My Wonder Women ★★★☆

Récemment dévoilées par l’historienne américaine à Harvard Jill Lepore (The Secret History of Wonder Woman, 2014), la vie et l’oeuvre du professeur William Marston ont de quoi choquer les ligues de vertu. Dans l’entre-deux guerres, il enseignait avec sa femme Elizabeth – que la misogynie des temps avaient empêché de soutenir un PhD – la psychologie dans un collège de jeunes filles de la Côte Est. Le couple inventa le détecteur de mensonges en 1922. Pour les aider dans leurs recherches, William et Elizabeth recrutent et séduisent la jeune Olive Byrne, la nièce de Margaret Sanger, la fondatrice du féminisme moderne.

Mais les ragots vont bon train qui conduisent au renvoi de William désormais interdit d’enseigner et obligé de vivre de sa plume. C’est en puisant dans ses fantasmes que le professeur William Marston va alors inventer Wonder Woman la super héroïne la plus célèbre de la bande dessinée, avec son body en lycra frappé aux couleurs de la bannière étoilée, son diadème, son lasso et ses bracelets pare-balles.

Le premier tiers du film n’est pas le plus réussi qui décrit les recherches scientifiques du couple Marston et leur rencontre avec la troublante Olive. On aurait pu nous épargner quelques scènes de détecteurs de mensonge où, comme de bien entendu, l’aiguille s’affole lorsque l’innocente jouvencelle s’entête à nier les sentiments qu’elle éprouve au contact du beau professeur et de sa séduisante épouse.
Il est beaucoup plus stimulant dans sa deuxième, où s’installe le « trouple », entre jeux érotiques raffinés, réprobation sociale et famille élargie (William aura deux enfants d’Elizabeth et deux d’Olive)
Mais c’est sa troisième  qui est la plus stimulante, pour les fans de bandes dessinées comme pour les féministes, qui procède à une relecture de Wonder Woman, princesse grecque élevée au milieu des femmes dans le culte de Sappho, qui, pour l’amour d’un officier britannique, le suit dans l’Angleterre du Blitz et met ses super-pouvoirs au service de la lutte contre l’envahisseur nazi.

My Wonder Women a reçu un accueil public et critique mitigé qu’il ne méritait pas. Sous ses airs d’inoffensif biopic, il s’agit d’un film étonnamment transgressif qui parle de triolisme et de sadomasochisme. Il le fait avec l’élégance qui caractérisait les personnages de l’époque, qu’on croirait tout droit sortis d’un épisode de Downton Abbey. Il le fait sans aucune vulgarité. Il le fait surtout avec le romantisme très premier degré qui imprègne les bluettes sentimentales d’hier et d’aujourd’hui. My Wonder Women a le bondage bon enfant, la badine badine. L’effet est paradoxal. Les cyniques y verront de la niaiserie, les bégueules du vice pernicieux, les autres un éloge de l’amour libre et une ode au féminisme.

La bande-annonce

Retour à Bollène ★☆☆☆

Nassim est franco-marocain. Il a grandi à Bollène. Il est parti à Dubaï gagner sa vie dans la finance et épouser une Américaine.
Le temps d’un court séjour, il revient chez lui, sur une terre qu’il ne reconnaît pas, gangrénée par le racisme et l’extrême droite, rendre visite à sa mère, à ses deux sœurs, à un demi-frère qui sombre dans la schizophrénie et prenant soin d’éviter un père qu’il renie.

Retour à Bollène tangente trois sujets terriblement stimulants.

Premièrement, le retour au pays du fils prodigue.  La joie de sa famille et de ses amis de le revoir. Sa joie à lui mais aussi son malaise de retrouver des lieux et des visages dont sa vie l’a progressivement éloigné. Des sentiments que nous avons ressentis pour peu qu’on ait quitté le cocon familial pour entreprendre, loin de chez soi, des études à Paris et y débuter sa vie professionnelle. Un sujet traité dans Retour à Forbach ou Citoyen d’honneur. Un sujet largement autobiographique pour le réalisateur Saïd Hamich qui grandit à Bollène avant de monter à Paris pour devenir producteur.

Deuxièmement, comme le titre l’annonce, une analyse sociologique de Bollène, une petite ville sans âme du sillon rhodanien devenue terre d’élection de l’extrême droite. Un excellent documentaire, à diffuser dans les cours de géographie électorale, l’analysait finement. Mains brunes sur la ville montrait comment la crise économique combinée à une importante communauté maghrébine mal intégrée avait fait le terreau des idées extrémistes. Comme l’ancien professeur de lettres de Nassim, les communistes ont rallié le FN passant d’un extrême à l’autre « par la porte de derrière »;

Troisièmement, le mal être de la deuxième génération d’Afrique du nord, ces enfants d’immigrés, nés en France de parents maghrébins. Le très politiquement correct Fatima en faisait un tableau idéalisé. Son succès public et critique montrait que le sujet était toujours d’actualité et que nous aspirions tous à le voir réglé le mieux possible. La réalité est sans doute plus amère comme l’illustre le personnage de Nassim qui, faute de trouver une place en France, est parti la chercher aux Émirats.

Malheureusement, Retour à Bollène ne traite aucun de ces sujets. Trop court – soixante-neuf minutes – il se compte de les ébaucher. Il nous laisse sur notre faim, orphelin du film que nous espérions.

La bande-annonce

L’Homme dauphin, sur les traces de Jacques Mayol ★★☆☆

On a tous vu Le Grand bleu. Une fois au moins pour toutes les personnes de mon âge, même celles qui cet été-là n’allèrent voir qu’un seul film. Cinq en ce qui me concerne – y compris la version longue. Vingt-quatre pour un ami particulièrement addict qui a passé tout l’été 1988 à le regarder en boucle.

Le film de Luc Besson était librement inspiré de la vie de Jacques Mayol, de sa passion pour la mer et les dauphins, de sa rivalité avec l’Italien Enzo Maiorca et de ses tentatives de battre le record du monde de plongée en apnée. Pas évident d’en faire un thriller aux multiples rebondissements. Pourtant le film eut un succès immense et marqua toute une génération.

Le documentaire de Lefteris Charitos raconte très classiquement la vie de l’apnéiste né en 1927 en Chine – où son père travaillait comme architecte pour la municipalité de Shanghai. Voir le jour sur les lieux mêmes où se déroule La Condition humaine de Malraux prédispose sans doute à une vie d’aventures. Et Jacques Mayol vécut une vie de saltimbanque entre Marseille où il grandit, la Suède où il se maria et eut deux enfants, les États-Unis où il travailla longtemps au Seaquarium de Miami, les Bahamas, le Japon, l’île d’Elbe où il finit par s’installer.

Une seule passion : la mer, « l’élément premier ». Il n’a jamais eu le sens de la compétition – comme le montrait d’ailleurs fort bien le personnage lunatique interprété par Jean-Marc Barr, mais recherchait une impossible symbiose avec la mer et les dauphins. Sa quête n’était pas sportive, mais spirituelle. En plongeant dans les grandes profondeurs, il y recherchait la paix, l’ataraxie, l’équilibre, l’harmonie.

Le film contient des plans sous-marins d’une hypnotisante beauté. Il raconte l’histoire d’un homme hors du commun dévoré par sa passion. Mais il décrit aussi, sans le vouloir, sa face plus noire, son égoïsme foncier qui le conduisit à abandonner ses enfants, son donjuanisme compulsif, ses phases de dépression qui débutèrent avec l’assassinat sanglant de sa compagne en 1975 et culmina avec son suicide en 2001.

La bande-annonce

Le Jour où la terre s’arrêta ★★★☆

Une mystérieuse soucoupe volante se pose dans le centre de Washington. Deux créatures en sortent devant une foule nombreuse et un cordon de police. Klaatu, un extra-terrestre, déclare venir en paix ; mais, lorsqu’il tire de sa veste un cadeau pour ses hôtes, un soldat nerveux tire et le blesse. Gort, un géant qui l’accompagne, réplique en désarmant d’un rayon laser hyperpuissant les militaires présents.
Klaatu est amené dans un hôpital. Aux officiels de la Maison-Blanche venus à son chevet, il déclare avoir un message à adresser à tous les chefs d’État de la planète. Mais on lui répond qu’une telle réunion n’est pas possible.
Klaatu décide alors de se fondre dans la population. Il s’installe dans une pension de famille. Ses voisins : une jeune veuve de guerre et son fils.

J’avais vu Le Jour… au début des années 80 en VHS chez ma grande sœur, probablement en version doublée, à une époque où le snobisme de la VOSTF ne m’avait pas encore contaminé. J’en avais gardé un souvenir enthousiaste.
Qu’en penserais-je trente ans plus tard, l’innocence de mes jeunes années en moins, le visionnage d’une bonne centaine de films de SF aux effets spéciaux autrement sophistiqués en plus ?

À mon grand étonnement, je ne me suis pas ennuyé une seule seconde. Je me suis laissé prendre à cette histoire d’une grande fluidité, réalisée sans temps mort par Robert Wise – qui n’était pas encore l’un des plus grands réalisateurs d’Hollywood avec West Side Story et La Mélodie du bonheur. Elle contient quelques scènes d’anthologie qui m’avaient durablement marqué : l’atterrissage bien sûr de la soucoupe volante, que j’ai raconté en préambule, la rencontre de Klaatu et du professeur Barnhardt qu’il aide à résoudre les équations les plus compliquées (le genre de prodige dont j’étais friand), la panne générale d’électricité que Klaatu organise pour démontrer au monde ses super-pouvoirs (et qui donne son titre au film)…

Le Jour… est un film qui se prête à une lecture à plusieurs niveaux. Et il n’est pas sûr que du haut de mes douze ans, je les aie tous compris. Le premier est bien sûr politique. En pleine guerre froide, en pleine hystérie maccarthyste, Le Jour… est un plaidoyer pacifiste et un réquisitoire antinucléaire. Étonnant que ses auteurs ne se soient pas retrouvés sur la liste noire du sénateur du Wisconsin. Dès 1951, six ans à peine après Hiroshima, la crainte de voir les deux Super Grands s’entretuer et entraîner la planète entière à sa perte dans leur combat fratricide est popularisée. Robert Wise se fait le porte-voix de tous les opposants à l’arme atomique en mettant dans la bouche d’un extra-terrestre un message typiquement hobbesien : « Pour mettre un terme à ce combat sans issue, pour rompre avec la menace de votre destruction, remettez votre sécurité entre les mains d’une autorité supérieure qui vous garantira la paix ».

Il est une autre dimension, que je n’avais pas comprise et que j’ai découverte à la lecture de la notice de Wikipedia consacrée au film : l’allégorie christique. Klaatu vient sur terre avec un message de paix et d’amour. Il prend le nom de « Mr. Carpenter » (charpentier). Incompris des hommes – qui lui tirent dessus – il est tué, ressuscite grâce aux soins de Groot et repart dans les cieux après nous avoir transmis son évangile.

Le Jour… a fait l’objet d’un remake en 2008 avec Keanu Reeves. Il a la réputation d’être calamiteux. Je ne l’ai pas vu et n’ai aucune curiosité de le voir. Je préfère l’original en noir et blanc et son parfum de madeleine.

La bande-annonce

Et mon cœur transparent ★☆☆☆

Lancelot Rubinstein (Julien Boisselier) vient de perdre sa femme. Sa voiture a fait une sortie de route et est allée se noyer dans un lac de retenue. Il avait rencontré Irina (Caterina Murino) quelques années plus tôt et avait tout quitté pour vivre avec elle dans une maison isolée au bord de la Méditerranée. Mais, au fur et à mesure que l’enquête policière tente d’éclaircir les circonstances de sa mort, Lancelot va découvrir des pans cachés de la vie d’Irina.

Et mon cœur transparent est un morceau d’un vers célèbre de Verlaine. C’est aussi le titre du roman de Véronique Ovaldé sorti en 2008 qui lui valut la reconnaissance du public et de la critique. C’est une histoire telle que l’affectionnait le film noir des années 40 ou 50, à la frontière du polar et du drame, façon Assurance sur la mort, Le Faucon maltais ou Laura : une femme fatale, un héros aveuglé par l’amour, une intrigue à tiroirs.

De telles références sont écrasantes. Et, évidemment, le film des frères Vital-Durand ne se hisse pas à ce niveau. Mais ils ne sont pas à blâmer. Leur film montre caricaturalement combien les intrigues des années 40 sont devenues infilmables aujourd’hui. La faute d’abord à la lumière. Le film noir avait son identité visuelle, ses noirs et blancs très contrastés, ses éclairages expressionnistes… Et mon cœur transparent a le défaut d’être en couleur et de baigner dans la lumière solaire de la Corse – et dans ses sublimes paysages.

La faute ensuite au registre ironique sinon absurde qu’emprunte volontiers Et mon cœur transparent qui ne réussit pas à rester dans les codes du film noir. Il ne se prend jamais vraiment au sérieux et ressent le besoin de s’évader, de s’aérer, par exemple avec Sara Giraudeau, parfaite dans le rôle d’une cruche écervelée avec socquettes et col Claudine.

Et mon cœur transparent a un dernier défaut plus rédhibitoire encore. C’est son interprète principal, Julien Boisselier, que j’adore depuis que je l’avais découvert aux côtés de Julie Gayet au début des années 2000 dans Clara et moi. Cet acteur a un charme fou, une ironie subtile, une fragilité attendrissante … bref un jeu beaucoup trop moderne pour incarner le héros d’un film noir façon Humphrey Bogart ou Edward G. Robinson.

La bande-annonce

Gueule d’ange ★☆☆☆

Marlène (Marion Cotillard) brûle la vie par les deux bouts. Incapable de se poser, incapable de se discipliner, elle passe de lit en lit, de mec à mec, d’une saoulerie à l’autre. Son seul trésor, sa seule planche de salut : sa fille, Elli, huit ans.

La bande annonce m’avait mis l’eau à la bouche. Sur un crescendo endiablé, elle évoquait une mère toxique, une gosse en perdition, un père de substitution. Hélas tout y était dit. Il n’y a, dans les cent-huit minutes que dure Gueule d’ange, pas grand-chose de plus que dans les cent-une secondes de sa bande annonce.

Il y manque en particulier une histoire. Même si on l’a déjà vu souvent, le duo formé par une mère immature et son enfant est riche de potentialités dramatiques. Le scénario de Vanessa Filho n’en exploite aucune. Une fois introduits les personnages, tout s’arrête, laissant le spectateur qui avait commencé à s’y intéresser sur sa faim. Faute d’être dirigée, Marion Cotillard, en roue libre, en fait des tonnes. La jeune Aymine Aksoy-Etaix réussit à lui voler la vedette.

C’est d’autant plus dommage que Gueule d’ange, fraîchement accueilli à la sélection Un certain regard du dernier festival de Cannes, aurait pu être un grand film si les frères Dardenne ou Jacques Audiard s’en étaient saisis.

La bande-annonce

Solo: A Star Wars Story ★★☆☆

Comment Han Solo est-il devenu le meilleur pilote de la galaxie ? Dans quelles circonstances a-t-il rencontré Chewbacca ? Comment a-t-il fait l’acquisition du Faucon Millenium ? Ces questions vous taraudent depuis une quarantaine d’années ? Vous trouverez enfin leurs réponses dans Solo: A Star Wars Story.

Je suis allé voir Solo tout seul. C’était assez triste… et ce n’est même pas drôle. Le nouvel opus de la saga Star Wars, sorti en catimini au mois de mai – alors que c’est en décembre désormais après une pachydermique campagne de publicité que sortent les épisodes de la licence – était entouré d’un bouche à oreille calamiteux. Les deux réalisateurs, Phil Lord et Chris Miller, s’étaient fait virer par les pontes de Disney qui leur reprochaient leur esprit potache et remplacer in extremis par Ron Howard, faiseur sans talent, abonné aux blockbusters sans âme (CocoonWillowDa Vinci Code…). Alden Ehrenreich a failli connaître le même sort, faute de chausser avec suffisamment de talent le costume légendaire, trop ample pour lui, qui fit la gloire de Harrison Ford.

On est loin de la catastrophe annoncée. Mais on est loin aussi des meilleurs épisodes de la saga, de leur complexité, de leur lyrique noirceur, de leur enthousiasmant optimisme.

Que Han Solo fût un des personnages les plus sympathiques de la série, celui avec lequel des générations de gamins se sont identifiés (sauf moi qui aimais bien Jabba le Hutt avec la princesse Leia) ne suffisait pas à lui seul à nourrir un film dont on connaissait par avance le début – un gamin des rues ambitieux – et la fin – un mercenaire au grand cœur. Du coup, faute de mieux, les scénaristes inventent de toutes pièces une histoire de braquage avec courses poursuites autour d’un train lancé à toute vitesse dans un paysage enneigé façon Runaway Train ou Snowpiercer et coup de théâtre dans un camp de Bédouins façon Mad Max.

Ce western intergalactique distraira les spectateurs les moins exigeants – dont je fais partie après trois films lituaniens en N&B sans sous-titre. Les autres trouveront non sans fondement que Disney les prend pour des gogos, usant jusqu’à la trame, à force de sequels, de reboots et de spin-offs, la licence la plus légendaire au monde. À en croire l’échec commercial de Solo aux États Unis et son lent démarrage en France, ceux là semblent être les plus nombreux.

La bande-annonce

Atelier de conversation ★☆☆☆

Ils sont chinois, américain, afghan, kurde, égyptien, japonais ou bolivien… Chaque semaine, à la bibliothèque du centre Beaubourg, ils participent en français à un atelier de conversation. Cet atelier met en contact des étrangers qui, au-delà de leurs différences d’âge, de langue, de culture, d’origine, ont en commun un vrai désir de comprendre le pays où ils résident.

Bernhard Braunstein est un cinéaste autrichien qui, lorsqu’il s’est installé à Paris, est venu améliorer sa pratique de la langue française en participant aux ateliers de conversation de Beaubourg. Il y a rencontré Raphaël Casadesus qui est en charge de leur animation. De cette rencontre est née l’idée de ce documentaire.

L’idée n’est pas mauvaise, qui consiste à filmer cette mosaïque d’individus. Les efforts qu’ils déploient pour s’exprimer en français sont touchants – et nous renvoient à des situations analogues d’incommunicabilité que nous avons tous peu ou prou vécues avec notre correspondant anglais de 4ème ou aux côtés d’un officiel serbo-croate mediocrement polyglotte à un diner officiel. La cordialité forcée de ces cercles de parole où les rires cachent la gêne se craquèle vite dès que des sujets sensibles sont abordés qui font surgir brutalement les antagonismes : ainsi de la colère éruptive de cet Égyptien copte qui s’insurge du manque d’assimilation d’un Syrien musulman qui cherche de la viande hallal.

Le rire est là quand on évoque les préjugés qui s’attachent à chaque nationalité. L’émotion affleure lorsqu’on discute du mal du pays. Mais au bout du compte, et même si ce documentaire ne dure que soixante-dix minutes, l’ennui bien vite s’installe à suivre des échanges qui frisent dangereusement le café du commerce sur les relations hommes-femmes et la crise économique.

La bande-annonce

Foxtrot ★★☆☆

Deux militaires de Tsahal sonnent à la porte de l’appartement cossu de Michael et Dafna pour leur annoncer la pire des nouvelles : leur fils Yonathan, qui effectue son service militaire sur un poste frontière perdu au milieu du désert, vient de mourir.

Foxtrot est le deuxième film seulement de Samuel Maoz, après Lebanon, Lion d’Or à la Mostra de Venise en 2009. Il commence par un plan poignant. On y voit Dafna ouvrir la porte de son appartement, regarder effarée des visiteurs dont on ignore l’identité – sauf à avoir lu les lignes qui précèdent – et s’effondrer inanimée pour fuir l’horrible vérité qu’elle vient de deviner. Son fils est mort. C’est du moins l’annonce qu’on s’apprête à lui faire comme dans le chef d’œuvre de David Grossman Une femme fuyant l’annonce.

Sauf que … sauf que, pour qui a vu la bande annonce et lu les lignes qui vont suivre [attention spoiler], Yonathan n’est pas mort. Un soldat homonyme vient de décéder et de provoquer cette funeste erreur qui plonge Michael et Dafna d’abord dans la stupéfaction ensuite, une fois le quiproquo révélé, dans la colère. Si l’on connaît cette information, que la bande-annonce ne cache pas vraiment et que le dossier de presse expose ouvertement, notre perception du premier tiers du film en est renversée. Le chagrin des parents, dès lors qu’on le sait sans fondement, nous émeut moins.

Sans transition, le deuxième tiers du film nous conduit dans le désert auprès de Yonathan. Avec trois camarades d’infortune, il surveille un check point que ne franchissent guère que de rares véhicules et quelques dromadaires flegmatiques. Si le décor est surréaliste, c’est pour souligner combien la tâche assignée à ces conscrits l’est aussi. Jusqu’à l’incident dont le traitement a fait polémique, provoquant les critiques de la ministre Miri Regev et attirant dans les salles israéliennes un public nombreux excité par ce parfum de scandale.

Le troisième tiers du film nous ramène dans l’appartement de Michael et Dafna – comme le foxtrot, cette danse qui ramène les danseurs à leur point de départ. C’est la plus réussie. car elle repose sur une astuce de scénario que je ne dévoilerai pas. De là à dire qu’elle donne à ce film trop long, trop lent, claustrophobe et sur-signifiant, une saveur insoupçonnée, ce serait lui faire trop d’éloges. Mais cette troisième partie lui confère une épaisseur que les deux premières parties avaient échoué à lui apporter.

La bande-annonce

Senses ★☆☆☆

À Kobé de nos jours. Une amitié entre quatre femmes qui approchent de la quarantaine.
Infirmière aguerrie, Akari vient de divorcer. Femme au foyer, Sakurako vit sous la coupe d’un mari autoritaire. Fumi semble elle heureuse en ménage avec un époux qui partage sa passion pour l’art. Jun a engagé une procédure de divorce particulièrement conflictuelle.

Le bandeau qui surplombe l’affiche de Senses est trompeur. Senses n’est pas la première « série cinéma ». Son distributeur Art House avait déjà innové en distribuant en 2013 en deux volets les cinq épisodes de la mini-série Shokuzai de Kiyoshi Kurosawa. En tout état de cause, Senses n’est pas vraiment une série, comme on en voit tant aux épisodes millimétrés et au scénario rebondissant, mais plutôt un long film de plus de cinq heures découpé en cinq tableaux d’une longueur inégale.

Son résumé pourrait laisser penser qu’il s’agit d’un thriller, que son fil narratif s’organise autour de la disparition d’une des quatre héroïnes. Tel n’est pas le cas. Et sans doute ma déception est-elle née de ce malentendu. Senses est en fait un film contemplatif et lent dont il ne faut attendre ni coup de théâtre ni retournement. Il filme au scalpel quatre femmes et s’essaie à travers elles à une radiographie des rapports hommes-femmes dans un Japon encore largement patriarcal.

C’est peu dire que les rapports humains au Japon n’empruntent pas les mêmes formes que celles auxquelles nous sommes familiers en Occident. Ils y sont d’une infinie délicatesse, d’une horripilante politesse. On peut s’en étonner ; on peut en sourire, mi-gêné, mi-moqueur ; on s’y habitue au fur et à mesure que Senses progresse, filmant ad nauseam d’interminables scènes de groupes de cinq ou six protagonistes où les héroïnes, en compagnie de leurs maris, se déchirent poliment. Leur body language est aux antipodes du nôtre : le buste est immobile, les mains ne sont jamais visibles. Tout au plus, à l’acmé d’une dispute, un personnage se permet-il d’élever le ton.

Le distributeur a eu le bon goût de diviser ce film en trois épisodes d’une inégale longueur. J’invite ceux que le premier volet – qui dure à lui seul plus de deux heures – n’aurait pas convaincu à ne pas regarder les deux suivants. J’aurais dû suivre ce sage conseil ; mais j’ai imaginé que « l’action » allait démarrer. Je me suis lourdement trompé. Le rythme reste le même : catatonique. Pour autant, fidèle lecteur, n’écoute pas mon seul avis : des Cahiers du Cinéma au Monde, en passant par Libération et Les Inrocks, Senses est couvert d’éloges.

La bande-annonce