Le Poirier sauvage ☆☆☆☆

Sinan vient d’obtenir son diplôme universitaire. Pour autant son avenir reste sombre. Écrivain amateur, il aimerait publier son premier ouvrage intitulé Le Poirier sauvage. Il tente sans conviction le concours d’instituteur en craignant, s’il le réussit, d’être muté dans l’est du pays. Si rien ne se passe, il devra bientôt partir faire son service militaire.
Le jeune Sinan n’a qu’une hantise : reproduire le destin de son père dont l’intelligence et le sens artistique ont été gâchés par le goût du jeu et qui s’est résigné à une vie médiocre.

Nuri Bilge Ceylan raconte l’histoire d’un fils ni vraiment prodige ni vraiment prodigue qui s’en revient chez lui, ses études achevées, et qui hésite sur le sens à donner à sa vie. Pendant tout le film la caméra le suit qui déambule dans son village au fil des rencontres plus ou moins fortuites qu’il y fait.

Une critique internationale pâmée a décrété que Ceylan était le plus grand réalisateur turc contemporain. Depuis Uzak et jusqu’à Winter Sleep consacré en 2014 par la Palme d’Or, elle a invoqué à chacun de ses films les mânes de Tchekov pour la finesse de la description des caractères, de Dostoievski pour leur ambition métaphysique, d’Antonioni pour la peinture des relations de couple et d’Angelopoulos pour la beauté hypnotisante de ses plans et leur longueur déroutante.

C’est beaucoup. C’est trop. Le dernier film en date de Ceylan, certes sélectionné à Cannes mais dont il est revenu bredouille à la différence des cinq précédents, dévoile les limites de l’exercice sinon la mystification dont il est coupable.

Pendant près de trois heures, une durée que rien ne justifie sinon l’orgueil démesuré du réalisateur-scénariste-monteur et son mépris de ses spectateurs, le même procédé est inlassablement répété : le héros solitaire, filmé en plongée pour mieux l’écraser, arpente la campagne turque en attendant de faire une rencontre qui plonge l’auditoire dans un tunnel logorrhéique d’une vingtaine de minutes.

Chaque face à face, quasiment filmé à l’identique a sa thématique lourdement soulignée. Avec le père ou le grand père qui le sollicite pour les aider dans les travaux agricoles, l’atavisme familial. Avec le maire ou l’entrepreneur de BTP auprès desquels Sinan mendie une subvention pour publier son livre, la corruption et la bêtise des classes dirigeantes. Avec l’ancienne amie de lycée qu’il embrasse sous un poirier sauvage, la nostalgie des vertes amours enfantines et des occasions à tout jamais perdues. Avec le jeune imam faussement moderniste, le dévoiement de l’Islam. Etc.

Les acteurs, à commencer par l’acteur principal qui a la tête d’un écrivain comme j’ai celle d’un champion de patinage artistique, sont si obnubilés par la diction de leur texte interminable filmé en longs plans-séquences qu’ils en perdent toute spontanéité.

La seule chose à sauver de ce Poirier sauvage serait la musique de Bach qui pare sa bande-annonce d’une élégance grave. Mais répétée dix fois, le thème tourne au jingle et finit par produire l’effet inverse de celui escompté : l’agacement plutôt que la fascination.

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Cornélius, le meunier hurlant ★☆☆☆

Un meunier venu de nulle part s’installe près d’un petit village coupé du monde. Il y construit un moulin, y fabrique la meilleur des farines. Il n’a qu’un seul défaut : la nuit tombé, il hurle à la mort, empêchant les villageois de trouver le sommeil.

On attendait avec gourmandise le premier long de Yann Le Quellec qui avait sorti en 2012 deux moyens métrages enthousiasmants : Je sens le beat qui monte en moi et La Quepa sur la Vilni. On l’attendait d’autant plus qu’il adaptait un roman du loufoque auteur finlandais Arto Paasilinna qui, depuis qu’il a été tardivement traduit en français (Le Lièvre de Vatanen écrit en 1975 n’est traduit qu’en 1989) s’est acquis dans l’hexagone un public fidèle.

On est bien déçu par le résultat qui ne fonctionne pas.
Pourtant ce western poétique, cette comédie grave, cet hymne à la différence avait de quoi séduire. Comme dans Je sens le beat…, Yann Le Quéllec filme des corps : celui massif et gigantesque de Cornélius Bloom interprété par Bonaventure Gacon (des faux airs de Depardieu jeune), celui gracile et séduisant de Carmen Cardamome, la fille du maire interprétée avec toujours autant de fraîcheur par Anaïs Demoustier. Il a même demandé à Maguy Marin de les chorégraphier dans des séquences aussi belles qu’enlevées.

Sa fable gentiment absurde se laisse voir sans déplaisir. On se laisse conquérir par l’ambiance bon enfant de ce village d’opérette ; on est impressionné par les paysages sauvages des Cévennes et par ce moulin steampunk construit à partir de rien ; on est attendri par la folie douce de Cornélius et par l’amour naïf qui l’unit à Carmen. Mais, ce sympathique bric-à-brac, aussi pétri soit-il de bonnes intentions et de bonnes idées, ne suffit pas à faire un film avec un sujet et un point de vue.

Le public ne s’y est pas trompé qui a boudé la sortie de Cornélius…, quasiment sorti des écrans au bout de quelques semaines.

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Corpo Eléctrico ★★☆☆

Elias a vingt-cinq ans à peine. Il vient d’arriver à São Paulo. Ses journées sont bien occupées : il exerce des fonctions d’encadrement dans une usine textile aux côtés de la patronne. Mais ses soirées ne le sont pas moins : Elias multiplie les rencontres et les conquêtes masculines.

Le cinéma brésilien nous réserve de belles surprises. Aquarius – dont Marcelo Caetano avait dirigé le casting – avait enthousiasmé la Croisette en 2016 et emporté un beau succès en salles (156.000 entrées en France). Gabriel et la montagne nous entrainait en 2017 en Afrique orientale sur les pas d’un étudiant brésilien idéaliste. Les bonnes manières osait en 2018 le film vampire lesbien.

Corpo Eléctrico ne trouvera pas sa place dans ce palmarès. Mais ce n’est pas faute de qualités.

Corpo Eléctrico est un film dyonisiaque qui exalte sans tabous la joie de vivre et d’aimer. D’ailleurs il aurait pu sans rougir détourner à son profit le titre de Christophe Honoré : Plaire, aimer et coudre.

Corpo Eléctrico n’est pas sans rappeler Mektoub my love. Comme Abdellatif Kechiche, Marcelo Caetano filme les corps, leur beauté solaire, leur sensualité provocatrice. Comme Kechiche, Caetano aime filmer des groupes de jeunes qui se croisent et se frôlent. Il le fait parfois avec un peu trop d’afféterie : ainsi de ce long traveling arrière dans les rues de São Paulo où Elias et ses amis déambulent d’un bon pas. Mais il faut lui reconnaître le don rare de réussir à capter la vie comme elle va.

Corpo Eléctrico a les défauts de ses qualités. Son refus du dramatique lui fait parfois friser l’insignifiance. Son goût prononcé pour les scènes de groupes l’empêche d’isoler les caractères. Sa manie d’étirer les plans tourne parfois à la pose. Sous ses aspects faussement cool, il n’en reste pas moins un film politique en affirmant que les différences de race et de sexualité, que les inégalités de classes peuvent se dissoudre dans un hédonisme post-moderne. (Dé)culotté.

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La Paysanne aux pieds nus ★☆☆☆

En 1943, à Rome, Cesira (Sophia Loren) élève seule sa fille Rosetta en tenant le troquet de son mari défunt. Les bombardements alliés la conduisent à fuir la capitale avec sa fille et à retourner dans sa région d’origine, la Ciociarie. Mais elle ne reconnaît plus son village, envahi par des hordes de réfugiés qui fuient tout à la fois les exactions des Allemands en déroute et l’avancée des troupes alliées encalminées au Mont-Cassin.

La Ciociara (connu egalement sous son calamiteux titre français La Paysanne aux pieds nus) marque les retrouvailles de Sophia Loren et de Vittorio De Sica six ans après L’Or de Naples. L’explosive actrice vient de passer trois ans à Hollywood. Le vieux réalisateur a déjà à son actif Le Voleur de bicyclette, Miracle à Milan et Umberto D. Carlo Ponti, l’influent producteur, veut offrir un rôle marquant à sa femme pour qu’elle revienne en Italie. L’adaptation d’un livre de Moravia, inspiré de faits réels, lui en fournira l’occasion.

Filmé en noir et blanc, La Ciociara ressemble aux films néoréalistes de la fin des années quarante dont il reprend les thèmes et les formes : Rome ville ouverte, Païsa, Riz amer… Il en a à la fois la beauté tragique et le lyrisme démodé.

Le film fut un triomphe pour Sophia Loren qui obtint le Prix d’interprétation féminine à Cannes, l’Oscar de la meilleure actrice (le premier jamais décerné pour un film en langue étrangère), le Donatello – l’équivalent transalpin des Césars – de la meilleure actrice, etc.

Près de soixante ans plus tard, la plastique tout en courbes de Sophia Loren n’a rien perdu de sa générosité mais son jeu exubérant a hélas bien vieilli. De tous les plans, l’actrice monopolise l’attention ne laissant aucune place à ses partenaires, y inclus le malheureux Jean-Paul Belmondo qui n’en peut mais. Son jeu se réduit à deux expressions : rouler des yeux scandalisés quand un homme reluque son décolleté, les étrécir dans un soupir pâmé quand elle se laisse embrasser.

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The Cured ★★★☆

Quelques années plus tôt, le terrible virus Maze a transformé la quasi-totalité de l’humanité en zombies cannibales. Mais un vaccin a été trouvé, permettant de soigner les personnes infectées.
Pour autant, des problèmes demeurent. Une partie des zombies est incurable. Quant à ceux revenus à la vie civile, ils peinent à se réinsérer.

The Cured commence là où World War Z et nombre de films de zombies se terminent : un vaccin a été trouvé qui va sauver l’humanité d’une extinction cannibale. Happy end ? Pas évident nous répond ce thriller malin qui pose de stimulantes questions éthiques, sur le pardon et sur le remords.

Il questionne d’une part le rapport des humains rescapés face aux zombies guéris. Ceux-ci pardonneront-ils à ceux-là les crimes qu’ils ont commis ?  Leur feront-ils une place dans la société ? Ou les maintiendront-ils sous surveillance, de peur d’une rechute et/ou par refus de leur pardonner ?

Il questionne d’autre part les remords des zombies que le vaccin n’a hélas pas privés de souvenirs, condamnés à être hantés par les cauchemars des crimes monstrueux qu’ils ont commis. Parviendront-ils à se réconcilier avec eux-mêmes et avec les autres ? Ou s’enfermeront-ils dans un séparatisme radical ?

Toutes ces questions éthiques sont traitées à travers trois personnages. Senan (Sam Keeley) a perdu son frère pendant l’infection, dans des conditions qu’on découvrira bien vite. Il est hébergé par sa belle-sœur Abbie (Ellen Page) qui élève, seule, un fils. Conor (Tom Vaughan-Lawlor) n’a pas cette chance. Sa famille l’a banni. Il en est réduit à loger dans un foyer pour anciens zombies. Brillant politicien en pleine ascension avant l’épidémie, il n’accepte pas d’être relégué dans un statut parasite et fomente une révolte. Le docteur Lyons (Paula Malcomson) cherche inlassablement un remède pour soigner sa femme qui a pour l’instant résisté à tous les traitements.

The Cured a tous les ingrédients du film de genre, jump scares anxiogènes et cauchemars effrayants inclus. Mais il s’en distingue par la qualité de son interprétation (Ellen Page, qui tisse depuis Juno une carrière étonnante entre blockbuster – X-Men, Inception – et film d’auteur) et la finesse de son scénario dont le dénouement, aussi surprenant que logique, m’a cloué sur mon siège. The Cured devait sortir en salles le 18 juillet. Pour des raisons qui m’échappent, son distributeur, Bac Films, a baissé les bras.  Le film est directement sorti… dans les bacs.

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Mamma Mia! Here We Go Again ★★☆☆

Dix ans après Mamma Mia! voici sa suite. Elle aurait pu s’appeler Mamma Mia 2 ; mais aujourd’hui les suites ne sont plus numérotées. On ne parle pas de Mission impossible 6 – alors qu’on parlait pourtant du 2 ou du 3 – ni de Jurassic Park 5. Pourquoi ? Pour ne pas donner au gogo l’impression trop flagrante qu’il est face à un sequel qui n’a d’autre raison d’être que de capitaliser sur le succès commercial d’une franchise. Vous m’opposerez Les Indestructibles 2 et Hôtel Transylvanie 3 et vous aurez raison. Mais cela ne redonne pour autant pas beaucoup d’intérêt à ces suites dispensables.

Cette introduction augure mal de ma critique. On cherche désespérément l’intérêt de donner une suite au film de 2008, lui même adapté de la comédie musicale créée à Londres en 1999 par Catherine Johnson et voué depuis lors à une gloire intergalactique. Tout semblait avoir été dit de Donna (Meryl Streep), de sa fille Sophie (Amanda Seyfried) et de sa paternité compliquée avec Sam (Pierce Brosnan), Harry (Colin Firth) et Bill (Stellan Skarsgård). Tout surtout semblait avoir été chanté des principaux tubes de Abba : Mamma Mia, Dancing Queen, Super Trooper, The Winner Takes It All

De quoi une suite pouvait-elle être faite ? Comment raconter une histoire sans répéter la même ? Quels tubes reprendre sans bégayer ? Les producteurs choisissent la solution la plus paresseuse : un scénario qui revient en flashbacks sur la rencontre de Donna jeune avec les trois pères putatifs de Sophie et une bande son qui mêle hits et chansons moins connus (parmi lesquels l’iconoclaste When I Kissed the Teacher).

Le resultat réjouira les fans et les autres tant la rythmique sucrée des chansons de Abba et les chorégraphies bollywoodiennes qui les accompagnent débordent d’une communicative énergie. Une telle indulgence est largement incompréhensible. Car l’histoire courue d’avance est sans intérêt, le jeu des acteurs horripilant (Lily James, remarquée dans Downton Abbey et Le Cercle litteraire de Guernesey est à baffer) et les chansons moins euphorisantes que celles de la face A. Le seul intérêt de ce Mamma Mia 2 : pouvoir organiser une soirée à thème sans regarder deux fois le même film.

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Mario ★☆☆☆

Mario (Max Hubacher révélé par The Captain) n’a qu’un rêve : devenir footballeur professionnel. La prochaine saison s’annonce déterminante. Son père et son nouvel agent le lui rappellent à l’envi.
L’équipe de Mario, les YB de Berne, voit l’arrivée d’un nouvel attaquant venu d’Allemagne, Leon (Aaron Altaras), avec lequel Mario emménage dans une colocation mise à leur disposition par leur club à proximité du stade.
Entre les deux jeunes gens l’attraction est immédiate. Mais la révélation de leur liaison risque de compromettre leur avenir sportif.

Joli sens du timing pour Mario, qui est d’abord édité le 3 juillet en DVD et VOD avant de connaître le 1er août au MK2 Beaubourg une – confidentielle – sortie en salles : sa diffusion coïncide avec le Mondial de football 2018 et prend pour sujet l’homophobie dans le sport dont la Gay Pride du 30 juin avait fait son thème.

Le sujet est délicat. Quand la rumeur de la liaison entre Mario et Leon circule dans les couloirs du club, deux attitudes sont possibles, qu’incarne chacun des deux joueurs. Celle de Mario consiste à nier envers et contre tout, allant jusqu’à convoquer une amie d’enfance pour convaincre les autres joueurs et l’encadrement de son hétérosexualité. Celle de Leon est moins hypocrite : il assume son homosexualité et ses sentiments pour son coéquipier, renvoyant ceux qui les dénigrent à leur homophobie.

Mais le film est gâché par une mise en scène insipide, proche des canons téléfilmiques, qui en étire la durée sur près de deux heures. On tangente plus la bluette gay que le drame de société – comme l’affiche hélas aurait dû nous en avertir. Et l’épilogue a beau éviter l’écueil du happy end convenu, il ne suffit pas à sauver ce film trop mièvre. Son contenu et son traitement rendent d’autant plus dérisoire la décision des organisateurs de Cannes Écrans Juniors de le déprogrammer, faisant à ce film sans grand intérêt une publicité paradoxale qu’il ne méritait pas.

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Ma fille ★★★☆

Vittoria a bientôt dix ans. Elle est l’enfant unique de Tina (Valeria Giolini) qui lui voue une affection étouffante et de Umberto. À quelque distance du petit village portuaire de Sardaigne où la famille est installée vit dans une ferme isolée Angelica (Alba Rohrwacher).

Le deuxième film de Laura Bispuri a des faux airs de tragédie grecque. Unité de temps. Unité de lieu. Unité d’action. Avec une économie de moyens admirable, qui ne vire jamais au minimalisme, la realisatrice filme à l’os. Son sujet est ténu et se devoile rapidement : l’ecartelement d’une enfant entre sa mère biologique et sa mère adoptive.

Ma fille – un titre aussi simple qu’intelligent – aurait pu aussi bien s’intituler Ma mère. La petite Vittoria hésite entre deux modèles : la maman (Tina) et la putain (Angelica). L’opposition pourrait sembler simpliste. Elle ne l’est pas. Car la réalisatrice réussit, sans effet de manches ni dramaturgie inutile, à nous toucher.

Sa réussite doit beaucoup à son trio d’actrices. Valeria Giolino, découverte il y a une trentaine d’années dans Rain Man, vieillit merveilleusement bien. Alba Rohrwacher, curieux alliage de blondeur germanique et de sensualité méditerranéenne, confirme son talent. Et la jeune Sara Casu évite l’écueil du cabotinage. Une réussite sur toute la ligne.

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Filles du feu ★☆☆☆

L’ethnologue Stéphane Breton a rencontré les combattantes kurdes avant qu’elles deviennent les symboles de la résistance à Daech. Il les a filmées au quotidien, marchant à travers une ville en ruines, bivouaquant sur un point haut, préparant une offensive.

Le documentaire de Stéphane Breton est déroutant. On ne mettra pas en cause son authenticité là même où celle de Peshmerga, le documentaire réalisé en 2016 par Bernard-Henri Lévy, pouvait l’être du fait de l’identité de son auteur et de sa réputation polémique. Mais on lui adressera d’autres reproches.

Stéphane Breton se refuse à nous expliquer le conflit qui oppose, au nord de la Syrie, les forces kurdes à celles de l’État islamique. Sans voix off, sans carton explicatif, son documentaire se contente de nous immerger dans le quotidien de ses combattantes. Un quotidien qui n’a rien d’héroïque ou de belliqueux : on y fait la guerre sans passion et sans peur, comme s’il s’agissait d’un acte normal. Un quotidien où les différences de sexe ne comptent pas, où les relations étonnamment apaisées entre combattants et combattantes sont dépourvues de toute tension amoureuse ou érotique.

Le procédé a deux inconvénients majeurs. Le premier est d’être terriblement ennuyeux. Suivre, en caméra subjective, deux combattantes qui marchent à travers une ville en ruines et n’y rencontrent personne sinon des chiens errants, n’est pas très intéressant. Ce l’est encore moins si le plan séquence s’étire interminablement pendant une dizaine de minutes. Et le documentaire a beau être d’une remarquable brièveté (quatre-vingts minutes seulement), les cinq ou six scènes qu’on voit sont, prises isolément, d’une lenteur désespérante.

Le second est qu’il nous laisse avec beaucoup de questions sans réponse. On aurait aimé savoir d’où viennent ces femmes dont le treillis empêche de deviner l’âge. Ont-elles été requises de force ou se sont-elles enrôlées volontairement ? Quelle famille ont-elles quittée ? quel fiancé ? quel mari ? Comment sont-elles intégrées aux forces armées ? Font-elles l’objet de discriminations ? de harcèlement ? Exercent-elles les mêmes fonctions que celles dévolues à leurs frères d’armes ?

L’émotion naît à la toute dernière seconde. Où l’on apprend par un ultime carton que la commandante que l’on vient de voir organiser, avec patience et autorité, le plan de bataille de ses troupes, a trouvé la mort. Trop tard.

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Le Goût du riz au thé vert ★★★☆

Mokichi et Taeko Satake ont fait un mariage de raison. Taeko n’en est pas satisfaite. La vulgarité de son mari, ses manières frustres lui sont de plus en plus insupportables. Elle s’en ouvre sans vergogne à ses amies et s’échappe avec elles au prix de quelques mensonges.
Le couple est au bord de la rupture. La mutation de Mokichi en Amérique latine risque de l’accélérer.

Une rétrospective estivale est consacrée à Ozu à parti du 1er août dans plusieurs salles d’art et essai de France et de Navarre : le Champo, le Louxor, le Lincoln à Paris, le Royal àToulon, le star à Strasbourg, le Majestic à Lille… C’est l’occasion de (re)découvrir dix de ses chefs-d’œuvre qui documentent la reconstruction du Japon d’après guerre et la lente recomposition de la société.

Le Goût du riz au thé vert est sorti en 1952. Le souvenir de la Seconde Guerre mondiale n’est jamais loin comme en témoigne cet ancien soldat reconverti en patron de pachinko que retrouve Mokichi et son filleul. Mais le Japon est obstinément optimiste qui affiche déjà tous les symboles de la modernité : Ozu filme un vélodrome, un stade de base-ball, une locomotive filant à pleine vitesse, un aérodrome comme autant de témoignages de la prospérité retrouvée.

Mais l’œuvre de Ozu ne se réduit pas à une ode au miracle économique japonais. C’est la dissolution du lien familial qui l’intéresse. Ses films les plus connus traitent des liens entre parents et enfants : Le Fils uniqueVoyage à TokyoFleurs d’équinoxeLe Goût du saké… Après Les Sœurs Munakata et avant Printemps précoceLe Goût du riz au thé vert traite du couple.

Le sujet était à la mode – il l’est toujours. Il a inspiré quelques chefs d’œuvre du septième art : les screwball comedies du duo Katherine Hepburn – Spencer Tracy ou Voyage en Italie de Rossellini. Mais Ozu n’a ni la légèreté des premières ni la gravité du second.

Sur le thème du couple, il tisse à sa façon une histoire d’une infinie tendresse qui culmine dans une séquence devenue célèbre. À la nuit tombée, dans leur grand appartement vidé de sa domesticité, le couple, qui n’en a guère l’habitude, se fraie un chemin jusqu’aux cuisines et s’y prépare un plat de riz au thé vert. Cette scène anodine signe leurs retrouvailles et donne son sens au film – au risque de le faire sombrer dans le didactisme : « un couple a le goût du riz au thé vert » tantôt doux, tantôt amer.

La bande-annonce