La Sirène à barbe ★☆☆☆

La Sirène à barbe est le nom d’un cabaret dieppois. C’est désormais le titre du film que lui consacre Nicolas Bellechombre assisté à la réalisation par Arthur Delamotte et au scénario par Shimon Urier.

Le parti pris est celui de la fiction qui prend pour héros Erwan, un jeune Dieppois qui ose un jour franchir le seuil du cabaret et va y découvrir l’amour. Nicolas Bellechombre se revendique en effet du « cinéma du réel ». Peut-être la voie plus balisée du documentaire aurait-elle mieux convenu pour nous faire découvrir cette troupe attachante, les circonstances de sa constitution, les difficultés quotidiennes auxquelles elle doit faire face pour faire vivre cette minuscule salle de spectacles perdue dans ce petit port de pêche normand dont la quiétude est rythmée par les arrivées et les départs du ferry pour la lointaine Angleterre. C’est à Brighton d’ailleurs, où la troupe a été invitée à se présenter, que le film se terminera.

La troupe s’est retrouvée à Paris pour présenter son film au Saint-André des Arts mercredi 2 octobre. Sa joie de vivre faisait plaisir à voir. On était un peu triste pour elle du public clairsemé venu assister à ce débat et hésitant à lui poser les questions qu’elle attendait avec impatience.

La vérité hélas oblige à dire que La Sirène à barbe n’est pas un grand film. Même si l’image en est soignée, le scénario, proche du roman-photo, est à la peine ; et le jeu des acteurs, pour la plupart amateurs, aussi engagés soient-ils, par trop hésitant. Certes La Sirène à Barbe a le mérite de nous entraîner dans l’univers fascinant du cabaret, du travestissement. Mais d’autres films, d’autres documentaires avaient déjà raconté quasiment la même histoire : Les Reines de la nuit, Parole de King, Des Garçons de province, Last Dance

La bande-annonce

Libres ☆☆☆☆

Libres est un reportage mené dans douze monastères espagnols auprès de leurs locataires, des moines ou des moniales qui ont choisi de se couper du monde pour se rapprocher de Dieu.

La réclusion monacale est un sujet qui me fascine. J’ai gardé un souvenir envoûtant du Grand silence de Philip Gröning, un documentaire de 2h42 sur les moines de la Grande Chartreuse, sorti en 2005. Je n’avais pas raté  en 2017 Silentium, sur les sœurs bénédictines de Habstahl dans le Jura souabe.

J’aurais pourtant dû me méfier de Libres. Son affiche, qui louche vers les publicités pour parfum masculin de luxe, aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Ses producteurs, la très conservatrice société Saje et une fondation finançant les communautés monastiques, aussi.

Libres est peut-être l’un des plus mauvais documentaires que j’aie jamais vus. J’ai bien failli quitter la salle avant la fin de la séance. Et, si j’y suis resté, c’est pour pouvoir fielleusement accumuler les multiples éléments à charge que je m’apprête à lister dans cette rageuse critique.

Le premier tient à la forme. Libres ressemble à son affiche. Il filme les couvents dans leur écrin naturel, verte campagne, sauvage littoral, sublime coucher de soleil, avec d’interminables panoramiques aériens. Libres est lesté d’une insupportable musique façon Vangelis dans 1492, alors qu’il aurait pu être accompagné de tant de joyaux de la musique sacrée. Il a l’esthétique d’une longue publicité. Publicité qui, par sa forme ressemble à celle, sur papier glacé, pour un produit de luxe. Publicité qu’on croirait commandée par l’Office de tourisme de la Castille ou des Asturies pour vanter la beauté des paysages de ces régions.

Libres filme douze monastères catholiques. Il n’est pas venu à l’idée du réalisateur d’élargir son spectre à d’autres religions. Libres filme douze monastères du nord-ouest de l’Espagne. Pas plus ne lui est-il venu à l’esprit de quitter le périmètre géographique confiné où il s’est cantonné pour sortir de son pays ou même de sa région.

Le carton qui ouvre ce documentaire nous promet de nous faire pénétrer dans des lieux où aucune caméra n’était jamais allée. Mensonges ! Avec une rare banalité, Libres ne franchit pas les limites du parloir et enchaîne les interviews face caméra posant à une douzaine de moines ou de moniales les mêmes questions convenues. On n’apprendra rien des monastères où Libres a été tourné, de leur construction, de leur histoire, des règles qui les régissent (il faut être attentif pour deviner que certains sont bénédictins, d’autres franciscains).

Libres est divisé en trois chapitres, dont les titres sont inspirés d’un verset de l’Evangile selon Saint-Jean : le Chemin, la Vérité, la Vie. Les témoignages recueillis sont interchangeables et répétitifs : la réclusion monacale serait le meilleur moyen d’accéder à Dieu et d’entrer au Paradis. Rien n’est dit des obstacles sur ce chemin, de l’acédie, des relations aigres avec ses compagnons de prière, de la solitude… Ces hommes et ces femmes, dont on ne saurait mettre en doute la sincérité de la foi, semblent étonnamment autocentrés, donnant de l’Evangile et du message qu’il porte, une image bien peu altruiste.

La bande-annonce

Un Amor ★★★☆

Nat a décidé de tout quitter. Elle ne supporte plus son travail d’interprète à l’OAR et les récits traumatisants des demandeurs d’asile. Elle se réfugie dans un minuscule village de la Rioja dans le nord de l’Espagne. Elle y loue à un propriétaire sans scrupule une bâtisse en ruines dont le toit prend l’eau. Ses voisins lui portent une attention mielleuse aux relents troubles. L’un d’entre eux, Andreas, lui met entre les mains un marché.

Isabel Coixet en a marre d’être sans cesse renvoyée à ses premiers films. Cette réalisatrice catalane, aujourd’hui âgée de 64 ans, a eu le tort de signer au début des années 2000 deux bijoux : Ma vie sans moi (2003), où Sarah Polley interprète le rôle d’une jeune mère qui choisit de ne pas dire à sa famille qu’elle souffre d’un cancer incurable, m’avait arraché des sanglots ; The Secret Life of Words (2005), qui met face à face sur une plate-forme pétrolière une infirmière malentendante et un homme rendu aveugle par un grave accident, était poignant. Cette autodidacte volcanique, à l’humour décapant, a touché à tous les genres : la publicité, les clips, les séries, les courts et les longs métrages, pas toujours distribués en France.

Présenté au festival international de San Sebastian en septembre 2023, sorti dans la foulée dans les salles espagnoles, sept fois nominé aux Goyas, Un Amor a mis près d’un an à traverser les Pyrénées. Une salle pleine à craquer des amis, nombreux, de la réalisatrice et de son conjoint, l’avocat des droits de l’homme Reed Brody, l’a chaleureusement applaudi lors de sa projection en avant-première au Grand Action lundi dernier.

Isabel nous avait prévenus avant la projection : « le film gratte ». Le fameux marché qu’Andreas met entre les mains de Nat, et dont on dira rien pour ne pas le divulgâcher, est sacrément surprenant, pour ne pas dire qu’il manque de crédibilité. Un Amor évoque irrésistiblement As Bestas, les paysages pluvieux du nord de l’Espagne, la dureté des relations de voisinage qui règnent entre les néo-ruraux, venus y chercher un second départ, et les habitants du cru. L’interprétation de Hovak Keuchkerian, un ancien boxeur, champion d’Espagne poids lourds, à la stature de colosse et aux poignes de bûcheron, m’a rappelé Denis Ménochet, Gregory Gadebois ou Raphaël Thiery dans L’Homme d’argile. La sensualité animale du film évoque enfin celle de L’Amant de Lady Chatterley.

Loin de crouler sous toutes ces références écrasantes, Un Amor trouve sa voie bien à lui. Il le doit à l’interprétation fiévreuse de Laia Costa. La jeune actrice espagnole crevait l’écran dans Victoria, le film berlinois tourné en un seul plan-séquence. Un Amor repose tout entier sur ses (pas si) frêles épaules. C’est à travers ses yeux qu’on découvre ce bout du monde reculé. C’est à travers les errances de son désir qu’on l’accompagne jusqu’à la séquence libératrice finale.

La bande-annonce

The Apprentice ★★☆☆

Comme son titre, emprunté à l’émission de téléréalité diffusée sur NBC en 2004, l’annonce, The Apprentice raconte les années de formation de Donald J Trump dans les décennies 70 et 80, sous la houlette de Roy Cohn (1927-1986), un avocat sans scrupules, venu de la droite républicaine (il fut le conseiller juridique de McCarthy et le procureur général qui envoya à la chaise électrique les époux Rosenberg).

Les Etats-Unis sont décidément un pays fascinant. Comment un tel film, sans concession pour son ancien (et futur ?) président, a-t-il pu s’écrire, se financer, se tourner, être distribué sans en être empêché par une armée d’avocats ? Si Kamala Harris avait besoin d’un clip de campagne, certes un peu long, The Apprentice en serait un tout trouvé.

À force de voir le septuagénaire, on avait oublié que Donal Trump, né en 1946, avait été jeune. Dans les années 70, il marche encore sur les traces de son père, un magnat de l’immobilier. Écrasé par la figure paternelle, il trouve en Roy Cohn une figure paternelle de substitution, qui l’introduit au gotha new yorkais et le sort de quelques mauvais pas. C’est auprès de lui qu’il se forge un mental de tueur, un cynisme à toute épreuve et une idéologie simpliste : le monde est composé de deux catégories d’individus, les winners et les losers.

The Apprentice ne reconnaît au futur 45ème président des Etats-Unis aucune circonstance atténuante. Donald Trump ne montre aucune compassion pour son frère aîné, qui mourra alcoolique en 1981. C’est un prédateur sexuel qui jette son dévolu sur une mannequin tchécoslovaque, Ivana Zelníčková, qui lui fera trois enfants avant d’être copieusement trompée et répudiée. C’est surtout un homme d’affaires sans scrupules à l’ego étourdissant. The Apprentice ne lui épargne rien, qui stigmatise son obésité, sa calvitie.

Le film est servi par l’interprétation impressionnante de ses deux héros. Sebastian Stan pousse la ressemblance avec son personnage à un point inouï. Mais Jeremy Strong n’est pas loin de lui voler la vedette dans le rôle, vénéneux à souhait, de Roy Cohn, tour à tour sublimement maléfique et pathétiquement pitoyable.

The Apprentice est remarquablement écrit. Son scénario, qui revisite l’histoire américaine des décennies 70 et 80, la chute de Nixon, la quasi-faillite de la ville de New York, les années disco et Sida, est mené à un rythme d’enfer. The Apprentice n’a qu’un seul défaut : son héros est tellement détestable qu’un film qui lui est tout entier consacré n’est franchement pas agréable à voir.

La bande-annonce

Lee Miller ★☆☆☆

Née aux Etats-Uni en 1907, Lee Miller émigre très jeune à Paris où elle fait la une de Vogue, devient la muse de Man Ray et sa maîtresse, participe au mouvement surréaliste. La Seconde Guerre mondiale la trouve à Londres où elle est devenue reporter pour Vogue. À la Libération elle est missionnée sur le continent. Elle accompagnera l’avancée des armées américaines en compagnie de David Sherman, photographe pour Life. Elle y prendra des clichés passés à la postérité.

Il y avait de quoi saliver à l’annonce de ce biopic mettant en scène l’une des plus célèbres photographes de guerre du siècle dernier interprétée par Kate Winslet, l’une des plus fameuses actrices du siècle présent. Sa réplique du tac au tac à la question sexiste que lui a posée Pierre Lescure la semaine dernière pendant la promotion du film lui a procuré une publicité supplémentaire.

La déception hélas est à la hauteur de l’attente suscitée. Malgré la débauche de moyens et d’effets spéciaux, Lee (Lee Miller dans sa version française) ne parvient pas à se hisser au-dessus du lot. La faute à un scénario qui, pour la millionième fois, recourt au flashback, mettant en scène l’héroïne au crépuscule de sa vie répondant aux questions du journaliste (Josh O’Connor) venu l’interviewer. La faute aux approximations d’une superproduction hollywoodienne qui horripile le spectateur français : un stagiaire de troisième n’aurait-il pas pu vérifier sur Google Maps que Mougins n’est pas une commune balnéaire ou qu’il est douteux qu’un panneau de signalisation à la frontière franco-allemande indique la destination de Leipzig ? La faute à une histoire qui coche un peu trop scrupuleusement les étapes de son reportage : la prise de Saint-Malo par la 83ème division aéroportée sous le napalm américain, l’ouverture des camps de la mort et bien sûr cette photo iconique prise dans la baignoire d’Hitler à Munich.

La faute surtout selon moi – mais j’ai conscience de m’aventurer sur un terrain dangereux – à un parti pris féministe qui, avant de considérer Lee Miller comme une photographe la considère comme une femme. Une femme en butte au sexisme ordinaire qui prévalait dans les années quarante et qui prévalait de plus fort dans les rangs de l’armée. Une femme qui sait se jouer de tous les obstacles à force d’intelligence, d’humour, d’aplomb ou d’entêtement. Une femme traumatisée dans sa petite enfance et qui en fait la confession au moment le plus incongru du film, comme si le scénariste avait été contraint de placer ce passage obligé quelque part et n’importe où.

On me dira que Lee Miller est le portrait d’une « femme puissante » – l’expression est à la mode – interprétée par une des actrices les plus représentatives de cet empowerment. Ce n’est pas faux. Mais je regrette que son biopic à l’êre #MeToo se réduise à la liste des obstacles qu’elle a dû franchir pour être reconnue. Comme l’avait montré l’excellent livre de Marc Lambron, L’Œil du silence (Flammarion, 1983), la principale qualité de Lee Miller, la raison pour laquelle elle est entrée dans la légende n’était pas son sexe, mais ses photos. Et on regrettera qu’il faille attendre le générique de fin pour les voir.

La bande-annonce

L’Histoire de Souleymane ★★★☆

Souleymane Bagaré a fui la Guinée à la recherche d’une vie meilleure pour lui et pour sa mère malade laissée au pays. Il a traversé le Sahara, la Méditerranée et a rejoint la France. À Paris, il tire le diable par la queue, dort au 115, sillonne la ville à vélo pour y livrer des repas, alors que son statut de demandeur d’asile lui interdit de travailler. Il comparaît dans deux jours à l’Ofpra qui statuera sur sa demande de titre. Son dossier est fragile : faute d’avoir lui-même subi des persécutions, Souleymane s’est procuré  auprès d’un compatriote moyennant finances un récit apocryphe qu’il peine à mémoriser.

L’Histoire de Souleymane nous vient de Cannes où il a obtenu le prix du jury et où Abou Sangaré a remporté le prix du meilleur acteur, alors même qu’il était sous le coup d’une OQTF. C’est le troisième film de Boris Lojkine, un normalien, agrégé de philo, passé par le documentaire, auteur de Hope et du remarquable Camille dont l’actrice principale, Nina Meurisse, illumine la dernière et la plus longue scène de ce film.

Le scénario de L’Histoire de Souleymane est étouffant. Son rythme haletant m’a rappelé celui d’À plein temps. Les héros de ces deux films doivent relever le même défi d’un quotidien en apparence anodin. On dira que Souleymane a la poisse. Mais ce n’est pas le cas. Sa vie n’est pas qu’une succession d’avanies. La quasi-totalité de ses livraisons se passent bien, les personnes qu’il croise font souvent preuve à son égard de gentillesse ; mais il suffit d’une chute à vélo, d’une altercation avec un restaurateur, d’une autre avec le titulaire de son compte Uber pour que tout dérape.

Le scénario manque d’être victime de cette facilité : ajouter à ce quotidien déjà bien chargé une déconvenue supplémentaire. Mais il n’y cède pas. Comme chez les frères Dardenne, il filme un héros qu’on qualifierait à tort de résilient : Souleymane a-t-il en effet le luxe de pouvoir ne pas l’être ? Quel choix a-t-il sinon encaisser les coups du sort en serrant les dents ?

Comme la Lily de Pierre Perret, venue vider les poubelles à Paris, Souleymane est politiquement correct. À l’image repoussoir de l’immigré, délinquant et/ou paresseux, il oppose celle, autrement vertueuse, du damné de la terre qui demande simplement à jouir des fruits de son travail honnêtement gagnés dans son pays d’accueil. Il serait bien cynique de s’en moquer.

La bande-annonce

Vivre, mourir, renaître ★★☆☆

Nous sommes à Paris au début des années 90. Emma (Lou Lampros) et Sammy (Théo Christine) vivent en couple et viennent d’avoir un petit garçon. Leur nouvel appartement est situé juste au dessus du studio de développement de Cyril (Victor Belmondo), un photographe talentueux en pleine ascension. Irrésistiblement attirés l’un par l’autre, Sammy et Cyril ont une liaison. Mais Cyril est séropositif.

Les tons de l’affiche de Vivre, mourir, renaître m’ont rappelé ceux des Nuits fauves de Cyril Collard. L’association d’idées doit sans doute beaucoup au sujet commun des deux films tournés à plus de trente ans de distance : les amours contrariées au temps du Sida, avec la mort qui rôde.

Que ce film-ci soit signé par Gaël Morel n’est pas anodin. Inconnu du grand public, Gaël Morel est né en 1972 et fut choisi en 1994 par André Téchiné pour jouer le rôle principal des Roseaux sauvages, le portrait largement autobiographique d’un adolescent faisant la découverte de son homosexualité sur fond de guerre d’Algérie. Gay lui aussi, Gaël Morel traversa les années Sida avant de se tourner avec succès vers la réalisation (À toute vitesse, Prendre le large…). Il reste très engagé dans le combat pour les droits LGBT.

Vivre, mourir, renaître pourrait être un marivaudage bisexuel, un Jules et Jim AC/DC (pour reprendre la jolie traduction croate de « à voile et à vapeur ») s’il n’était lesté de l’ombre portée par la menace du Sida. En voyant sa bande annonce, je maugréais in petto, lui faisant le procès de tout nous dévoiler du film. J’avais tort de ronchonner : l’histoire qui y est racontée n’est pas celle que j’avais présagée. Sa construction, ses rebondissements, ses bifurcations m’ont rappelé par leur richesse et les surprises qu’ils ménagent le dernier Ozon que j’avais vu juste avant.

Le trio d’acteurs qui porte le film m’inspire des sentiments contrastés. Ils sont tous plus beaux et plus séduisants les uns que les autres. Au point de soulever un questionnement métaphysique : le cinéma a-t-il le droit (ou le devoir) de filmer des acteurs aussi beaux ? Ne risque-t-il pas ainsi de se couper de la réalité ? Depuis que le cinéma existe, il a toujours mis sous les feux de la rampe les acteurs et plus encore les actrices les plus photogéniques. À cette aune, la stupéfiante Lou Lampros est à couper le souffle. Mais il faut reconnaître que Victor Belmondo, qui toute sa vie devra se battre pour faire oublier son patronyme, et Théo Christine, avec ou sans T-shirt, ne sont pas mal non plus….

La bande-annonce

Quand vient l’automne ★★★☆

Michelle (Hélène Vincent) est une grand-mère aimante, une vraie Mamie Nova. Elle se réjouit d’accueillir pour les vacances de la Toussaint, dans sa belle maison nivernaise sa fille Valérie (Ludivine Sagnier) et son petit-fils Lucas. Tout près de chez elle réside sa vieille amie Marie-Claude (Josiane Balasko) qu’elle conduit régulièrement à la prison où son fils, Vincent (Pierre Lottin), purge une courte peine. Mais les apparences de ce quotidien banal sont trompeuses.

Depuis sa sortie mercredi dernier, je lis ici et là des commentaires souvent désagréables sur le vingt-troisième film de François Ozon. On reproche au réalisateur sa productivité trop élevée. On l’accuse d’avoir recyclé ses fonds de tiroir, de raconter une histoire sans intérêt au tempo trop mou.

Je trouve ces critiques bien injustes. Quand vient l’automne est, comme son titre l’indique, un film automnal. Ça tombe bien : il sort en salles le 2 octobre. François Ozon est beaucoup trop malin pour que son titre ne soit pas à double sens. L’automne, c’est la saison à laquelle commence l’intrigue, l’époque de la cueillette des champignons, qui, assaisonnés au beurre et à l’ail, peuvent constituer un plat délicieusement roboratif…. ou dangereusement toxique. L’automne, c’est aussi la période de la vie dans laquelle Michelle est entrée, lestée d’un lourd passé, avec comme seul horizon la mort qui vient et comme seul dérivatif l’amour qu’elle porte à sa fille, qui le lui rend bien mal, et à son petit-fils.

Si souvent le cinéma de Ozon cache une ironie féroce, il n’y a nul second degré ici. Son scénario diablement bien écrit rappelle Chabrol ou Simenon. Il ne paie pas de mine mais est lourd de sous-entendus. Il contient son lot de rebondissements et de bifurcations qui soutiennent l’attention et défient le pronostic. Bien malin qui aurait pu anticiper la direction que prend le récit et son épilogue.

François Ozon retrouve Ludivine Sagnier dont il avait lancé la carrière au tout début des années 2000. Il donne le premier rôle à Hélène Vincent, l’une des figures les plus attachantes du cinéma français, inoubliable Mme Le Quesnoy chez Chatiliez, et plus inoubliable encore selon moi dans Quelques jours au printemps, un de mes films préférés. Hélène Vincent, qui réside dans le Morvan et a soufflé ses quatre-vingts bougies, incarne à la perfection les personnages ambigus d’Ozon : on se demande toujours si leur mine avenante et leurs bonnes manières doivent être prises pour argent comptant ou si elles cachent de lourds secrets.

La bande-annonce

Megalopolis ★☆☆☆

Dans un futur (ou un passé ?) dystopique, la mégalopole de New Rome est au bord du chaos. Cesar Catilina (Adam Driver), un jeune architecte, nobélisé pour l’invention d’un nouveau matériau révolutionnaire, y est en charge de l’urbanisme. Ses projets disruptifs se heurtent au conservatisme du maire, Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito). La fille de celui-ci, Julia Cicero, devient l’attachée de presse de Cesar Catalina et bientôt son amante.

Il l’a fait ! À quatre-vingts ans passés, Francis Ford Coppola a enfin réalisé le projet qu’il portait depuis plusieurs décennies. Pour rassembler la centaine de millions de dollars nécessaires à la production, il a dit-on puisé dans ses réserves personnelles et dans les profits générés par ses vignobles dans la Napa Valley. Le résultat est à l’image du personnage : gargantuesque.

On aurait aimé adorer Megalopolis, y voir le summum de la carrière d’un des plus grands réalisateurs contemporains, une œuvre à la démesure de son œuvre. Mais la vérité oblige à reconnaître, comme les festivaliers à Cannes et la critique quasi-unanime, que le résultat est raté. Megalopolis est un grand n’importe quoi foutraque. Les références à la Rome antique – et notamment à la conjuration de Catilina qui manqua renverser la république romaine, sauvée par Cicéron en 60 av. J.-C. – à Fritz Lang, à Shakespeare, au Dictateur de Chaplin, à Fellini, sont si nombreuses, si envahissantes qu’elles finissent par étouffer le film sous leur poids.

Les images sont certes envoûtantes. La bande-annonce nous avait mis l’eau à la bouche en en dévoilant quelques-unes. Mais cette débauche d’effets spéciaux tourne à vide. On décroche rapidement d’un scénario dont on ne comprend pas grand-chose sinon qu’il se résume, tout bien considéré, à opposer les rêves utopiques de César Catilina à la froideur conservatrice de Cicero et de sa clique. Quant aux acteurs, aussi prestigieux et nombreux soient-ils (Shia LaBeouf, Jon Voight, Laurence Fishburne…), Coppola ne sait pas les diriger, les plus malaisants étant les rôles féminins (Nathalie Emmanuel, Aubrey Plaza, Talia Shire…) réduits au rang de faire-valoir.

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Emmanuelle ☆☆☆☆

Après un vol intercontinental en classe affaires, agrémenté d’un passage aux toilettes, l’héroïne anonyme (Noémie Merlant) atterrit à Hong-Kong. Elle y loge dans un palace dont elle doit évaluer la qualité des prestations dans le but bientôt révélé d’en licencier la directrice (Naomi Watts).

Un Emmanuelle 2024 ? Soixante ans après la publication du roman d’Emmanuelle Arsan qui fit scandale et surtout cinquante après l’incroyable succès du film de Justin Jaeckin qui attira près de dix millions de spectateurs en salles et dont la légende affirme qu’il resta treize ans à l’affiche sur les Champs-Elysées ? Voilà un pari bien risqué. Mais un pari alléchant quand on voit le trio féminin et féministe qui l’a relevé. Audrey Diwan à la réalisation, auréolée du succès, ô combien mérité, de son précédent film, L’Evénément, Lion d’or à Venise en 2021, l’adaptation glaçante du roman autobiographique d’Annie Ernaux qui y racontait son avortement clandestin au début des années soixante à Rouen. Rebecca Zlotowski pour l’épauler au scénario, l’intello du cinéma français (Normale Sup, agrégation, Fémis), dont les films (Belle Épine, Une fille facile, Les Enfants des autres) peuvent se lire comme un projet de déconstruction des représentations genrées. Et enfin Noémie Merlant, la star qui, depuis son second rôle dans Portrait de la jeune fille en feu, enflamme tout sur son passage.

Emmanuelle 2024 courait le risque de décevoir tout le monde. Les vieux messieurs libidineux qui, comme moi, seraient allés le voir en espérant à tort y retrouver les émotions érotiques ressenties une cinquantaine d’années plus tôt. Et les jeunes Femen scandalisées par la réhabilitation de cette figure honnie de femme-objet.

Avec 44.000 entrées en première semaine, il a fait un bide retentissant. J’aurais pourtant imaginé qu’il suscite, au moins en première semaine, la curiosité d’un public plus nombreux.
La raison en est tout simplement que c’est un film calamiteux. On dirait une longue pub pour un parfum de luxe, ou pour une compagnie aérienne extrême-orientale. À chaque plan, on se demande si Charlize Theron ne va pas surgir d’une piscine dorée ou si une hôtesse en talons hauts ne va pas nous tendre un oshibori.

Audrey Diwan fait du neuf avec du vieux et voudrait nous faire penser que les choses ont changé. L’Emmanuelle de 1974 était une épouse oisive. Celle de 2024 (mais s’appelle-t-elle seulement Emmanuelle ?) est une cost killeuse célibataire. Sylvia Kristel évoluait à Bangkok, Noémie Merlant à Hong Kong, dans un hôtel dont elle ne franchit quasiment jamais les portes. La première était cornaquée par Alain Cuny ; la seconde court après un métis chinois, d’autant plus désirable qu’il se refuse obstinément à elle. Seul trait commun, tout bien considéré, entre les deux femmes : elles explorent leur sexualité à la recherche d’un impossible orgasme qu’elles finiront par atteindre dans un final explosif (spoiler !)

Je n’ai pas trouvé sensuelle le moins du monde l’esthétique léchée (sic) de ce film. Elle n’a suscité en moi aucun trouble. Aurais-je eu la même réaction si je l’avais vu à vingt ans, les hormones bouillonnantes ? En tout état de cause, hormones bouillonnantes ou pas, je n’y ai pas vu non plus une réflexion très stimulante sur la femme, son empowerment, son agency et la réappropriation de son plaisir.

La bande-annonce