures.

Le deuxième est le choix des étapes qui enjambe la capitale intra muros pour aller d’une banlieue à une autre en s’achevant bizarrement dans la forêt de Fontainebleau à des dizaines de kilomètres du terminus du RER B. L’intérêt du tracé du RER B est précisément de relier un centre à sa banlieue. C’est ce lien centre-périphérie qu’ignore Nous. Le documentaire d’Alice Diop aurait pu tout aussi bien prendre l’A86 pour fil rouge.

Le troisième est son titre, son affiche et la chanson de Jean Ferrat, Ma France, qui accompagne son générique de fin. Trois éléments très forts qui revendiquent un message : faire nation. Or, loin de montrer une improbable unité nationale, Nous filme, du fait même du procédé choisi, des entités disparates, sans lien entre elles. Où est le melting pot, le creuset dans lequel se construiront des valeurs communes ? Quoi de commun entre ces adolescentes qui tchipent au Blanc-Mesnil en surfant sur TikTok et ces cavaliers dans la forêt de Fontainebleau dans leur accoutrement d’un autre temps ?

La bande-annonce