Samuel, le compagnon de Sandra, est mort dans des conditions mystérieuses. Son fils, Daniel, onze ans, malvoyant, a découvert son corps inanimé dans la neige devant le chalet où la famille s’était installée depuis un an espérant y recommencer sa vie sur d’autres bases. Samuel, écrivain raté et dépressif, s’est-il suicidé ? Ou a-t-il été poussé dans le vide par Sandra ?
Après un an d’enquête, l’instruction conclut à la culpabilité de Sandra. Un procès se tient qui la met sur la sellette, révèle ses infidélités passées, met à nu les disputes orageuses qui l’opposaient à Samuel et laisse au seul Daniel la seule responsabilité dans son témoignage d’innocenter ou d’incriminer sa mère.
La Palme d’or décernée en mai dernier à Justine Triet a fait couler beaucoup d’encre. Pour de mauvaises raisons. En recevant son prix, la jeune réalisatrice avait défendu l’exception culturelle française et reproché à Emmanuel Macron sa politique néolibérale et sa réforme des retraites provoquant immédiatement une homérique polémique. D’un côté de l’échiquier politique, on la félicitait d’avoir saisi la tribune qui lui état offerte pour tenir un discours militant comme Ken Loach avant elle ; de l’autre on lui reprochait l’outrance de ses propos et son ingratitude, son film ayant largement bénéficié des subventions publiques de l’Etat et de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Ce n’est pas le lieu de rouvrir cette polémique mais bien d’examiner les qualités de cette Palme d’or.
Elles sont immenses.
Anatomie d’une chute est un film exceptionnel, une réussite totale, dont la longueur (2h30) peut intimider, mais qui ne connaît aucun temps mort.
Anatomie d’une chute est un film de procès, un genre dont on sait l’efficacité cinématographique. Douze hommes en colère, Du silence et des ombres, Autopsie d’un meurtre, La Vérité, JFK en constituent les modèles quasiment indépassables. Un autre film de procès a eu un grand succès l’an passé : Saint Omer. À rebours de la critique, unanime et enthousiaste, je ne l’avais pas aimé car j’avais été dérouté par le comportement contradictoire, pour ne pas dire schizophrène, de son héroïne.
Sandra Hüller, à laquelle le Prix d’interprétation féminine a sans doute échappé pour le seul motif qu’il ne pouvait être cumulé avec la Palme, n’est pas moins ambiguë que l’héroïne de Saint Omer interprétée par Guslagie Malanda. Tout le film repose précisément sur la question de sa culpabilité – a-t-elle oui ou non tué Samuel ? – alors que dans Saint Omer l’infanticide de l’accusée ne faisait aucun doute.
Mais Sandra n’est pas la seule héroïne du film. Comme on le comprend dans son dernier tiers, Daniel, son fils, en est le véritable héros. C’est de lui que dépendra le destin de sa mère. Non pas que son témoignage suffira à la blanchir. Ce serait trop simple… et trop facile. Mais son témoignage, selon qu’il lui sera favorable ou défavorable, l’accusera d’un crime qu’elle n’a peut-être pas commis ou, au contraire, la blanchira d’un meurtre dont elle est peut-être innocente. Avoir privé de la vue ce pré-adolescent hypersensible est une idée de génie qui donne à ce gamin, qui ne cabotine jamais, un rôle d’anthologie, qui m’a rappelé celui du héros du Tambour ou comme on en trouve parfois dans la mythologie grecque.
Le scénario est excellent, qui maintiendra jusqu’au bout ce suspense. Le jeu des acteurs, je l’ai dit, est remarquable. Et au surplus, pour achever ce panégyrique, la caméra de Justine Triet est d’une incroyable acuité. On est loin des essais, charmants mais inaboutis de ses premiers films qui lui avaient donné une jolie place parmi les réalisateurs de la nouvelle Nouvelle Vague française (Brac, Betbeder, Peretjatko, Salvador…). Les premières scènes du film qui suivent pas à pas le chien Snoop – dont la prestation lui a valu la Palme Dog – en sont un premier exemple. Les scènes de procès, par exemple celle de la comparution de Daniel, pris en tenaille entre l’avocat de sa mère (Swann Arlaud) et le procureur (Antoine Reinartz), en sont un autre.
On peut légitimement avoir été rebuté par les propos tenus par Justine Triet à Cannes le 27 mai. Mais, pour elle comme pour d’autres, il faut « distinguer l’artiste de l’œuvre » et ne pas boycotter celle-ci parce qu’on n’aime pas celle-là.
La bande-annonce