Amos Gitaï est sans doute le plus grand réalisateur israélien. C’est par lui que le cinéma de ce pays s’est fait connaître au monde dans les années 90, avec des oeuvres aussi saisissantes que Kadosh ou Kippour. À soixante-dix ans passés, il n’a rien perdu de son énergie et de sa détermination. Alors qu’il aurait pu céder aux sirènes du mainstream et de l’entertainment, il continue à bricoler ses films sans rien euphémiser de son engagement politique en faveur de la paix.
L’idée de Shikun lui est venue alors qu’il travaillait sur la mise en scène de House, une pièce de théâtre inspirée de son tout premier film, House, tourné en 1980, sur la reconstruction d’une maison à Jérusalem qui avait appartenu à des Palestiniens avant 1948. Alors qu’Amos Gitaï manifestait chaque jour contre le projet de Benjamin Netanyahou de réduire l’indépendance de la Justice, le réalisateur relisait Rhinocéros de Ionesco. Il a été frappé par l’actualité de cette pièce, métaphore anti-totalitariste écrite en 1959 par un écrivain roumain réfugié en France.
Il a décidé de la mettre en scène – en y intercalant d’autres textes, un poème de Mahmoud Darwich et un texte de Amira Hass. Il a tourné dans un immense immeuble HLM de la périphérie de Beer-Sheva, dans le Néguev, qui a donné son nom au film, ainsi que dans les sous-sols abandonnés de l’ancienne gare routière de Tel Aviv.
Le résultat est déconcertant sinon décevant. La raison de ma déception s’explique peut-être par ma relation à la pièce de Ionesco, que j’avais étudiée au lycée (ou au collège ?) sans y rien comprendre, ce qui avait fait naître chez le bon élève que j’étais alors une immense frustration.
Amos Gitaï opte pour le plan-séquence pour suivre l’héroïne interprétée par Irène Jacob – qui est venue à l’Arlequin présenter ce film – dont on comprend qu’elle interprète non seulement le rôle de Daisy, mais celui de tous les protagonistes de la pièce. Tout au long du film, elle porte le même T-shirt vert, censé peut-être rappeler la couleur de la peau des rhinoceros. Son interprétation est impressionnante mais la tâche qu’on lui assigne lui fait perdre toute cohérence. On la voit à la fois, comme Jean, se transformer en pachyderme et, comme Bérenger, refuser de capituler jusqu’au dernier souffle : « Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout ! Je ne capitule pas ! »
Shikun est un geste politique. C’est un hymne à la résistance et à la fraternité, notamment envers les réfugiés. C’est aussi un happening théâtral. Mais tout cela ne fait pas un film, aussi grande que soit notre déférence à son réalisateur.