La Passagère ★★★☆

Chiara (Cécile de France) a 45 ans. Belge d’origine, elle a suivi Antoine, un marin pêcheur, sur son île et partage depuis vingt ans sa vie laborieuse. Elle prend sur son bateau un apprenti, Maxence (Félix Lefebvre), dont elle tombe amoureuse contre toute raison. Profitant de l’absence de son mari parti défendre à Londres les intérêts de sa profession, elle a une liaison avec lui qui a tôt fait de s’ébruiter dans la petite communauté insulaire.

Faut-il y voir un effet de mode ? La « cougar » est en train de devenir un personnage de cinéma : Emma Thompson dans Mes rendez-vous avec Léo, Fanny Ardant dans Les Jeunes Amants , Isabelle Huppert dans Souvenir, Naomi Watts et Robin Wright dans Perfect Mothers (adapté d’une courte nouvelle de Doris Lessing) campent des femmes dans la force de l’âge, séduisantes en diable, qui à rebours des règles d’une société qui ne le tolère guère, vivent librement leur sexualité.

Le thème est l’occasion parfois de sorties de route malaisantes : 20 ans d’écart avec Virginie Efira, MILF… Mais La Passagère évite ces dérapages. C’est au contraire un film d’une étonnante justesse qui rompt avec le male gaze graveleux à travers lequel la cougar est trop souvent fantasmée. En témoignent les scènes de sexe qui, contrairement à l’usage, filment l’orgasme féminin – autant que je le connaisse – avec une rare authenticité.

La Passagère est porté par Cécile de France. Obnubilé par Anaïs Demoustier et Virginie Efira, je ne chante pas suffisamment les louanges de cette immense actrice que j’avais découverte il y a vingt ans dans L’Auberge espagnole et que je retrouve à chacun de ses films avec ravissement. Elle tient le rôle principal du Gamin au vélo des frères Dardenne qui figure dans mon panthéon, juste en-dessous de La La Land et des Parapluies de Cherbourg.
Elle n’a jamais été aussi belle que dans Möbius, aussi touchante que dans Mademoiselle de Joncquières. Elle n’a jamais été aussi vraie que dans cette Passagère.

Une fois le scénario sur ses rails, il n’existait guère que deux façons pour lui de se conclure. Soit Chiara et Antoine s’autorisaient à vivre au grand jour leur passion (hypothèse assez improbable), soit (hypothèse la plus probable), la raison l’emportait et après une folle idylle, le jeune homme quittait l’île et son amante revenait à son mari – qu’elle n’avait d’ailleurs jamais cessé d’aimer.
L’intelligence de La Passagère est d’imaginer une troisième issue, qui n’est pas moins crédible que les deux précédentes, mais qui est tout aussi riche de sens.

La bande-annonce

Caravage ★☆☆☆

1609. Le Caravage (Riccardo Scamarcio) a fui les États pontificaux où il vient d’être condamné à mort par contumace pour le crime de Ranuccio Tomassoni. Il bénéficie de la protection de la marquise Colonna (Isabelle Huppert). Il espère obtenir la grâce du pape pour revenir à Rome. Mais avant de la lui accorder, Paul V missionne un prêtre de la Sainte-Inquisition (Louis Garrel) pour enquêter sur le passé controversé du peintre.

Michele Placido, l’une des personnalités les plus intéressantes du cinéma italien, réalise enfin un projet qui lui tenait à cœur : raconter la vie du peintre Le Caravage, dont la personnalité sulfureuse et le naturalisme des compositions firent scandale. Pour ce faire, renouant avec une tradition qu’on croyait disparue depuis les 70ies, il a coproduit son film avec la France et convoqué plusieurs acteurs français – qui se débrouillent, ma foi, fort bien en italien : Isabelle Huppert, sa propre fille Lolita Chammah, Louis Garrel….
Il livre une fresque haute en couleurs qui rend hommage au peintre et à ses oeuvres. Si on ne le voit pas peindre, on voit ses peintures et les plus connues d’entre elles : David avec la tête de Goliath, Méduse, L’Amour victorieux, La Conversion de Saint Paul, La Mort de la Vierge, dont les pieds nus et le corps trop humain déplurent au Pape, etc.

La vie du Caravage est racontée sous la forme de flashbacks, à partir des témoignages recueillis par l’enquêteur de la Sainte-Inquisition auprès de ceux qui l’ont connu : la marquise Colonna, mais aussi le cardinal Del Monte (interprété par Michele Placido en personne) et le peintre Baglione, un maniériste qui compta au rang de ses ennemis.

Riccardo Scamarcio incarne avec une fougue électrisante ce personnage dévoré de génie. En revanche, Louis Garrel, la mâchoire serrée, le regard sombre, s’enferre dans un rôle sans relief, à la limite de la caricature.

Aussi stimulant que soit son sujet, aussi pédagogique qu’en soit la présentation, Caravage souffre de son académisme. Très vite on en a fait le tour et on a compris son enjeu : la vie d’un homme qui n’était en rien un hérétique ou un perverti mais qui entendait révolutionner la peinture en la rapprochant du réel et a osé prendre pour modèle de saints ou de madones des gueux et des prostituées.

La bande-annonce

Les Banshees d’Inisherin ★★☆☆

Pádraic le bouvier (Colin Farrell) et Colm le ménétrier (Brendan Gleeson) étaient jusqu’à peu les meilleurs amis au monde. Chaque jour, à quatorze heures, ils partageaient en devisant une pinte de bière au minuscule pub de l’île d’Inisherin qui les avait vus naître et qui les verrait mourir. Mais, un beau jour d’avril 1923, en pleine guerre civile irlandaise, Colm rompt cette routine et demande à Pádraic de le laisser tranquille. Cette brutale décision stupéfie Pádraic qui cherche à en comprendre la cause.

Les Banshees d’Inisherin repose sur un argument très simple qu’on croirait tout droit emprunté au théâtre de l’absurde de Beckett ou de Pinter : deux amis soudainement se brouillent. La bande-annonce est un petit bijou du genre pour mettre en place cette intrigue en faisant répéter par tous les personnages du film la question qui ronge Pádraic : « sommes-nous fâchés ? » (« are we rowing? »).

Le problème du film est de se réduire à ce pauvre argument. Je reconnais qu’il le fait sur le fond des splendides paysages des îles d’Aran, publicité ultra-référencée pour des vacances dépaysantes et oxygénées sur la côte ouest de l’Irlande. Il le fait aussi avec d’excellents acteurs : Collin Farrell, qui en deux mimiques et sans une parole joue tout à la fois l’incompréhension, la consternation et la tristesse, Brendan Gleeson, incarnation vivante de l’ingratitude, sans oublier les excellents personnages secondaires interprétés par Barry Keoghan (Dunkerque, Mise à mort du cerf sacré) et Kerry Condon.

« De l’importance d’être gentil » Mais son argument se réduit à vraiment trop peu. Tout est dit dans une discussion au pub entre les deux héros : quelle est la meilleure façon de vivre sa vie ? en discutant gentiment avec son meilleur ami autour d’une pinte de bière, quitte à y perdre son temps ? ou en se consacrant solitairement à la construction d’une oeuvre et au legs d’un héritage, comme Colm ambitionne soudainement de le faire ?
Une autre lecture du film est possible, plus dramatique. Elle insiste sur la lente évolution de Pádraic en réaction à l’hostilité de Colm. Son personnage, bon comme le pain, à la limite de l’idiotie, devient de plus en plus violent. La gentillesse le quitte.
On peut également en faire une troisième : une lecture métaphorique de la Guerre civile irlandaise qui corrompt les amitiés les plus solides.

On me dira que le film n’est pas si pauvre, qui peut se prêter à autant d’interprétations. Peut-être. Il n’en reste pas moins que j’en ai été déçu par rapport à mes attentes, le grand bien qu’on en dit et les Oscars qu’on lui promet après ceux qu’a déjà emportés son réalisateur Martin McDonagh pour Three Billboards.

La bande-annonce

Vivre ★★☆☆

Sans jamais déroger à ses habitudes, Mr Williams, un gentleman d’une cinquantaine d’années, prend chaque matin le train de banlieue pour Londres. Il y dirige le bureau des Travaux publics de la municipalité. Les cinq fonctionnaires placés sous ses ordres y font régner une routine administrative qui ne connaît aucune dérogation : dès qu’un dossier soulève une difficulté, il est soigneusement mis de côté.
Mais la vie monotone de Mr Williams est remise en cause par la funeste nouvelle que lui confirme son docteur : un cancer incurable lui laisse à peine quelques mois à vivre. Que faire de ce temps qui reste pour donner un peu de sens à une vie qui n’en avait guère ?

Ce film d’Oliver Hermanus est une entreprise déroutante. C’est la reprise, quasiment à l’identique, du film de Kurosawa de 1952. Tout y est : le même héros engoncé dans une routine étouffante et brutalement confronté à la finitude de sa vie, la même époque, celle de l’immédiat après-guerre, les mêmes administrations courtelinesques aux procédures déshumanisantes contre lesquelles vient se fracasser un collectif de femmes qui souhaitent la transformation d’un espace désaffecté en aire de jeux. Mr Williams déploiera exactement les mêmes stratégies que M. Watanabe face à la mort inéluctable : il partagera une nuit de beuverie avec un écrivain dans une station balnéaire, il prendra le thé avec une jeune employée de son service dont la fraîcheur le touche, il sacrificiera ses dernières forces à réaliser l’aire de jeux qui s’était jusqu’alors heurtée à l’inertie de son administration. Cette dernière entreprise nous est révélée dans le film de Kurosawa comme dans son remake par une série de récits racontés sous forme de flashbacks par les participants à ses funérailles.

Pourquoi faire le remake d’un chef d’oeuvre ? Psycho de Gus Van Sant, West Side Story de Steven Spielberg…. à chaque fois la même question se pose. Et les mêmes réponses peuvent y être apportées : pour rendre hommage à un chef d’oeuvre, pour lui redonner une actualité qu’il a perdue, pour le transposer dans un autre lieu et dans un autre temps et ainsi en démontrer l’universalité et l’intemporalité. Le pari ici ne tient pas à un changement d’époque mais à un changement de lieu. Et il est très malin : quoi de plus compassé, quoi de plus cérémoniel que la vie d’un fonctionnaire japonais sinon celle d’un fonctionnaire anglais ?!

L’idée en est semble-t-il venue lors d’un dîner partagé entre le producteur du film Stephen Woolley, Bill Nighy, son acteur principal, et Kazuo Ishiguro, le plus japonais des Prix Nobel britanniques et le plus britannique des romanciers japonais.
Le résultat est impeccable. Mais il laisse sans réponse une question abyssale : pourquoi aller voir le remake plutôt que revoir l’original ?

La bande-annonce

Le Tourbillon de la vie ★★★☆

Et si ? Et si Julia, alors qu’elle était encore adolescente, était partie cette nuit-là à Berlin pour y assister à la chute du Mur, provoquant la colère de son père et l’interruption de ses études de piano ? Et si Julia n’avait pas rencontré Paul dans une librairie un jour d’orage ? Et si Julia n’avait pas remporté le concours Clara-Schuman et avait dû renoncer à la brillante carrière de soliste qui s’offrait à elle ? Et si, à la veille de son premier concert, elle avait eu un accident de scooter qui lui aurait fait perdre l’usage de sa main droite et aurait provoqué une fausse couche ? Et si….

Le Tourbillon de la vie pose des questions métaphysiques en diable : notre vie est-elle écrite d’avance ? sommes nous voués à vivre le destin qui nous est promis ? ou est-elle le produit de bifurcations hasardeuses, de choix plus ou moins mûris, de concours de circonstances, de rencontres – ou d’absences de rencontres – inopinées ?

Je me souviens du choc qu’avaient produit sur moi ces questions la première fois que je me les étais posées. C’était au hasard (!) d’une lecture qui marqua ma génération : L’Insoutenable Légèreté de l’être. On se souvient – ou pas – que Kundera, à rebours de la conception platonicienne de l’amour, y désacralise le coup de foudre qu’il réduit à une pure contingence. Ses deux héros, Tomas et Tereza, ne seraient jamais tombés amoureux l’un de l’autre s’ils ne s’étaient pas rencontrés par hasard dans une petite ville de Bohême : « Nous croyons tous qu’il est impensable que l’amour de notre vie puisse être quelque chose de léger, quelque chose qui ne pèse rien; nous nous figurons que notre amour est ce qu’il devrait être : que sans lui notre vie ne serait pas notre vie »

Je me souviens de mon éblouissement ravi quand je lisais ces phrases à vingt ans : la vie s’annonçait merveilleuse, riche de mille surprises…. Il suffisait de faire confiance au hasard et de savoir saisir les opportunités qui ne manqueraient pas de se présenter. Avec la crise de la quarantaine, cet optimisme béat a cédé la place à un noir pessimisme. Là encore, une lecture en fut la cause : La Vie très privée de Monsieur Sim qui tire du postulat de Kundera des conséquences diamétralement opposées. Si le hasard va nous permettre de rencontrer l’amour de notre vie ou de décrocher une opportunité professionnelle inespérée, il va plus sûrement encore nous les faire rater. Si nous croisons par hasard dans la foule un visage connu, combien en avons-nous raté de quelques secondes ou de quelques mètres ?

Pardon pour cette longue digression qui semble nous éloigner du film que je suis censé présenter et dont vous lisez patiemment – pour ceux qui ne l’ont pas encore zappée – la trop longue critique. Son seul objet était de souligner combien le sujet me touche.

Son traitement cinématographique n’était pas évident. Il s’agissait de mettre en images un processus stochastique ou, pour le dire plus simplement, un arbre de probabilités.
À ce stade, si j’en avais la compétence technique, j’insèrerais dans mon texte le schéma de cet arbre avec les embranchements énumérés dans mon introduction.

Tout l’art du film et de son scénario est d’entremêler les vies de quatre Julia potentielles qui auraient pu exister selon les options choisies.
Un scénario paresseux se serait contenté de les raconter les unes après les autres. Olivier et Camille Treiner font le pari plus risqué d’une construction ambitieuse qui entrelace ces quatre récits. Le résultat est concluant : on ne se perd jamais et on réussit – grâce notamment au maquillage et à la coiffure de Lou de Laâge – à identifier immédiatement le registre de chaque scène.

Quelle est la réponse que Le Tourbillon de la vie donne à la question qu’il pose ? Les quatre destins de ces quatre Julia semblent à première vue très différents : l’une s’installe à Berlin, une autre n’aura jamais d’enfants, une autre fera une brillante carrière internationale…. Mais toutes les quatre se retrouvent au même nœud – comme si la mort des êtres aimés, hélas, était le seul événement inéluctable de la vie. Et toutes surtout donnent à voir la même Julia qui, sous des modalités différentes, vivra la passion de la musique que lui a transmise un père aimant (Gregory Gadebois, toujours parfait).

Même si on en a vu pendant tout le mois de décembre la bande-annonce dans les salles, Le Tourbillon de la vie n’a fait l’objet d’aucune projection de presse. De quoi les distributeurs ont-ils eu peur ? Sans doute, des esprits chagrins pourraient trouver l’ultime scène – et l’horrible maquillage qui défigure l’actrice principale – de trop. La volonté de nous arracher des sanglots y est poussée un peu trop loin. Mais, tous ceux qui aiment mouiller leurs Kleenex au cinéma ne s’en plaindront pas. J’en suis !

La bande-annonce

Godland ★☆☆☆

Jeune pasteur danois, Lucas est missionné par son père, pasteur comme lui-même, pour aller construire une église en Islande qui, à la fin du XIXème siècle était encore sous domination danoise. Le jeune homme, passionné de photographie emporte avec lui son matériel pour immortaliser quelques scènes. Après une longue traversée, le prêtre de constitution fragile débarque sur l’île hostile qu’il a l’intention de traverser de part en part. Quelques cavaliers l’accompagnent dont il ne parle ni ne comprend la langue. Au terme de son odyssée, Lucas arrivera enfin à destination.

Parmi les nombreux films sortis pendant les fêtes, Godland tenait la corde. Les critiques étaient excellentes, le sujet inspirant. J’allais le voir plein d’enthousiasme, espérant me laisser emporter pendant près de 2h30 dans un voyage aussi dépaysant (l’Islande est de tous les voyages que j’ai faits l’un des plus inoubliables) qu’émouvant quelque part entre Mission et Valhalla Rising.

Quelle ne fut ma déception ! Non pas que Godland soit un mauvais film. Bien au contraire. Il a une vraie ambition artistique. Il possède aussi une réelle profondeur psychologique, toute scandinave : le personnage de Lucas, sa foi contrariée, ses vains appels à une transcendance muette face à une nature sévère et hostile, rappellent ceux de Dreyer et de Bergman.

J’ai la désagréable impression d’être passé à côté d’un film qui avait tout pour me séduire mais qui, à force d’austérité, a eu raison de ma patience.

La bande-annonce

Les Huit Montagnes ★☆☆☆

Pietro a une dizaine d’années. Turinois, garçon des villes, il passe ses vacances chaque année avec ses parents dans les montagnes du Val d’Aoste où son père, passionné de randonnée, l’entraîne à l’assaut des cimes. Pietro s’y lie d’amitié avec Bruno, un orphelin élevé à la dure par son oncle et sa tante. Malgré leurs différences de classe et leurs choix de vie antagonistes, Pietro décidant de partir au bout du monde alors que Bruno ne franchira jamais les limites de sa vallée, une amitié profonde et durable cimentera les deux hommes.

L’écrivain italien Paolo Cognetti a accédé à la gloire avec ce roman en partie autobiographique écrit au mitan des années 2010. Il obtint le prix Strega, l’équivalent du Goncourt. Sa traduction immédiate en français décrocha la même année le prix Médicis étranger. Je le lus et n’en gardai aucun souvenir. Mauvais présage.

Curieusement, son adaptation est signée de deux cinéastes belges, Felix Van Groeningen, le réalisateur des excellents Belgica, Alabama Monroe et La Merditude des choses, et sa compagne Charlotte Vandermeersch qui s’embrassèrent à bouche que veux-tu lorsque leur fut décerné en mai dernier à Cannes le prix du jury pour ce film.

Pourquoi diable ont-ils quitté le plat pays qui est le leur pour les intimidantes cimes des Alpes pennines ? Sans doute ont-ils, comme ses innombrables lecteurs, été séduits par la morale du livre.

C’est précisément cette morale, qu’on croirait tout droit sortie d’un manuel de développement personnel, qui m’a donné des boutons : retour à la terre – qui, elle, ne ment pas – hymne à la nature, transmission des valeurs, le tout agrémenté d’un zeste de philosophie bouddhiste (faut-il faire le tour des huit montagnes ou monter au sommet du mont Meru… ou pour le dire autrement faut-il ou pas quitter son village pour vivre sa vie ?)… Beurk !
Et le tout qui plus est dilué dans un film interminable de près de deux heures trente.

Je pourrais arrêter là cette critique cinglante. Mais l’honnêteté m’oblige à reconnaître à ces Huit montagnes quelques qualités. D’abord bien sûr la majestueuse beauté des paysages, hélas engoncée dans une image carrée dont on ne comprend pas la raison. Ensuite, à rebours de la caricature que je viens d’en faire, une prise de distance par rapport aux bienfaits d’une sobriété heureuse au contact de la nature qui, si elle est riante l’été, devient ingrate l’hiver venu. Enfin une durée hors norme que justifie un récit qui prend son temps, qui raconte sur trois décennies l’histoire de deux vies et qui s’autorise quelques détours jusqu’au Népal.

La bande-annonce

Poet ★☆☆☆

Marié et père de famille, Didar travaille à Almaty dans un journal au bord de la faillite. Il a une passion, la poésie, et un modèle, Makhambet Utemisov, un poète kazakh du 19e siècle, qui s’est rebellé contre les autorités et qui a connu une fin tragique.

Quand on tape « cinéma kazakh » sur Google, on trouve… Borat ! Pourtant le Kazakhstan a produit quelques films, peu ou mal diffusés en France, qui méritent qu’on s’y arrête. Avec Chouga (2007), Darezhan Ormibaev a transposé Anna Karénine dans le Kazakhstan contemporain. L’Étudiant (2012) du même transpose cette fois-ci Crime et châtimentLe Souffle (2014) est un des plus beaux films que j’aie vus ces dernières années, qui montre l’immense plaine kazakhe dans de longs travelings sans dialogue. Sortis en 2018 et en 2020, signés par Adilkhan Yerzhanov, La Tendre Indifférence du monde raconte une histoire d’amour impossible et A Dark-Dark Man une enquête policière tournée sous le soleil froid de la steppe kazakhe.

Près de dix ans après L’Etudiant, Poet marque le retour dans les salles de Drezhan Omirbayev, le père de cette « Nouvelle Vague du cinéma kazakh ». Le sexagénaire, habitué des plus grands festivals, y exprime une idée très abstraite et très profonde : l’incapacité du poète à vivre dans le monde qui l’entoure. L’idée n’est pas neuve : elle avait été déjà vulgarisée par les plus grands poètes du XIXème siècle (Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Musset….)… et inspirait bien des lycéens pour leur bac de français !

L’originalité de Poet est de mettre en miroir deux vies : celle banalement contemporaine de Didar qui se rend en train dans une petite ville de province pour y lire ses poèmes devant une salle vide et celle de Makhambet Utemisov, sauvagement assassiné par les sicaires du gouverneur russe au milieu du dix-neuvième siècle. Ces deux destins entremêlés pourraient renvoyer l’image du poète maudit, condamné à vivre incompris en marge des hommes.
Mais Poet n’est pas si pessimiste. La seule spectatrice de la présentation de Didar est une jeune fille bègue qui connaît toute son oeuvre et qui lui dit combien sa lecture a bouleversé sa vie. Quant à Makhambet Utemisov, si ses ossements ont connu bien des tribulations, sa mémoire est désormais honorée dans un splendide mausolée.

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Ariaferma ★★☆☆

En Sardaigne, au cœur de l’hiver, un pénitencier au bord de la ruine est sur le point de fermer définitivement ses portes. Ses derniers gardiens célèbrent tristement sa fermeture tandis que sa directrice a déjà fait ses cartons. Mais un ultime contretemps empêche le transfert d’une douzaine de prisonniers. Ils sont regroupés dans une aile de la prison sous le contrôle d’une poignée de gardes le temps de leur trouver un toit.

Des films sur la prison, on en a vu treize à la douzaine : Le Trou, Un condamné à mort s’est échappé, La Grande Évasion, Papillon, Haute Sécurité, Les Évadés, la Ligne verte, Un prophète… Ils sont souvent construits sur le même modèle. Ils sont filmés du point de vue des prisonniers. Ils n’euphémisent pas la violence déshumanisante qui règne entre les murs mais magnifient la solidarité qui se noue entre les détenus. Ils racontent leurs tentatives, pas toujours réussies, d’évasion.

Ariaferma adopte un point de vue différent à équidistance des détenus et de leurs gardiens, réunis contre leur gré par un malheureux concours de circonstances. Il oscille sur un fil ténu. D’un côté, il maintient tout du long une tension anxiogène qui fait craindre qu’une étincelle provoque une explosion de violence destructrice. De l’autre, il laisse espérer un impossible rapprochement entre deux groupes condamnés à garder leurs distances : celui des matons et celui des taulards.

Le premier est incarné par Gaetano Gargiuolo, le plus gradé des gardiens, propulsé bien malgré lui à la direction de la prison. L’immense Toni Servillo (dont je suis le seul à ne pas avoir aimé l’interprétation dans La Grande Bellezza, un film unanimement adulé) lui prête ses traits. Face à lui, silencieux et roué, Carmine Lagioia (interprété par Silvio Orlando, acteur fétiche de Nanni Moretti), dont on ne saura rien des motifs de l’incarcération, mais dont on suspecte qu’il fut un capo de la mafia. Les deux hommes s’affronteront-ils ou se tendront-ils la main ? Je vous laisse découvrir Ariaferma pour le savoir.

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Inu-Oh ★☆☆☆

Au XIVème siècle, au Japon, Tomona, un jeune orphelin frappé de cécité joue du biwa en nourrissant le projet de venger son père assassiné. Dans les rues de Kyoto, il rencontre Inu-Oh, une étrange créature aux bras démesurément longs et au visage monstrueux caché par un masque. C’est le fils du directeur de la plus célèbre troupe de théâtre de la capitale impériale. Les deux jeunes gens forment un duo décapant dont les concerts révolutionnaires rencontrent un immense succès.

Inu-Oh est l’adaptation d’un roman de Hideo Furukawa paru en 2017, Le Roi chien. Ce livre est inspiré du Dit des Heike, un grand classique de la littérature médiévale japonaise, qui raconte la lutte entre deux clans de samouraï pour le contrôle du Japon et la bataille dantesque qui les oppose à Dan-no-ura en 1185. C’est avec cette bataille que débute l’histoire de Inu-Oh, dont l’un des deux héros, Tomona, est le fils d’un plongeur assassiné alors qu’il vient de retrouver au fond des océans une épée, en fait un des trois trésors sacrés dont la réunion permettra à celui qui les possède de prétendre au titre d’empereur.

Le Dit des Heike est un texte qui s’est transmis oralement à travers les siècles. Les Biwa hoshi, les prêtres au luth, qui sillonnaient le pays en récitant cette épopée et en s’accompagnant au biwa, en étaient les gardiens. Tomona, le fils du plongeur assassiné, incarne cette tradition.

C’est cette ancienne tradition historique qui a inspiré Masaaki Yuasa, réalisateur de Lou et l’Île aux sirènes, Cristal du long métrage à Annecy en 2017, et de Ride your Wave. La musique joue un rôle important dans son film, qui compte notamment une séquence musicale délirante de près de trente minutes, dont les images folles m’ont rappelé les délires psychédéliques de The Yellow Submarine. Tout ce que l’animation autorise y est utilisé.

Je reconnais volontiers à ce cinéma ébouriffant une énergie folle et un exotisme rafraîchissant. Mais, j’ai beau essayer de m’ouvrir à des styles de cinéma qui ne me sont pas familiers, j’ai du mal à sympathiser avec ces formes-là, trop déroutantes, trop extravagantes pour moi.

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