Midnight Runner ★☆☆☆

Jonas est en apparence un jeune homme sans histoire. Il a une passion, la course à pied, une fiancée ravissante, Simone, et un travail dans les cuisines d’un grand restaurant bernois. Mais, en vérité, depuis la mort de son frère, Jonas va mal. Et son malaise tend à s’exprimer de plus en plus violemment.

Midnight Runner (le titre français de Der Laüfer) est inspiré d’une histoire vraie : au début des années 2000, un meurtrier a semé la panique dans la capitale suisse. Son profil, comme celui de Jonas dans le film, était des plus ordinaires, compliquant l’enquête de la police et son arrestation.

Le réalisateur Hannes Baumgartner a choisi de se placer du côté de Jonas. Du coup, il ôte à son film toute dimension policière : on ne se demandera jamais qui a commis les crimes puisqu’on le sait déjà. Midnight Runner devient un portrait psychologique d’un désaxé qui, contre toute raison (Jonas ne brille pas par sa capacité à brouiller ses pistes), s’enferre dans une logique meurtrière.

Max Hubacher est impressionnant dans le rôle principal, qu’il courre le demi-fond ou travaille en cuisine. On l’avait déjà remarqué dans les rôles principaux de The Captain et de Mario. On lui promet une belle carrière.

Mais cette interprétation exceptionnelle ne suffit pas à sauver le film qui, à trop se focaliser sur son personnage principal, finit par manquer d’oxygène.

La bande-annonce

The Great Green Wall ★☆☆☆

La Grande Muraille verte est un projet panafricain de création d’un mur d’arbres traversant le Sahel d’est en ouest pour le protéger de la progression du désert.
Le documentariste Jared Scott a suivi la chanteuse malienne Inna Modja dans un long périple du Sénégal à l’Éthiopie en passant par le Mali, le Nigéria et le Niger.

The Great Green Wall est un objet filmé dont on peut légitimement mettre en doute l’utilité de la sortie en salles. Il se présente comme un documentaire sur la Grande muraille verte, une initiative internationale de lutte contre la désertification. Le projet, que d’aucuns trouvent trop ambitieux, est pharaonique : il s’agit de stopper l’avancée du désert moins par une muraille d’arbres que par une mosaïques d’écosystèmes arborés.

Le sujet écolo se prête a priori volontiers à un documentaire comme on en voit beaucoup, soit qu’il soit traité sur un mode scientifique et pédagogique façon Une vérité qui dérange ou We feed the world, soit qu’il donne lieu à une approche plus esthétique comme chez Yann Arthus-Bertrand ou Godfrey Reggio.

Mais, en cours de route The Great Green Wall oublie son sujet. Il y est moins question de la Grande Muraille verte que de Inna Modja. Le documentaire se transforme en long clip vidéo.

Le mal n’est pas si grand car la chanteuse a du talent. Elle est intelligente, sensible, agréable à regarder et plus agréable encore à écouter. Mais il y a tromperie sur la marchandise. The Great Green Wall aurait dû s’intituler The Inna Modja Afrika Tour.

La bande-annonce

La Passante du Sans-Souci (1982) ★☆☆☆

Max Baumstein (Michel Piccoli), le président unanimement respecté d’une ONG humanitaire, assassine de sang froid l’ambassadeur du Paraguay en France auquel il demandait la libération d’une prisonnière politique. Comparaissant en cour d’assises, il explique les motifs de son crime. Cinquante ans plus tôt, dans la France des années trente, le jeune Max, dont le père avait été tué par les S.A. à Berlin, était élevé par Elsa Wiener (Romy Schneider), exilée loin de son mari emprisonné à Berlin.

La Passante du Sans-Souci, tourné au début des années quatre-vingts, est l’adaptation d’un roman de Jospeh Kessel de 1936. S’éloignant du roman, son réalisateur le construit autour d’un flashback, mettant en scène un Max Baumstein vieilli qui venge un passé qui ne passe pas. La mise en abyme est renforcée par l’interprétation par Romy Schneider des deux rôles d’Elsa Wiener et de Lina Baumstein, l’épouse de Max, comme si le héros avait entendu retrouver chez son épouse les traits de la femme qui l’avait élevé.

Il est sacrilège de dire du mal de La Passante du Sans-Souci. Car son sujet est de ceux qui inhibent la critique. Car c’est le dernier film de Romy Schneider, qui meurt six semaines après sa sortie. Car Michel Piccoli, la cinquantaine bien entamée, l’élégance toute giscardienne, y a une classe folle.

Pour autant, force est de constater que La Passante du Sans-Souci a terriblement vieilli. Tout y est compassé, défraîchi, depuis son affiche, qui reprend les mêmes standards que ceux de Sissi impératrice jusqu’aux revues de cabaret dirigées par Jacques Martin (sic) en passant par les reconstitutions en carton-pâte du Paris des années folles. Était-ce la marque de fabrique des films de ces années là ? Sans doute. Mais qu’on y songe : Jean Reno, qui y fait tout jeunot une courte apparition, interprétait la même année le premier rôle du Dernier combat, le premier film autrement plus audacieux d’un jeune réalisateur nommé Luc Besson.

La bande-annonce

L’Envolée ★☆☆☆

Leigh a quatorze ans. Elle vit seule avec son père depuis le départ de sa mère. Elle n’a qu’une passion : la gymnastique qu’elle pratique intensément avec un coach qui croit en son potentiel. Tandis que s’approche une compétition importante pour laquelle Leigh s’entraîne d’arrache-pied, déboule chez elle un adolescent qui s’avère être son demi-frère. La jeune fille est fascinée par ce garçon plus vieux qu’elle et l’accompagne dans ses virées nocturnes qui prennent bientôt un tour dangereux.

Des films sur la sortie de l’enfance mettant en scène les premiers émois amoureux d’une jeune adolescente mal dans son corps, on en a vus treize à la douzaine. Pour autant, on ne mégote pas son plaisir quand le treizième est réussi.

C’était le pressentiment qu’on en avait en en voyant la bande annonce. On imaginait volontiers un film quelque part entre Ken Loach pour la description d’une Angleterre à la dure et de gens de peu et Andrea Arnold pour le portrait de son héroïne (son Fish tank restant en la matière un modèle quasi indépassable). On doit avouer une certaine déception.

Car, passée la mise en place des caractères, la découverte de Leigh et de son milieu, l’arrivée de Joe son demi-frère, l’histoire fait du surplace. Les petits larcins de Joe auxquels il associe Leigh manquent d’enjeu. L’attraction incestueuse qu’éprouve la jeune fille pour son séduisant demi-frère suscite plus de gêne que de trouble.

Au final, aussi grande que fut notre disposition à s’enthousiasmer, on sort de la salle indifférent et déçu.

La bande-annonce

Malmkrog ☆☆☆☆

Dans l’hiver russe, cinq personnages discutent à bâtons rompus. Autour de Nikolaj, un riche propriétaire terrien, se sont réunis Ingrida, l’épouse d’un général, Olga, une jeune chrétienne fervente, Edouard, un libre-penseur et Madeleine, une piquante Française. La discussion, dans un français parfait, va bon train et roule sur des thèmes aussi ambitieux que la guerre, la morale et la religion.

Malmkrog est un film intimidant. Intimidant par sa durée : 3h21. Intimidant par son sujet : l’adaptation à l’écran d’un essai philosophique d’un obscur penseur russe de la fin du XIXème siècle Vladimir Soloviev. Intimidant par sa mise en scène : six scènes seulement filmées selon les cas dans de longs plans fixes savamment agencés ou dans des champs-contrechamps qui jouent sur les visages des orateurs et de ceux qui les écoutent.

Il y a deux réactions possibles à ce film.
La première est la fascination enthousiasmée face à ce discours ininterrompu aussi dense que complexe, face à cette mise en scène aussi épurée qu’exigeante.
La seconde hélas est celle de la capitulation. J’avoue avoir très vite renoncé à suivre cette logomachie philosophique autour d’enjeux qui, à supposer qu’ils passionnassent les esprits éclairés de l’époque [j’use de l’imparfait du subjonctif car Malmkrog en use et en abuse], ont perdu beaucoup de leur résonnance aujourd’hui.

Soit que je ne sois pas assez snob, soit que je ne sois pas assez intelligent, je garderai un souvenir calamiteux des 3h21 de ce film. Le zéro pointé que j’avais donné aux 2h53 de Sieranevada aurait dû pourtant me mettre la puce à l’oreille. Cristi Puiu n’est décidément pas un cinéaste pour moi.

La bande-annonce

Chained ★★★☆

La quarantaine bien entamée, Rashi est flic à Tel Aviv. Il effectue consciencieusement son travail dans des conditions pas toujours faciles. Sous ses dehors placides, il est particulièrement ébranlé d’avoir été mis à pied suite à une enquête interne de l’inspection des polices pour abus d’autorité sur mineur.
Rashi est marié à Avigail. La jeune femme a eu une fille d’un premier lit qui vit avec le couple. La cohabitation n’est pas toujours fluide entre le beau-père et sa belle-fille. Et les difficultés du couple à avoir ensemble un enfant révèlent des tensions qui menacent de dégénérer.

Chained est un film éprouvant. De la première scène – où l’on voit Rashi et son acolyte interpeler un père violent – jusqu’à la dernière – dont on ne dira rien – on sera scotché à son fauteuil et très mal à l’aise. On s’étonne d’ailleurs que la commission de classification ait délivré un visa tous publics sans aucun avertissement – là où l’inoffensif Lucky Strike que j’ai chroniqué hier écopait d’une sévère interdiction aux moins de douze ans.

Chained est construit selon un procédé simple mais terriblement efficace : sans aucun temps mort, sans aucune respiration, chaque scène raconte jusqu’à l’épuisement une dispute, plus ou moins violente. C’est d’abord, on l’a dit, Rashi dans son métier, qui arrête un père de famille ou qui procède à la fouille d’adolescents suspectés de vendre de la drogue. C’est ensuite Rashi et sa belle-fille avec laquelle il se montre trop protecteur, lui interdisant toute sortie, ce qui stimule en retour l’esprit de rebellion de l’adolescente. C’est enfin Rashi et Avigail dans leur PMA infructueuse et dont le couple se défait inexorablement.

Rashi est au centre de chacune de ses disputes, qu’il les provoque ou qu’il les subisse. Le personnage est ambivalent, servi par l’interprétation impeccable de Eran Naim. Son physique, de gros nounours tendre, est plutôt rassurant ; mais on sent en lui une violence qui ne demande qu’à éclater. Sans être un saint, il n’est ni un flic ripoux, ni un beau-père abusif ni un mari violent. La richesse du personnage vient précisément de son ambiguïté.

Chained est le premier volet d’un diptyque. Beloved sortira sur les écrans mercredi prochain. Il est filmé du point de vue d’Avigail. Je courrai le voir.

La bande-annonce

Lucky Strike ★★☆☆

Un luxueux sac Vuitton rempli de billets de banque est abandonné dans le casier d’un sauna. Comment est-il arrivé là ? Que va en faire l’employé qui a mis la main dessus ?

Nous vient du Pays du matin calme, dont la cinématographie bénéficie désormais de l’aura projetée par Parasite, Lucky Strike, un thriller volontiers grand-guignolesque qui met en scène, comme son affiche l’annonce, une brochette d’individus plus ou moins cupides et criminels qui se disputent un magot.

La construction en est intelligente qui joue sur les temporalités et sur les points de vue. On risque de la trouver confuse et de n’y rien comprendre à première vue ; mais lentement les pièces du puzzle s’agencent jusqu’à donner sens à une histoire somme toute assez conventionnelle.

Le résultat ne révolutionnera pas l’histoire du cinéma. Il ressemble trop à des polars similaires qu’on a déjà vus aux États-Unis (l’indépassable Memento qui lança la carrière de Christophe Nolan), au Royaume-Uni (le tarantinesque The Gentlemen) en Corée (Le Gangster, le Flic et l’Assassin) ou même en France (je pense à l’excellent Seules les bêtes qui adoptait une construction éclatée similaire) pour soulever l’enthousiasme. Mais il se regarde sans déplaisir. Un plaisir qu’on prend à la fois à reconstituer les fragments du puzzle (il est toujours enivrant de se sentir intelligent !) et à en apprécier chaque morceau.

La bande-annonce

Tout simplement noir ★☆☆☆

Acteur raté, Jean-Pascal Zadi, dans son propre rôle, a décidé d’organiser une marche des fiertés noires. Il part à la rencontre des leaders de sa communauté pour les convaincre d’y participer.

Faute de sorties américaines, Tout simplement noir se présente comme le film de la semaine, le seul capable de ramener dans les salles obscures un public qui en a été longtemps sevré mais qui lui préfère ces jours-ci le ciel bleu des terrasses.

Il a quelques arguments en sa faveur. Le premier bien sûr est l’actualité de son thème, en pleines affaires Lloyd et Traoré, alors que le débat récurrent sur le racisme et l’antiracisme s’enflamme d’une actualité nouvelle et prend cette fois ci pour sujet le déboulonnage des statues. Le deuxième est l’angle comique qu’il choisit pour le traiter, le plus susceptible de drainer un large public. Le dernier et non le moindre est la pertinence de son approche, qu’annonce son titre, hymne à l’intégration républicaine et à l’invisibilité mélanique : il n’y a ni honte à avoir ni gloriole à tirer de la couleur de sa peau.

La « condition » noire en France est un sujet inépuisable. Pap Ndiaye lui avait consacré en 2007 un livre qui fit date et annonça la naissance des black studies en France. Il y démontrait que les Noirs en France ne constituaient pas une communauté unie par une même histoire et une même culture, mais une minorité partageant la même condition sociale, souvent victime de discriminations et en souffrance d’intégration. Telle est la thèse de Tout simplement noir : il n’existe pas une identité noire mais plusieurs qu’il est difficile de délimiter et de définir.

La question que soulève la condition noire se divise en autant de sous-questions : quelle est la nature des discriminations dont souffrent les Noirs de France ? faut-il appliquer une politique de quotas pour les combattre ? l’objectif est-il de les rendre plus visibles dans une communauté nationale qui assumerait enfin sa diversité, ou paradoxalement moins visibles dans une société devenue neutre à la couleur de la peau ? le métissage est-il une trahison ou une solution ? existe-t-il une convergence des luttes entre les différents mouvements antiracistes ? la question raciale est-elle soluble dans la question sociale ? l’antiracisme est-il un féminisme ? quelle est la place et l’apport des Antillais et des Africains de souche dans la mouvance ? comment la classe politique s’est-elle emparée de ces questions ? sont-elles l’apanage de la gauche ?

Autant de questions qui sont à peine ébauchées dans un film au scénario paresseux construit comme autant de vignettes autour des rencontres successives et souvent désopilantes de Jean-Pascal Zadi, suivi à la trace par son caméraman, et des célébrités qu’il essaie de rallier. Prenons un exemple : sa rencontre inopinée avec Fabrice Eboué et Lucien Jean-Baptiste dans un restaurant. Le premier, d’origine camerounaise, a réalisé une comédie hilarante sur l’esclavage, Case départ ; le second, martiniquais, a signé La Première Etoile qui raconte les déboires d’un père de famille antillais aux sports de neige. Dans un crescendo très drôle, les deux hommes en viennent aux mains se reprochant, au premier de s’être ri d’un thème dramatique, au second d’avoir signé un film de « Bounty » [le Bounty est un Noir au comportement de Blanc, comme la barre chocolatée « noir dehors et blanc dedans »]. On rit bien sûr devant tant d’hystérie ; mais la réflexion n’est pas poussée bien loin qui aurait pu interroger deux façons d’être noirs en France selon que ses ancêtres ont ou non été victimes de l’esclavage, selon qu’on soit né Français ou qu’on le soit devenu.

Tout simplement noir déçoit plus qu’il ne convainc. Les rares éclats de rire qu’il provoque étaient déjà déflorés par la bande-annonce. Et la réflexion que suscite la lecture stimulante des interviews intelligentes de son réalisateur ne trouve guère d’échos dans son film.

La bande-annonce

Les Noces rouges (1973) ★★☆☆

La femme de Pierre Maury (Michel Piccoli) se consume dans la neurasthénie. Le mari de Lucienne Delamare (Stéphane Audran) est un député-maire d’une petite ville de province, imbu de lui-même quoiqu’impuissant. Pierre et Lucienne sont devenus amants et connaissent ensemble les extases que leur mariage décevant ne leur procure plus.

Claude Chabrol s’inspire d’un fait réel survenu quelques années plus tôt dans la Creuse pour peindre un portrait au vitriol de la vie de province au début des années soixante-dix. Sa trame dramatique – un double adultère qui se solde par un double homicide – laisse affleurer le comique anarchique qui traverse toute l’oeuvre de Chabrol. On rit autant qu’on frémit au spectacle des Noces rouges dont on dirait volontiers, s’il n’avait pas été tourné vingt cinq ans plus tôt, qu’il emprunte à Fargo son humour noir.

Le réalisateur de La Femme infidèle, du Boucher et des Biches s’en donne à cœur joie pour moquer la fatuité des notables de province et pour exalter l’explosion sensuelle qu’elle ne parvient pas à réfréner. Claude Piéplu incarne jusqu’à la caricature la première. Stéphane Audran, l’épouse de Chabrol à la ville, a rarement été aussi sexy pour donner corps à la seconde, loin de l’image de froideur qui lui est souvent associée.

Entre les deux, Michel Piccoli peine à trouver sa place. Il est trop élégant et trop intelligent pour incarner un bourgeois ridicule. Il manque de la sensualité qui rendrait explosive le couple qu’il forme avec Stéphane Audran. D’ailleurs on ne le reverra jamais dans les films de Chabrol qui lui préfère Michel Bouquet ou Jean Yanne.

Un extrait

Years and Years ★★★★

Years and Years (qu’on aurait pu traduire Les années qui passent) racontent l’histoire d’une famille ordinaire de quatre frères et sœurs dans l’Angleterre post-Brexit des années 2020 avec ses nouvelles technologies et son populisme rampant incarné par la politicienne Vivienne Rook (Emma Thompson).

La série avait fait sensation à sa sortie l’an passé, sur BBC One au Royaume-Uni, HBO aux États-Unis et Canal + en France. Je l’ai regardé avec un an de retard mais avec un enthousiasme inentamé : Years and Years dispute à Tchernobyl le titre de meilleure série de l’année.

À quoi doit-elle cette réussite ? À sa capacité à mélanger harmonieusement plusieurs registres.

D’un côté, Years and Years est une dystopie politique et technologique qui louche du côté de Black Mirror en nous décrivant un futur à la fois très proche donc très crédible (une héroïne raconte avec beaucoup de justesse qu’elle s’imaginait, dans sa jeunesse, 2030 comme une date très lointaine et très futuriste et qu’elle est surprise d’en fêter le commencement sans avoir tant changé que cela) mais marqué par de nombreuses évolutions.

Ces évolutions ne sont pas toutes positives qui donnent à Years and Years une tonalité très pessimiste sans jamais pour autant sombrer dans le récit apocalyptique. À l’en croire, les nouvelles technologies, qui abaissent peu à peu la frontière entre l’humain et le non humain (passionnant personnage de Bethany qui fait son « coming out » en révélant à ses parents qui l’attendaient non pas son désir de changer de genre mais celui, plus surprenant, de devenir une « machine »), si elles fluidifient les communications, transforment notre société en immense Panopticon liberticide. Plus inquiétant encore, l’Angleterre post-Brexit sombre lentement dans un populisme xénophobe où la vulgarité (Emma Thompson en rajoute dans la caricature) le dispute à la peur tandis que le monde tout entier va à sa perte.

Cette toile historique s’incarne dans une famille ordinaire. La série de six épisodes d’une heure se donne le temps d’en approfondir chacun des personnages, leur conférant plus d’épaisseur que l’impression première qu’ils donnent : Stephen, l’aîné, bon mari et bon père, révèle des fragilités qu’on n’aurait pas imaginées, Edith, la militante, prend bientôt conscience de l’impasse de son engagement, Daniel, le cadet gay, puise au fond de lui des ressources inattendues pour porter secours à l’homme qu’il aime, Rosie, la benjamine, clouée dans son fauteuil roulant sans que jamais son handicap ne soit instrumentalisé, reviendra trop tard de son engouement spontané pour Vivienne Rook et son parti.

Dystopie politique, chronique d’une famille ordinaire : Years and Years, malgré une petite baisse de rythme autour du troisième épisode, est une réussite absolue. Regardez en le premier épisode – au final à couper le souffle – et vous ne décrocherez plus jusqu’au dernier.

La bande-annonce