Tori et Lokita sont deux mineurs subsahéliens immigrés en Belgique. Ils vivent dans un foyer, travaillent au noir dans une pizzeria et se rendent complices de petits trafics pour gagner un peu d’argent. Inséparables depuis qu’ils se sont rencontrés sur le bateau qui leur a fait traverser la Méditerranée, ils se font passer pour frère et sœur. Mais leur histoire ne tient pas devant les services de l’immigration qui, s’ils ont accepté de délivrer un titre de réfugié à Tori, le refusent à Lokita.
Pour obtenir de faux papiers et rester en Belgique auprès de Tori, Lokita est obligée d’accepter le travail que lui confient des trafiquants de drogue sans scrupule.
Depuis un quart de siècle les frères Dardenne nous livrent à intervalles réguliers des drames ciselés au scénario soigneusement écrit, au montage hyper efficace, mettant en scène des héros désespérés, damnés de la terre, filmés souvent de dos, caméra à l’épaule, confrontés à des dilemmes moraux insurmontables. Leur cinéma est encensé par la critique. Chacun de leurs films est sélectionné à Cannes et en repart couvert de gloire : deux Palmes d’Or (pour Rosetta en 1999 et L’Enfant en 2005), prix du scénario pour Le Silence de Lorna en 2008, Grand Prix pour Le Gamin au vélo en 2011, prix de la mise en scène pour Le Jeune Ahmed…. Tori et Lokita est reparti de Cannes en 2022 avec le prix du 75ème, inventé tout exprès pour les frères Dardenne.
Cette avalanche de récompenses peut susciter la lassitude sinon le soupçon. Cette constance à explorer la même veine peut être dénoncée comme l’épuisement d’un genre et l’incapacité à le renouveler. Murielle Joudet dans Le Monde, l’exprime à la perfection dan sa critique de Tori et Lokita : « C’est l’habituel marathon de la souffrance, un peu plus sombre que d’habitude. Consciemment, l’intention des cinéastes reste inchangée : ils veulent éveiller les consciences, faire que les spectateurs « éprouvent aussi un sentiment de révolte contre l’injustice qui règne dans nos sociétés ». Inconsciemment, la mise en scène articule tout autre chose : celle-ci ne provoque plus vraiment d’empathie face à deux héros excessivement sanctifiés, mais un effet de déréalisation face à la démultiplication des malheurs, au dépouillement des décors, et au pessimisme qui semble teinter la conscience politique des Dardenne. Ici, ce n’est pas la violence du monde qui s’acharne sur le noble duo, mais bien plutôt un engrenage scénaristique, reconnaissable au premier plan. »
La critique est pertinente. Elle n’en est pas moins injuste : reproche-t-on à une montre suisse de donner l’heure exacte ?
Certes, le cinéma des films Dardenne n’a pas changé et reproduit de film en film les mêmes recettes éprouvées. Mais il le fait avec une telle efficacité qu’on ne s’en lasse pas. Loin de céder à la facilité, les frères Dardenne, bientôt septuagénaires, filment toujours à l’os, en retirant de leurs scénarios tout ce qui n’y est pas indispensable. Leurs films dépassent rarement l’heure et demie (Tori et Lokita dure quatre-vingt-huit minutes) car ils n’ont pas besoin de plus pour produire leur effet et délivrer leurs messages.
Alors, oui : les frères Dardenne ne sont pas des optimistes benêts. Leurs films se terminent rarement par un happy ending œcuménique. Et Tori et Lokita n’y fera pas exception. Mais c’est peut-être parce que l’état du monde et celui des plus fragiles n’incitent guère à l’optimisme hélas.
Un seul bémol peut-être : la pauvreté de l’interprétation. Dans leurs films précédents, les frères Dardenne savaient s’entourer des meilleurs : Jérémie Renier, Olivier Gourmet, Cécile de France, Adèle Haenel, Marion Cotillard…. Depuis Le Jeune Ahmed, ils font tourner des quasi-inconnus qui n’en ont pas le talent.