Orpheline ★★★☆

Je me plaignais hier des mises en scène un peu pauvres du cinéma français. Me voici aujourd’hui servi avec cette Orpheline d’une rare complexité et d’une belle sensibilité.

Comme l’annonce l’affiche, Arnaud des Pallières va raconter la vie d’une orpheline à quatre âges de sa vie. Au lieu d’en confier le soin à la même actrice, grimée et vieillie pour l’occasion, il en choisit quatre qui n’ont pas grand chose en commun sinon leurs lèvres purpurines. La même recette vient d’être employée avec le succès que l’on sait dans Moonlight outre-Atlantique.

Complexité supplémentaire : la vie de Karine/Sandra/Renée n’est pas narrée dans l’ordre chronologique, mais, comme dans Irréversible de Gaspar Noé, en commençant par la fin. On découvre une institutrice rangée (Adèle Haenel) sur le point d’être rattrapée par son passé sous les traits de Gemma Arterton (ah ! Gemma …). Pour comprendre sa situation, il faut remonter sept ans en arrière et rencontrer Sandra (Adèle Exarchopoulos) qui vient d’arriver à Paris et se retrouve plongée dans le milieu du jeu et de l’arnaque. À treize ans, la jeune Karine (Solène Rigot) cherche à toute force à fuir la violence d’un père dont on comprendra, après un quatrième saut dans le temps, les ressorts dramatiques.

La concaténation des temps est d’une parfaite fluidité et évite les défauts du film à sketches toujours inégal. Arnaud des Pallières peint un splendide tableau de femme diffractée. Le parti pris  de confier ce rôle unique à quatre actrices ne remet pas en cause sa profonde unité. Karine est une enfant en mal de (re)pères qui cherche maladroitement l’amour.

Dans un ultime chapitre, le film revient à son point de départ et retrouve Adèle Haenel obligée de faire taire la soif d’amour qui lui a tant fait tort. Ce dénouement n’est pas l’épisode le moins émouvant d’un film dont on retiendra l’éblouissante prestation d’Adèle Exarchopoulos, plus sensuelle que jamais.

La bande-annonce

Pris de court ★★☆☆

Jeune veuve, Nathalie s’installe à Paris avec ses deux enfants. Las ! L’emploi de joaillier qu’on lui avait promis lui échappe. Elle trouve un petit boulot dans un restaurant tandis que son aîné fait de mauvaises fréquentations au lycée.

Pris de court est un petit film qu’on aurait aimé grand. Sa réalisatrice a été influencée par Bresson et Rivette dont on reconnaît le minimalisme. Elle tourne dans les rues du 13ème arrondissement, à quelques encablures du lycée Rodin dont elle fut l’élève.

Pris de court est un petit thriller qui n’exploite pas toutes les potentialités qu’il ouvre. Le fils de Nathalie se retrouve piégé par la petite bande de malfrats qu’il avait rejoint. Sa mère doit voler à son secours pour l’en libérer. Le dernier tiers du film a des allures de film américain avec arnaque à double tiroir. Mais le minimalisme de la mise en scène et le manque de complexité du scénario le privent de la rouerie à laquelle les films américains du même registre nous ont habitué.

« Pris de court » repose sur les épaules de Virginie Efira, de chaque plan. On l’a beaucoup vu en 2016 sur les écrans, notamment dans Victoria où elle fut excellente. A-t-elle atteint le sommet de son talent ? ou est-ce le début d’une carrière de star ?

La bande-annonce

Ghost in the Shell ★☆☆☆

Il faudrait être ermite pour l’ignorer : Ghost in the Shell a débarqué hier sur nos écrans. Plus d’un million de spectateurs, petits et grands, iront le voir ce week-end. À tort ? À raison ?

Dans une salle archi-comble – plutôt jeune et masculine – je me suis laissé happer dès le générique (une réussite du genre !) par l’envoutante beauté des effets spéciaux. J’ai adoré le Tokyo (Hong Kong ? Shanghai ?) dystopique, la fascinante hybridation du robot et de l’humain et la lippe de Scarlett Johansson.

Je suis resté sourd à la vaine polémique provoquée par son rôle : on accuse à cette actrice américaine d’incarner une héroïne typiquement japonaise. Un peu comme si Hamlet était joué par un acteur noir ! Sauf que … Hamlet a été déjà joué par un acteur noir et que Hollywood n’a pas son pareil pour recycler et mondialiser des succès nationaux. En témoigne ce blockbuster tourné en Nouvelle-Zélande par un réalisateur britannique avec, dans les rôles principaux, outre une Américaine, une Française (Juliette Binoche), un Danois (Pilou Asbaek) et un Japonais (Takeshi Kitano).

Le problème de Ghost in the Shell n’est pas son casting mais son scénario. Je n’avais pas compris grand chose aux dessins animés volontiers ésotériques. Les scénaristes de Hollywood m’ont fait sentir moins bêtes. Prenez l’héroïne de Lucy, une pincée de Blade Runner pour les décors futuristes, une once de Assasin’s Creed pour les manipulations bioniques. Assaisonnez avec un poil de Matrix pour la philosophie pseudo-leibnizienne. Secouez. Servez froid.

Le problème de ce gloubiboulga cyberpunk est qu’il n’a plus grand goût. Reste à se réfugier dans la beauté hypnotique d’un Tokyo dystopique et de la lippe de Scarlett.

La bande-annonce

Fixeur ★★☆☆

Fixeur (n.m.) : Personne employée (comme guide, interprète etc.) par un(e) journaliste pour faciliter son travail.
Radu travaille pour l’Agence France Presse (AFP) à Bucarest. Quand il apprend que deux prostituées mineures sont rapatriées de France vers la Roumanie, il propose à une équipe française de télévision d’organiser une rencontre.

Le cinéma roumain produit des pépites. Les films de Cristian Mungiu (Baccalauréat), Cristi Puiu (Sierranevada) ou de Corneliu Porumboiu (Le Trésor) décrivent une société âpre où l’individu est confronté à des dilemmes éthiques. Le précédent film de Adrian Sitaru (Illégitime) m’avait enthousiasmé. J’attendais beaucoup de Fixeur. J’en ai été un peu déçu.

Fixeur traite de la déontologie du journaliste. Quelles compromissions peut-il accepter pour décrocher un scoop ? Quel respect doit-il aux personnes qu’il interviewe ? Jusqu’où peut-il orienter leurs réponses ? Doit-il s’inquiéter des conséquences de leur témoignage sur leur vie et sur leur sécurité ? Les questions sont nombreuses et elles ouvrent autant de pistes potentiellement très fécondes.

Hélas, on sent Adrian Sitaru étrangement retenu. Comme s’il n’était pas allé jusqu’au bout de son projet.
L’intrigue se réduit à pas grand chose. Radu accompagne un journaliste français et son cameraman dans la région de Cluj. Ils retrouvent la trace de Anca, jeune mineure de quatorze ans, traumatisée par le mois qu’elle a passé sur le trottoir à Paris et inquiète des représailles qu’elle pourrait subir pour avoir donné son proxénète à la police. Elle a trouvé refuge chez des religieuses qui refuse son accès aux journalistes.
Le film se termine par la rencontre d’Anca et de Radu. Non ! ce n’est pas un spoiler ! C’est son affiche ! Cette rencontre déçoit. Car il ne s’y produit rien qu’on n’escomptait pas. Est-on blasé des mille horreurs dont les actualités et la fiction nous mitraillent quotidiennement pour ne plus être bouleversé par une gamine de quatorze ans qui dit face caméra « Cinquante euros la pipe et l’amour » ? Peut-être.

La bande-annonce

Sage-femme ★☆☆☆

Claire est sage-femme en banlieue parisienne. Elle reçoit un appel de Béatrice, l’amante fantasque qui, près de quarante plus tôt, avait brisé le cœur de son père. Béatrice, atteinte d’une tumeur cancéreuse au cerveau, ignore que le père de Claire s’est suicidé après son départ.

Le dernier film de Martin Provost (réalisateur du pluri-césarisé « Séraphine » en 2009) rappelle ceux de Sautet : une histoire bien française de famille, de maîtresse, de regard jeté en arrière sur une vie bien remplie et pourtant trop tôt achevée. C’est ce qui en fait le charme. C’est aussi ce qui en constitue la limite.

Car Martin Provost tourne en 2016 comme on aurait tourné quarante ans plus tôt. Avec certes autant de sensibilité. Mais avec guère plus de talent.

Pour filmer cette histoire intemporelle, il fait appel à deux monstres sacrés du cinéma français. A soixante-dix ans passés, Catherine Deneuve est parfaite dans le rôle d’une flamboyante maîtresse au crépuscule de sa vie, condamnée à squatter les appartements de ses anciens amants et à gagner aux cartes l’argent qui lui brûle les doigts. Pourtant, notre star nationale n’a pas si bien vieilli. Le botox se voit sur son visage, les kilos en trop aussi.

L’autre Catherine est censée jouer le rôle d’une femme de quarante neuf ans. Elle en a dix de plus. Claire est, dans le film, une femme sage autant qu’une sage-femme. Un modèle d’abnégation qui a perdu son père dans sa prime adolescence et qui ne s’est jamais entendue avec sa mère. Mère d’un fils sans père, elle est à cet instant de sa vie où son enfant va quitter le cocon familial et la laisser seule. Aussi excellente soit-elle, Catherine Frot n’était pas la meilleure pour ce rôle qui l’oblige à mettre sous l’éteignoir la petite graine de folie dont elle égaie ses interprétations.

Comme on s’y attend, les deux femmes se rencontrent, s’observent, se rapprochent. Les ennemies deviendront complices. Claire, qui ne boit ni ne fume, va s’encanailler. La rencontre de Paul, un routier philosophe, n’y sera pas étrangère. Là encore : rien à redire à l’interprétation aux petits oignons du toujours parfait Olivier Gourmet. Sauf que ce personnage masculin vient déséquilibrer un duo dont la densité dramaturgique ne suffisait pas à tenir la durée d’un film.

Que dire enfin de la lourde métaphore de la maternité, de l’accouchement, de la transmission (entre Béatrice, la femme sans fille, et Claire, la fille sans mère) ? Sur un mode quasi-documentaire, on voir un accouchement. Un deuxième. Un troisième. Un quatrième. C’est beaucoup.

La bande-annonce

Wrong Elements ★☆☆☆

Au nord de l’Ouganda, depuis près de trente ans, la Lord’s Resistance Army (LRA) est entrée en rébellion. Son chef, Jospeh Kony, n’hésite pas à kidnapper des enfants, des filles pour les réduire en esclaves sexuelles et des garçons pour en faire des soldats fanatisés. Jonathan Littell, l’auteur des Bienveillantes, prix Goncourt 2006, filme quatre d’entre eux, revenus à la vie civile.

Difficile de ne pas être écrasé par un sujet aussi grave. Moins connus que le génocide rwandais, les crimes perpétrés par la LRA en Ouganda n’en sont pas pour autant moins choquants : la durée exceptionnelle de la rébellion, le nombre des victimes qu’elle a causés (100 000 morts, 2 millions de déplacés), le fanatisme de son leader, le recours systématique aux enfants soldats en font un exemple tristement caractéristique de violence politique extrême. Il n’est dès lors pas surprenant que l’auteur des Bienveillantes s’y soit intéressé. Comme dans son roman-fleuve, c’est le mal qu’il dissèque, comment on le fait, comment on supporte de l’avoir fait.

A ce titre, les ex-enfants soldats de la LRA constituent une population chimiquement pure. Victimes innocentes d’un kidnapping, peuvent-ils être tenus pour coupables des exactions qu’ils ont commises ? La caméra de Jonathan Littell n’est pas neutre qui montre des ex-soldats pudiques et souriants dont les rares confessions les posent en victimes plus qu’en coupables. Utilisant exactement le même procédé, le documentariste Joshua Oppenheimer aboutissait à un résultat inverse en allant à la recherche des tortionnaires indonésiens auteurs des crimes commis en 1966 contre la rébellion communiste (The Act of Killing, The Look of Silence).

Le problème est ailleurs. Il est dans le décalage entre l’ambition philosophique du projet et sa réalisation cinématographique. Pour le dire plus brutalement : Jonathan Littell pense bien mais filme mal.
Les témoignages des ex-recrues de la LRA sont rythmés par de longs plans séquences d’une savane filmée dans une lumière inutilement esthétisante. La musique est au diapason, qui invite au recueillement. Mais pourquoi diable avoir choisi Bach ou Biber ?
Plus grave : le montage. Pendant une heure, on suit Geoffrey et Mike, Nighty et Lakwena. Le film pourrait s’arrêter là. Mais, Jonathan Littell lui greffe une autre séquence : la remise du chef Dominic Ongwen à l’Union africaine avant son transfert à la Cour pénale internationale de La Haye. Du coup, la durée du film double avec au final une séquence, certes émouvante, mais qu’on sent reconstituée pour les besoins du documentaire, où l’on voit Geoffrey revenir dans un village qu’il avait razzié lorsqu’il œuvrait dans les rangs de la rébellion.
Une dernière irritante interrogation : que faut-il comprendre du titre ? L’expression Wrong Elements est empruntée à Alice Auma Lakwena, l’inspiratrice de la LRA : « La guerre doit débarrasser la société de tous ses mauvais éléments ». De quels « mauvais éléments » parle-t-on ? De ces quatre victimes devenues à leur corps défendant des bourreaux ? Pourtant, tant aux yeux de la prophétesse acholi que de ceux du réalisateur franco-américain, ils ne sont pas de mauvais éléments. Alors ?

La bande-annonce

Paula ★☆☆☆

En 1900, Paula Becker a vingt-quatre ans. C’est une jeune femme émancipée qui veut consacrer sa vie à sa passion, la peinture, et veut briser le carcan dans lequel les femmes sont encore enfermées. Dans la colonne d’artistes de Worpswede, près de Brême, elle rencontre un jeune veuf, peintre comme elle. Elle l’épouse. Mais elle rêve de partir à Paris y élargir sa palette.

Je ne connaissais pas l’œuvre de Paula Modersohn-Becker jusqu’à l’exposition que lui a consacrée l’an dernier le Musée d’art moderne de la ville de Paris. J’ai patiemment fait la queue pour y accéder et ai découvert des nus, des autoportraits, des paysages caractérisés par un refus aussi radical de l’esthétisme que du vérisme. Cette exposition m’a donné envie de lire le livre qu’a consacrée à la peintre Marie Darrieussecq (qui prend encore la poussière sur ma P.A.L.), de voir le documentaire qui en a été tiré et enfin ce film sorti en Allemagne l’an passé.

Le biopic de Christian Schwochow n’échappe pas hélas à l’académisme contre lequel Paula s’est rebellée sa vie durant. Il suit paresseusement l’histoire de sa vie de son arrivée à Worpswede en 1900 jusqu’à sa mort sept ans plus tard.

Le film hésite entre deux partis. Faute de moyens, ce n’est pas une immense fresque historique qui brosse la Belle époque, entre Worpswede et Paris – dont on réalise quelle attraction elle exerçait sur les milieux artistiques allemands. Ce n’est pas non plus un drame intimiste construit autour des tourments de Paula, mariée à un homme incapable de lui faire l’amour et cherchant à Paris un père pour l’enfant qu’elle rêve d’avoir.
L’actrice Carla Juri ne m’a pas convaincu. C’est elle pourtant qui a été retenue pour jouer dans « Blade Runner 2049 » aux côtés de Harrisson Ford et de Ryan Gosling.

La bande-annonce

Paris pieds nus ★★☆☆

Depuis plus de dix ans, le duo belgo-canadien Abel & Gordon signe des films aussi improbables que la rencontre de ces deux nationalités : « L’Iceberg » (2005), « Rumba » (2008), « La Fée » (2011). Pour la première fois, il pose sa caméra à Paris, sur les berges du seizième arrondissement, entre la Tour Eiffel et l’île aux cygnes. Fiona (Fiona Gordon) y campe une postière canadienne débarquée dans la capitale à la recherche de sa vieille tante gentiment foldingue (Emmanuelle Riva). La rousse voyageuse y fait la rencontre de Dom, un SDF loufoque (Dominique Abel) qui l’aidera à retrouver l’octogénaire étourdie.

On l’aura compris : l’intrigue ténue n’est qu’un prétexte à un enchaînement de saynètes burlesques sinon absurdes. Abel & Gordon creuse un sillon qu’on aurait cru stérile depuis Buster Keaton et la fin du cinéma muet : celui du gag triste. Un tango à bord d’une péniche, un banc au Père-Lachaise, l’escalade nocturne de la Tour Eiffel : tout leur est prétexte à improviser des chorégraphies surprenantes, des duos émouvants, des plaisanteries charmantes.

Comme les précédents films du duo, « Partis pieds nus » séduit par sa fraîcheur. Abel & Gordon s’affranchissent des codes pour produire une œuvre en tout point original. Pour autant, l’effet de surprise passé, le film peine à tenir la distance. Sa brièveté (il dure une heure vingt-trois seulement) le sauve.

La bande-annonce

Citoyen d’honneur ★★★☆

L’écrivain Daniel Mantovani déprime depuis qu’il a reçu le Prix Nobel de littérature [C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je l’ai toujours refusé : la peur de la déprime]. Cloîtré dans sa luxueuse villa, il refuse toutes les sollicitations. Mais, sur un coup de tête, il s’envole pour Buenos Aires pour retourner dans son village natal, Salas, le cadre de chacun de ses romans où il n’est plus revenu depuis quarante ans.

Qui n’a jamais rêvé de retourner pavoiser devant le caïd de la cour de récré dont il/elle était le souffre-douleur et de faire étalage de la réussite de sa vie professionnelle ou familiale ? « Citoyen d’honneur » repose sur une idée très simple dont sont tirées toutes les potentialités.

La première, la moins exploitée, est celle de la nostalgie. Daniel Mantovani revient sur les lieux de son enfance. Il n’en retrouve quasiment aucune trace, si ce n’est un cimetière envahi par les herbes folles, une institutrice clouée sur un fauteuil roulant. D’ailleurs le village de Salas, anonyme, sans charme, ne se prête guère à la nostalgie.

La deuxième est celle de la drôlerie qui naît du décalage entre l’écrivain célèbre et la simplicité de ses hôtes. Mantovani est accueilli par des ploucs sympathiques. Son chauffeur, sous prétexte d’emprunter un raccourci crève au milieu de nulle part et l’oblige à passer la nuit à la belle étoile. Le maire de la ville le fait parader sur le camion des sapeurs pompiers. Chacune de ses déambulations dans le village est interrompu par un automobiliste trop pressant qui veut à tout prix le conduire dans son véhicule.

La troisième, plus dérangeante, est la jalousie et le mépris que la célébrité de cet enfant du village suscite. Car si la bienveillance domine parmi les hôtes de Mantovani, des sentiments moins amicaux affleurent vite. Pour avoir refusé de donner à un concours de peinture le premier prix au peintre autoproclamé de la commune, Mantovani, accusé d’élitisme, s’attire l’hostilité d’une partie du village. Son pèlerinage se transforme bientôt en chemin de croix, voire en chasse à l’homme.

La dernière, la plus intelligente, est une réflexion sur le rôle de l’artiste. On pense à l’albatros de Baudelaire, exilé sur le sol au milieu des huées. Le statut de son œuvre est sans cesse questionné : chaque villageois exige le droit de s’y reconnaître quand l’écrivain revendique celui de s’être affranchi de ses modèles. Un écrivain a-t-il une dette avec son inspiration ? Peut-il s’en libérer ? Compromettre son art est-ce l’abâtardir ? refuser de le compromettre est-ce sombrer dans un narcissisme prétentieux ?

Le séjour de Mantovani à Salas est un crescendo qui se conclue par un twist surprenant. À double détente. Au propre comme au figuré.

La bande-annonce

Traque à Boston ★★★☆

Peter Berg filme à la truelle les pages les plus sanglantes et les plus héroïques de l’histoire contemporaine américaine. L’attentat des tours de Khobar en 1996 en Arabie saoudite (Le Royaume), l’opération Red Wings menées par les SEALs dans les montagnes afghanes en 2005 (Du sang et des larmes), l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon au large de la Louisiane en 2010 (Deepwater).

« Traque à Boston » – un titre bien médiocre auquel on aurait préféré « Marathon à Boston » – est lui aussi inspiré d’une histoire vraie. Le 15 avril 2013, près de la ligne d’arrivée du marathon, deux bombes explosent causant la mort de trois spectateurs et en blessant des centaines d’autres. Les auteurs de ces attentats, les frères Tsnarnaïev, seront impitoyablement traqués par la police de Boston.

Tous les films de Peter Berg suivent la même recette : un Américain moyen – auquel Mark Wahlberg a prêté ses traits dans ses trois dernières réalisations – est plongé à son corps défendant dans un événement qui le dépasse et qui sera pour lui l’occasion d’exprimer son héroïsme. On pourrait trouver la formule répétitive. On pourrait considérer le patriotisme de ses films par trop chauvin.

Pourtant, je dois confesser un vrai plaisir de spectateur devant cette « Traque à Boston ». Même si on connaît par avance l’issue de la traque des frères Tsarnaïev, elle n’en demeure pas moins palpitante. La mise en scène, nerveuse, suit le parcours d’une dizaine de protagonistes qui, à un moment ou à un autre, seront touchés par les attentats : un couple aimant fauché par le souffle des explosions, un père qui perd son enfant dans la panique qui s’ensuivit, un policier proche de la retraite qui interpellera les frères Tsarnaïev dans une banlieue tranquille de Boston, etc.

On ne regarde pas une seconde sa montre. Et à ceux qui considèreraient par trop manichéenne cette chasse à l’homme, expression de la soif de vengeance d’un corps social blessé dans sa chair contre ses deux assassins, j’opposerai une scène d’interrogatoire dérangeante, près de la fin du film, où la froide violence de l’interrogateur se heurte de plein fouet à la fanatique détermination du complice.

La bande-annonce