Ready Player One ★☆☆☆

En 2045, l’humanité se morfond dans des villes surpeuplées et polluées. Pour échapper au quotidien, les habitants se réfugient dans des mondes parallèles. L’Oasis est le plus populaire. L’inventeur de cette réalité virtuelle vient de mourir à la tête d’une immense fortune. Il propose de la céder à qui trouvera « l’œuf de Pâques » qu’il a caché dans un recoin du jeu.
Wade Watts est un jeune orphelin qui, sous les traits de Parzival, joue régulièrement. Avec quelques amis virtuels, Aech, le colosse bricoleur, Art3mis, la jolie motarde, Daito, le samouraï et Sho, le guerrier ninja, il se lance dans la quête de l’œuf de Pâques. Mais Sorrento, le puissant directeur de la multinationale IOS , entend bien mettre la main sur le magot le premier.

Ready Player One a été accueilli par des louanges dithyrambiques. Du Monde à Libération, en passant par Télérama et Les Inrocks, la critique fait preuve d’un unanimisme suspect. Et les spectateurs ont réservé un accueil triomphal à Ready Player One qui a fait près d’un million d’entrées en France durant sa première semaine d’exploitation.

Les critiques ont salué en particulier, dans des articles qui résonnaient parfois comme autant d’éloges funèbres, le génie de Steven Spielberg. Nul doute qu’il mérite ses éloges au regard de son impressionnante filmographie qui accumule les chefs d’œuvre et les succès. Cette filmographie compte deux veines principales. La première, à laquelle Spielberg semblait s’être abonné ces dernières années, sont les grands films sérieux tournés avec un classicisme efficace : Pentagon Papers, Le Pont des Espions, Lincoln, Cheval de guerre, Munich, Il faut sauver le soldat Ryan, La Liste Schindler… La seconde, qu’il semblait au contraire avoir abandonnée, est destinée à un public plus jeune : E.T., Indiana Jones et ses suites, Jurassic ParkReady Player One marquerait le retour de Spielberg à cette veine.

Et c’est bien là, à mon sens que le bât blesse. Car Ready Player One veut jouer sur les deux tableaux. D’un côté les références nostalgiques aux 80ies, aux jeunes années de Steven Spielberg (né en 1948… et qui n’était donc plus si jeune que cela) qu’on imagine volontiers fasciné par les premiers jeux Atari, par les films de Kubrick et les tubes de Van Halen, les Bee Gees, A-ha, Depeche Mode. De l’autre le film de science fiction, gonflé jusqu’à la gorge d’effets spéciaux et de combats épiques.

Ni l’un ni l’autre ne m’ont séduit. Je hais les années quatre-vingt – quand bien même elles coïncidèrent avec le vert paradis de mes amours enfantines – ses coloris marronnasses, ses musiques pop trop sucrées. Je hais les jeux vidéo d’hier et d’aujourd’hui auquel je n’ai jamais rien compris et auxquels je n’ai pas vraiment joué. J’ai trouvé par exemple la course automobile dont je lis qu’elle est « à couper le souffle » ennuyeuse à mourir, puis les allers-retours incessants entre le monde réel et l’univers virtuel d’Oasis incompréhensibles.

Que dire de l’histoire manichéenne au possible (un méchant très méchant dont on sait par avance que les sinistres machinations seront déjouées par des gentils très gentils) sinon qu’elle est d’une platitude achevée ? Cette chasse au trésor, découpée en trois étapes (trois clés doivent être découvertes pour accéder à l’œuf), fait irrésistiblement penser aux scénarios des jeux vidéo où il faut relever un défi pour accéder au niveau supérieur. Quant à la composition ethniquement équilibrée du « clan » de Wade/Perzival et à la romance téléphonée qui se noue entre le héros et la jolie motarde – dont les traits rappellent ceux des Minimoys de Luc Besson – soupirs…

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Marie Madeleine ★☆☆☆

Qui était Marie Madeleine ? Ceux qui répondront : le titre d’une chanson de Sandra sorti en 1985 – et dont le clip vaut son pesant de cacahouètes – sont priés de se taire.
Les autres n’ignorent pas qu’elle accompagna Jésus, assista à sa crucifixion et fut la première à constater sa résurrection d’entre les morts. Hippolyte de Rome la désigna comme « l’Apôtre des Apôtres ».
Mais Marie Madeleine vit son étoile vite pâlir. Le pape Grégoire le grand l’assimila à la pécheresse qui oint le Christ de parfum dans Luc 7, 36-50. Marie Madeleine devient pour la postérité une prostituée repentie. Autre réputation qui lui colla à la peau : celle d’avoir été la maîtresse, l’épouse, voire même la mère des enfants du Christ. C’est cette Marie Madeleine là que peint Nikos Katzantakis dans La dernière tentation du Christ dont l’adaptation à l’écran par Martin Scorsese en 1988 fit scandale (j’étais à l’Espace Saint Michel le soir de l’incendie).

C’en est une toute autre que présente Garth Davis, le réalisateur australien de Lion et de trois épisodes de Top of the lake. Exit la pécheresse. Marie Madeleine (Rooney Mara) est une apôtre comme une autre, qui rencontre Jésus (Joaquin Phenix) sur les bords du lac Tibériade et décide de le suivre pour fuir une vie étouffante et le mari que son père (Tcheky Karyo) et son frère (Denis Ménochet) ont décidé de la voir épouser. Aux côtés de Pierre (Chiwetel Ajiofor), de Judas (Tahar Rahim), elle tient sa place. C’est ce beau visage de femme libre et forte que Vatican II a réhabilité et que ce film honore. Il le fait notamment dans une splendide Cène où Marie Madeleine, à rebours d’une iconographie millénaire, prend place sans autre forme de procès à la droite du Christ.

Le problème est que cette noble cause est bien mal servie par un film d’un rare académisme. Comme les mauvaises piquettes issues de divers cépages de la CEE, Marie Madeleine rassemble des acteurs de toutes les origines – on sera surpris de constater parmi eux une majorité de Français – qui parlent tous un parfait anglais – Mel Gibson avait au moins eu le courage de tourner sa Passion du Christ en araméen – sur les rives de la Sicile – d’où on voudrait nous faire croire que le lac de Tibériade est aussi vaste que la Méditerranée.

Sa première partie est la plus stimulante, qui nous présente des épisodes de la vie de Marie de Magdala que nous ne connaissions pas. La seconde est catastrophique qui filme à toute berzingue les étapes obligées de la Passion – l’entrée à Jérusalem le dimanche des Rameaux, l’expulsion des marchands du Temple (que Jean 2,13 situe quelques années plus tôt), la Cène, la nuit aux Jardins des Oliviers, le chemin de croix, la crucifixion… comme si le budget avait manqué pour les filmer toutes et que le scénariste en avait ras-le-bol de cette histoire déjà trop longue.

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Signer ★★☆☆

Le verbe signer est le plus souvent transitif : on signe un document, on y appose sa signature. Mais signer peut aussi être intransitif : parler en langue des signes. C’est dans cette seconde acception, plus rare chez les entendants, qu’il faut comprendre le titre du documentaire de Nurith Aviv.

J’avais déjà vu d’elle début 2011, aux Trois Luxembourg archi-comble, son documentaire Traduire consacré aux traductions de l’hébreu. Dans le même cinéma aux rangs cette fois ci nettement plus clairsemés, le seul qui à Paris le diffuse, j’ai vu Signer dont le thème n’est pas si éloigné que Traduire. Dans les deux cas, il s’agit de langage, de tradition, de transmission.

Signer m’a appris que la langue des signes n’était pas universelle ou, pour le dire autrement, qu’on ne signait pas de la même façon d’un pays à l’autre. Je l’ignorais. Pourtant, quand on y réfléchit un instant, l’évidence s’impose : la langue est le reflet d’une culture, d’un rapport aux mondes et les malentendants, comme les entendants, entretiennent un rapport au monde différent selon le pays où ils ont grandi. Il n’existe pas une langue des signes mais des langues des signes – réparties en grands groupes linguistiques aux frontières étonnantes (la langue des signes israélienne appartient au groupe allemand tandis que le groupe suédois rassemble bizarrement la langue des signes finlandais et… portugais).

Signer montre comment la langue des signes israélienne s’est construite au début du vingtième siècle, à partir d’apports allemands, marocains ou algériens. Il montre aussi comment, dans des communautés arabes, des langues des signes autonomes se sont développées. Chacune a son idiosyncrasie. Chacune a ses particularités, qui implique non seulement les mains mais le corps tout entier : le visage, le buste, etc.

Ce documentaire trop modeste dure une heure seulement. Il se limite à Israël. On aurait aimé qu’il ait plus d’ambition et qu’il s’ouvre à d’autres horizons. Le tour du monde des langues des signes reste à filmer.

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Le Jour de mon retour ★★☆☆

Donald Crowhurst était un plaisancier du dimanche, un brin professeur Géo Trouvetou, qui se mit en tête de relever en 1968 le défi lancé par le Sunday Times : le tour du monde à la voile en solitaire sans escale. Il hypothèque sa maison pour construire à ses frais son bateau, un trimaran à une époque où les monocoques étaient de rigueur.
Mais les difficultés s’accumulent dès le départ de la course. Son bateau, mal préparé, prend l’eau de toute part. Donald Crowhurst hésite à renoncer. Mais, l’abandon serait la ruine pour lui et pour sa famille. Il décide alors de tromper son monde et de donner, par radio, de fausses indications sur ses positions. Tandis qu’il fait des ronds dans l’eau dans l’Atlantique sud et accoste en Argentine pour réparer une fuite d’eau dans son flotteur, les autres concurrents abandonnent les uns après les autres, privant Crowhurst de la discrétion qu’aurait garantie son arrivée bon dernier.

Je me souviens avoir vu gamin à la télévision une fiction consacrée à Donald Crowhurst. C’était une après-midi au début des années quatre vingts. Je pensais que c’était un téléfilm. Il semblerait que ce fut Les Quarantièmes rugissants, un film de 1982 de Christian de Chalonge avec Jacques Perrin et Julie Christie. J’en avais été durablement impressionné. Je me souviens surtout du dernier quart d’heure. C’était peut-être une de mes premières confrontations à la folie.

Le Jour de mon retour (horrible traduction de The Mercy) reprend cette histoire. On en connaît toutes les étapes : le défi lancé à la face du monde, la duperie comme seule alternative au renoncement, la folie qui s’installe et qui emporte tout. Ces trois temps sont filmés avec académisme par James Marsh – dont le succès de Une merveilleuse histoire du temps valait plus par l’interprétation habitée de Eddie Redmayne que par sa mise en scène besogneuse. Colin Firth joue avec application le rôle du gentil Donald. Quant à Rachel Weisz, elle a trop de talent pour perdre son temps dans celui de son aimante épouse.

La critique a démoli Le Jour de mon retour. Il a d’ailleurs quasiment disparu des écrans dès sa deuxième semaine d’exploitation. Pour autant, un jeune adolescent le verra peut-être à la télévision un dimanche pluvieux et en sera durablement impressionné. Ce ne sera déjà pas si mal…

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Avant que nous disparaissions ★★☆☆

Trois extra-terrestres débarquent sur notre planète et prennent possession de trois corps humains : un homme marié au bord du divorce, une lycéenne et un adolescent espiègle. Leur objectif est sans concession et rappelle les scénarios canoniques de la SF : envahir la planète et annihiler ses habitants. Mais les moyens pour y parvenir sont paradoxalement doux : pour préparer cette invasion, il leur faut apprendre à connaître les humains en leur volant leurs concepts d’une simple pression du doigt sur la temps. Ainsi du concept de « liberté », de « propriété », de « travail », de « subjectivité » et d' »amour ».

Le très prolifique Kiyoshi Kurosawa (Creepy, Vers l’autre rive, Yokuzai) nous livre un curieux film de science-fiction. Pas de petits bonhommes verts, ni de rayons lasers, mais, sur le mode dérangeant qui avait tant réussi à la série française Les Revenants, une anticipation « réaliste ».

La réussite de ce film étonnant vient de son parti-pris. Le postulat de base pourrait porter au rire, à l’incrédulité voire au doute : des humains au comportement bizarre se prétendent venir d’une autre planète. Sauf que le spectateur ne doute pas un seul instant. Il sait – parce qu’il a lu cette critique ou toutes celles qui entourent la sortie du film ou tout simplement parce qu’il a vu le titre et l’affiche du film avant d’entrer dans la salle – que ces trois extra-terrestres sont bien ce qu’ils sont et que leur projet est tout sauf aimable. Sauf que leur façon d’être n’a rien de menaçant ni d’inquiétant et que l’apocalypse qu’ils annoncent ne suscite pas l’anxiété.

Film d’extra-terrestre, Avant que nous disparaissions ne charrie pas la charge terrifiante du Village des damnés, de L’Invasion des profanateurs de sépultures, de X-Files ou des Envahisseurs.

C’est dans son dernier tiers que Avant que nous disparaissions révèle son propos. Les amateurs de pyrotechnies y trouveront leur compte, dans une scène époustouflante de combat entre un homme et un drone armé, qui mériterait d’être décryptée en école de cinéma. Mais les autres découvriront dans la scène finale, étonnante de douceur et d’amour, que loin de parler de petits hommes verts et de fin de l’humanité, Avant que nous disparaissions nous parle d’abord de nous.

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Tomb Raider ★☆☆☆

La vingtaine, jolie, sportive, intelligente, Lara Croft n’arrive pas à faire le deuil de son père, disparu dans de mystérieuses circonstances sept ans plus tôt. Il lui a laissé un empire mais elle se refuse à en reprendre la direction tant qu’elle n’aura pas élucidé les causes de son décès. C’est ainsi qu’elle prend la mer à Hong Kong vers une île mystérieuse, au large du Japon, où son père serait allé chercher la tombe d’une impératrice japonaise aux pouvoirs maléfiques.

La plus célèbre héroïne de jeu vidéo est de retour. Angelina Jolie lui avait prêté ses traits – et ses mensurations généreuses – dans  deux films sortis en 2001 et 2003. C’est la jeune actrice Alicia Vikander qui reprend le flambeau. Ce choix est symptomatique d’une évolution. L’hyper-sexualisation du personnage, qui en avait fait le succès mais lui avait aussi valu bien des critiques, n’est plus de mise. Si Alicia Vikander n’est pas désagréable à regarder, si elle arbore volontiers un T-shirt mouillé qui ne cache rien de sa séduisante plastique, elle a la taille (1.68m) et le tour de poitrine de la girl next door. Et si, bien sûr, elle fait montre, face aux innombrables épreuves qui jalonnent sa route, d’une agilité physique étonnante, c’est surtout grâce à son intelligence et à son cœur qu’elle en viendra à bout.

Que dire de ce reboot – dont l’épilogue ouvre la possibilité d’une suite dont le succès du film aux Etats-Unis et plus encore en Asie rend le tournage probable ? Pas grand chose. Sinon qu’il supporte honorablement la comparaison avec les standards du genre. Camper Lara Croft en riche héritière fait penser à Largo Winch. La faire échouer sur une île mystérieuse après une tempête déchaînée rappelle King Kong. La faire déjouer, contre toute vraisemblance, les mille et une ruses qui protègent la sépulture de l’impératrice Himiko, tandis qu’elle a maille à partir avec les méchants très méchants de la mystérieuse organisation Trinité, c’est reproduire, sans guère d’imagination, les passages obligés du jeu vidéo auquel ce film sans génie donnera peut-être une seconde jeunesse, quand bien même il a été créé à une époque où ses joueurs actuels n’étaient pour la plupart pas encore nés.

  1. PS : Je viens de vérifier. Angelina Jolie fait 1.69 seulement. Comme quoi : size does not matter

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The Disaster Artist ★★★☆

En 2003 sort The Room, un film écrit, produit et réalisé à grands frais par Tommy Wiseau qui y joue le personnage principal. Le film est un nanar d’anthologie, si mauvais qu’il suscite une hilarité contagieuse et devient vite un film culte.
James Sestero avait rencontré Tommy Wiseau quelques années plus tôt dans un cours de théâtre. Il a partagé un appartement avec lui à Los Angeles et a tourné dans The Room. Il a tiré de cette expérience tragico-comique un livre publié en 2013 The Disaster Artist.

Qui est Tommy Wisseau, le producteur/réalisateur/acteur dont The Disaster Artist raconte l’histoire ? Le film de James Franco laisse planer le mystère. La notice de Wikipedia lève le voile sur son lieu et sa date de naissance ainsi que sur l’origine de sa richesse. Je vous laisse la consulter – ou pas.

Le film a raison de n’en rien dire ; car le personnage de Tommy Wiseau est d’autant plus fascinant que son passé reste nimbé de mystère. James Franco est proprement stupéfiant dans son interprétation. Son accent vaguement est-européen, son visage déformé par un accident de voiture, ses cheveux huileux, ses ceintures improbables : James Franco/Tommy Wiseau a une dégaine impayable. Le personnage nous reste étranger et c’est tant mieux. On ne saura pas si c’est un monstre d’orgueil ou un être écrasé de timidité. Les deux probablement. Sur un point en revanche, le doute n’est pas possible : Tommy Wiseau est un acteur calamiteux.

Ne partez pas avant la fin du générique. On y voit quelques extraits de The Room et on découvre avec quel soin minutieux James Franco en a recréé les scènes jusqu’aux moindres détails. Ce qui nous semblait excessif, outrancier, too much apparaît devant nos yeux ébahis et hilares pour ce qu’il est : le reflet de la réalité.

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La Belle et la belle ★☆☆☆

Margaux I (Agathe Bonitzer) a vingt-cinq ans, vit à Paris et ne sait pas trop que faire de sa vie. Margaux II (Sandrine Kiberlain) en a vingt de plus, habite Lyon et monte à Paris enterrer une vieille amie.
Margaux I et Margaux II ne forment en fait qu’une seule et même personne. L’aînée est le produit des choix de la cadette. La cadette a devant elle l’infinie des possibles entre lesquels la vie a obligé l’aînée à arbitrer.

Diplômée, comme Noémie Lvovsky ou la regrettée Solveig Anspach, de la toute première promotion de la Femis, Sophie Fillières est une réalisatrice et une scénariste dont les films et les scénarios élégants (Gentille, Ouf, Week-ends, Arrête ou je continue) interrogent avec humour le mal-être de nos contemporains. Sa dernière réalisation ne déroge pas à la règle qui est bâtie sur un postulat fantastique : que ferions-nous si nous nous rencontrions âgé de vingt ans de plus et que nous découvrions ce que nous avons fait de notre vie ?

Sans doute céderions-nous au désespoir. Notre ambition était si grande, nos rêves si immenses et l’horizon des possibles si large… On comprend que Margaux II trouve Margaux I horripilante – même si elle porte fièrement sa quarantaine bien frappée – qui est devenue lyonnaise et prof d’histoire-géo (poke ma belle-sœur). Mais bizarrement, ce n’est pas cette veine qui est utilisée, pas plus que celle, comique, qui aurait consisté pour Margaux II à prévenir Margaux I des événements sur le point de survenir dans sa vie.

La Belle et la belle après une mise en bouche appétissante s’affadit dans un trio amoureux dépourvu d’intérêt. Tandis que Margaux II renoue avec son ex (Melvil Poupaud), Margaux I en fait la connaissance. Logiquement, une longue histoire d’amour – dont on sait hélas l’issue inéluctable – est en train de commencer entre Margaux I et le bellâtre, histoire qui, logiquement encore ( à supposer que la logique ait sa place dans ses boucles temporelles vite absurdes), doit empêcher Margaux II de renouer avec son ex. L’histoire se termine avec une belle élégance, manière de montrer que nos vies ne sont pas jouées d’avance, quel que soit son âge. Mais cet épilogue, aussi intelligent soit-il, ne suffit pas à sauver le film.

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Après la guerre ★☆☆☆

Marco est un militant d’extrême-gauche italien, réfugié en France dans les années quatre-vingts. La « doctrine Mitterrand » l’y protège d’une extradition vers l’Italie. Mais cet usage vacille quand un nouvel assassinat est commis à Bologne en 2002, par un groupuscule qui se réclame de sa mémoire.
Marco quitte immédiatement Paris et se réfugie avec sa fille, Viola, seize ans, dans une maison landaise perdue au fond des bois, en attendant de passer au Nicaragua.
Pendant ce temps, en Italie, sa mère et sa sœur, avec lesquelles il a rompu tout lien, voient resurgir les fantômes du passé.

Après la guerre est inspiré de l’affaire Battisti. On se souvient que cet Italien, condamné par contumace à la prison à perpétuité, réfugié en France à partir de 1990, avait été arrêté en février 2004 et menacé d’extradition vers la France (sa requête devant le Conseil d’État tendant à l’annulation du décret le concernant puis sa plainte devant la CEDH ont été respectivement rejetées en 2005 et en 2007). Battisti s’est soustrait à son contrôle judiciaire en août 2004 et s’est enfui au Brésil où le statut de réfugié politique lui  a été accordé et où il vit depuis lors.

Après la guerre s’éloigne considérablement des faits réels. Il se concentre sur les premiers jours de la cavale de Battisti. Il en modifie radicalement l’issue – dont nous ne dirons rien. Il choisit de la reconstituer moins du point de vue de son principal protagoniste que de ceux de ses proches : sa fille, sa sœur et sa mère.

Ce choix de scénario est discutable. Outre qu’il écartèle le film en deux parties nettement distinctes, l’une en Italie, l’autre dans les Landes, que rien ne rapproche, il présente l’inconvénient de raconter des histoires de famille comme on en a déjà filmé tant et plus. La jeune Charlotte Cétaire a beau être excellente, sa prestation ne suffit pas à faire échapper son rôle des sentiers trop sages de la rébellion adolescente.

Il aurait été plus intéressant de se focaliser sur le prisonnier en cavale. Après la guerre le fait, dans une scène trop brève où il est confronté aux questions d’une journaliste jouée par la toujours juste Marilyne Canto. Elle lui demande s’il regrette le crime qu’il a commis vingt ans plus tôt, s’il a de la compassion pour l’enfant de huit ans qu’il a laissé orphelin. Marco biaise, ne répond pas. C’est cet évitement qu’il aurait fallu disséquer, souligner, critiquer. C’était là le vrai sujet du film qu’hélas Après la guerre a loupé.

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Mektoub, My Love : Canto Uno ★★★★

Plus intéressé par le cinéma et la littérature que par ses cours à la faculté de médecine, Amin rentre de Paris passer l’été chez sa mère  qui tient en famille un restaurant tunisien à Sète. Il retrouve son cousin Tommy, un dragueur invétéré, son oncle Kamel, sa tante Camélia. Il retrouve aussi une amie d’enfance, Ophélie, dont le mariage imminent avec Clément ne l’empêche pas de coucher avec Tony. Sur la plage, Amin et Tony font la connaissance de deux touristes de passage, la blonde Céline et la brune Charlotte.

C’est l’amour à la plage. Aou et cha-cha-cha. Le tube de Niagara date de 1986. Mektoub My Love (un titre dont rien ne viendra éclairer la signification mystérieuse) est censé se passer huit ans plus tard. On se demande d’ailleurs pourquoi avoir situé l’action du film à cette époque au risque de quelques anachronismes : le Charles-de-Gaulle, sur lequel le fiancé de Ophélie est censé voguer dans le Golfe persique, n’avait pas encore appareillé à cette date. Plus grave : le langage des ados en 1994 n’était pas émaillé des « kiff » et des « grave » qui ponctuent leurs dialogues. Au surplus, l’époque n’était pas celle de l’adolescence ni même de la post-adolescence d’Abdellatif Kechiche, né en 1960 et dont Amin constitue indiscutablement le double autobiographique.

Alors pourquoi 1994 ? Pour la musique géniale qui aligne les tubes qui nous ont fait danser sur les dance floors au temps révolu où j’avais encore des cheveux : You make me feel (qui accompagne la bande-annonce que je défie quiconque de regarder sans battre la cadence), Sing Hallelujah, Pump up the volume… Peut-être aussi pour fantasmer une époque sans racisme caractérisée par une mixité heureuse de Français et d’Arabes, de garçons et de filles, d’avant le 11-septembre et Charlie, d’avant le voile et le burkini.

De quoi est-il question dans Mektoub, My Love ? De rien de spécial au risque de friser l’inconsistance, les plus sévères diront de s’y perdre. Mektoub raconte ce que les garçons et les filles font l’été au bord de la Méditerranée : aller à la plage, se baigner, boire des coups, sortir en boîte, draguer, coucher, s’aimer et rompre… Approfondissant la technique qui était déjà la sienne dans L’Esquive ou La Graine et le Mulet, la poussant dans ses derniers retranchements, Abdekllatif Kechiche choisit de filmer la vie comme elle est, allongeant les scènes et allongeant son film au-delà de ce qu’on a l’habitude de voir au cinéma. Il en résulte un étonnement, parfois un malaise. Il faut les dépasser. La première scène nous y aidera, qui dure pas loin de vingt minutes, qui voit Amin surprendre Ophélie avec Tony. Mektoub, My Love dure près de trois heures. Parti pris sacrément culotté à une époque où le cinéma est si étroitement corseté dans un ensemble de règles et de normes censées garantir le succès.

Autre parti pris : celui de filmer la sensualité des corps, les peaux bronzées et mouillées par l’eau de mer, les filles plantureuses et callipyges. Quand la caméra d’Abdellatif Kechiche se pose sur une fille, elle la filme de haut en bas, en s’attardant sur ses fesses, comme le fait Amin, son personnage principal, qui regarde mais ne touche pas, moitié par timidité, moitié par gêne. « Male gaze » malsain d’un réalisateur border line – dont on sait par ailleurs le comportement avec ses actrices et avec son équipe technique sur le tournage de La Vie d’Adèle ? ou hommage à la dyonisiaque beauté du corps féminin d’un artiste qui se revendique de Renoir ? Retenons, pour la défense du réalisateur, que son regard ne salit pas, n’avilit pas et que son film, s’il trahit une approche masculine de la sensualité et du désir, ne donne pas de la femme une image dégradante.

« Pointless people, pointless stories « critiqua ma voisine à la sortie de la salle où elle n’avait cessé pendant près de trois heures de pousser des soupirs irrités en se contorsionnant sur son siège. Elle n’a pas entièrement tort. Mektoub, my love raconte la vie sans intérêt de personnages sans intérêt. Mais le cinéma, la littérature doivent-ils se focaliser sur des personnages « intéressants » ? N’ont-ils pas d’autant plus de mérite, d’autant plus de génie à sublimer l’existence ordinaire de personnages ordinaires ? La caméra bouillonnante de sensualité de Abdellatif Kechiche le démontre magistralement.

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