L’Usine, le Bon, la Brute et le Truand ★☆☆☆

La papeterie industrielle de Chapelle Darblay, rachetée par un groupe finlandais pour y produire du papier recyclé, a fermé en 2019. Son propriétaire a licencié son personnel et décidé de vendre le site industriel. Trois représentants du personnel, deux ouvriers cégétistes et un cadre sans étiquette, refusent de baisser les bras et mettent tout en oeuvre pour sauver le site et ses emplois.

Des documentaires sur des usines au bord du dépôt de bilan, on en a vu beaucoup. Au point de considérer qu’il s’agit désormais d’un genre à part entière : La Saga des Conti en 2013,  Des Bobines et des Hommes en 2017, Le Feu sacré fin 2020, Il nous reste la colère début 2023 sur l’usine Ford de Blanquefort et son célèbre délégué syndical, Philippe Poutou … On a vu aussi des films plus ou moins réussis sur ce thème : Ressources humaines de Laurent Cantet (qui n’avait pas encore gagné la Palme d’Or pour Entre nos mursLa Fille du patronReprise en main de Gilles Perret il y a un an à peine… Le meilleur du genre, et de loin, est de mon point de vue un film exceptionnel accueilli avec un succès mérité : En guerre de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon dans le rôle d’un syndicaliste CGT poussé à bout, ex aequo avec le film suivant de Stéphane Brizé, avec le même Vincent Lindon, Un autre monde.

L’Usine, le Bon, la Brute et le Truand a le défaut de venir se rajouter à cette liste désormais bien longue sans rien apporter au genre de nouveau. Comme toujours, c’est la même réalité économique qui est filmée – un site industriel français fermé par une multinationale – selon le même prisme militant – de courageux syndicalistes se battent contre un patronat anonyme et intransigeant. Comme d’habitude, c’est l’Etat et les politiques qui sont à la fois appelés à la rescousse et accusés de tous les maux s’ils n’accourent pas. Sur ce dernier point d’ailleurs, puisqu’on sait que Chapelle Darblay a finalement été sauvé, on aimerait que, pour une fois, l’action de l’Etat soit saluée au lieu, comme c’est souvent le cas, de crouler sous la triple critique de l’incompétence, du mépris voire de la corruption.

En regardant ce énième documentaire sur ce énième bras de fer, on se prend à espérer que le prochain ait le courage d’embrasser un point de vue différent. On adorerait voir cette histoire racontée du point de vue du patron pour montrer l’autre version des choses, loin de l’image caricaturale que les syndicats en donnent. On attend avec impatience le documentaire ou la fiction qui aura cette audace-là.

La bande-annonce

Making of ★★★☆

Réalisateur chevronné, Simon (Denis Podalydès) tourne en province son nouveau film inspiré d’une histoire vraie. Il traite de la résistance d’une poignée d’ouvriers à la fermeture et à la délocalisation de leur usine en Pologne. Son producteur (Xavier Beauvois) a bouclé son plan de financement grâce à une tête d’affiche bankable (Jonathan Cohen) dont le narcissisme sur le plateau et les relations tendues qu’il entretient avec l’actrice principale (Souheila Yacoub) provoquent des étincelles. Mais il y a pire : le chantage des producteurs qui exigent de Simon qu’il modifie la fin de son scénario, trop pessimiste à leur goût.

Cédric Kahn est décidément un réalisateur hors pair dont le seul défaut est d’avoir tourné des films si différents les uns des autres (L’Ennui, Roberto Succo, La Prière, Le Procès Goldman…) qu’on peine à trouver une unité à son œuvre. Dans un tout autre registre que son dernier film, sorti il y a trois mois à peine, il creuse un sillon souvent investi par les plus grands – Godard (Le Mépris), Fellini (Huit et demi), Truffaut (La Nuit américaine), Moretti (Mia Madre) – le film dans le film et les mises en abyme qu’il autorise.

Mais Making of ne se borne pas, comme la bande-annonce pourrait le laisser craindre, à raconter un tournage qui part en cacahuète. Ce film est autrement plus complexe et plus intelligent. Il agence plusieurs pistes de lecture.

La première, que j’ai évoquée, est les conflits d’ego entre acteurs, qui donne la part belle à Jonathan Cohen, dans un registre où on ne l’attendait pas, à cheval entre la comédie, dans le rôle outrancier d’un insupportable connard, et autre chose, plus subtil.

La deuxième, la plus stimulante, est la mise en abyme entre le sujet du film – des ouvriers qui se battent pour leur emploi – et les difficultés de la production consécutives au retrait des financeurs. Aux côtés de Simon, Viviane (Emmanuelle Bercot) tente de tenir la barque d’un navire qui prend l’eau de toutes parts. C’est un cinéma de la débrouille qui est filmé – comme l’avait fait déjà  Tom DiCillo dans Ça tourne à Manhattan dont Cédric Kahn dit s’être inspiré ou, plus récemment, Kim Jee-Won dans Ça tourne à Séoul ! – pour lequel l’enjeu principal est moins de réaliser un chef d’œuvre que de réussir à payer l’équipe à la fin du tournage.

S’ajoute une troisième dimension incarnée par un jeune figurant (Stefan Crépon découvert en geek génial dans Le Bureau des légendes) auquel Simon confie, par un hasard de circonstances, le soin de tourner le making-of. Sa passion du cinéma est dévorante. Il est prêt à tout pour la vivre, jusqu’à se faire embaucher comme figurant afin de glisser le scénario qu’il a écrit à ce réalisateur renommé qu’il n’aurait jamais pu approcher autrement. Double autobiographique revendiqué de Cédric Kahn lui-même, le jeune Joseph incarne, dans ce film qui aurait pu être écrasé par le cynisme, la part de rêve et de folie qui s’attache irréductiblement à l’art cinématographique.

Making of est un film intelligent et malin. Il lui manque peut-être le souffle et l’énergie qui font tout le génie de Coupez !, auquel je me trouve rétrospectivement bien chiche de n’avoir décerné que trois étoiles alors qu’il en méritait une quatrième. Mais j’en ai tout aimé, jusqu’à la fin malicieuse, en forme de clin d’œil plein d’autodérision.

La bande-annonce

Jeunesse (le printemps) ★☆☆☆

Il faut attendre trois heures et trente-cinq minutes pour qu’un carton final nous renseigne : l’action de Jeunesse se déroule à Zhili, une cité-dortoir à une centaine de kilomètres de Shangaï, dans le delta du Yangtze qui s’est spécialisée dans la confection textile pour enfants. Les employés qui y travaillent par milliers sont des jeunes hommes et des jeunes femmes originaires des provinces pauvres de la Chine de l’intérieur.

Wang Bing est un documentariste chinois. Ses œuvres sont d’une envergure monumentale. Je l’ai déjà évoqué dans les critiques précédentes que j’en ai faites : À l’Ouest des rails, une enquête ethnographique chez les ouvriers d’un complexe sidérurgique de Mandchourie en cours de démantèlement, durait 9h11 (sic). Un autre documentaire de Wang Bing, À la folie, tourné dans un asile psychiatrique, durait 3h47. En 2017 Wang Bing avait déjà planté sa caméra à Zhili pour filmer Argent Amer qui durait 2h36 seulement. J’écrivais fort doctement – et pourrais le réécrire sans y changer un mot : « La durée interminable des documentaires de Wang Bing n’est pas anodine. Si ses films durent si longtemps c’est parce que leur réalisateur veut rendre physiquement tangible chez le spectateur l’immersion physique dans son univers ».

Il faut donc prendre son élan – et ne pas oublier un détour par les toilettes – avant de se lancer dans un film de Wang Bing. Jeunesse, je l’ai dit, dure 3h35. Encore est-ce le premier volet d’un triptyque dont la durée totale annoncée excèdera les neuf heures.

Qu’y voit-on ? Des jeunes gens, d’une vingtaine d’années, qui travaillent dans des ateliers de confection. Il s’agit de micro-entreprises familiales. Le patron au rez-de-chaussée réceptionne le tissu et opère une première coupe. Une dizaine d’employés à l’étage assurent la couture. Ils sont logés dans des dortoirs dans les étages supérieures. La caméra les y filme dans leur quotidien.
On pourrait imaginer se retrouver chez Dickens, dans une industrie déshumanisée, avec des cadences d’enfer, des contremaîtres sadiques, des conditions de vie misérables. Ce n’est pas le cas. Il règne dans ces petites communautés bruyantes une ambiance joyeuse. Qu’on ne se méprenne pas : pas d’ambiance Freude durch Arbeit dans les ateliers chinois comme dans les camps de concentration nazis de sinistre mémoire, mais plus naturellement la conséquence naturelle de la cohabitation gentiment bordélique d’une dizaine de garçons et de filles d’une vingtaine d’années réunis par le hasard du recrutement et par une joyeuse confraternité.

Ce qui m’a frappé est la relation très fluide que garçons et filles entretiennent. Ils coexistent dans une mixité sans tension, sans domination patriarcale, sans enjeu. Des couples se forment – on n’évoque en revanche guère ceux qui se défont – caressent le projet de se marier et d’avoir des enfants, malgré les obstacles qui se dressent devant eux.

Jeunesse est constitué d’une dizaine de séquences d’une vingtaine de minutes chacune. Elles se déroulent dans l’un des ateliers où Wang Bing a été autorisé à tourner – on se demande avec quelle inconscience leurs patrons ont donné leur accord pour un résultat qui n’est guère à leur avantage et on se dit aussi que la censure chinoise est décidément bien laxiste pour laisser projeter de tels témoignages qui ne sont guère à l’honneur de l’Empire du milieu. Leur défaut est d’être bien répétitives. À chaque fois, c’est le même décor qu’on retrouve, les mêmes personnages et les mêmes enjeux minuscules. L’un des rares éléments de tension scénaristique est la négociation des salaires qui se déroule dans une étonnante informalité, autour du patron et d’une calculatrice.

Jeunesse aurait été passionnant s’il avait duré une heure trente. Mais je ne comprends pas l’intérêt d’en étirer le propos pendant plus de trois heures. Et a fortiori pendant neuf heures pour ceux qui, comme moi, auront le masochisme d’aller voir les deux volets suivants.

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Le Plongeur ★☆☆☆

Stéphane a dix-neuf ans. Il est inscrit à Montréal en école de design. Mais son addiction au jeu le coupe progressivement de sa famille et de ses amis et le laisse sans le sou. Sa seule planche de salut : le poste de plongeur qu’il a trouvé dans une trattoria.

Nous vient du Québec l’adaptation d’un roman qui y parut en 2016 et y fit grand bruit – tout en demeurant quasi inconnu de ce côté-ci de l’Atlantique. Son action se déroule au début des années 2000. Épais ouvrage de près de cinq cents pages, Le Plongeur est à la fois le roman d’une génération, une comédie romantique, un thriller et un documentaire dans les cuisines d’un restaurant gastronomique. Le défaut du film de Francis Leclerc est de lui être trop fidèle. Le résultat est un curieux bric-à-brac qui manque de rythme.

Son héros a beau avoir des faux airs de Timothée Chalamet, il n’a pas le talent instinctif d’un DeNiro ou d’un Pacino. Sa plongée dans les bas-fonds de Montréal a beau loucher vers les films de Scorsese, elle n’en a pas le souffle.

La bande-annonce

Bonnard, Pierre et Marthe ★★☆☆

Pierre Bonnard (1867-1947) fut longtemps éclipsé auprès du grand public par des peintres plus illustres : Van Gogh, Renoir, Gauguin, Cézanne, Monet, Manet… Depuis une vingtaine d’années, sa cote monte avec les grandes expositions qui lui sont consacrées à Orsay, à Tokyo, à la Tate Modern. Il quitte la deuxième division où ses amis nabis (Sérusier, Vuillard, Vallotton, Denis…) sont encore relégués, pour rejoindre la première. La preuve en est peut-être ce biopic qui lui est consacré.

Son réalisateur est Martin Provost. En 2008, son Séraphine accumula les récompenses (César du meilleur film, de la meilleure actrice pour Yolande Moreau, du meilleur scénario original…) et fit découvrir au grand public une artiste méconnue. Il consacra un autre film à une écrivaine, guère plus connue, Violette Leduc.

Martin Provost est à l’aise dans le biopic historique. Trop peut-être. Il joue sur du velours avec un sujet en or et des acteurs de premier plan : Vincent Macaigne, la tignasse enfin assagie, Cécile de France dont j’ai déjà eu ici souvent l’occasion de dire l’admiration éperdue que je lui voue et des seconds rôles aux petits oignons, à commencer par celui d’Anouk Grinberg, parfaite dans le personnage perché d’une pianiste polonaise excentrique, sans oublier André Marcon qui campe un Monet plus vrai que nature et Grégoire Leprince-Ringuet qui joue Vuillard sans qu’on montre jamais hélas une seule de ses œuvres.

Le film prend le parti, comme son titre l’indique, de raconter la vie de Bonnard à travers l’histoire de sa liaison avec Marthe. Il la rencontre, toute jeune, dans la rue, en 1893 mais refuse de la présenter à sa famille. Il l’épouse en août 1925 seulement et découvre à cette occasion qu’elle lui avait menti sur ses origines et sur son patronyme : loin d’être une aristocrate italienne orpheline comme elle l’avait prétendu, Maria Boursin de son vrai nom est issue d’une modeste famille du Berry qu’elle a toujours cachée par honte de classe.

Marthe fut la muse de Bonnard. Avec elle, dès 1893, il ose le nu. Elle apparaît, réaliste ou stylisée, dans quantité de ses toiles.

Mais outre que leur relation fut longtemps tenue secrète, Marthe est d’une santé fragile. Pour elle, Bonnard quitte de plus en plus souvent Paris pour la Roulotte, une petite maison des bords de Seine près de Vernon, et pour la province où Marthe fait des cures. Par sa faute, il se coupe de ses amis parisiens.

Le film explore l’intimité du couple autant sinon plus qu’il ne décrypte les toiles qu’il inspira. Si on sait que Bonnard eut plusieurs liaisons, le film de Martin Provost n’en évoque qu’une : celle que le peintre entretint pendant plusieurs années avec Renée Monchatty (Stacy Martin), une jeune artiste de vingt-sept ans sa cadette. Il fantasme une relation triangulaire que la biographie officielle de l’artiste ne cautionne pas.

Bonnard, Pierre et Marthe est un film paradoxalement sage. Il raconte la vie d’un peintre hédoniste. Il ne cache rien de sa liaison tumultueuse et créatrice avec sa muse. Mais son déroulé platement chronologique, ses deux longues heures au rythme pépère lestent le film d’un académisme convenu.

La bande-annonce

Amours à la finlandaise ★★☆☆

Juulia (Alma Pöysti, en tête d’affiche des Feuilles mortes), une députée qui aspire à prendre la présidence de son parti avant peut-être d’entrer un jour au Gouvernement, et Mattias, pasteur protestant élevé dans une éducation rigoureuse, forment un couple aimant. Mais leur belle entente se fissure quand Juulia découvre que son mari entretient depuis un an une relation adultère. La stupéfaction le cède bientôt à la colère avant de laisser place au désir de fonder leur relation sur de nouvelles règles : le polyamour.

On aurait tort de résumer le cinéma finlandais aux seuls films de Kaurismäki. Le géant taciturne et ses oeuvres si immédiatement reconnaissables ont le défaut d’éclipser le reste de la production nationale. J’aurais bien du mal à citer d’autres films finlandais que j’aurais vus ces dernières années : Compartiment n° 6, Any Day Now, Pulse, L’Etrange histoire du coupeur de bois, Tom of Finland….

Ces Amours n’ont rien de typiquement finlandais, sinon peut-être la langue si mystérieuse parlée par leurs personnages et l’absence de hiérarchie des relations sociales (imaginerait-on en France une députée cheffe de parti embrasser à bouche que veux-tu une drag queen dans une boîte de nuit ?). Cette histoire pourrait tout aussi bien se dérouler dans n’importe quel pays d’Europe, à l’exception de ceux, mais en existe-t-il encore, où la morale la plus pudibonde s’immisce dans l’intimité des chambres à coucher.

Le triangle amoureux, qui se transforme bientôt en rectangle sinon en pentagone, pourrait sembler bien improbable. On pourra à bon droit reprocher au film de céder à la facilité dans sa façon de se conclure. Pour autant, l’histoire reste crédible. Elle n’a rien de comique sinon précisément dans ses dernières scènes. Au contraire – et c’est là peut-être précisément où le film porte l’héritage de ses origines – elle est lestée d’une gravité toute nordique.

Tout y est aussi profondément empathique. Ce qui fait la qualité du film est la chaleur et la sincérité des relations humaines qui s’y jouent, sans jamais sombrer dans la mièvrerie. Deux écueils menaçaient cette histoire (comme ils menaçaient un autre film sorti cette semaine, Iris et les hommes) : l’excès de grivoiserie ou, à rebours, de bien-pensance, l’éloge de la polygamie ou celle de la monogamie. Intelligemment, là où le film français était trop binaire – si on ose dire – le film finlandais trouve un juste équilibre, un « en même temps » qui, aussi décrié soit-il en ces temps d’anti-macronisme hystérisé, est finalement la solution la plus intelligente qui soit.

La bande-annonce

Priscilla ★☆☆☆

Lorsque Priscilla Beaulieu rencontre Elvis Presley en 1959, sur une base américaine en Allemagne où le chanteur effectue son service militaire, il est déjà une star adulée alors qu’elle n’est encore qu’une collégienne de quatorze ans. Leur flirt s’interrompt avec le retour d’Elvis aux Etats-Unis quelques mois plus tard ; mais en 1962 Priscilla est invitée à Graceland et arrachera à ses parents l’accord pour s’y installer l’année suivante.
Si Priscilla jouit à Graceland d’un statut de princesse, elle étouffe vite auprès d’Elvis qui ne lui laisse aucune liberté et la gave de barbituriques. Après leur mariage et la naissance de Lisa, leur fille unique, Priscilla décide de quitter Graceland en 1972 après neuf ans de vie commune.

C’est peu dire que la sortie de Priscilla était impatiemment attendue. Le film, depuis sa projection à Venise, où son actrice principale, la révélation Cailee Spaeny, avait obtenu la Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine, était précédé d’une rumeur enthousiaste. La renommée de sa réalisatrice y était pour beaucoup. Depuis vingt-cinq ans, Sofia Coppola a réussi à se faire un prénom. Son dernier film est très cohérent avec le reste de sa filmographie : comme Virgin Suicides, Lost in Translation ou Marie-Antoinette, Priscilla raconte l’adolescence, le luxe, la solitude et l’ennui.

Certes Priscilla séduira la ou le fashionista qui se terre en chacun.e d’entre nous : Sofia Coppola a le don – ou le défaut ? – de filmer certaines de ses scènes comme des pubs de produits de marque qui subliment les bijoux, les sacs à main, les chaussures, les ensembles…

Mais Priscilla se heurte à un écueil redoutable : raconter paresseusement une histoire jouée d’avance, sans enjeu ni suspense. On sait que Priscilla est une oie blanche, trop jeune et trop timide pour se marier qui, passé l’émerveillement ressenti devant tout ce luxe désormais accessible (ah ! ces petits pieds aux ongles vernis qui s’enfoncent dans cette moquette rose si profonde !), va s’ennuyer ferme dans une prison dorée. On sait aussi qu’Elvis est un grand dadais immature, étouffé par son père et son impresario, écrasé par sa soudaine célébrité, qui n’imagine pas que sa femme puisse revendiquer la moindre liberté. Le film évoque sans y insister et avec beaucoup de doigté – sans que je sache si cette dimension a déjà été révélée dans les (nombreuses) biographies du King – son homosexualité refoulée.

Le film aurait pu emprunter d’autres voies plus audacieuses. Il aurait pu tourner au thriller en évoquant les tentatives ratées de Priscilla de s’enfuir, voire au porno trash, en décrivant une jeune femme avilie par les délires sexuels de son seigneur et maître. Mais Priscilla est bien trop sage. On s’y ennuie ferme et on accueille avec soulagement la séparation du couple, longtemps attendue et trop longtemps différée.

La bande-annonce

Iris et les hommes ★☆☆☆

Iris Beaulieu (Laure Calamy) s’étiole. Son mari (Vincent Elbaz), accro au boulot, ne la touche plus. Sa vie a beau être sans nuages – un métier prenant, deux filles merveilleuses, un splendide appartement haussmannien dans le centre de Paris – Iris, la quarantaine, s’ennuie. Sur le conseil d’une amie, elle s’inscrit sur un site de rencontres en ligne. C’est le début d’une nouvelle vie…

En 2020, Antoinette dans les Cévennes avait tout raflé : 900 000 entrées, le César de la meilleure actrice… Caroline Vignal et Laure Calamy reforment ce duo gagnant et le rappellent sur l’affiche du film, espérant ainsi rafler le même succès.

Hélas, si les mêmes ingrédients sont rassemblés – une tête d’affiche toujours aussi tonique, des situations souvent drôles dans lesquelles chacun et chacune se reconnaîtront, une morale gentiment consensuelle (« l’important c’est de se retrouver ») – la recette fonctionne mal.

La raison en est qu’on sait par avance où le film, bien sage, nous conduira. Dès le départ, tout est écrit : Iris s’ennuie et les rencontres qu’elle fera n’ont d’autres fonctions que de la désennuyer. La règle est affichée – elle ne quittera pas son mari – et elle est fidèlement tenue. Tout ce qui se passe entre le postulat de départ et le point d’arrivée est donc ravalé au rang de péripéties plus ou moins savoureuses, sans tension ni enjeu.

On bute alors sur le second défaut du film. Cette succession de rencontres, où vient s’intercaler un numéro de comédie musicale au rythme endiablé du célèbre It’s Raining men bizarrement traduit en français, est plus ou moins drôle. Est-elle censée représenter l’échantillon moyen des rencontres qu’une quadragénaire parisienne est supposée faire sur Meetic : un dépressif trop collant, un Dom Juan prétentieux, un métis terriblement séduisant, un fétichiste vaguement inquiétant, un post-ado en mal de cougar ? Rassurez-vous (ou désespérez-vous) : aucune de ces rencontres ne violera le code Hays et ne mettra notre vaillante héroïne en danger [on peut légitimement se demander si la façon dont elle rembarre son harceleur est une dangereuse minoration des violences sexuelles dont les femmes sont victimes ou tout simplement la réaction la plus saine et la plus pertinente à avoir dans de telles situations].

Une seule pépite sauve l’ensemble du naufrage : le rôle hilarant tenu par l’assistante médicale d’Isis (Suzanne de Baecque) dont la réaction à la dick pic qui s’affiche sur le portable de sa patronne restera le moment le plus drôle du film.

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Moi capitaine ★☆☆☆

Seydou et Moussa, deux adolescents dakarois, attirés par les mirages de l’eldorado européen, décident, contre l’avis de leur famille, de tenter leur chance et d’émigrer. Les voilà en route vers l’Italie. Leur chemin, à travers le Sahara et la Libye, sera semé d’embûches.

Matteo Garrone est peut-être l’un des réalisateurs italiens les plus prometteurs. On lui doit Gomorra, prix du jury à Cannes en 2008, adapté du brûlot du journaliste d’investigation napolitain Roberto Saviano. On lui doit aussi Dogman, qui avait raté de peu la Palme en 2018 et s’était consolé avec le prix d’interprétation masculine et le David , l’équivalent des Oscars, du meilleur réalisateur.

Moi capitaine a reçu le Lion d’argent à la Mostra de Venise en septembre dernier. C’est un film fort sur un sujet désormais bien connu hélas : l’odyssée des migrants subsahariens qui traversent le continent africain et la Méditerranée au péril de leur vie pour essayer de rallier le continent européen. Cette équipée meurtrière aurait – les estimations sont en l’espèce hasardeuses – causé la mort de vingt-sept mille migrants ces quinze dernières années.

Moi capitaine a une incontestable valeur pédagogique. Pédagogique pour nous Occidentaux afin que nous prenions conscience du traitement inhumain des migrants qui parviennent non sans mal sur notre sol et que nous n’accueillons pas toujours fraternellement. Pédagogique – à supposer qu’ils le voient – pour les Arabes qui abusent de cette main d’oeuvre bon marché. Mais pédagogique aussi pour tous les Africains subsahariens qui s’imaginent à tort que le voyage vers l’Europe est une expédition sans danger.

Mais un film ne saurait se réduire à sa seule dimension pédagogique. Moi capitaine a le défaut de venir après d’autres films qui ont déjà traité du même sujet : la traversée du Sahara par des migrants (Mediterranea), le sort qui leur est réservé en Libye (L’Ordre des choses). Michael Winterbottom avait de la même façon documenté la traumatisante odyssée d’un immigré afghan vers l’Angleterre (In this world).

Mais il a surtout un défaut rédhibitoire : être tout entier enfermé dans son pitch et dans sa bande annonce. En moins de deux minutes, elle nous montre le film tout entier et nous permet de faire l’économie de ses deux longues heures inutilement démonstratives.

La bande-annonce