Jusqu’à la garde ★★★★

Le divorce des Besson se passe mal. Miriam accuse son mari de violence conjugale. Elle a décidé de déménager, pour se protéger et pour protéger ses enfants. Joséphine, qui fête bientôt ses dix-huit ans, et Julien qui n’en a que onze encore, refusent de revoir leur père qui réclame un droit de visite. La juge aux affaires familiales doit trancher.

La scène qui ouvre Jusqu’à la garde voit, comme l’affiche l’annonce, une juge trancher un litige. D’un côté, une femme fluette murée dans un silence hostile qui se dit victime de harcèlement. De l’autre un colosse qu’on sent prêt à exploser d’une violence mal contenue qui réclame le droit de voir son fils. Qui a le droit (aurait crié Patrick Bruel) ? Le père, tranche la juge. Hélas elle a tort.

Car, très vite, l’ambiguïté qui caractérise cette première scène magistrale disparaît. Très vite, on comprend que les craintes de cette mère traumatisée ne sont pas exagérées, que son mutisme borné n’est pas la marque d’un féminisme revanchard ou castrateur mais la carapace qu’elle s’est construite pour se protéger et pour protéger ses enfants. Très vite, on comprend que la violence sourde du mari va exploser.

La tension du film se déplace. La question n’est plus de savoir qui du mari ou de l’épouse a tort. Elle est de savoir comment la violence du mari va s’exprimer. À qui va-t-il s’en prendre ? À sa femme qu’il harcèle en espionnant ses allées et venues, en la traquant sur son téléphone ? À son fils dont il a obtenu la garde un week-end sur deux et dont il essaie par un mélange de séduction et de terreur de reconquérir la tendresse ? À sa fille que protège désormais sa maturité et la passion qui la plonge dans les bras de son amoureux pour fuir un foyer sans amour ? À lui-même dans un acte désespéré et suicidaire ?

Jusqu’à la garde n’est pas un film sur un divorce douloureux – comme l’était L’Économie du couple que j’avais élu meilleur film de l’année 2016. C’est un thriller éprouvant sur un homme violent. La tension y est irrespirable. Le film, tendu comme un arc, est insoutenable. L’envie m’a pris de quitter la salle tant l’atmosphère qu’il distille est angoissante. C’est presque avec soulagement que vient la conclusion, paroxystique, mais, à mon avis moins intelligente que le reste de ce film exceptionnel.

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Wonder Wheel ★☆☆☆

À Coney Island, la plage de New York, en juillet 1950 [je ne suis pas peu fier d’avoir retrouvé la date exacte], Ginny (Kate Winslet) vit dans l’amertume de la gloire qu’elle n’a pas conquise sur les planches. Hier actrice prometteuse, aujourd’hui serveuse exténuée, elle est mariée sans amour à Humpty (James Belushi) et s’est prise de passion pour Mickey (Justin Timberlake), un maître nageur plus jeune qu’elle avec qui elle a une liaison.
C’est alors que déboule Carolina (Juno Temple) la fille de Humpty, recherchée par la mafia, qui va s’amouracher de Mickey au grand dam de Ginny.

Deux critiques pourraient être à tort adressées à Woody Allen.
La première concerne sa vie privée qui fait à nouveau scandale, vingt ans après sa séparation fracassante avec Mia Farrow et son mariage avec la fille adoptive de celle-ci. Les faits au cœur de la polémique actuelle ne sont pas nouveaux. Ils remontent à cette époque. Ils concernent Dylan, la fille adoptive de Woody Allen et de Mia Farrow dont celle-ci reproche à celui-là d’avoir abusé alors qu’elle était mineure. Ces accusations prennent un jour nouveau avec l’affaire Weinstein, révélée au grand public par le propre fils de Mia Farrow, le journaliste Ronan Farrow.

La seconde serait de reprocher au réalisateur octogénaire de tourner en rond, en filmant encore et toujours le même film. Ce serait inférer du générique en police Winston, avec ses acteurs classés par ordre alphabétique et sa petite musique jazzy, une identité qui n’existe pas. Au contraire de Hong San-Soo, de Pedro Almodovar ou de Xavier Dolan, autant de réalisateurs qui font preuve d’une décoiffante productivité, Woody Allen ne se réfugie pas dans la facilité. Loin de s’attacher la fidélité d’un petit cercle d’acteurs abonnés à chacune de ses œuvres, il renouvelle de fond en comble son casting n’hésitant pas à solliciter de futures stars en devenir. Il ne révèle pas des talents inconnus mais il a le don pour choisir dans la jeune génération les plus séduisants. Il a ainsi dirigé Leonardo DiCaprio (Celebrity), Julia Roberts (Tout le monde dit I Love You), Will Ferrell et Chiwetel Ejiofor (Melinda et Melinda), Scarlett Johansson (Match Point, Scoop et Vicky Cristina Barcelona), Ewan McGregor et Colin Farrell (Le Rêve de Cassandre), Penelope Cruz et Javier Bardem (Vicky Cristina Barcelona), Naomi Watts et Antonio Banderas (Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu), Owen Wilson et Marion Cotillard (Midnight in Paris), Cate Blanchett (Blue Jasmine), Emma Stone (Magic in the Moonlight et L’Homme irrationnel), Jesse Eisenberg, Kristen Stewart et Blake Lively (Café Society)… Quel réalisateur peut se targuer d’un tel tableau de chasse ?!

Il faut considérer Wonder Wheel indépendamment de ces considérations et prendre le film comme il est.
Et la vérité oblige à dire qu’il n’est pas bon.

Woody Allen abandonne le terrain de la comédie pour celui de la tragédie. Il ne fait plus rire.
Il rompt avec le rythme prestissimo de ces films ramassés et débordants de vitalité pour d’interminables scènes de théâtre filmé, passées de mode depuis le prix Nobel d’Eugen O’Neil. Il fait bâiller d’ennui.
Il laisse son chef opérateur Vittorio Sotaro – qui a travaillé avec Bertolucci et Coppola – éclairer d’une lumière stromboscopique les interminables monologues de Kate Winslet. Il fait mal aux yeux.

Allez donc voir Wonder Wheel en essayant d’oublier son auteur… ou plutôt n’y allez pas et attendez son prochain en espérant qu’il soit meilleur !

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Oh Lucy! ★★★☆

Setsuko, la cinquantaine, s’ennuie à Tokyo entre son appartement et son travail. Jusqu’au jour où sa nièce Mika lui fait rencontrer John, un jeune professeur d’anglais aux méthodes hétérodoxes. Contre toute raison, Lucy s’éprend de lui et lorsqu’il rentre soudainement en Californie, décide de l’y suivre. La mère de Mika l’accompagne.

Il y a deux films dans Oh Lucy!
Le premier, à cheval entre le Japon et les États-Unis, en décrit les différences culturelles. Le premier plan du film montre une foule de Japonais, dont beaucoup arborent un masque chirurgical, massés sur un quai de métro. Un homme se détache de la foule, se précipite sous les rails du métro et se tue. La caméra se resserre sur Setsuko, notre héroïne, qui se rend à son travail sous le choc du drame dont elle vient d’être le témoin. À son bureau, tout est codifié : les relations faussement cordiales entre collègues, la déférence respectueuse affichée avec le chef de bureau.
Tout est différent lorsqu’elle rencontre John qui l’affuble d’un nouveau prénom, Lucy, et d’une perruque blonde, l’oblige à ouvrir largement  la bouche (le comble de l’inconvenance au Japon) en guise d’exercice de prononciation et la prend dans ses bras en une accolade rituelle  (« hug ») qu’affectionnent les Américains pour manifester leur sympathie mais dont la signification décontenance les sociétés chez lesquelles le contact corporel est moins spontané.

Le second film dans le film raconte la crise de la cinquantaine d’une Japonaise qui étouffe dans une vie étriquée. Le sujet est moins original. Il n’en est pas moins remarquablement traité par la réalisatrice Atsuko Hirayanagi, qui avait réalisé sur ce thème un court métrage de vingt-deux minutes trois ans plus tôt. Dans le rôle de Setsuko/Lucy, Shinobi Terajima, une star au Japon, quasi-inconnue chez nous, réussit à rendre crédible un personnage qui aurait pu ne pas l’être. Au bord de la dépression voire du suicide au début du film, elle se réveille au contact de John et décide de briser les amarres en partant à sa poursuite dans une fuite en avant à la Thelma et Louise.

En salles depuis le 31 janvier, Oh Lucy! est condamné à l’anonymat par la sortie des blockbusters Les Tuche 3, Le Labyrinthe, Cinquante nuances plus claires… Dommage

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Le 15h17 pour Paris ☆☆☆☆

Le 21 août 2015, un terroriste surarmé a voulu assassiner les passagers du Thalys 9364 entre Bruxelles et Paris. Un carnage a été évité grâce à l’intervention héroïque de trois Américains en vacances en Europe.
Le 15h17 pour Paris retrace leurs vies.

Il y a deux façons de considérer ce film. La première est d’oublier qu’il a été réalisé par Clint Eastwood et de l’exécuter en deux phrases en se bornant à constater qu’il s’agit d’un navet sans intérêt. La seconde est de ce se demander pourquoi l’un des réalisateurs les plus (sur)côtés d’Hollywood s’est engagé dans cette galère.

Quand on a appris que les trois héros du Thalys 9364 tourneraient leurs propres rôles dans le dernier film de Clint Eastwood, on a froncé un sourcil interrogateur : le réalisateur de Impitoyable et de Million Dollar Baby se lancerait-il dans le documentaire ? Il n’en est rien. Le 15h17 pour Paris, quoiqu’inspiré de faits réels, est un film. Un film comme on en a déjà vu des palanquées. Un film qui, comme aujourd’hui il est de bon ton à Hollywood, est censé être d’autant plus émouvant qu’il est « inspiré de faits réels ». Mais un film qui déroule une histoire connu d’avance au suspense éventé avec des acteurs qui, reconnaissons-leur ce mérite, abattent honnêtement leur tâche, aussi novices soient-ils.

On aurait pu concevoir que Le 15h17 pour Paris raconte en temps réel les événements qui se sont déroulés vers 18 heures entre Bruxelles et Paris à bord de ce désormais célèbre Thalys. Il n’en est rien. Comme dans Sully, le précédent film de Eastwood, qui racontait l’acte héroïque du capitaine « Sully » qui fit atterrir son avion sur l’Hudson, Eastwood ne résiste pas à la tentation du flashback psychologisant, soit que l’événement lui-même ne suffise pas à faire la matière d’un film, soit que Eastwood veuille à tout pris comprendre et expliquer comment des citoyens ordinaires en viennent à accomplir des actes qui ne le sont pas.

Du coup nous voilà propulsés dix ans plus tôt dans un collège de Sacramento où nos trois Ricains sont copains comme cochons. Vous êtes venus voir un film sur un attentat terroriste commis dans un train ? On vous sert un film américain sur Riri, Fifi et Loulou convoqués chez le proviseur pour être arrivés en retard au bahut !

Ces gentilles gamineries prennent un bon tiers du film. Mais la suite n’est guère mieux. Riri, Fifi et Loulou ont grandi. Spencer essaie non sans mal d’intégrer l’armée. Alek, lui, part se battre en Afghanistan. Quant à Anthony… on en sait pas trop ; son rôle a dû être coupé au montage. Les trois amis, qu’on imagine volontiers inséparables, décident d’aller passer du bon temps en Europe. Ils atterrissent à Rome, visitent Venise, font un crochet par Berlin et Amsterdam, et après en avoir longuement délibéré (« les Parisiens sont malpolis … oui, bon, j’aimerais quand même faire un selfie devant la Tour Eiffel »), s’en vont visiter la France. Rien de leur odyssée touristique ne nous est épargné. On imagine volontiers que Clint avait envie de visiter Rome et a demandé à la production de lui organiser un tour : Colisée, Fontaine de Trévi, Piazza di Spagna, Vatican… on se croirait à une séance de Voyages et Connaissance du monde (avec un conférencier en detox qui dans un micro grésillant décrit ses diapositives de vacances).

Enfin arrive la scène du train. Un terroriste monte dans un train. Il s’enferme dans les toilettes pour charger ses armes. Il en sort et tire sur le premier venu. Spencer lui saute dessus, l’immobilise… et c’est fini.

Je viens de vous faire économiser dix euros.

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Sugarland ★☆☆☆

L’acteur-réalisateur-scénariste australien Damon Gameau a décidé de se soumettre pendant soixante jours à un régime riche en sucre. Pas de glaces ni de bonbons. Pas de calorie supplémentaire par rapport à son alimentation habituelle. Uniquement des produits « light » : des smoothies, des céréales, des barres chocolatées… en bref des «aliments avec des fleurs, des abeilles et des couchers de soleil sur les étiquettes». L’équivalent de quarante cuillères à café de sucre par jour soit la consommation moyenne d’un Australien. Le résultat : 8.5 kg, 11 cm de tour de taille, des boutons et de la mauvaise humeur.

Sugarland se présente à la fois comme une expérience humaine et un documentaire scientifique. Les deux ont leurs limites.

L’expérience humaine, c’est celle que le réalisateur mène sur son propre corps. On partage la gêne de sa compagne à le voir transformer en cobaye. Mais on sait en même temps que l’expérience monitorée par une batterie de médecins ne tournera pas en eau de boudin. Sugarland entretient du coup un faux suspense peu convaincant.

Le documentaire scientifique est à la fois instructif et ludique. On apprend grâce à lui ses caractéristiques (glucose, fructose, saccharose…), ses effets appétissants et addictifs, son histoire (comment le gras a été diabolisé et le sucre étrangement amnistié). On le fait sur un mode très ludique qui n’est pas sans rappeler les tics de Michael Gondry : les images des scientifiques interviewés sont incrustés sur les emballages des aliments ou les portes d’un frigo, rompant agréablement la monotonie qui caractérise des documentaires plus conventionnels. C’est marrant un moment, et lassant bientôt. Le rap final qui clôt le film était sans doute de trop.

Mais surtout Sugarland a un défaut rédhibitoire. Il vient après Supersize me, le documentaire américain de Morgan Spurlock qui avait pris pendant deux mois tous ses repas au McDonald’s pour dénoncer les dangers d’une alimentation trop riche.

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Vers la lumière ★☆☆☆

Misako est audiodescriptrice : elle décrit à des spectateurs malvoyants les films qu’ils ne peuvent voir. Masaya est un photographe qui perd la vue.

On l’aura compris : le dernier film de Naomi Kawase, la réalisatrice des Délices de Tokyo et de Still the Water, interroge le regard.

Sa première scène est doublement intéressante. La jeune Misako y teste sur un panel d’une demie-douzaine de malvoyants son audiodescription d’une scène d’un film. Elle est intéressante par ce qu’elle nous montre des relations interpersonnelles au Japon : l’extrême délicatesse des compliments adressés à la jeune femme laisse bientôt percer des critiques d’autant plus blessantes qu’elles sont formulées avec une grande douceur.
Elle est aussi intéressante par le défi qu’elle lance, à nous, voyants, de nous mettre dans la peau d’un aveugle. Comment décrire la scène muette d’un film ? Faut-il rester dans la description objective des faits et des gestes au risque de la froideur ? Faut-il – comme le fait Misako et comme son panel le lui reproche – se risquer à une description plus psychologique, au risque de donner à la scène une signification qu’elle n’a pas et au risque surtout de priver le spectateur de sa liberté d’imagination ?

La question est passionnante. Mais elle ne fait pas un film. Et au bout de vingt minutes, le constat s’impose : on tourne en rond. Pour sortir de l’impasse, Naomi Kawase imagine une idylle entre l’audiodescriptrice et le photographe aveugle. Sur une musique envahissante et sursignifiante, c’est une catastrophe. Dommage.

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La Rivière rouge ★☆☆☆

Dans les années 1850, le cowboy Tom Dunson franchit la rivière rouge pour aller au Texas élever du bétail et y faire fortune. Il recueille un orphelin.
Quatorze années ont passé. Dunson a constitué un immense cheptel. Mais la Guerre de Sécession a désorganisé le marché. Pour vendre ses bêtes un bon prix, Dunson doit emmener son cheptel dans le Missouri à près de deux mille kilomètres. Mais son caractère autoritaire suscite l’hostilité croissante de ses hommes.

La Rivière rouge ressort aux Écoles 21 (le nouveau nom du Desperado). C’est un western mythique, le premier tourné par Howard Hawkes – qui réalisa ensuite La Captive aux yeux clairs, Rio Bravo et El Dorado. C’est son premier film tourné avec John Wayne et la première apparition de Montgomery Clift, une jeune révélation promise à un brillant avenir.

Mais, si l’on fait abstraction de la place qu’il occupe dans l’histoire du genre, La Rivière rouge ne mérite guère qu’on s’y arrête. Sans doute pour l’époque, son tournage en décors naturels a-t-il frappé les esprits – même si son noir et blanc en limite la majesté. On voit, dans des scènes quasi-documentaires, le troupeau franchir à gué une rivière tumultueuse ou se débander sous l’effet de la panique.

Autre scène qui a retenu l’attention des scénaristes de The Celluloid Closet (1995), un documentaire exceptionnel qui faisait l’histoire de l’homosexualité vue par le cinéma hollywoodien : celle où deux cow-boys comparent amoureusement la longueur de leur pistolet et la précision de leurs tirs (https://www.youtube.com/watch?v=GQmaLlmutlY)

Hélas, le film s’étire interminablement durant cent vingt-deux trop longues minutes. À l’issue de ce périple interminable, la caravane atteint enfin sa destination. On attend un dénouement épique, un duel au soleil façon Le Train sifflera trois fois. Bernique ! Le combat final se conclut en eau de boudin, trahissant le roman de Borden Chase dont La Rivière rouge est l’adaptation.

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Gaspard va au mariage ★★★☆

Gaspard (Félix Moati) se rend au mariage de son père (Johan Heldenbergh) qui dirige un zoo dans le Limousin. Il demande à Laura (Laetitia Dosch) de l’accompagner et de se faire passer pour sa petite amie. Il y retrouve sa sœur Coline (Christa Théret) qui vit en symbiose avec les animaux et son frère Virgil (Guillaume Gouix) qui porte à bout de bras l’entreprise familiale menacée de faillite.

Gaspard… commence comme Ce qui nous lie, le dernier Klapisch : un fils prodigue revient au foyer après une longue absence pour y retrouver sa sœur et son frère. La ressemblance est d’autant plus troublante que Félix Moati et Pio Marmai portent le même collier de barbe et présentent les mêmes syndromes adulescents. Mais la ressemblance s’arrête là. Le troisième film d’Antony Cordier, un réalisateur peu prolixe dont j’avais adoré en son temps Sueurs froides (2005), préfère au réalisme un peu planplan du dernier Klapisch l’univers décalé de Wes Anderson – comme le remarque pertinemment le critique de Télérama. Comme dans La Famille Tenebaum ou La Vie aquatique, Gaspard… met en scène une famille gentiment dysfonctionnelle, loufoquement branquignole : la mère est morte sous les dents d’un tigre – quoique les circonstances exactes de son décès varient selon celui qui les raconte – le père compulsivement infidèle ne parvient pas à convaincre la vétérinaire de l’exploitation (Marina Foïs) de la sincérité de son attachement, la sœur qui se prend pour un ours nourrit pour Gaspard une attraction incestueuse, le frère est en passe d’épouser une tatoueuse professionnelle…

Le seul personnage un tant soit peu équilibré de cette réjouissante ménagerie est Laura l’intruse. Équilibrée, elle ne l’est pourtant pas tant que cela si l’on en croit le prologue qui la voit embarquée par des altermondialistes qui s’enchaînent sur une voie ferré pour y empêcher le passage de je-ne-sais- quel convoi. Jolie comme un cœur, d’une rafraichissante spontanéité, Laetitia Dosch confirme le succès de Jeune femme – qui devrait lui valoir le 2 mars prochain le César du meilleur espoir féminin.

Comme chez Wes Anderson, l’inéluctable sortie de l’enfance est le thème principal du film d’Antony Cordier. Gaspard et sa famille doivent sortir de l’Éden originel et vivre enfin une vie d’adulte loin de ce zoo enchanteur. La décrépitude de l’entreprise familiale, vidée de ses visiteurs, menacée par une bande de chiens sauvages qui s’attaquent aux bêtes dès la nuit tombée, les y contraint. C’est pour Coline que le choc est le plus rude qui porte depuis l’enfance une peau d’ours qui fait fuir ses soupirants par son odeur pestilentielle (dommage que le film ne soit pas projeté en odorama). C’est pour Gaspard que l’épreuve est la plus facile, lui qui déjà s’était tenu à distance depuis plusieurs années de cet environnement, lui qui y a introduit avec Laura un corps étranger, lui dont on sait dès la première scène qu’il en repartira avec elle, le veinard.

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Le Poison ★★★☆

Écrivain raté, paralysé par l’angoisse de la feuille blanche, Don Burnam est alcoolique depuis six ans. Son frère et sa fiancée, d’un dévouement exemplaire, veulent l’emmener en week-end à la campagne. Mais Don parvient à échapper à leur vigilance. Il a tôt fait de dépenser les gages que son frère avait prévus pour la femme de ménage. Pour se procurer à boire, il supplie un barman, emprunte de l’argent à une amie, vole le sac à main d’une cliente d’un restaurant. Il finit même par mettre en gage sa machine à écrire. Abruti d’alcool, il chute dans l’escalier et se retrouve dans un hôpital psychiatrique en proie à une crise de delirium tremens.

The Lost Weekend fut à sa sortie en 1946 un triomphe : quatre Oscars (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario, meilleur acteur masculin), la Palme d’Or et le prix d’interprétation masculine à Cannes. Aucun film depuis lors sinon Marty en 1955 ne réussit plus le doublé Palme d’Or – Oscar.

Rien n’annonçait un tel triomphe. Billy Wilder – qui venait certes de tourner Assurance sur la mort – n’était pas encore l’immense réalisateur de Boulevard du Crépuscule, Certains l’aiment chaud et La Garçonnière. Ray Milland n’avait pas la célébrité d’un Gary Cooper ou d’un James Stewart. Surtout, le thème de l’alcoolisme flirtait avec la censure. Pour satisfaire au code Hays, Billy Wilder dut modifier la fin du roman et lui substituer un happy end convenu – qui n’est pas ce que le film a de meilleur.

Le Poison n’en reste pas moins un chef d’œuvre. Unité de temps (tout se déroule l’espace d’un week-end), de lieu (New York écrasé par la chaleur de l’été), d’action (la quête d’alcool sans cesse recommencée). Il est étonnant que le thème de l’addiction à l’alcool et de la désintoxication, si prégnant en littérature (on pense à Bukowski ou Burroughs), soit resté largement inexploré au cinéma. On pense à L’Homme au bras d’or (1955) de Preminger et, plus près de nous, à Shame (2011) de McQueen – qui ne traitait pas de l’addiction à l’alcool mais au sexe. On pense de ce côté-ci de l’Atlantique au Dernier pour la route (2009) avec François Cluzet et Mélanie Thierry, l’adaptation du roman autobiographique de Hervé Chabalier, qui avait plongé dans l’alcool et avait non sans mal réussi à en revenir.

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Centaure ★☆☆☆

Centaure s’est marié sur le tard. Sa femme qu’il chérit est sourde et muette. Son fils, âgé de quatre ans seulement, tarde à parler. Projectionniste jusqu’à la fermeture de la salle de cinéma qui l’employait, il est désormais manœuvre sur les chantiers.
Centaure nourrit surtout une passion ardente pour les chevaux. En bon Kirghiz qu’il est, il croit aux légendes traditionnelles qui en font l’inséparable compagnon de l’Homme. Ce lien symbiotique est en passe d’être rompu par la vie moderne.
Centaure ne supporte pas de les voir en captivité. À la nuit tombée, il se glisse dans les haras pour libérer les pur-sangs que les nouveaux riches achètent à prix d’or pour parader dans les concours.

Vous aimez les chevaux ? Vous êtes en mal d’exotisme ? Le cinéma d’Asie centrale exerce sur vous une fascination cachée ? Courez voir Centaure, un film où, comme le laisse escompter son affiche, des chevaux montés à cru caracolent sur la  steppe kirghize sur fond de montagnes enneigées.

Quant aux autres, ceux qui n’aiment pas les chevaux, ceux que l’exotisme n’excite pas, ceux qui peinent à situer le Kirghizstan sur la carte compliquée de l’Asie centrale, abstenez-vous.

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