Blackbird, Blackberry ★★☆☆

Orpheline de mère, longtemps étouffée par un père et un frère possessifs, Ethero a désormais près de cinquante ans. Elle tient seule une petite épicerie dans un village reculé de la Colchide géorgienne. Après un accident en montagne, qui manque l’emporter, sa vie change du tout au tout. Restée vierge jusqu’alors, elle se donne sans préavis à Mourmane, le routier qui livre chaque semaine son magasin, et connaît dans ses bras ses premiers émois amoureux.

Elene Naveriani est une jeune cinéaste géorgienne installée en Suisse. Blackbird, Blackberry, adapté d’un roman géorgien, est son troisième film. Je n’ai pas vu les deux premiers dont je ne suis pas sûr qu’ils soient sortis en salles en France.

J’espère que mes amis géorgiens ne se formaliseront pas que j’utilise le mot exotisme pour en parler. Exotisme d’une langue que je n’avais pas réussi à reconnaître en regardant la bande annonce. Exotisme des paysages. Exotisme des situations dans un pays où, nous dit la réalisatrice non binaire, le patriarcat impose encore sa loi et où le féminisme peine timidement à s’exprimer.

Ethero est « une féministe instinctive » raconte la réalisatrice. Sans bagage intellectuel, elle prend néanmoins conscience de la minorisation dont elle a été victime toute sa vie durant [cette phrase ! Judith Butler, sors de ce corps !]. Son éveil tardif à la sexualité et à l’amour la conduit à reconsidérer ses priorités. Paradoxalement, c’est l’ombre de la mort qui plane bientôt sur elle.

Elle m’a fait penser à l’héroïne de Bagdad Café, ce film devenu bizarrement culte grâce à sa musique languissante et au physique atypique de son héroïne, la gironde Marianne Sägerbrecht.

La conclusion de Blackbird, Blackberry est surprenante. et pourtant parfaitement logique. Elle clôt le film et, en même temps, laisse ouvertes plusieurs interrogations plus stimulantes les unes que les autres.

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Jeunesse (le printemps) ★☆☆☆

Il faut attendre trois heures et trente-cinq minutes pour qu’un carton final nous renseigne : l’action de Jeunesse se déroule à Zhili, une cité-dortoir à une centaine de kilomètres de Shangaï, dans le delta du Yangtze qui s’est spécialisée dans la confection textile pour enfants. Les employés qui y travaillent par milliers sont des jeunes hommes et des jeunes femmes originaires des provinces pauvres de la Chine de l’intérieur.

Wang Bing est un documentariste chinois. Ses œuvres sont d’une envergure monumentale. Je l’ai déjà évoqué dans les critiques précédentes que j’en ai faites : À l’Ouest des rails, une enquête ethnographique chez les ouvriers d’un complexe sidérurgique de Mandchourie en cours de démantèlement, durait 9h11 (sic). Un autre documentaire de Wang Bing, À la folie, tourné dans un asile psychiatrique, durait 3h47. En 2017 Wang Bing avait déjà planté sa caméra à Zhili pour filmer Argent Amer qui durait 2h36 seulement. J’écrivais fort doctement – et pourrais le réécrire sans y changer un mot : « La durée interminable des documentaires de Wang Bing n’est pas anodine. Si ses films durent si longtemps c’est parce que leur réalisateur veut rendre physiquement tangible chez le spectateur l’immersion physique dans son univers ».

Il faut donc prendre son élan – et ne pas oublier un détour par les toilettes – avant de se lancer dans un film de Wang Bing. Jeunesse, je l’ai dit, dure 3h35. Encore est-ce le premier volet d’un triptyque dont la durée totale annoncée excèdera les neuf heures.

Qu’y voit-on ? Des jeunes gens, d’une vingtaine d’années, qui travaillent dans des ateliers de confection. Il s’agit de micro-entreprises familiales. Le patron au rez-de-chaussée réceptionne le tissu et opère une première coupe. Une dizaine d’employés à l’étage assurent la couture. Ils sont logés dans des dortoirs dans les étages supérieures. La caméra les y filme dans leur quotidien.
On pourrait imaginer se retrouver chez Dickens, dans une industrie déshumanisée, avec des cadences d’enfer, des contremaîtres sadiques, des conditions de vie misérables. Ce n’est pas le cas. Il règne dans ces petites communautés bruyantes une ambiance joyeuse. Qu’on ne se méprenne pas : pas d’ambiance Freude durch Arbeit dans les ateliers chinois comme dans les camps de concentration nazis de sinistre mémoire, mais plus naturellement la conséquence naturelle de la cohabitation gentiment bordélique d’une dizaine de garçons et de filles d’une vingtaine d’années réunis par le hasard du recrutement et par une joyeuse confraternité.

Ce qui m’a frappé est la relation très fluide que garçons et filles entretiennent. Ils coexistent dans une mixité sans tension, sans domination patriarcale, sans enjeu. Des couples se forment – on n’évoque en revanche guère ceux qui se défont – caressent le projet de se marier et d’avoir des enfants, malgré les obstacles qui se dressent devant eux.

Jeunesse est constitué d’une dizaine de séquences d’une vingtaine de minutes chacune. Elles se déroulent dans l’un des ateliers où Wang Bing a été autorisé à tourner – on se demande avec quelle inconscience leurs patrons ont donné leur accord pour un résultat qui n’est guère à leur avantage et on se dit aussi que la censure chinoise est décidément bien laxiste pour laisser projeter de tels témoignages qui ne sont guère à l’honneur de l’Empire du milieu. Leur défaut est d’être bien répétitives. À chaque fois, c’est le même décor qu’on retrouve, les mêmes personnages et les mêmes enjeux minuscules. L’un des rares éléments de tension scénaristique est la négociation des salaires qui se déroule dans une étonnante informalité, autour du patron et d’une calculatrice.

Jeunesse aurait été passionnant s’il avait duré une heure trente. Mais je ne comprends pas l’intérêt d’en étirer le propos pendant plus de trois heures. Et a fortiori pendant neuf heures pour ceux qui, comme moi, auront le masochisme d’aller voir les deux volets suivants.

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Le Plongeur ★☆☆☆

Stéphane a dix-neuf ans. Il est inscrit à Montréal en école de design. Mais son addiction au jeu le coupe progressivement de sa famille et de ses amis et le laisse sans le sou. Sa seule planche de salut : le poste de plongeur qu’il a trouvé dans une trattoria.

Nous vient du Québec l’adaptation d’un roman qui y parut en 2016 et y fit grand bruit – tout en demeurant quasi inconnu de ce côté-ci de l’Atlantique. Son action se déroule au début des années 2000. Épais ouvrage de près de cinq cents pages, Le Plongeur est à la fois le roman d’une génération, une comédie romantique, un thriller et un documentaire dans les cuisines d’un restaurant gastronomique. Le défaut du film de Francis Leclerc est de lui être trop fidèle. Le résultat est un curieux bric-à-brac qui manque de rythme.

Son héros a beau avoir des faux airs de Timothée Chalamet, il n’a pas le talent instinctif d’un DeNiro ou d’un Pacino. Sa plongée dans les bas-fonds de Montréal a beau loucher vers les films de Scorsese, elle n’en a pas le souffle.

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Bonnard, Pierre et Marthe ★★☆☆

Pierre Bonnard (1867-1947) fut longtemps éclipsé auprès du grand public par des peintres plus illustres : Van Gogh, Renoir, Gauguin, Cézanne, Monet, Manet… Depuis une vingtaine d’années, sa cote monte avec les grandes expositions qui lui sont consacrées à Orsay, à Tokyo, à la Tate Modern. Il quitte la deuxième division où ses amis nabis (Sérusier, Vuillard, Vallotton, Denis…) sont encore relégués, pour rejoindre la première. La preuve en est peut-être ce biopic qui lui est consacré.

Son réalisateur est Martin Provost. En 2008, son Séraphine accumula les récompenses (César du meilleur film, de la meilleure actrice pour Yolande Moreau, du meilleur scénario original…) et fit découvrir au grand public une artiste méconnue. Il consacra un autre film à une écrivaine, guère plus connue, Violette Leduc.

Martin Provost est à l’aise dans le biopic historique. Trop peut-être. Il joue sur du velours avec un sujet en or et des acteurs de premier plan : Vincent Macaigne, la tignasse enfin assagie, Cécile de France dont j’ai déjà eu ici souvent l’occasion de dire l’admiration éperdue que je lui voue et des seconds rôles aux petits oignons, à commencer par celui d’Anouk Grinberg, parfaite dans le personnage perché d’une pianiste polonaise excentrique, sans oublier André Marcon qui campe un Monet plus vrai que nature et Grégoire Leprince-Ringuet qui joue Vuillard sans qu’on montre jamais hélas une seule de ses œuvres.

Le film prend le parti, comme son titre l’indique, de raconter la vie de Bonnard à travers l’histoire de sa liaison avec Marthe. Il la rencontre, toute jeune, dans la rue, en 1893 mais refuse de la présenter à sa famille. Il l’épouse en août 1925 seulement et découvre à cette occasion qu’elle lui avait menti sur ses origines et sur son patronyme : loin d’être une aristocrate italienne orpheline comme elle l’avait prétendu, Maria Boursin de son vrai nom est issue d’une modeste famille du Berry qu’elle a toujours cachée par honte de classe.

Marthe fut la muse de Bonnard. Avec elle, dès 1893, il ose le nu. Elle apparaît, réaliste ou stylisée, dans quantité de ses toiles.

Mais outre que leur relation fut longtemps tenue secrète, Marthe est d’une santé fragile. Pour elle, Bonnard quitte de plus en plus souvent Paris pour la Roulotte, une petite maison des bords de Seine près de Vernon, et pour la province où Marthe fait des cures. Par sa faute, il se coupe de ses amis parisiens.

Le film explore l’intimité du couple autant sinon plus qu’il ne décrypte les toiles qu’il inspira. Si on sait que Bonnard eut plusieurs liaisons, le film de Martin Provost n’en évoque qu’une : celle que le peintre entretint pendant plusieurs années avec Renée Monchatty (Stacy Martin), une jeune artiste de vingt-sept ans sa cadette. Il fantasme une relation triangulaire que la biographie officielle de l’artiste ne cautionne pas.

Bonnard, Pierre et Marthe est un film paradoxalement sage. Il raconte la vie d’un peintre hédoniste. Il ne cache rien de sa liaison tumultueuse et créatrice avec sa muse. Mais son déroulé platement chronologique, ses deux longues heures au rythme pépère lestent le film d’un académisme convenu.

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Munch ★☆☆☆

Edvard Munch (1863-1944) est une célébrité nationale en Norvège, l’équivalent dans ce petit pays de cinq millions d’habitants à peine, indépendant depuis une centaine d’années seulement, de Shakespeare en Angleterre, Goethe en Allemagne, Cervantès en Espagne. Son Cri – ou plutôt ses Cri car il en existe cinq versions – est devenu iconique.
En 1974, Peter Watkins tourna un film de près de quatre heures qui faisait jusqu’à ce jour référence. Il se focalisait sur la jeunesse de Munch.

Près d’un demi-siècle plus tard, un réalisateur norvégien s’attaque à cette gloire nationale. Son parti pris est radical et rappelle celui de Todd Haynes pour raconter la vie de Bob Dylan. Évoquer quatre chapitres de sa vie – une déception amoureuse pendant des vacances estivales durant sa jeunesse en 1885, son séjour à Berlin en 1892 et le refus qui lui y fut opposé d’exposer ses œuvres au motif qu’elles auraient été « inachevées », son séjour à Copenhague en hôpital psychiatrique en 1908-1909, son refus de collaborer avec l’occupant nazi dans les dernières années de sa vie à Oslo – en faisant interpréter son rôle par quatre acteurs – parmi lesquels, l’identifierez-vous ?, une femme.
L’audace est accrue par le choix de transposer l’épisode berlinois à l’époque actuelle, avec téléphones portables et drogues en tous genres.

Le résultat est déconcertant. Les spectateurs bon teint que cette biographie autorisée avait attirés, plus habitués aux salles d’expositions d’Orsay qu’aux festivals de films scandinaves, ont probablement été déconcertés par les lumières stroboscopiques des boîtes berlinoises. Ils n’imaginaient pas que Munch fût si punk.

Comme souvent dans les biographies consacrées à un artiste, qu’il s’agisse d’un peintre, d’un écrivain ou d’un chanteur, on ne le voit pas assez à l’œuvre. On parle beaucoup de sa vie privée, de ses tourments intérieurs, sans évoquer les problèmes très concrets qu’il a rencontrés pour créer, pour se vendre et pour devenir célèbre. Le défaut est accentué par le parti retenu qui éclate la vie de Munch en quatre épisodes, sans lien les uns avec les autres. Certes, le procédé qui joue à saute-mouton avec les époques – sans qu’on comprenne d’ailleurs toujours la logique de ce montage éclaté  – a l’avantage de prévenir toute monotonie. Mais il prive, à mon sens, Munch et son œuvre de toute cohérence : qu’y a-t-il de commun entre le fougueux jeune homme de 1885, l’ivrogne en convalescence de 1908 et l’atrabilaire vieillard de 1943 ?

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Amours à la finlandaise ★★☆☆

Juulia (Alma Pöysti, en tête d’affiche des Feuilles mortes), une députée qui aspire à prendre la présidence de son parti avant peut-être d’entrer un jour au Gouvernement, et Mattias, pasteur protestant élevé dans une éducation rigoureuse, forment un couple aimant. Mais leur belle entente se fissure quand Juulia découvre que son mari entretient depuis un an une relation adultère. La stupéfaction le cède bientôt à la colère avant de laisser place au désir de fonder leur relation sur de nouvelles règles : le polyamour.

On aurait tort de résumer le cinéma finlandais aux seuls films de Kaurismäki. Le géant taciturne et ses oeuvres si immédiatement reconnaissables ont le défaut d’éclipser le reste de la production nationale. J’aurais bien du mal à citer d’autres films finlandais que j’aurais vus ces dernières années : Compartiment n° 6, Any Day Now, Pulse, L’Etrange histoire du coupeur de bois, Tom of Finland….

Ces Amours n’ont rien de typiquement finlandais, sinon peut-être la langue si mystérieuse parlée par leurs personnages et l’absence de hiérarchie des relations sociales (imaginerait-on en France une députée cheffe de parti embrasser à bouche que veux-tu une drag queen dans une boîte de nuit ?). Cette histoire pourrait tout aussi bien se dérouler dans n’importe quel pays d’Europe, à l’exception de ceux, mais en existe-t-il encore, où la morale la plus pudibonde s’immisce dans l’intimité des chambres à coucher.

Le triangle amoureux, qui se transforme bientôt en rectangle sinon en pentagone, pourrait sembler bien improbable. On pourra à bon droit reprocher au film de céder à la facilité dans sa façon de se conclure. Pour autant, l’histoire reste crédible. Elle n’a rien de comique sinon précisément dans ses dernières scènes. Au contraire – et c’est là peut-être précisément où le film porte l’héritage de ses origines – elle est lestée d’une gravité toute nordique.

Tout y est aussi profondément empathique. Ce qui fait la qualité du film est la chaleur et la sincérité des relations humaines qui s’y jouent, sans jamais sombrer dans la mièvrerie. Deux écueils menaçaient cette histoire (comme ils menaçaient un autre film sorti cette semaine, Iris et les hommes) : l’excès de grivoiserie ou, à rebours, de bien-pensance, l’éloge de la polygamie ou celle de la monogamie. Intelligemment, là où le film français était trop binaire – si on ose dire – le film finlandais trouve un juste équilibre, un « en même temps » qui, aussi décrié soit-il en ces temps d’anti-macronisme hystérisé, est finalement la solution la plus intelligente qui soit.

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Dream scenario ★☆☆☆

Paul Matthews (Nicolas Cage) est un scientifique raté qui végète dans une petite université où il enseigne sans passion la biologie. Sa vie bascule du jour au lendemain suite à un phénomène étrange qui lui attire une gloire soudaine. Une foule d’individus, plus ou moins proches de lui, le voient apparaître dans leurs rêves.

Dream Scenario repose sur un pitch délirant. C’est sa plus grande qualité. Hélas, c’est quasiment la seule. L’autre, bien sûr, c’est l’interprétation à contre-emploi de Nicolas Cage en quinquagénaire chauve, bedonnant et mal fringué [toute ressemblance avec l’auteur de ces lignes serait purement fortuite] qui aurait pu être l’une des plus grandes stars de son temps, du niveau d’un Jack Nicholson ou d’un Dustin Hoffmann, s’il n’avait gâché son talent dans une kyrielle de films dispensables.

Le réalisateur de Dream Scenario est norvégien. On lui doit Sick of Myself, sorti en France le printemps dernier. Si je le mentionne, ce n’est pas pour étaler ma science ni pour recopier la notice d’IMDb. C’est parce que les deux films se ressemblent. Ils partagent un même pitch étrange – l’héroïne de Sick of Myself contracte pour attirer l’attention sur elle un eczéma monstrueux – et une même critique sous-jacente de nos sociétés contemporaines. L’un comme l’autre en effet ont un sous-texte politique : les réseaux sociaux et la visibilité qu’ils permettent produisent à la fois de l’anomie et de la surexposition. Pour le dire autrement : comme les zèbres qu’évoque Paul Matthews à ses étudiants, nous sommes tous tiraillés entre le souci de rester invisibles et le désir de sortir du lot.

Ce sous-texte là n’est pas sans intérêt. Mais il est un peu lourdaud. Et surtout, une fois décrypté, il n’y a pas grand chose à en tirer.
C’était déjà le défaut de Sick of Myself. C’est aussi le piège dans lequel tombe Dream Scenario. Pour des motifs qui resteront obscurs – et que la logique peine à comprendre – la soudaine célébrité de Paul Matthews, qui flattait secrètement son orgueil et cautérisait les plaies ouvertes par les humiliations dont il avait longtemps été victime, se mue bientôt en vindicte populaire. Le héros devient paria. Le film raconte l’inexorable délitement de sa vie qui s’achèvera… en France. Mais j’en ai déjà trop dit !

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Priscilla ★☆☆☆

Lorsque Priscilla Beaulieu rencontre Elvis Presley en 1959, sur une base américaine en Allemagne où le chanteur effectue son service militaire, il est déjà une star adulée alors qu’elle n’est encore qu’une collégienne de quatorze ans. Leur flirt s’interrompt avec le retour d’Elvis aux Etats-Unis quelques mois plus tard ; mais en 1962 Priscilla est invitée à Graceland et arrachera à ses parents l’accord pour s’y installer l’année suivante.
Si Priscilla jouit à Graceland d’un statut de princesse, elle étouffe vite auprès d’Elvis qui ne lui laisse aucune liberté et la gave de barbituriques. Après leur mariage et la naissance de Lisa, leur fille unique, Priscilla décide de quitter Graceland en 1972 après neuf ans de vie commune.

C’est peu dire que la sortie de Priscilla était impatiemment attendue. Le film, depuis sa projection à Venise, où son actrice principale, la révélation Cailee Spaeny, avait obtenu la Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine, était précédé d’une rumeur enthousiaste. La renommée de sa réalisatrice y était pour beaucoup. Depuis vingt-cinq ans, Sofia Coppola a réussi à se faire un prénom. Son dernier film est très cohérent avec le reste de sa filmographie : comme Virgin Suicides, Lost in Translation ou Marie-Antoinette, Priscilla raconte l’adolescence, le luxe, la solitude et l’ennui.

Certes Priscilla séduira la ou le fashionista qui se terre en chacun.e d’entre nous : Sofia Coppola a le don – ou le défaut ? – de filmer certaines de ses scènes comme des pubs de produits de marque qui subliment les bijoux, les sacs à main, les chaussures, les ensembles…

Mais Priscilla se heurte à un écueil redoutable : raconter paresseusement une histoire jouée d’avance, sans enjeu ni suspense. On sait que Priscilla est une oie blanche, trop jeune et trop timide pour se marier qui, passé l’émerveillement ressenti devant tout ce luxe désormais accessible (ah ! ces petits pieds aux ongles vernis qui s’enfoncent dans cette moquette rose si profonde !), va s’ennuyer ferme dans une prison dorée. On sait aussi qu’Elvis est un grand dadais immature, étouffé par son père et son impresario, écrasé par sa soudaine célébrité, qui n’imagine pas que sa femme puisse revendiquer la moindre liberté. Le film évoque sans y insister et avec beaucoup de doigté – sans que je sache si cette dimension a déjà été révélée dans les (nombreuses) biographies du King – son homosexualité refoulée.

Le film aurait pu emprunter d’autres voies plus audacieuses. Il aurait pu tourner au thriller en évoquant les tentatives ratées de Priscilla de s’enfuir, voire au porno trash, en décrivant une jeune femme avilie par les délires sexuels de son seigneur et maître. Mais Priscilla est bien trop sage. On s’y ennuie ferme et on accueille avec soulagement la séparation du couple, longtemps attendue et trop longtemps différée.

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Voyage au pôle sud ★☆☆☆

Écologue de formation, Luc Jacquet est un documentariste français qui a acquis une renommée mondiale grâce à son tout premier film, La Marche de l’empereur, sorti en 2005.
La cinquantaine bien entamée, il raconte à la première personne l’irrésistible attraction qui le lie à l’Antarctique et à ses curieux habitants.

Voyage au pôle sud a bien entendu une qualité indiscutable : ses paysages grandioses, filmés grand angle, qu’il faut absolument voir sur grand écran pour les apprécier à leur juste mesure. Luc Jacquet choisit de les filmer en noir et blanc. La raison en est sans doute qu’ils sont ainsi plus majestueux encore. Il faudrait pondérer leur beauté des difficultés techniques et humaines difficiles à imaginer que leur tournage a probablement rencontrées.

Mais cette qualité esthétique est hélas la seule d’un documentaire dont le sujet et surtout le traitement suscitent une irritation croissante. Très narcissiquement, Luc Jacquet s’y met seul en scène. On le voit, marchant solitaire sur la banquise, ou au milieu des manchots empereurs qui ont fait sa célébrité. Ces images, qu’on croirait tout droit sorties d’Instagram, sont lestées d’une voix off qui pèse des tonnes où l’omniprésent réalisateur d’une voix sentencieuse nous assène des vérités définitives sur le sens de la vie et l’état de notre planète : « Tout nous dépasse, le temps, les forces en présence », « Qu’il est apaisant de pouvoir vivre sans les animaux sans leur faire peur ! ».
Sur ce dernier point, ma plume fielleuse s’égare : ce Voyage n’est pas lesté du prêchi-prêcha écologiste que la plupart des documentaires animaliers se sentent obligés de s’adjoindre. Mais son contenu est si plat, si fat, qu’on en viendrait presque à le regretter.

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Iris et les hommes ★☆☆☆

Iris Beaulieu (Laure Calamy) s’étiole. Son mari (Vincent Elbaz), accro au boulot, ne la touche plus. Sa vie a beau être sans nuages – un métier prenant, deux filles merveilleuses, un splendide appartement haussmannien dans le centre de Paris – Iris, la quarantaine, s’ennuie. Sur le conseil d’une amie, elle s’inscrit sur un site de rencontres en ligne. C’est le début d’une nouvelle vie…

En 2020, Antoinette dans les Cévennes avait tout raflé : 900 000 entrées, le César de la meilleure actrice… Caroline Vignal et Laure Calamy reforment ce duo gagnant et le rappellent sur l’affiche du film, espérant ainsi rafler le même succès.

Hélas, si les mêmes ingrédients sont rassemblés – une tête d’affiche toujours aussi tonique, des situations souvent drôles dans lesquelles chacun et chacune se reconnaîtront, une morale gentiment consensuelle (« l’important c’est de se retrouver ») – la recette fonctionne mal.

La raison en est qu’on sait par avance où le film, bien sage, nous conduira. Dès le départ, tout est écrit : Iris s’ennuie et les rencontres qu’elle fera n’ont d’autres fonctions que de la désennuyer. La règle est affichée – elle ne quittera pas son mari – et elle est fidèlement tenue. Tout ce qui se passe entre le postulat de départ et le point d’arrivée est donc ravalé au rang de péripéties plus ou moins savoureuses, sans tension ni enjeu.

On bute alors sur le second défaut du film. Cette succession de rencontres, où vient s’intercaler un numéro de comédie musicale au rythme endiablé du célèbre It’s Raining men bizarrement traduit en français, est plus ou moins drôle. Est-elle censée représenter l’échantillon moyen des rencontres qu’une quadragénaire parisienne est supposée faire sur Meetic : un dépressif trop collant, un Dom Juan prétentieux, un métis terriblement séduisant, un fétichiste vaguement inquiétant, un post-ado en mal de cougar ? Rassurez-vous (ou désespérez-vous) : aucune de ces rencontres ne violera le code Hays et ne mettra notre vaillante héroïne en danger [on peut légitimement se demander si la façon dont elle rembarre son harceleur est une dangereuse minoration des violences sexuelles dont les femmes sont victimes ou tout simplement la réaction la plus saine et la plus pertinente à avoir dans de telles situations].

Une seule pépite sauve l’ensemble du naufrage : le rôle hilarant tenu par l’assistante médicale d’Isis (Suzanne de Baecque) dont la réaction à la dick pic qui s’affiche sur le portable de sa patronne restera le moment le plus drôle du film.

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