En nous ★☆☆☆

Dix ans après Nous, Princesses de Clèves, le documentariste Régis Sauder (Retour à Forbach, J’ai aimé vivre là…) retrouve les bacheliers qu’il avait filmés. Que sont-ils devenus ? Comment sont-ils sortis de l’adolescence ? Comment sont-ils entrés dans l’âge adulte ? Leurs rêves se sont-ils réalisés ou se sont-ils fracassés contre le mur de la réalité ?

Sur le papier, le projet de Régis Sauder était séduisant. Nous, princesse de Clèves, filmé en réaction aux propos à l’emporte-pièce du candidat Sarkozy – qui s’était interrogé sur l’opportunité d’interroger des candidats à un concours administratif sur le roman de Mme de Lafayette – nous introduisait à des personnages si attachants que nous brûlions d’envie de connaître leurs destins. Et ces devenirs entremêlés pouvaient potentiellement nous renseigner sur la capacité – ou l’incapacité – de la jeunesse à se faire une place dans notre société, mais aussi de la capacité – ou de l’incapacité – de notre société à leur en faire une.

Las ! le résultat s’avère décevant.
Nous, princesse de Clèves rassemblait plusieurs lycéens dans un même lieu, unis par un même objectif – le baccalauréat à décrocher à la fin de l’année – et se lisait comme une ode républicaine à l’école gratuite et laïque, symbolisée par le noble personnage de cette enseignante de français dont tous les élèves du documentaire suivaient les cours alors que En nous n’a plus cette belle unité. Les dix élèves d’Emmanuelle ont pris leur envol dans dix directions différentes. Plus rien ne les unit. D’ailleurs on partage leur léger malaise aux retrouvailles obligées auxquelles le réalisateur les a contraints : ils échangent certes quelques souvenirs nostalgiques mais n’ont au fond plus grand chose à se dire.

Que sont devenus Anaïs, Virginie, Armelle, Cadiatou, Laura et Morgane (les deux jumelles), Albert, Abou, Aurore et Sarah ? La plupart ont cherché à quitter ces quartiers nord de Marseille où ils ont grandi ; mais tous n’y sont pas parvenus (Albert y est moniteur d’auto-école, Anaïs coud à domicile) ; et la plupart y reviennent volontiers, pour y revoir leurs parents ou pour y faire une pause entre deux jobs (comme Sarah qui a travaillé en Irlande, au Portugal, à Malte). Plusieurs ont eu des enfants qu’elles élèvent seules après des ruptures plus ou moins violentes (Virginie raconte son passé de femme battue). Une seule est mariée, Morgane qui a épousé une femme, qu’elle fréquentait déjà dix ans plus tôt sans avoir fait son coming-out.

Les jeunes trentenaires d’En nous sont-ils représentatifs de la France d’aujourd’hui ? Pas sûr. Pas sûr d’ailleurs que dresser la topographie de l’entrée dans l’âge adulte de la jeunesse française des années 2010 fut l’objectif de Régis Sauder. L’échantillon de base n’était guère représentatif : un lycée en zone d’éducation prioritaire des quartiers nord, tristement fameux, de la cité phocéenne. Ses lycéens n’étaient pas les plus défavorisés de leurs quartiers. Au contraire ils en formaient l’élite la plus aisée et la plus éduquée.
Ce qui m’a frappé – si on m’autorise l’espace d’un instant à faire ma Tatie Danielle – est combien ces jeunes sont autocentrés. Sans doute l’exercice les incitait-il à l’introversion ; mais je trouve qu’ils se regardent beaucoup le nombril, accusent une société qu’ils dénigrent de ne pas reconnaître les droits qu’ils revendiquent et oublient un peu vite qu’ils en font partie et que son bon fonctionnement dépend aussi de leur engagement au service des autres.

La bande-annonce

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *