Solo ★★☆☆

Martín Perino fut un jeune pianiste prodige, couvé par sa mère, pianiste professionnelle elle aussi, avant de sombrer dans la paranoïa et la schizophrénie. Le réalisateur Artemio Benki est allé le débusquer dans un hôpital psychiatrique de Buenos Aires où il était interné. Il l’accompagne à la sortie de l’hôpital et l’aide à retrouver une vie normale, dans l’appartement désaffecté de ses parents décédés, au contact de ses anciens professeurs, à la recherche de nouveaux cachets.

Piano et folie. En 1997 Shine s’inspirait de la vie du pianiste David Helgfoot, un prodige du clavier que de graves troubles psychiatriques éloignèrent de la scène avant un retour triomphal. Le film australien valut à son acteur principal, Geoffrey Rush, l’Oscar, le Golden Globe et le BAFTA du meilleur acteur.
En 1993 déjà le canadien François Girard avait réalisé une oeuvre originale, à mi-chemin du documentaire et de la fiction autour de la vie de Glenn Gould : Twenty Short Films About Glenn Gould que le confinement m’a permis de voir et qui n’a pas pris une ride.

C’est du même sujet que traite le documentaire d’Artemio Benki. Il a pour héros un pianiste moins célèbre que le génial Canadien, mais pas moins attachant. Martín Perino est un gros nounours attachant aux paluches monstrueuses dont on n’imagine pas qu’il puisse jouer avec une telle sensibilité et avec une telle virtuosité. Il présente manifestement tous les signes d’un grave déséquilibre psychiatrique dont attestent ses internements à répétition et sa consommation massive de médicaments. Sa maladie le rend d’autant plus attachant.

J’ai pensé devant ce documentaire à l’héroïne du Jeu de la dame, la mini-série à succès que le monde entier a regardé pendant le confinement. Comme Beth Harmon, Martín Perino ne vit que par et pour son art. Sans piano, il dépérit. Avec un piano, il s’isole du reste du monde dans une spirale suicidaire. Le Jeu de la dame se terminait sur une note d’optimisme, happy ending hollywoodien oblige. Solo ne subit pas les mêmes injonctions et peut s’autoriser une fin plus ouverte, mais moins euphorisante.

La bande-annonce

Annette ★☆☆☆

Henry (Adam Driver), un comédien de stand-up à l’humour féroce, et Anne (Marion Cotillard), une cantatrice française, forment l’un des couples les plus glamours et les plus adulés de Hollywood. Ils ont bientôt ensemble une fille qu’ils prénomment Annette. Mais le comportement de Henry change imperceptiblement…

Le nouveau film de Leos Carax est sans doute le plus attendu du moment. On a vu tourner sa bande-annonce pendant tout le mois de juin. Il fait l’ouverture du festival de Cannes. Il constitue seulement le sixième film de ce réalisateur hors normes, aussi fantasque qu’exigeant, révélé dans les années quatre-vingts par l’énergie et la poésie de ses deux premiers films Boy Meets Girl et Mauvais Sang avant de se brûler les ailes dans le pharaonique Amants du Pont-Neuf.

Reconnaissons honnêtement que cette impatience n’était pas vaine – même si la bande-annonce, comme souvent hélas, a déjà dévoilé l’essentiel. Somptueux opéra rock au lyrisme revendiqué, Annette nous en met plein les mirettes pendant plus de deux heures. Leos Carax réussit, avec une audace inentamée, à revisiter toutes les formes du cinéma – la comédie musicale, le drame shakespearien, le thriller, le film fantastique – à les malaxer et à faire naître une forme nouvelle d’une vibrante énergie.

Mais c’est bien là le seul atout d’un film qui devient très vite désagréable à force de prétention. On a l’impression qu’à chaque plan, Leos Carax veut nous démontrer qu’il est toujours un cinéaste qui compte, capable de nous étonner. Tant d’application m’as-tu-vu dans la démonstration devient hélas vite contreproductif. Surtout si elle ne s’accompagne pas d’un minimum de sens. Or, de sens, Annette n’en a guère. Quel en est le sujet ? un homme qui sombre dans la folie meurtrière ? un couple que la célébrité étouffe ? une enfant prodige qui trouve le courage de rompre avec son père toxique ? les trois à la fois ?

On a l’impression que Carax se désintéresse de l’histoire qu’il raconte, obnubilé qu’il est par la perfection formelle de chacune des scènes qui la composent. C’est peut-être une façon efficace d’écrire un opéra – et Annette, grâce à la musique indémodable des Sparks, contient en effet quelques scènes d’anthologie. Mais ce n’est pas la meilleure pour réaliser un film.

La bande-annonce

Midnight Traveler ★★★☆

Hassan Fazili est un cinéaste afghan dont la tête fut mise à prix par les Talibans pour avoir réalisé une fiction qui montrait l’un d’entre eux déposer les armes. Avec sa famille, il se réfugia d’abord une année au Tadjikistan, espérant obtenir l’asile en Australie avant de décider, de guerre lasse, de tenter sa chance en Europe par la route. C’est cette longue odyssée, à travers l’Iran, la Turquie, la Bulgarie et la Serbie, qui allait durer plus de trois ans, qu’il filme avec son téléphone portable.

En 2002, le réalisateur britannique Michael Winterbottom avait raconté dans In This World le long périple de deux cousins afghans depuis un camp de réfugiés au Pakistan jusqu’au Royaume-Uni. C’est le même sujet qui, hélas, n’a rien perdu de sa triste actualité, que traite près de vingt ans plus tard Midnight Traveler. Mais l’émotion qu’on avait déjà éprouvée devant la fiction de Michael Winterbottom est décuplée par l’effet de réalité que produit l’autobiographie de Hassan Fazili : c’est lui qui traverse cette terrible épreuve avec sa femme et ses deux fillettes, provoquant chez le spectateur une bouleversante identification.

Cette petite famille si ordinaire vit le lot des avanies qu’un tel voyage comporte : des traversées clandestines de frontières à l’orée du jour, des attentes interminables dans des centres d’accueil plus ou moins pouilleux, des humiliations administratives à répétition, des abus de confiance de passeurs véreux…. Hassan Fazili peut se borner à filmer la réalité qu’il vit sans chercher à la dramatiser : elle l’est déjà suffisamment.

Aurait-il eu recours à des acteurs professionnels, il n’en aurait pas trouvé de meilleurs que sa femme et ses deux filles. Elles conservent, malgré les contretemps qu’elles rencontrent, une joie de vivre qui réchauffe le cœur. Il y aurait pourtant de quoi se décourager et on sent parfois son épouse à bout de forces. Mais sa force de vivre et l’amour qu’elle doit à ses enfants, notamment à Nargis, l’aînée, une petite brunette joyeuse et délurée, lui permettent toujours de reprendre le dessus.

Midnight Traveler n’est pas seulement un documentaire filmé en caméra cachée. C’est aussi une réflexion sur le cinéma en train de se faire par un réalisateur qui filme et se filme, en tant qu’époux et en tant que père. La réalisation de ce film semble avoir constitué pour lui et pour sa femme – elle aussi réalisatrice – une planche de salut, une raison de vivre pour ne pas perdre l’espoir qui aurait pu les abandonner si souvent.

Regarder Midnight Traveler, c’est non seulement vivre de l’intérieur une expérience poignante, une de celle qui devrait durablement modifier la perception qu’on peut avoir des réfugiés en France qui sont parvenus à franchir de tels obstacles avant d’arriver sur notre sol. Mais c’est aussi – ce qui n’est pas si fréquent – regarder une oeuvre de cinéma qui a sauvé la dignité d’une famille.

La bande-annonce

Teddy ★☆☆☆

Teddy (Anthony Bajon) a dix-neuf ans. Il vit dans un petit village des Pyrénées, entre sa tante grabataire, son oncle gentiment retardé, sa copine Rebecca (Christine Gautier) et sa patronne Ghislaine (Noémie Lvovsky). Même si la vie n’a pas été très tendre avec lui, Teddy imagine un avenir heureux avec Rebecca dans la maison avec pergola qu’il rêve de construire. Mais un loup sauvage rode autour du village et mord Teddy, provoquant chez le jeune homme une lente et inquiétante métamorphose.

La bande-annonce de Teddy, en sélection officielle à Cannes en 2020, m’avait mis l’eau à la bouche (si j’ose dire). Plusieurs choses m’attiraient dans ce film.

La première : Anthony Bajon, une gloire montante du cinéma français, déjà nommé deux fois aux Césars du meilleur espoir masculin (pour l’exceptionnel La Prière et le non moins exceptionnel Au nom de la terre) en 2019 et 2020.

La deuxième : le naturalisme rural et prolétarien d’une France périphérique croquée avec un mélange d’humour et de cynisme et beaucoup de second degré façon Bruno Dumont (P’tit Quinquin) ou Kervern & Delépine (I feel good, Effacer l’historique) – sans qu’il soit besoin ici d’ouvrir le débat sur le bourgeois gaze avec lequel cette France-là est filmée

La troisième : le mélange de ce naturalisme-là avec une couche de cinéma fantastique qui semble désormais constituer la marque de fabrique d’un nouveau nouveau cinéma français décidément sacrément remuant (Mandico, Ducournau, Philippot…)

Programme alléchant et peut-être trop ambitieux qui ne tient hélas pas ses promesses.
Car Teddy ne fonctionne pas. J’ai beau essayer de lui trouver des qualités – le jeu d’Anthony Bajon au premier chef qui, lui, ne déçoit pas – j’en reviens à ce constat sans appel : la pesante métaphore autour duquel est construit le film (Teddy est un monstre inadapté dont la société ne veut pas) trouve bien vite ses limites.

La bande-annonce

De l’or pour les chiens ★☆☆☆

Esther (Tallulah Cassavetti), dix-sept ans, a été élevée par sa mère (Julie Depardieu) entre un père absent et un beau-père lubrique. Elle a un job d’été sur la côte landaise chez un vendeur de glaces. Elle y a rencontré Jean (Corentin Fila), un barman plus âgé qu’elle, en est tombée amoureuse et s’est donnée à lui. Quand l’été se termine et quand Jean remonte à Paris, Esther décide de l’y suivre. Mais le jeune homme la repousse, ne laissant à Esther d’autre alternative que de frapper à la porte d’un couvent.

Tourné en plan fixe, extérieur jour, le premier plan du film, une scène d’amour très crue entre Esther et Jean, rappelle l’ouverture de 37°2 le matin. Hélas, De l’or pour les chiens n’a pas la fiévreuse folie du film de Beineix, pas plus qu’il ne révèle une actrice avec le talent d’une Béatrice Dalle.

Certes Tallulah Cassavetti, une jeune première, incarne à la perfection la jeune Esther. De la jeune femme, elle a déjà les rondeurs aguichantes et la sexualité généreuse ; mais elle a gardé les traits poupins de l’enfance et la voix innocente. Malheureusement pour elle, de telles actrices et de tels rôles, on en a déjà vu treize à la douzaine, pour ne citer ces dernières années que Olivia Cooke dans Katie Says Goodbye, Jessie Buckley dans Jersey Affair. ou Céleste Brunnquell dans Les Éblouis.

Le point faible de ce film est la banalité de son thème déjà vu et revu. Il aurait fallu à ce sujet un traitement exceptionnel pour le rendre intéressant. Or tel n’est pas le cas. Le scénario et la caméra déroulent paresseusement une histoire jouée d’avance de laquelle on se désintéresse lentement. On voit d’abord quelques beaux couchers de soleil sur l’Atlantique auxquels ne manquent que les couplets de Laurent Voulzy. Puis on suit Esther à Paris sachant par avance la cruelle déception qu’elle y vivra. Enfin, le dernier tiers du film se déroule derrière les murs du couvent de Port-Royal. S’agit-il d’une énième péripétie dans le parcours chaotique d’Esther ? ou de son achèvement comme tendrait à le montrer le long monologue de sœur Laëtitia, une moniale qui rompt son vœu de silence pour expliquer à la jeune fille …. pour expliquer quoi au fait ?!

La bande-annonce

My Zoé ★★★☆

Zoé est une adorable fillette de six ans dont les parents se disputent la garde. Sa mère, Isabelle (Julie Delpy), une généticienne franco-américaine, avait accepté quelques années plus tôt de suivre à Berlin son mari, James (Richard Armitage), un architecte britannique, avant de le quitter. Elle vit désormais en couple avec Akil (Saleh Bakir), un immigré en attente de régularisation.
Isabelle et James tentent de protéger la fillette des querelles permanentes qui les déchirent. Ils y parviennent tant bien que mal jusqu’à un événement dramatique auquel ils réagiront d’une façon bien différente.

Julie Delpy est décidément une femme de cinéma étonnante qui mène depuis trente ans une carrière inhabituelle devant et derrière la caméra. Son physique de jeune première lui a valu de débuter très tôt sous la direction des plus grands : Godard (elle fait ses débuts seins nus à quinze ans dans Détective), Tavernier (il lui donne le rôle titre de La Passion Béatrice), Leos Carax (Mauvais Sang), Kieslowski (la trilogie BleuBlancRouge)… À trente ans à peine, elle passe à la réalisation. Elle signe la réalisation, écrit le scénario, incarne le rôle principal du diptyque Two Days in ParisTwo Days in New York, du Skylab et de La Comtesse. My Zoé est son septième film.

Parler de My Zoé est une sacrée gageure pour le critique qui n’a pas le droit d’en révéler les rebondissements sans gâcher le plaisir et l’intérêt qu’on prendrait à le voir. Comment dire tout le bien qu’on pense de Sixième Sens sans expliquer pourquoi ? On m’a suffisamment fait, à tort ou à raison, le reproche de divulgâcher pour que je m’avance avec une prudence de Sioux.
En présentant le film, j’ai déjà laissé entendre qu’il comportait trois parties. La première, on peut en parler sans détour, met en scène un couple qui se déchire autour de son enfant. Il y a quelques mois, j’ai consacré une longue critique à Marriage Story qui racontait la séparation de deux personnages d’un couple interprétés par Adam Driver et Scarlett Johansson. j’y disais déjà le malaise que provoquait un tel spectacle – soit qu’on l’ait déjà vécu dans sa vie personnelle, soit qu’on appréhende de le vivre un jour – mais aussi l’intérêt de ces feel-bad movies, un néologisme qui ne fait guère florès, tant il est peu vendeur.
La deuxième partie s’organise autour d’une catastrophe. Je n’en dirai pas plus, sinon qu’il ne faut pas être grand clerc pour la deviner et qu’il faut l’être encore moins une fois que je vous aurais dit qu’elle m’a fait penser à La guerre est déclarée, le film exceptionnel du duo Valérie Donzelli – Jérémie Elkaïm dont vous vous rappelez le sujet.
Vient la troisième partie, celle qu’on voit le moins venir. Un long fondu au noir la sépare des deux précédentes. Le lieu de l’intrigue se déplace. On quitte Berlin pour Moscou – c’est un spoiler, mais un petit spoiler. Le ton du film change : on passe du drame familial à… autre chose. Un indice : il y a dans les deux premières parties du film un plan qu’on regarde sans le comprendre mais sans non plus y prêter attention, qui donne la clé de cette troisième partie.

J’en ai certainement trop dit…. ou pas assez. Je n’avais pas le droit d’expliquer pourquoi ce film vertigineux m’a secoué sans en révéler le contenu et en raconter l’intrigue. Vous êtes réduit à me faire confiance en courant le voir…. ou pas !

La bande-annonce

Le Procès de l’herboriste ★★☆☆

Le Procès de l’herboriste raconte la vie de Jan Mikolášek (1889–1973), un guérisseur tchèque qui soigna des milliers de malades en leur administrant un cocktail de plantes après avoir examiné leurs urines. le film est organisé autour du procès que lui intenta le pouvoir communiste en 1958, juste après la mort du président Zápotocký qui fut l’un de ses patients et son protecteur. Une série de flashbacks revient sur les épisodes de sa vie : son enrôlement pendant la première guerre mondiale où il faillit perdre la vie, la découverte de son don thaumaturge, sa formation auprès d’une rebouteuse qui lui apprend à lire les urines et à fabriquer des simples, le recrutement de son fidèle collaborateur, Frantisek Palko, auquel l’attachera vite une passion interdite…

Quatre semaine après Les Séminaristes, déboule sur nos écrans un nouveau film dont l’action se déroule dans la Tchécoslovaquie communiste. Il a reçu cinq statuettes à la dernière édition du Lion tchèque, l’équivalent des Césars, dont celles du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur acteur (le Tchèque Ivan Trojan quasiment inconnu hors de ses frontières). Il est l’oeuvre d’Agnieszka Holland, une réalisatrice polonaise qui aime à se frotter à des films historiques : elle en a consacré un au père Popiełuszko (interprété par Christophe Lambert !), l’aumonier de Solidarność (Le Complot), un autre au génocide juif (Europa, Europa), un autre encore à la découverte de la terrible famine qui frappa l’Ukraine dans les premières années du stalinisme (L’Ombre de Staline) …

On pouvait craindre de cette réalisatrice septuagénaire et de cette coproduction tchéco-slovaquo-polonio-irlandaise un trop-plein d’académisme. On y échappe de justesse grâce à la complexité d’un récit qui joue à saute-moutons avec les époques. Grâce surtout à un personnage beaucoup moins lisse qu’on l’escomptait. Mikolášek n’est pas en effet, comme la bande-annonce le laissait imaginer, un autre martyr de l’anti-communisme injustement persécuté par des bourreaux sans âme dans des prisons glaciales. Plus le film avance, plus sa face cachée apparaît : un homme abrupt, dépourvu d’empathie, qui se noie dans son travail en étant incapable de s’en détacher.

Les ultimes scènes du film sont d’une redoutable ambiguïté et on débattra longuement en sortant de la salle du sens à leur donner.

La bande-annonce

Présidents ★★☆☆

Toute ressemblance avec des présidents ayant exercé ne serait pas purement fortuite. On ne prononcera jamais le patronyme de Nicolas et de François mais on les reconnaîtra au premier coup d’oeil. Les deux anciens présidents de la République vivent plus ou moins bien leur retraite à l’approche des élections présidentielles de 2022 qui risquent de voir la victoire de Marine Le Pen. Le premier ronge son frein dans son immense appartement parisien en passant l’aspirateur tandis que le second prétend avoir enfin trouvé la sérénité dans un village retiré de la Corrèze.
Sentant monter le péril fasciste et rêvant surtout de se remettre en selle, Nicolas (Jean Dujardin) se persuade que seule une alliance avec François pourra sauver la France. Accompagné de son garde du corps, il prend le train pour la Corrèze pour en convaincre son successeur. C’est sans compter sur la décision qu’a prise François (Grégory Gadebois) de tirer un trait définitif sur la vie publique pour se consacrer à ses nouvelles passions : le saxophone et l’apiculture. C’est sans compter aussi sur les épouses respectives des deux hommes : Natalie (Dora Tillier), une exubérante cantatrice, et Isabelle (Pascale Arbillot), une vétérinaire pleine de bon sens.

On n’imaginait pas la très sérieuse Anne Fontaine prendre les rênes de cette pochade politique. Tous ses films, qui distillent un parfum délicieusement empoisonné, traitent du même sujet : le dérèglement brutal d’existences ordinaires. Dans Nettoyage à sec, les propriétaires d’un pressing à Belfort (Miou-Miou et Charles Berling) voient débouler dans leur vie paisible un Adonis qui bouleverse leur train-train. Dans Entre ses mains, une célibataire endurcie (Isabelle Carré) tombe amoureuse d’un homme (Benoît Poelvoorde) qu’elle suspecte d’être un assassin en série. Dans La Fille de Monaco, un ténor du barreau parisien (Fabrice Luchini) tombe amoureux d’une cagole monégasque (Louise Bourgoin) Dans Perfect Mothers, adapté d’une nouvelle de Doris Lessing, deux mères de famille (Naomi Watts et Robin Wright), la quarantaine, éprouvent une attirance trouble pour le fils de l’autre.

Présidents ne distille aucun parfum venimeux ; au contraire, c’est un film profondément bienveillant et positif. Mais à y regarder de plus près, il n’est pas si éloigné du principe qui traverse la filmographie d’Anne Fontaine : non pas filmer les événements extraordinaires de vies ordinaires, mais, pour une fois, essayer d’imaginer le retour à l’ordinaire d’hommes extraordinaires.

Le pari, joyeusement potache, est enthousiasmant. Surtout s’il mobilise deux des plus grands acteurs français contemporains. Ils réussissent l’un et l’autre, dans deux registres radicalement différents, à « incarner » leurs illustres personnages. Dévoré de tics, reproduisant à la perfection les intonations melliflues de l’ancien maire de Neuilly, Jean Dujardin fait du Dujardin, poussant la caricature jusqu’à l’extrême limite où elle manque déraper dans le cabotinage. Il suffit de voir la bande-annonce pour s’esclaffer – en regrettant ce défaut congénital d’y découvrir les saynètes les plus drôles (si ce n’est l’une concernant Ségolène qui m’a bien fait rire et que je vous laisse découvrir au mitan du film). Grégory Gadebois est dans un registre beaucoup plus intériorisé. La ressemblance avec François Hollande est moins explicite ; mais elle n’en devient pas moins tout aussi évidente plus Présidents avance.

Passé ce postulat de base – faire incarner par ces deux immenses acteurs deux des personnages les plus connus, les plus aimés, les plus haïs de notre vie actuelle – il fallait raconter une histoire. C’est là que le bât blesse. Présidents est construit autour d’un scénario abracadabrantesque. Il aurait fallu le traiter sur un mode plus léger, plus absurde, comme une fable ou un conte. Hélas, Anne Fontaine le déroule avec une trop grande application jusqu’à une conclusion qui se voudrait originale et qui, il est vrai, nous surprend, mais qui sonne faux et creux. Ce qu’elle nous dit du pouvoir politique s’y révèle à la réflexion étonnamment pauvre : les hommes politiques seraient, au fond, des enfants immatures dévorés d’orgueil et d’ambition qu’anime non pas le sens de l’intérêt général mais un inextinguible appétit de pouvoir…. sauf à se révéler peut-être d’aimables hédonistes capables de lâcher prise pour enfin trouver la sérénité. Une analyse, dans les deux cas, bien caricaturale.

Pour le dire plus brièvement : Présidents est peut-être la meilleure bande-annonce de la semaine, mais certainement pas  hélas le meilleur film du mois.

La bande-annonce

Ibrahim ★★★☆

Ibrahim a dix-sept ans. C’est un adolescent qui ne s’est jamais remis de la disparition de sa mère et qui végète dans un lycée technique du douzième arrondissement parisien. Son père, Ahmed, l’élève seul tant bien que mal. Analphabète, Ahmed a trouvé un emploi d’écailler dans une brasserie de l’avenue de l’Opéra. Il aimerait devenir garçon de salle et attend de pouvoir se payer une prothèse dentaire pour postuler à ce poste. Mais le pécule qu’il a patiemment amassé à cette fin va être dilapidé pour sortir Ibrahim du mauvais pas dans lequel ses mauvaises fréquentations vont le mettre.

Samir Guesmi est un acteur familier du cinéma français, un de ces seconds rôles dont on remarque depuis une trentaine d’années le visage sans nécessairement connaître le nom, éclipsé par des Roschdy Zem, des Reda Kateb ou des Sami Bouajila. On l’a vu chez Noémie Lvovsky, chez Arnaud Desplechin, chez Guillaume Canet, chez Sólveig Anspach – à qui il dédie son premier long-métrage. Il passe pour la première fois derrière la caméra pour raconter une histoire largement autobiographique – son père, Ahmed, était analphabète comme le personnage qu’il interprète – tout en ayant l’élégance de laisser le rôle-titre et le haut de l’affiche à un jeune acteur inconnu.

Abdel Bendaher, repéré dans un entraînement de football, joue un adolescent mal dans sa peau. Il est entouré par un casting remarquable qui compte beaucoup de collègues de Samir Guesmi dont on imagine qu’ils ont accepté par pure amitié de passer sur son tournage pour de brèves apparitions : Florence Loret-Caille, Rufus, Marilyne Canto et Philippe Rebbot pour un rôle plus étoffé et malaisant, aux antipodes de ceux de hippie vieillissant dans lesquels il est trop souvent cantonné. Deux jeunes acteurs prometteurs jouent deux camarades de lycée d’Ibrahim et complètent ce casting prestigieux,  : Rabah Naït Oufella (Entre les murs, Bande de filles, Grave) et Luàna Bajrami (Portrait de la jeune fille en feu, Fête de famille, Les 2 Alfred).

Samir Guesmi ne révolutionne pas le cinéma français. À cinquante ans passés, il ne nourrit plus une telle ambition. Son film n’a pas la hardiesse formelle de ceux de Bertrand Bonello ou l’envergure de ceux d’Abelatif Kechiche. Mais son Ibrahim rappelle le cinéma des frères Dardenne et réussit, comme le leur, avec une étonnante économie de moyens, à toucher et à émouvoir : un plan fixe sur un cendrier plein suffit à montrer l’insomnie muette d’un père rongé d’inquiétude pour son enfant. Modeste jusque dans sa durée (quatre-vingts minutes TTC), bien écrit et bien joué, Ibrahim fait carton plein.

La bande-annonce

Gagarine ★☆☆☆

Youri, seize ans, a grandi dans la cité Gagarine, à Ivry-sur-Seine, une barre HLM inaugurée en grande pompe en 1963 en présence du célèbre cosmonaute soviétique. Elle a, hélas, au fil des ans, connu la lente déchéance des immenses barres d’immeubles des Trente Glorieuses. Son évacuation, le relogement de ses occupants, sa destruction sont devenus inéluctables. Mais Youri, ingénieux Géo Trouvetou qui rêve depuis toujours de devenir cosmonaute, entre en résistance. Avec la complicité de Diana, une jeune Rom qui lui fournit les matériaux dont il a besoin, de Houssam, son voisin et ami, et de Dan, un petit dealer, il transforme son appartement en capsule spatiale auto-suffisante.

Pour leur premier long-métrage, Fanny Liatard et Jeremy Trouilh ont planté leur caméra dans la « ceinture rouge » parisienne. Ils y ont filmé la destruction d’un grand ensemble. Ils auraient pu en faire un documentaire. Leur film en porte la trace depuis ses toutes premières images – qui montrent Youri Gagarine à Ivry-sur-Seine inaugurant la cité qui porte son nom – aux toutes dernières – où on entend en voix off le témoignage de quelques habitants. Ils auraient pu aussi en faire un film marqué au sceau du réalisme social, comme on en a tant vus pour raconter la banlieue depuis La Haine jusqu’aux Misérables en passant par L’Esquive, Bande de filles ou Divines.

Le parti qu’ils ont choisi est radicalement différent et sacrément culotté. Gagarine s’inscrit dans le registre du réalisme magique voire de la pure poésie sinon de la science-fiction. Il accompagne Youri dans son délire jusqu’au-boutiste. Les critiques qui ont accueilli ce conte fantastique, sélectionné en compétition officielle à Cannes en 2020, sont laudatives. Elles saluent ce parti pris original, aux antipodes de la façon désormais bien conventionnelle de filmer les banlieues et leur anomie. Elles vantent sa douceur, sa beauté plastique, son inventivité, son onirisme.

Sans rien dénier de ses qualités, je suis hélas passé à côté de ce beau film. Si j’ai été touché par le jeu de la formidable Lyna Khoudri, la révélation de Papicha, j’ai trouvé bien pataud Alséni Bathily, le héros, et sous-employé le pourtant excellent Finnegan Oldfield dans un rôle de petite frappe. Je ne disconviens pas que le film soit poétique et doux. Mais j’ai trouvé que sa métaphore était filée avec trop de systématisme pour ne pas tourner au pur concept : filmer la destruction de la cité Gagarine comme le décollage d’une fusée spatiale. Un concept qui m’est apparu aussi artificiel que stérile.

La bande-annonce