Glengarry (1992) ★☆☆☆

L’antenne new yorkaise d’une société immobilière, dirigée par John Wiliamson (Kevin Spacey), emploie quatre vendeurs chargés de démarcher des clients potentiels et de les inciter, par tous les moyens, à acheter des terrains. Un représentant du siège (Alec Baldwin) y débarque un soir et les houspille : les résultats sont préoccupants et les deux plus mauvais commerciaux seront licenciés d’ici la fin de la semaine.
L’annonce exacerbe les rivalités entre les quatre hommes. Richard Roma (Al Pacino), le plus brillant, n’a pas grand souci à se faire ; en revanche Shelley Levene (Richard Lemon), un vieux vendeur sur le retour dont l’heure de gloire est passée depuis longtemps, est au désespoir.

Glengarry est un film de répertoire, souvent cité dans les différents palmarès. Il doit sa célébrité à son casting exceptionnel. C’est l’adaptation d’une pièce de théâtre à succès, couronnée par le prix Pulitzer huit ans plus tôt, de David Mamet (dont l’excellent Engrenages (1987) figure au panthéon de mes films préférés).

Mais je dois hélas avouer avoir été bien déçu en le voyant près de trente ans après sa sortie. Je l’ai trouvé horriblement vieilli, comme s’il s’agissait moins d’un film du début des années 90 que de la fin des années 70. Adapté d’une pièce de théâtre, il en charrie les défauts : d’interminables joutes verbales très bavardes, une unité de temps, de lieu et d’action qui rend ses cent minutes bien longues.

Connaissant le machiavélisme de David Mamet, on attend et on espère un twist final renversant qui nous fera considérer tout le film sous une autre perspective. Las ! rien de tel ne se passe….

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Hot Girls Wanted ★★★☆

L’industrie du porno sur Internet est florissante. Elle suscite chaque année des milliards de clics. Les spectateurs nourrissent le fantasme de la « girl next door », la fille d’à côté, simple et naturelle. Ils le réalisent avec des modèles toujours plus jeunes et plus nombreuses qui, attirées par l’argent facile, passent devant la caméra au risque d’y détruire leur réputation, leur santé et leur équilibre.
Ce documentaire, diffusé à Sundance début 2015 avant d’être mis en ligne par Netflix, suit quelques unes de ces jeunes filles en Floride à Miami – où la météo autant que la législation (qui n’oblige pas les acteurs porno à utiliser de préservatif) attirent les tournages. Elles ont répondu à une petite annonce de Riley Reynolds, qui se présente comme un agent d’actrice et donne plutôt l’image d’un maquereau bas-du-front. C’est lui qui héberge les jeunes filles, veille sur elles avec la bonhomie d’un grand frère, négocie leurs contrats avec les producteurs de films et empoche 10 % de leurs revenus.

Hot Girls Wanted est un documentaire marquant qui dévoile les dessous d’un business glauque. Sa principale qualité est d’éviter les deux écueils qui le menaçaient. D’un côté le voyeurisme glamour du porno. De l’autre sa condamnation pudibonde sur fond de moralisme.

Hot Girls Wanted montre la réalité telle qu’elle est, ni plus, ni moins sordide qu’elle est. Il montre des jeunes filles plus ou moins jolies, plus ou moins à l’aise avec leurs corps encore poupins, loin de l’image photoshopée de reines du sexe hyper-maquillées que le porno sublime. Ces filles sont souvent en rupture avec leurs familles, en échec scolaire, même si on ne verse pas dans le misérabilisme dickensien. L’argent facile est leur principale motivation : elles gagnent en une séquence cent fois ce qu’une heure de travail à la caisse enregistreuse d’un Walmart leur permettrait d’empocher. Mais elle n’est pas la seule. Il y a, chez elles, une excitation encore adolescente à quitter leur famille et à s’assumer, une découverte joyeuse de la sororité avec les autres actrices avec lesquelles elles cohabitent dans une ambiance étonnamment apaisée sans les disputes et les jalousies qu’on aurait volontiers imaginées, une vanité narcissique à voir leur nombre de followers augmenter en flèche à chaque nouvelle publication d’une photo un peu plus osée.

Hot Girls Wanted montre sans en rien édulcorer, sans sombrer non plus dans le voyeurisme, la réalité d’un industrie où le corps des femmes est une simple marchandise. On ne voit guère de tournage. Mais ce qu’on en voit donne froid dans le dos : les scénarios y sont d’une stupidité rance, les acteurs masculins, vieux et gorgés d’amphétamines, affichent un machisme satisfait – même si, étonnamment, les actrices vantent leur douceur et leur gentillesse – la misogynie et les stéréotypes racistes sont de mise. Les jeunes filles opposent une résistance crâne aux humiliations et aux maladies, affirmant qu’il s’agit d’un métier comme un autre et qu’il faut être prêtes à en accepter les servitudes. Mais on les sent fragiles, prêtes à rompre.

La caméra de Jill Bauer et de Ronna Gradus a particulièrement suivi l’une d’entre elles, Tressa Silguero aka Stella May . Sa filmographie est éloquente : Cum Fiesta, Accidentally Lesbian, Real Slute Party, Babes…. On la voit chez ses parents, au Texas, auprès de sa mère qui apprend avec angoisse son nouveau travail, de son père auquel la jeune fille n’ose rien dire, de son petit copain qui l’incite à décrocher. C’est une jeune fille ordinaire, un peu boulotte, le visage couvert d’acné, à peine sortie de l’adolescence. Aucune tragédie familiale, aucune maltraitance ne semble expliquer son choix et le rend d’autant plus incompréhensible. [attention spoiler] Elle finira par décrocher et reprendre une vie « normale ». Mais d’autres filles l’ont remplacée à Miami chez Riley Reynolds dont le business n’a jamais été aussi florissant.

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Remember Me (2010) ★★☆☆

Ally (Emilie De Ravin) a vu mourir sous ses yeux sa mère, assassinée en 1991 sur un quai de métro. Devenue dix ans plus tard une ravissante étudiante, elle est couvée par son père (Chris Cooper), officier de la police new yorkaise.
Tyler (Robert Pattinson) a lui aussi été traumatisé par un drame familial : le suicide de son frère aîné Michael qui a fait voler en éclat sa famille. Sa mère (Lena Olin) s’est remariée ; son père (Pierce Brosnan), brillant avocat à Wall Street, affiche pour lui et pour sa sœur cadette, une artiste géniale et précoce, une hostilité que Tyler n’accepte pas.

Il y a deux façons de considérer Remember Me.
La première, qui domine pendant presque la totalité du film, est d’y voir une aimable bluette un peu pataude destinée aux admiratrices adolescentes en pâmoison devant Robert Pattinson, le héros de Twilight, à qui on a adjoint, pour faire bonne mesure, la jolie actrice australienne révélée par Lost, Emilie De Ravin. Cette bluette raconte à la fois l’histoire d’amour, prévisible, qui se tisse entre les deux héros et la réconciliation, qui l’est presqu’autant, de chacun d’eux avec leur père respectif.

Mais il y en a une autre qui se révèle à l’extrême fin de l’histoire. Elle est surprenante pour ce genre de films qu’on imaginait beaucoup plus conventionnel et dont on attendait un happy end convenu. Annoncée par quelques indices ténus éparpillés de-ci et de-là, elle donne tout son sens au titre du film. J’en ai déjà trop dit en évoquant l’existence de ce twist final. Je n’en révèlerai pas le contenu glaçant.

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El Camino : Un film Breaking Bad ★☆☆☆

Qu’est-il arrivé à Jesse Pinkman (Aaron Paul) après l’ultime et épique épisode de Breaking Bad ? Tel est l’objet de ce film de deux heures qui se présente comme une suite – ou comme un épilogue – de la série de soixante-deux épisodes qui, pendant cinq saisons, de 2008 à 2013, nous tint en haleine.
On y retrouve Jesse, le petit dealer que s’était adjoint Walter White alias Heisenberg, le professeur de chimie d’Albuquerque reconverti en baron de la drogue.

El Camino – du nom de la voiture qu’il conduisait pendant les saisons précédentes – raconte sa fuite désespérée. Il est entrelardé de flashbacks qu’il serait délicat de raconter sans dévoiler à la fois les ressorts de ce film et ceux de la célèbre série et la façon dont elle s’est tragiquement conclue.

On y retrouve quelques uns des principaux protagonistes de la série, à commencer par Bryan Cranston (qui a pris un coup de vieux malgré le maquillage), Jonathan Banks (qui joue Mike, le tueur à gages) et Jesse Plemons dans le rôle de Todd, le psychopathe. On aurait bien aimé en voir quelques autres, auxquels on s’était particulièrement attaché : je pense à Skyler, la femme de Walter White, à son fils handicapé Walter Jr. et bien sûr à Saul Goodman qui a eu droit, on le sait, à sa propre série dérivée Better Call Saul.

Il est difficile de regarder El Calmino sans avoir vu Breaking Bad et sans en avoir gardé un souvenir pas trop effacé par les ans. C’est à la fois la force et la faiblesse de ce film qui joue sur la nostalgie des spectateurs mais dont la raison d’être – capitaliser sur le succès de Breaking Bad – est un peu trop grossière pour être tout à fait honnête.

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Le Corps de mon ennemi (1976) ★★★☆

François Leclercq (Jean-Paul Belmondo) vient de purger une peine de sept ans de prison pour un double meurtre dont il est innocent. Il revient à Cournai, une grande ville ouvrière du nord de la France, sur les lieux du crime, pour démasquer le coupable. Ce retour teinté de nostalgie est l’occasion de retrouver tour à tour chacun des protagonistes de son passé.
Jeune homme d’origine modeste, Leclercq avait séduit une riche héritière, Gilberte Beaumont-Liégard (Marie-France Pisier) dont le père (Bernard Blier) tenait la ville en coupe réglée, avant de devenir le directeur d’une boîte de nuit où se déroulaient à son insu des trafics louches.

Netflix propose à ses abonnés une dizaine de films de Belmondo. Vu de Los Gatos, Bébel est peut-être une star immortelle du cinéma français. Vu de France, c’est nettement moins le cas. Son sex appeal ne fait plus se pâmer un sexe qui n’est plus faible. Ses cascades ne font plus trembler des spectateurs qui depuis Tom Cruise et Harrison Ford en ont vu bien d’autres.

J’avais vu sur Netflix il y a quelques semaines Stavisky qui m’intéressait parce qu’il était l’œuvre de Alain Resnais et qu’il racontait un épisode célèbre de l’histoire de la IIIème République. J’ai déjà écrit ici le mal que j’ai pensé de ce film vieillot et vieilli.

Je n’attendais pas mieux de cette sixième collaboration entre Jean-Paul Belmondo et Henri Verneuil (il y en aura encore une dernière en 1984, Les Morfalous, que je vis dans la petite salle de cinéma de mon village et dont une réplique de Marie Laforêt me fait encore hoqueter de rire). Circonstance aggravante, il s’agit de l’adaptation d’un roman de Félicien Marceau, un académicien qui a laissé le souvenir d’un romancier conservateur sinon réactionnaire.

Très bizarrement, la mayonnaise prend. Et quarante-cinq ans après, elle n’a pas tourné.
Le récit oscille sans jamais perdre l’équilibre entre l’enquête policière et la chronique de la vie provinciale. Eût-il été plus sardonique, on se serait cru chez Chabrol. Belmondo fait du Bébel, monte les escaliers quatre à quatre, dévoile des pectoraux avantageux (j’ai pensé à Olivier Véran), fume après l’amour – qu’il fait sans qu’on en voit rien bien sûr. Marie-France Pisier y a la beauté du diable – et on pense avec déchirement à la déchéance dans laquelle l’alcool et ses déboires familiaux l’avaient fait tomber à la fin de sa vie jusqu’à sa mort dans sa piscine de Saint-Cyr-sur-Mer. On prend plaisir à retrouver tout un tas de seconds rôles, des plus jeunes (Nicole Garcia, Bernard-Pierre Donnadieu…) aux plus anciens (Daniel Ivernel, François Perrot, Charles Gérard…).

Même si le film dépasse les deux heures et se perd dans des circonvolutions parfois inutiles, on ne regarde pas sa montre et on se surprend à se laisser séduire au plaisir suranné et régressif de ce spectacle d’un autre âge.

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What Happened, Miss Simone? ★★☆☆

Nina Simone fut sans doute l’une des plus grandes chanteuses de jazz. On lui doit quelques uns des standards les plus connus du siècle dernier : My Baby Just Cares for Me, Don’t Let Me Be Misunderstood, I Put a Spell on You… Mais ce fut aussi une rebelle, victime du racisme et des violences conjugales, atteinte de troubles bipolaires tardivement diagnostiqués, qui s’engagea sans retenue dans la lutte contre les discriminations  au risque de compromettre sa carrière.
En 2015, Netflix qui n’était pas encore l’immense plateforme qu’elle allait devenir, avait fait beaucoup de publicité autour de la sortie de ce documentaire. Le confinement et le tarissement rapide d’un catalogue de films, que je trouve moins riche que je l’escomptais, me permettent de le découvrir tardivement.

Très classiquement, What Happened, Miss Simone? raconte l’histoire d’une vie. Celle d’une enfant de Caroline du nord qui rêvait de devenir la première pianiste classique noire. Elle ne réalisa pas ce rêve (la légende veut qu’elle ait été refusée par l’Institut Curtis à raison de sa race, accusation dont se défend l’institut qui invoque la présence parmi ses élèves de jeunes pianistes de couleur) ; mais elle fit mieux et devint immensément célèbre par d’autres voies.

Elle joua d’abord dans des bars, à Atlantic City puis à New York pour financer ses cours de piano. En 1957, elle enregistre I Loves You, Porgy de Gershwin qui devient un succès du box office. Sa carrière est lancée. Un ancien officier de la brigade des mœurs, Andrew Stroud,  y veille, qui devient son agent puis son mari et le père de sa fille.

Mais à partir de la fin des années soixante, Nina Simone se radicalise. Elle prend une part de plus en plus active dans le combat pour les droits civiques, n’hésitant pas à afficher sa sympathie avec les militants les plus violents de la cause. Elle ne supporte plus le « système » qu’elle accuse de tous les maux. Elle refuse la logique du show business, quitte les Etats-Unis pour la Barbade, puis pour le Libéria et enfin pour la France, ne consentant à remonter sur scène que lorsque sa situation financière l’y accule.

What Happened, Miss Simone? remplit honnêtement son cahier des charges en racontant la vie de la chanteuse et  en nous en faisant écouter les titres les plus connus (on regrette l’absence de son interprétation déchirante du Ne me quitte pas de Brel). Il effleure une question à laquelle il ne répond pas et à laquelle il n’y a peut-être pas de réponse : Nina Simone a-t-elle sombré dans la rébellion paranoïaque à l’ordre américain à cause de ses antécédents médicaux ? ou bien sa prise de conscience du racisme structurel qui gangrène les Etats-Unis a-t-elle eu raison de son équilibre mental et de sa santé physique ?

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La Fille du RER (2009) ★☆☆☆

Jeanne (Emilie Duquenne) est orpheline de père. Elle vit avec sa mère Louise (Catherine Deneuve) dans un modeste pavillon de la banlieue parisienne. Sans emploi, elle rencontre Franck (Nicolas Duvauchelle), un sportif séduisant hélas mêlé à de louches combines qui sera bientôt victime d’une agression.
Plus jeune, Louise avait été courtisée par Samuel Bleistein (Michel Blanc) devenu depuis un avocat célèbre. Samuel a un fils Alex (Mathieu Demy), sur le point de divorcer de son épouse (Ronit Elkabetz), et un petit-fils Nathan.
Le jour où Jeanne simule une agression antisémite dans le RER, vite montée en épingle dans les médias, c’est vers Samuel que Louise se tourne pour la conseiller et la défendre.

Un fait divers avait fait sensation en juillet 2004. Une jeune femme, lacérée de coups de couteaux, le ventre tagué de trois croix gammées, avait porté plainte au commissariat d’Aubervilliers. Elle affirmait avoir été attaquée dans le RER D par une bande de six jeunes de banlieue sans susciter de réactions des autres voyageurs. L’information, relayée par l’Agence France presse, enflamma l’opinion publique et la classe politique. Le Monde, Le Figaro, Libération firent leur une sur la résurgence de l’antisémitisme, la violence des « nazis de banlieue » maghrébins et africains et « l’odieuse passivité » des autres voyageurs. Mais deux jours plus tard, la jeune femme avoua à la police avoir tout inventé pour attirer l’attention de son compagnon. Elle fut condamnée à quatre mois de prison avec sursis et à une obligation de soins pour « dénonciation de crime imaginaire ».

André Téchiné adapte la pièce de théâtre, RER, que Jean-Marie Besset avait tiré des faits. Deux options s’offraient à lui. Il écarte la première : il ne dira quasiment rien de l’emballement médiatique suscité par le faux témoignage de la jeune femme – ni du mea culpa piteux auquel la révélation de la vérité a obligé les rédactions quelques jours plus tard. Il se concentrera sur la pseudo-victime et sur son entourage proche.

Ce parti pris n’est en rien critiquable. La question que soulève cette affaire est en effet fascinante : comment une jeune femme de vingt-trois ans peut-elle en arriver à simuler une telle agression ? Hélas, l’option retenue par André Téchiné pour y répondre déconcerte. Au lieu de se focaliser sur son héroïne, au lieu de traquer dans son histoire, dans son comportement, les motifs de son geste, le réalisateur – qui comme dans chacun de ses films cosigne le scénario – noie son héroïne dans une foule de caractères parasitaires et d’intrigues secondaires. Particulièrement inutile apparaît l’histoire de Samuel Bleistein, de son fils, de sa belle-fille et de son petit-fils, qui occupe pourtant un bon tiers du film.

Il aurait fallu ne pas lâcher d’une semelle Jeanne, interroger chacun des petits mensonges avec lesquels elle se plaisait à enjoliver sa vie, scruter le point de bascule où ces petits mensonges vont se muer en un plus gros, comprendre pourquoi elle utilise le ressort, diablement explosif, de l’antisémitisme (on la voit seulement verser une larme devant un documentaire sur la Shoah). Faute de n’en rien faire, La Fille du RER, malgré la qualité de sa distribution plaqué or, se condamne à rester à la surface des choses et des êtres.

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40 ans, toujours dans le flow ★★☆☆

Radha Blank est en pleine crise de la quarantaine. Voilà plus de dix ans qu’elle n’a pas réussi à concrétiser les espoirs que ses premières œuvres théâtrales avaient fait naître malgré les efforts que déploie son agent et ami d’enfance. Célibataire, en surpoids, elle vit à Harlem dans un appartement exigu et peine à faire le deuil de sa mère qui vient de mourir. La production de sa prochaine pièce l’oblige à des compromis auxquels elle se refuse. En attendant, elle vivote en donnant des cours de théâtre dans un lycée dont les élèves lui mènent la vie dure.

L’autobiographie de l’auteur en proie au doute créatif est un genre éculé. C’est, tout bien considéré, assez logique : les auteurs qui cherchent désespérément un sujet d’inspiration finissent tous immanquablement par écrire sur leur expérience immédiate de l’angoisse de la page blanche. C’est aussi un genre dangereux qui court les risques alternatifs ou cumulatifs du nombrilisme, de la complaisance et de l’insignifiance : quoi de plus égocentrique et de plus ennuyeux qu’un auteur en train de raconter le vide de sa vie ?

Radha Blank parvient avec beaucoup de pudeur à éviter ces embûches.
Certes son autobiographie ne bouleverse pas les canons du genre et ne réserve guère de surprises. Comme on s’y attendait, il n’y a pas un plan qui ne la montre, seule chez elle, sur le chemin de son lycée, avec ses élèves, en compagnie de son agent ou bien encore durant les répétitions de sa pièce. Son omniprésence pourtant n’est pas envahissante ; car elle fait preuve de tant d’humour, de tant de lucidité qu’on ne peut très vite que s’attacher à elle. Les dialogues sont ciselés. Aucun ne provoque d’éclat de rire ; mais tous font naître une émotion.

Tourné dans un noir et blanc velouté, en 35mm, 40 ans, toujours dans le flow (traduction calamiteuse de The Forty-Year-Old Version) se déroule à Harlem, dans le nord de Manhattan. Il réussit le pari paradoxal de filmer New York avec élégance sans en montrer aucun des clichés caractéristiques.

L’autobiographie de Radha Blank est aussi l’histoire d’une hésitation et d’une bifurcation : Radha continuera-t-elle à écrire des pièces de théâtre en usant jusqu’à la corde des sujets qu’elle et d’autres ont déjà explorés ? ou osera-t-elle avec le beau D, malgré leur différence d’âge, slamer ses textes sur une musique de rap ? La conclusion est sans surprise ; mais elle sonnera comme un message d’espoir pour tous ceux qui traversent la crise de la quarantaine en désespérant de se réinventer.

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JC comme Jésus Christ (2011) ★☆☆☆

Jean-Christophe Kern (Vincent Lacoste) est un jeune génie du cinéma. Son premier film a décroché la Palme d’or à Cannes à quinze ans et une moisson de Césars. Le cinéaste, aussi talentueux qu’immature, prépare le deuxième au sujet transgressif : une comédie musicale sur les Dutroux. Une équipe de documentaristes l’accompagne.

Faux documentaire tourné par un acteur,  JC comme Jésus Christ est une satire du monde du cinéma qui ne recule devant aucune outrance. Jonathan Zaccai qui, à l’époque, n’avait pas encore perdu son pied dans Le Bureau des légendes, prend le parti du documenteur en convoquant une brochette d’acteurs (Elsa Zylberstein, Aure Atika, Gilles Lellouche, Kad Merad…) pour jouer dans leur propre rôle. Sa bande-annonce donne le ton qui suscite l’envie de voir ce film… ou pas

JC comme Jésus Christ contient quelques scènes passablement drôles, comme celle où Gilles Lellouche tente de convaincre Vincent Lacoste qu’il ferait un parfait Marc Dutroux. Mais son scénario est trop lâche – qui manifestement ne sait pas comment se terminer – sa réalisation trop dilettante – on retrouve les quatre mêmes malheureux décors – sa durée trop courte – soixante-seize minutes à peine – pour être pris au sérieux. Le film a fait un bide à sa sortie en salles début 2012. MK2 le propose gratuitement en ligne pour tous les orphelins du cinéma. Pas sûr que ce soit leur rendre service….

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War Machine ★★★☆

Quand le général McChrystal est nommé en 2009 à la tête de l’ISAF, la coalition des forces armées en Afghanistan, la guerre y dure depuis déjà huit ans sans perspective réaliste d’une issue victorieuse. Certes, les talibans ont été chassés de Kaboul et se terrent à la frontière pakistanaise. Mais le pays, lesté par ses traditions, foncièrement hostile aux forces d’occupation, peine à se reconstruire. L’armée américaine et celles de ses alliés, taillées pour gagner la guerre, peinent à gagner la paix.

Michael Hastings, un journaliste de Rolling Stone, signa un reportage qui provoqua le départ anticipé de McChrystal de son commandement. Il en tira ensuite un livre, The Operators.
C’est ce livre volontiers ambigu que David Michôd, le réalisateur australien de Animal Kingdom et Le Roi, porte à l’écran.

War Machine est un film désarmant qui hésite constamment entre deux registres : d’un côté la réflexion très fine sur l’interventionnisme militaire dans l’après-guerre froide, de l’autre la bouffonnerie vers laquelle le tire l’interprétation outrée par Brad Pitt de son héros.

Car Brad Pitt en fait des tonnes pour caricaturer le malheureux général McChrystal qui n’en méritait pas tant – et dont on serait curieux de connaître la réaction à ce spectacle embarrassant. Quelque part entre le Patton de George C. Scott (Oscar – refusé – du meilleur acteur en 1971) et Le Dictateur de Sacha Baron Cohen, Brad Pitt force le trait, campant un général droit dans ses bottes, affublé de tics (regardez ses pouces !), entouré d’une bande de joyeux drilles qu’on croirait tout droit sortis de M*A*S*H ou d’un épisode des Têtes brûlées (vous vous souvenez de la série avec Robert Conrad que vous regardiez sur Antenne 2 à la fin des années 70 ?). Il croise un président Karzai pas moins caricatural, interprété par Ben Kingsley dans deux scènes désopilantes.

Le film manque de prendre définitivement le virage de la comédie loufoque. C’eût été un choix radical et pourquoi pas envisageable. La réussite dans ce registre des Chèvres du Pentagone ou de La Guerre selon Charlie montre qu’on peut rire des guerres menées par les Etats-Unis en Afghanistan ou en Irak. Mais, assez miraculeusement, War Machine reste du début à la fin dans un entre-deux qui se révèle diablement stimulant. Il ne va jamais jusqu’au bout de sa loufoquerie. Il continue inébranlablement à traiter sérieusement d’un sujet sérieux : l’incapacité d’une force militaire d’occupation à reconstruire un pays conquis. Et le regard qu’il porte sur ce sujet reste incroyablement balancé, et donc très stimulant (à la différence d’un M*A*S*H qui versait dans une posture antimilitariste pas très fine selon moi).

Ce film déconcertant réussit à la fois à nous faire rire et à nous faire réfléchir. Double pari qu’on pensait impossible à réussir simultanément.

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