Le Cheval de Turin (2011) ★★★★

La légende veut qu’en 1889, à Turin, le philosophe allemand Friedrich Nietzsche ait été ému aux larmes par le spectacle d’un cheval violemment fouetté par son cocher et que ce spectacle l’ait traumatisé si durablement qu’il se mura pendant les dix dernières années de sa vie dans le silence.
Cette anecdote est racontée en voix off au tout début du film. L’image suivante nous montre une vieille carne (peut-être s’agit-il du cheval de Turin dont la voix off vient de nous dire qu’on ignore ce qu’il en est advenu) et un cocher cheminant sur une sente battue par les vents. Le cocher rentre chez lui, une ferme isolée et misérable. Sa fille l’y attend.
Pendant les six jours que durera le film, tandis que la tempête bat aux portes de la pauvre masure et que l’obscurité semble recouvrir peu à peu le monde, le cocher et sa fille répètent les mêmes gestes quotidiens : le lever, l’eau qu’on va chercher au puits, le maigre repas pris en silence….

Le Cheval de Turin est un film intimidant d’un cinéaste dont le nom est souvent cité à côté de ceux de Carl Dreyer, d’Andrei Tarkovsky, de Lav Diaz, de Apichatphong Weerasethakul ou de Carlos Reygadas. Ces réalisateurs ont en commun d’avoir réalisé des oeuvres radicales, d’une immense exigence formelle, austères jusqu’à l’épure, d’une durée parfois trop écrasante (Death in the Land of Encantos de Lav Diaz dure neuf heures et Le Tango de Satan de Béla Tarr en dure sept et demi).
Face à ces oeuvres extrêmes, deux réactions paroxystiques se rencontrent qui sont l’une comme l’autre sujettes à caution. La première est l’enthousiasme outré aux relents snobs et germanopratins. La seconde est le procès en supercherie qui verse dans l’excès inverse : l’anti-intellectualisme démagogue et populiste.

Bien conscient de ces deux écueils, je m’étais soigneusement préparé à la séance programmée dans une salle du Quartier latin devant un public nombreux de cinéphiles jeunes et ravis. J’avais doublé la dose de café que je m’administre normalement pour éviter de sombrer dans un irrépressible endormissement narcoleptique. Mais cette précaution s’est avérée inutile.

Certes Le Cheval de Turin dure près de deux heures trente. À l’exclusion de son premier plan – qui suit pendant une dizaine de minutes muettes le cocher et son cheval sur le chemin qui les ramène chez eux – son action se déroule dans un lieu unique. On n’y voit guère que deux personnages, le cocher infirme et sa fille. Ils n’échangent quasiment aucune parole sinon celles, rares et sèches, indispensables à la vie quotidienne. Seules et brèves intrusions : celle d’un voisin bavard et prêcheur d’apocalypse et celle d’une bande de gitans voleurs de poules.  Le film est une longue répétition des mêmes situations, des mêmes gestes. On entend le bruit de la tempête et une phrase musicale entêtante – composée par le musicien attitré de Béla Tarr, Mihály Vig.

Aude Lancelin dans Marianne a parlé d' »expérience limite pour les nerfs du spectateur », d’un « ennui quasi intolérable », et Laurent Pécha dans Écran large de « torture cinématographique ». Je les comprends volontiers et compatis à leur douleur.

Pour autant, Le Cheval de Turin restera une des expériences les plus envoûtantes et les plus intelligentes qu’il m’ait été donné de vivre au cinéma.
La raison en est double. La première est purement formelle. Si, en effet, l’histoire du Cheval de Turin est un long ressassement, la caméra de Béla Tarr jamais ne se répète. Ces scènes quotidiennes dont la répétition pourrait menacer d’épuiser la patience du spectateur sont à chaque fois filmées différemment. Ainsi du repas pris face à face par ces deux commensaux muets qui déchirent à mains nues, au risque de s’y brûler, une patate tout juste sortie du four. Ainsi du puits où la fille se rend chaque matin au réveil pour y prendre deux seaux d’eau malgré le blizzard qui la coupe en deux.

La seconde tient au sujet même du film. Il ne se dévoile que lentement. Son interprétation reste d’ailleurs ouverte. Cette interprétation n’est que la mienne : Le Cheval de Turin est une Genèse à l’envers, une histoire qui se déroule sur six journées et raconte progressivement l’extinction de toute vie. Son dernier quart d’heure est tétanisant. C’est une scène mythique et une expérience métaphysique dont je ne vois guère d’égale que dans le dénouement de 2001, Odyssée de l’espace.

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L’Odeur du vent ★★★☆

Dans une vallée reculée du Sud-Ouest iranien, un herboriste privé de l’usage de ses jambes s’occupe seul de son fils tétraplégique. L’électricité tombe en panne. Il parvient, non sans mal, à appeler un technicien qui va tout mettre en oeuvre pour la rétablir.

Le cinéma iranien, ou du moins ce que nous en connaissons hors des frontières de ce pays si hostile, à la population pourtant si hospitalière, se divise grossièrement en deux branches. La première est urbaine et se nourrit du rythme trépidant de villes qui ne dorment jamais pour raconter des histoires compliquées dont les héros sont confrontés à d’inextricables dilemmes moraux et pour faire, en passant, la critique subtile du régime des mollahs. Elle est incarnée par Ashgar Farhadi (Une séparation, Un héros) Saeed Roustaee (La Loi de Téhéran) ou Mohammad Rassoulof (Le diable n’existe pas). L’autre est rurale, moins politique et filme en longs plans, fixes ou depuis le siège passager d’une voiture cahotant sur des chemins cabossés, la nature immuable dans laquelle les hommes vainement s’agitent. Cette veine-là est dominée par l’ombre encombrante d’Abbas Kiarostami (Au travers des oliviers, Le Goût de la cerise). [Où se situent les films de Jafar Panahi , qui sont aussi urbains (Taxi Téhéran) que ruraux (Aucun ours) me demanderez-vous avec la joie de me coincer ? Entre les deux rétorquerai-je en ayant conscience de répondre par un tour de passe-passe à cette question qui souligne la grossièreté de la dichotomie que j’ai suggérée]

Ce film de Hadi Mohaghegh, son quatrième, mais le premier diffusé en France, s’inscrit clairement dans cette seconde branche qu’on pourrait qualifier de kiarostamienne. On y voit en longs plans fixes de splendides paysages d’une nature majestueuse et quasi désertique. Un chemin parfois s’y dessine, goudronné ou pas, où circule lentement une voiture, une moto ou un piéton. Sa lenteur témoigne à la fois de son impuissance et de sa persévérance.

Car L’Odeur du Vent met en scène la petitesse de l’homme face à la nature et sa capacité sinon à en devenir le maître du moins à venir à bout à force de ténacité des obstacles qu’elle lui oppose. L’Odeur du Vent est une fable sur la bonté humaine. Elle raconte tout simplement comment Eskandari, agent 752, va tout mettre en oeuvre pour que l’électricité de l’herboriste lui soit rétablie. Attention ! Qu’on n’imagine pas ici des rebondissements hollywoodiens et rocambolesques. Il s’agira tout simplement – si on ose dire – d’aller chercher une douille dans un autre village pour réparer le transformateur en panne, de se tromper d’adresse, de rebrousser chemin, de s’embourber dans une rivière à gué, de croiser en chemin un aveugle et de l’accompagner à un rendez-vous galant, de découvrir, une fois la douille remplacée, qu’une fuite d’huile empêche le courant de revenir alors que la nuit tombe et que la maisonnée est plongée dans le noir, d’aller chercher un générateur, etc.

On ne racontera pas l’histoire jusqu’à son terme, même si le dénouement est proche ; car le film repose peut-être sur un minuscule suspense : oui ou non, le courant sera-t-il rétabli ?
Mais on aura compris que l’essentiel n’est pas là. Il n’est pas tant dans le résultat des efforts démesurés déployés par l’agent 752 que dans ses efforts eux-mêmes. Quel en est le ressort ? Qu’est-ce qui pousse cet homme à soudainement consacrer autant de temps et d’énergie à un résultat dérisoire ? N’a-t-il pas d’autres tâches urgentes à accomplir pour d’autres clients ? N’a-t-il pas une hiérarchie qui le surveille et qui pourrait s’émouvoir du temps gaspillé pour un seul client ? N’a-t-il pas une femme, des enfants, une famille qui l’attend ?

On n’en saura rien. Et ce refus de toute explication, de toute psychologisation participe de la réussite de ce film construit comme une parabole.
« Le Bien ne fait pas de bruit » dit-on. Qui ne croit ni en Dieu ni en l’Homme croira peut-être après avoir vu L’Odeur du vent, un film touché par la grâce.

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Je verrai toujours vos visages ★★★☆

La justice restaurative, nous dit le site du ministère de la justice, associe, selon diverses modalités, des auteurs d’infraction pénale et des victimes « en vue d’envisager ensemble les conséquences de l’acte, et le cas échéant, de trouver des solutions pour le dépasser, dans un objectif de rétablissement de la paix sociale ». Prévue par une directive européenne, la justice restaurative a été inscrite dans la loi en 2014.
Jeanne Herry aurait pu lui consacrer un documentaire. Elle lui préfère la fiction en convoquant une belle brochette d’acteurs : sa mère Miou-Miou (excellente dans le rôle d’une septuagénaire qu’un vol à l’arraché a durablement traumatisée), Gilles Lellouche, Jean-Pierre Darroussin, Denis Podalydès, Leïla Bekhti, Fred Testot (méconnaissable) et Adèle Exarchopoulos sur laquelle, si j’ose dire, je reviendrai.

Le précédent film de Jeanne Herry, Pupille, m’avait ému aux larmes. Je lui avais mis quatre étoiles et l’avais rangé au sommet de mon Top 10 en 2018. Lui aussi, qui suivait le parcours de l’adoption d’un bébé né sous X, empruntait déjà à la même veine documentaire. Il convoquait d’ailleurs les mêmes acteurs : Miou-Miou, Podalydès, Bouchez, Lellouche….

La recette marche une fois encore avec quasiment la même efficacité. Hier, une amie me disait l’avoir détesté. Elle parlait de naïveté, d’indécence et de bien-pensance. Je comprends sa colère. Je verrai toujours vos visages est englué dans une bien-pensance mielleuse. Le film nous prend en otage et nous interdit par avance, tant son sujet est admirable, de le contredire. Ces deux reproches d’ailleurs pouvaient être adressés à Pupille contre lequel quelques rares voix dissidentes se sont élevées à rebours de l’avalanche de louanges qui l’avait accueilli.

Mais je trouve à ce film trois immenses qualités qui emportent ma conviction.

La première est son sujet, original et ardu. Imaginez la tête des producteurs quand Jeanne Herry est venue leur proposer un film sur « la justice restaurative » : « Euh, Jeanne… bien sûr… en effet… mais tu voudrais pas plutôt écrire un scénario sur un sujet plus bankable ? ». Courageusement, lucidement, Je verrai… saisit à bras-le-corps ce sujet austère et, avec un remarquable sens de la pédagogie, sans prendre le spectateur pour un imbécile, mais sans non plus lui prêter un savoir qu’il n’a pas, le lui expose : ce qu’est la justice restaurative, mais aussi ce qu’elle n’est pas, les objectifs qu’elle se fixe, tant du point de vue des victimes que des condamnés, les modalités de son fonctionnement.

La deuxième est l’admirable subtilité de son écriture.
Hier, dans une critique assassine, j’étrillais Sur les chemins noirs adapté du récit de Sylvain Tesson. Je persiste et signe dans mon opinion radicale. Qu’y avait-il dans ce film-là ? une seule idée : un homme se reconstruit après un terrible accident en traversant la France à pied. Quelle richesse au contraire, quelle subtilité dans ce film-ci où quasiment chaque scène suscite un flot de réflexions.
Il se focalise sur deux processus. Le premier confrontera trois condamnés pour violence à trois victimes : la première, on l’a dit, interprétée par Miou-Miou, a été victime d’un vol à l’arraché, la deuxième, (Leila Bekhti), est une employée d’une supérette braquée par des cambrioleurs, le troisième (Gilles Lellouche) un père de famille pris en otage avec sa fille à son domicile. Le deuxième processus se réduit à un duo :  il s’agit d’une sœur, abusée dans son enfance par son frère qui vient de sortir de prison, de revenir dans sa ville et que sa sœur appréhende de revoir.
Ces face-à-face pourraient être manichéens. Ils ne le sont jamais. Chacun, victime ou coupable, a ses raisons, prend sur soi de les expliquer calmement et surtout, accepte d’écouter celles de l’autre. Quelle merveille, à l’heure où nous sommes souvent bien en peine de nous parler sans nous invectiver, de voir des gens de bonne volonté emprunter une autre voie et en sortir grandis !

La troisième est Adèle Exarchopoulos. J’ai déjà dit mon admiration pour cette actrice qui ne s’abîme pas dans la facilité, fait des choix exigeants et affirme de film en film son talent. Elle est ici impressionnante de maîtrise dans un rôle terrible, à fleur de peau. Qu’elle pleure ou qu’elle sourie cette actrice m’émeut au tréfonds.

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The Whale ☆☆☆☆/★★★★

Charlie (Brendan Fraser) a perdu le contrôle. Après la mort de son compagnon, il s’est laissé aller à une boulimie maladive et a pris du poids jusqu’à devenir un énorme corps malade de 260kg, quasiment impotent, menacé de céder d’un instant à l’autre à un infarctus fatal.
Charlie enseigne à distance l’anglais à des adolescents auxquels il essaie de transmettre son goût de la littérature et qu’il exhorte sans succès à faire preuve de plus d’authenticité dans leurs rédactions.
Liz, une infirmière bienveillante, est son seul lien physique avec le monde extérieur.
Sentant sa fin prochaine, Charlie veut renouer avec sa fille, Ellie, une adolescente rebelle, que son ex-femme l’a empêché de voir depuis que Charlie a reconnu son homosexualité et a divorcé.

The Whale est un film-choc qui m’a inspiré des réactions contradictoires. J’ai longtemps hésité sur la « note » que je lui mettrai – puisque la règle, même si elle m’exaspère, veut que je mette une « note » à chacun des films que je critique sur ce blog. J’aurais dû faire la moyenne des sentiments paroxystiques que ce film a suscités chez moi et logiquement lui attribuer un 10/20 médian. Mais deux étoiles aurait été un jugement bien fade sur un film qui ne l’est pas.

The Whale vaut d’abord pour l’interprétation hénoooooorme de Brendan Fraser, une de ces figures christiques que Hollywood adore et à laquelle elle vient d’ériger un autel en lui décernant l’Oscar du meilleur acteur. On ne voit rien de lui sinon d’abord un écran noir dans une visioconférence qu’il anime en prétextant une panne de caméra. Puis son corps apparaît, vautré dans un sofa. Il s’en extrait non sans mal et aidé par un déambulateur, ahanant, se dirige vers les toilettes. Image dantesque, même si son effet vient autant sinon plus des prothèses collées sur le corps de l’acteur que de son jeu.

The Whale vaut ensuite pour ce portrait bouleversant – ne demandez pas où je suis allé chercher cet adjectif – d’un homme en perdition, ivre de chagrin, qui se suicide lentement à force de corps gras. Il ne faut pas avoir le cœur au bord des lèvres pour le regarder se goinfrer de pizza, de mayonnaise, de boissons sucrées… et il ne faut pas avoir de cœur du tout pour ne pas être retourné par la somme de solitude, de chagrin et de remords qui l’écrase.

Mais The Whale a au moins autant de défauts que de qualités.
C’est l’adaptation d’une pièce de théâtre qui peine à s’affranchir du théâtre filmé : un seul décor dont on ne sortira quasiment pas, quatre ou cinq personnages à peine, de longues tirades. On attendait autre chose, on attendait mieux de Darren Aronofsky dont les transgressions punk – qu’on se rappelle Pi ou Requiem for a Dream – promettaient de faire souffler un grand vent d’air frais dans le cinéma hollywoodien du début des années 2000.

Ce huis clos nous prend au piège d’un drame suffocant.
Le film aurait été grandiose s’il s’était réduit au face-à-face entre Charlie et son infirmière. Mais on dira encore – et on aura raison – que je fais la critique du film que j’aurais aimé voir. Hélas, le scénario a la mauvaise idée d’introduire deux autres personnages : un jeune prêcheur faisant du porte-à-porte pour rallier de nouveaux fidèles et Ellie, la fille de Charlie, insupportable adolescente qui oppose aux tentatives larmoyantes de son père pour se rapprocher d’elle des rebuffades toujours plus cruelles dont on comprend vite qu’elles cachent un manque abyssal d’amour.

Le principal défaut de The Whale est l’énorme pathos dans lequel il est englué. Derrière ses montagnes de graisse, Brendan Fraser nous décoche des regards noyés de chagrin de petit chat écorché qui émouvront jusqu’aux plus endurcis.
La dernière scène – dont je ne suis pas certain d’avoir compris le sens – m’a laissé dans le même état d’incertitude que le reste du film : est-elle déchirante ou insupportablement pathétique ?

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Mon crime ★★★☆

Madeleine Verdier (Nadia Tereszkiewicz) et Pauline Mauléon (Rebecca Marder) partagent une chambre de bonne dont elles ne parviennent plus à payer le loyer. La première est une artiste sans cachets, la seconde une avocate sans clients.
Mais la chance semble leur sourire quand Madeleine est suspectée du crime d’un célèbre producteur retrouvé tué d’une balle dans la tête juste après avoir reçu la jeune actrice sur la promesse d’un rôle et avoir tenté d’abuser d’elle. Pauline y voit l’occasion pour son amie, qui s’accusera d’un crime qu’elle n’a pas commis et plaidera la légitime défense, et pour elle qui en assurera brillamment la défense, de devenir célèbres et de sortir de la pauvreté.

François Ozon, décidément l’un des tout meilleurs réalisateurs français contemporains, est de retour, comme chaque année, avec la même régularité métronomique qu’Amélie Nothomb à chaque rentrée littéraire. Après l’adaptation de deux romans en 2020 (Été 85 dont la jeune révélation Felix Lefebvre tient un petit rôle dans Mon crime) et 2021 (Tout s’est bien passé), Ozon adapte à nouveau, comme il vient de le faire en 2021 avec Peter von Kant, une pièce de théâtre.

Il s’agit d’une pièce de boulevard, signée Georges Berr et Louis Verneuil, qui fut un grand succès dans les années 30 avant de sombrer dans l’oubli. Ozon est amateur du genre : il avait déjà ressuscité des pièces surannées – la première datait de 1958, la seconde de 1980 – pour réaliser Huit femmes et Potiche.
Ozon n’a pas son pareil pour s’emparer de ce matériau-là et en assumer avec une sympathique effronterie toute l’artificialité.

La Grande Magie réunissait quasiment les mêmes ingrédients : l’une des réalisatrices les mieux introduites de la place de Paris, une pléiade d’acteurs tous plus bankables les uns que les autres – y inclus Rebecca Marder – l’adaptation d’une pièce de théâtre à succès et une intrigue qui se déroulait dans l’entre-deux-guerres. Et pourtant La Grande Magie ne m’a pas plu. Pourquoi ? Parce que La Grande Magie, sous des dehors de légèreté, se prenait au sérieux, alors que Mon crime n’a pas ce travers.

Mon crime est léger comme une coupe de champagne qui se consomme le sourire aux lèvres en grignotant des fraises. Tout y est spirituel et pétillant.
Ozon – qui sait attirer autour de lui les meilleurs acteurs du moment – réunit le duo le plus prometteur du jeune cinéma français : Nadia Tereszkiewicz, auréolée de son récent César du meilleur espoir féminin pour son rôle dans Les Amandiers et Rebecca Marder, coiffée au poteau par la précédente pour cette distinction qu’elle aurait amplement méritée pour son interprétation dans Une jeune fille qui va bien.

Mon crime fait le pari audacieux de les entourer d’une luxueuse galerie de seconds rôles, qui ont tous l’âge d’être leurs grands-parents et qu’on avait, pour certains, perdu l’habitude de voir à l’écran : Daniel Prévost, Régis Laspalès, Franck de La Personne (blacklisté pour ses sympathies frontistes), Myriam Boyer, Evelyne Buyle… Je ne peux évidemment pas ne pas évoquer Fabrice Lucchini, qui tente désespérément d’arriver à la cheville de Louis Jouvet, et Isabelle Huppert dont l’honnêteté m’oblige à reconnaître qu’elle est désopilante d’autodérision dans le rôle d’une vieille actrice sur le retour.

Sorti le 8 mars, mettant en vedette deux héroïnes, Mon crime s’affiche volontiers comme un film féministe. Mais on peut s’interroger sur cette classification flatteuse. Grâce à la chaleureuse sororité qui l’unit à Pauline, Madeleine, dont son fiancé veut faire sa maîtresse et que le juge d’instruction prend pour une grue, va prendre sa revanche sur la phallocratie. Mais cette revanche n’est nullement subversive. Madeleine et Pauline ne renversent pas les règles d’un monde honni mais y cherchent et y trouvent leur place.

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The Fabelmans ★★★★

La vie de Sam Fabelman fut changée à jamais après que ses parents l’eurent amené, à cinq ans à peine, voir au cinéma son premier film, Sous le plus grand chapiteau du monde. Avec la caméra que ses parents lui offrent quelques années plus tard, le jeune Sam filme sa famille qui vient de déménager en Arizona et tourne même quelques courts-métrages avec des amis scouts. Entouré de son père, un ingénieur brillant qui participe chez General Electric à la naissance de l’informatique, de sa mère (Michelle Williams), une artiste refoulée, de ses trois sœurs, et d’oncle Bennie (Seth Rogen), un collègue de travail de son père devenu membre à part entière de la famille, Sam y vit ses années les plus heureuses.
Le déménagement en Californie est un arrachement pour sa mère, qui sombre dans la dépression, et surtout pour Sam, en butte dans son lycée à l’antisémitisme de ses camarades. Mais ses épreuves ne viendront jamais à bout de l’irrésistible envie de Sam de filmer.

Au crépuscule de sa vie (il soufflait ses 76 bougies en décembre), Steven Spielberg nous livre son film le plus intime. L’histoire du jeune Sam Fabelman est, à quelques détails près, celle de sa vie dans l’Amérique des années 50 : il est né en 1946 à Cincinnati dans l’Ohio de parents juifs polonais qui déménagent dans le New Jersey, puis en Arizona et en Californie, au gré des promotions de son père, avant de divorcer en 1964.

Cette autobiographie ne brille certes pas par son originalité. The Fabelmans n’est pas un film qui révolutionne l’histoire du cinéma. Ce n’est pas non plus un film aussi complexe que mes coups de cœur les plus récents – Babylon, Tar – ou que d’autres que je n’ai pas autant aimés mais dont je reconnais volontiers les qualités – Nostalgia, Godland, Aftersun… Mais The Fabelmans n’en reste pas moins un film qui déborde d’amour pour le cinéma et qui mérite à ce titre selon moi sans barguigner ses quatre étoiles.

Avec l’art consommé qui est le sien, Spielberg met en images quelques-uns des adages autour desquels sa légende personnelle s’est construite : « la vie est plus belle quand on la filme » ou « l’œil de la caméra est plus intelligent que l’œil humain » (qui donne lieu à une des meilleures séquences du film).

Le film est long – 2h31 – mais il a ce rythme lent et paisible qu’avaient les grands films d’antan. On ne s’y ennuie pas une seconde. Peut-être enregistre-t-il une baisse de rythme aux deux tiers, à l’arrivée de Sam au lycée. Mais elle est aussitôt oubliée avec la séquence la plus drôle du film, dans la chambre à coucher d’une jeune lycéenne born again.

Film universel sur l’enfance, sur la dislocation familiale, sur une vocation irrépressible, The Fabelmans parle à notre cœur autant qu’à notre intelligence.

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Youssef Salem a du succès ★★★☆

Youssef Salem (Ramzy Bedia), la quarantaine bien entamée, vient de publier son premier roman. Le Choc toxique raconte la relation compliquée d’un enfant issu de l’immigration à la sexualité et à l’intime. S’il ne s’agit pas d’une autobiographie, ce roman s’inspire très largement de l’enfance et de la famille de Youssef. Pour ce motif, l’écrivain redoute que son père et sa mère en découvrent le contenu. Mais la célébrité grandissante de son ouvrage, boostée par la polémique provoquée sur les réseaux sociaux par les déclarations de son auteur et par sa sélection pour le Goncourt, va mettre en péril son désir d’anonymat.

Baya Yasmi est désormais une personnalité installée du cinéma français. Elle a co-signé le scénario de plusieurs films de Michel Leclerc, son compagnon, parmi lesquels Le Nom des gens, dans lequel Sara Forestier jouait une militante de gauche qui couchait avec des électeurs de droite pour les convaincre de changer leur vote, et La Lutte des classes, qui mettait en scène un couple de bobos parisiens (interprétés par Leïla Bekhti et Edouard Baer) tiraillé entre leurs convictions politiques et l’éducation de leur fils (je glousse encore à l’évocation de la scène où les paroles anarchisantes des morceaux de hard rock joués par Edouard Baer resurgissent durant l’entretien qu’il doit passer devant un directeur d’école catholique pour y faire entrer son fils).
Baya Yasmi avait déjà signé un film, Je suis à vous de suite, dont j’écrivais à sa sortie en 2016 qu’il était « un bijou d’originalité ». On retrouve dans Youssef Salem… quelques uns des acteurs de ce précédent film – Ramzy Bedia au premier chef, mais aussi Vimela Pons et Lyes Salem – et on se plaît à imaginer qu’ils constituent une bande soudée par une longue amitié qui aime à se réunir autour d’un méchoui – ou d’un cassoulet (voir infra).

J’ai retrouvé dans Youssef Salem tout ce que j’avais aimé dans ces précédents films.

En premier lieu, on y rit. On y rit beaucoup. Et ce n’est pas rien en ce janvier maussade et en cette période de grèves, de rigueur énergétique et d’instabilité géopolitique qui n’incite guère à la légèreté.

On y rit ; mais on y rit intelligemment, en questionnant les sujets de société qui tiennent à cœur à cette réalisatrice, femme de gauche, laïque, féministe, issue de l’immigration et fière d’en être, mais refusant d’avoir à administrer la preuve de sa francité ou de son adhésion aux valeurs de la République. Comme Le Nom des gens ou La Lutte des classes, Youssef Salem… est un film qui mêle l’intime et le politique. Il interroge le statut de l’écrivain, celui de l’artiste, auquel est constamment renvoyée sa propre biographie. Mais il interroge aussi la place et le statut de l’Arabe de la seconde génération dont le désir d’invisibilité ou le « droit à la médiocrité » – que revendique lors d’un débat télévisé homérique le héros – est constamment mis en échec par les injonctions contradictoires d’une extrême droite racisante et d’une extrême gauche identitariste.

Youssef Salem… pourrait n’être qu’une succession de vignettes drôles et intelligentes. Mais c’est plus que cela. Elles s’enchaînent dans une histoire comme je les aime, avec un début, un milieu et une fin, sans flashbacks inutilement acrobatiques, ni ellipses savamment déroutantes. Ramzy Bedia, longtemps cantonné à des rôles comiques, y démontre la richesse de sa palette. Les seconds rôles y sont excellents, à commencer bien entendu par Noémie Lvovsky, toujours étonnante, et Melha Bédia qui incarne le rôle de la petite sœur du héros, en révolte permanente contre le mépris, réel ou fantasmé, dans laquelle elle s’estime tenue du fait de son sexe, de sa culture ou de sa morphologie (on, apprend grâce à elle un nouveau mot : l’islamo-grossophobie).

J’ai beau chercher, je ne trouve à ce film qu’un seul défaut : son titre.

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Babylon ★★★★

Babylon raconte Hollywood à la fin des années 1920, au moment de basculer du cinéma muet au cinéma parlant, à travers l’histoire de quelques unes de ses figures, célèbres ou anonymes : la star Jack Conrad (Brad Pitt), la jeune danseuse Nelly LaRoy (Margot Robbie), Manuel, un Mexicain, homme à tout faire (la révélation Diego Calva), le trompettiste noir Sidney Palmer (Jovan Adepo), la critique de cinéma Elinor Saint-John (Jean Smart), la  sulfureuse chanteuse de cabaret Lady Fay Zhu (Li Jun Li), etc.

Vous avez certainement rencontré dans un dîner en ville un convive bruyant qui monopolise la parole et l’attention. Bardé de diplômes, il occupe un poste prestigieux dans une boîte du CAC 40 ou à la Direction générale du Trésor ; il connaît les gens qui comptent et regorge à leur sujet d’anecdotes croustillantes ; champion de tennis de table, il randonne à ses heures perdues dans l’Himalaya quand il ne part pas gravir le Kilimanjaro ; il a lu les derniers romans à la mode et vu en avant-première les films qui feront l’actualité du mois prochain.
Vous détestez ce m’as-tu-vu bruyant ? Ou au contraire, vous reconnaissez qu’il n’usurpe aucun de ses titres et que c’est un convive sacrément divertissant ? Selon votre réponse, vous adorerez ou pas Damien Chazelle et son cinéma orgiaque bigger-than-life qui vous en mettra plein les mirettes tout en vous avertissant prétentieusement qu’il va y parvenir.

Avant de dire tout le bien que j’ai pensé de Babylon, un caveat : Babylon ne se hisse pas aux sommets inaccessibles atteints par La La Land dont aucun lecteur de ce blog n’ignore que je l’ai placé irréfragablement sur la première marche de mon panthéon. Pourtant, il en a le parfum sinon la texture. Certaines lignes mélodiques de sa musique, signée du même Justin Hurwitz, qui fut le coturne de Chazelle à Harvard, rappellent les harmonies de Another Day of Sun ou City of Stars. Il joue sur la même corde, qui me touche profondément, celle de la nostalgie : la nostalgie d’un amour perdu dans La La Land, celle d’un monde en train de disparaître dans Babylon. Mais si La La Land est tout entier construit autour d’une histoire d’amour qui se dénoue d’une façon profondément originale et immensément émouvante, la romance entre Nelly et Manny n’est qu’un élément parmi d’autres de Babylon. Et surtout, elle n’a pas la même puissance émotionnelle.

Babylon n’en reste pas moins un film exceptionnel qui, même si nous sommes le 18 janvier à peine, a déjà gagné, santo subito, son statut de meilleur film de l’année 2023. Il le doit à plusieurs facteurs.

Le premier est, on l’a dit, son appétit orgiaque et communicatif. C’est d’ailleurs le principal défaut à sa cuirasse, l’aspect qui risque de rebuter certains spectateurs qui, dès la première scène, pachydermique, étonnamment scatologique, trouveront que Chazelle en fait trop. Et ils n’ont pas encore vu la deuxième, la plus étourdissante du film sans doute, un étonnant plan séquence qui virevolte à l’intérieur d’une improbable demeure hollywoodienne, juchée sur une montagne déserte, où un nabab organise une folle soirée avec des convives cocaïnés jusqu’à l’os.
Babylon dure 3h09. Une durée hors normes exténuante qui autorise tous les excès, comme cette scène interminable, mais qui n’aurait pas le même effet si elle n’était pas aussi longue où la malheureuse Nelly doit inlassablement rejouer devant la caméra la même scène pour satisfaire aux impératifs techniques d’un ingénieur du son impérieux.

Chazelle sait tourner un plan. Il sait aussi choisir ses acteurs et les diriger. Brad Pitt et Margot Robbie sont l’un et l’autre époustouflants. On voit mal comment les Oscars du meilleur acteur et de la meilleure actrice leur échapperaient. Ils sont l’un et l’autre au sommet de leur art, n’ont jamais été aussi beaux, aussi sexys. Et précisément parce qu’ils sont au sommet de leur carrière, Damien Chazelle leur fait lucidement et cruellement regarder devant eux vers l’inévitable déclin qui les menace, qui les attend.

Enfin, et c’est la troisième qualité du film, Babylon est de part en part pénétré par la passion du cinéma. C’est une ode au septième art, cet art soi-disant « mineur » mais qui, évidemment, quand on sort lessivés de la séance, ne peut plus être qualifié de tel. L’ode culmine dans les dernières images hyper-référencées du film. Chazelle en fait-il trop ? Peut-être. Mais il est tellement brillant, le plaisir qu’il prend à filmer est tellement communicatif, qu’on lui pardonne tout

La bande-annonce

16 ans ★★★★

Nora et Léo ont seize ans et viennent de faire leur rentrée en seconde au lycée. Ils se plaisent au premier regard et s’entr’aiment d’un amour contrarié par le sort. Car Tarek, le grand frère de Nora travaille dans l’hypermarché dirigé par le père de Léo et s’en fait licencier pour un vol qu’il affirme n’avoir pas commis. L’assaut prolongé des haines parentales condamne cet amour fatal.

Le lecteur cultivé aura peut-être identifié, dans les quelques lignes ampoulées qui précèdent, mes piteux efforts pour paraphraser le prologue archi-connu de Roméo et Juliette (Two households both alike in dignity….) dans sa traduction par Victor Bourgy. Car c’est cette histoire universelle dont 16 ans s’inspire en en modernisant les enjeux.

Ce n’est pas la première fois qu’une telle entreprise est menée. Roméo et Juliette est peut-être, de tout le répertoire, la pièce la plus souvent adaptée, soit qu’on en respecte scrupuleusement le texte et l’époque soit qu’on s’en éloigne plus ou moins. Baz Luhrmann en avait signé une adaptation d’un kitsch ébouriffant sans en modifier une parole : j’ai encore aux oreilles la voix lugubre du chœur qui ouvre Romeo + Juliet en récitant le prologue dont je viens de citer des extraits. West Side Story en constitue une autre adaptation beaucoup plus libre mais pas moins réussie.

Déjà en 1987, Gérard Blain, dans Pierre et Djemila, avait mis en scène deux adolescents d’une cité HLM dont l’amour se brise sur les préjugés raciaux et les conflits de classe. C’est la même et riche formule, qui entremêle la tension romantique et les enjeux politiques, que reproduit près de quarante ans plus tard Philippe Lioret. Ce réalisateur est l’un des meilleurs de la scène française. Sa filmographie, aussi concise soit-elle, ne compte que des pépites : L’Equipier (2004), Je vais bien, ne t’en fais pas (2006), Welcome (2009), Toutes nos envies (2011), adapté du livre que j’ai tant aimé d’Emmanuel Carrère, Le Fils de Jean (2016)…

Deux qualités m’ont particulièrement touché dans ce film
La première – comment pourrait-il en être autrement – est la fraîcheur de ses deux acteurs principaux et la beauté radieuse de leur amour. On le dit souvent ; mais on l’oublie plus souvent encore : Romeo et Juliette (qui fêtera ses quatorze ans dans deux semaines nous apprend le texte de Shakespeare) sont des enfants et s’aiment d’une passion virginale. La mise en scène de Stuart Seide au Théâtre du Nord en 1999 y insistait. Sabrina Levoye et Teïlo Azaïs l’incarnent avec une pudeur et une retenue bouleversantes.
La seconde est la richesse du scénario qui ne ménage aucun temps mort. L’histoire racontée par Shakespeare est bien loin ; mais l’enchaînement tragique est aussi implacable. Reprocherait-on aux figures des pères ou du frère leur simplisme, je répondrais qu’elles sont, comme dans la tragédie grecque, comme chez Shakespeare des archétypes ? Quant à l’issue du drame, qu’on redoute fatale, elle nous réserve deux splendides surprises.

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Les Pires ★★★☆

Gabriel (Johan Heldenbergh), un quinquagénaire flamand, a décidé de tourner son premier film, un drame social, dans une cité HLM de Boulogne-Sur-Mer. Au terme d’un long casting, il a recruté quatre gamins Lily, Ryan, Jessy, Maylis pour tenir les rôles principaux de son film.

Lise Akoka et Romane Guéret sont directrices de casting et coaches d’enfants. Elles ont l’expérience des castings sauvages, de la détection des talents, de la gestion parfois délicate de ces personnalités souvent explosives. Elles avaient réalisé ensemble un court métrage en 2016, Chasse royale, qui se focalisait sur le casting. Les Pires parle, lui, du tournage proprement dit.

Et il le fait avec une infinie justesse. Une justesse qui provient précisément de la direction de ces jeunes acteurs dont on imagine combien elle fut délicate : il s’agissait pour les réalisatrices de faire jouer à ces enfants des rôles d’enfants en train de jouer des rôles !

Parmi les quatre, deux crèvent l’écran. L’interprète de Ryan, le blondinet de l’affiche, dix ans à peine, une boule d’énergie toujours sur le point d’exploser. Et l’interprète de Lilly, quinze ans, belle comme un cœur, affolante Lolita d’une sensualité alarmante à un âge aussi jeune. À l’un comme à l’autre, on souhaite un brillant avenir. Mais il ne faut pas oublier les deux autres : l’interprète de Jessy qui ressemble tant à Benoît Magimel et celle de Maylis qui cache derrière sa moue boudeuse une homosexualité qu’elle n’ose pas assumer.

L’autre réussite du film est la façon dont il décrit le tournage. Les précédents sont écrasants, à commencer par La Nuit américaine de Truffaut, référence indépassable du film sur le film. Les deux réalisatrices savent faire preuve d’auto-dérision dans le portrait qu’elles dressent du réalisateur, Gabriel, et de l’équipe technique qui l’entoure. Elles font également preuve de lucidité en montrant les limites vers lesquelles on tangente en poussant les acteurs, surtout lorsqu’ils sont si jeunes et si fragiles, dans leurs retranchements. Et elles n’ignorent pas la question éthique qu’un tel tournage pose : ne risque-t-il pas de stigmatiser encore un peu plus des quartiers et des populations qui le sont déjà beaucoup ?

Grand prix de la section Un certain regard à Cannes au printemps dernier, Les Pires est pour moi le meilleur film de la semaine sinon du mois. Sa dernière scène ferait pleurer les pierres et ne m’a pas laissé de marbre…

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