Monkey Man ★★☆☆

Un orphelin a perdu sa mère, violée puis brûlée vive sous ses yeux, lors de l’expropriation de sa cahute, par le chef corrompu de la police, Rana Singh, sous les ordres d’un gourou malfaisant, Baba Shakti. Il s’est juré de la venger. Pour ce faire, il va s’installer à Yanata, la grande métropole, concourt dans des combats illégaux de MMA et se fait embaucher sous un faux nom dans le palace fréquenté par ses cibles.

La star indienne Dev Patel, révélée par Slumdog Millionaire, qu’on a vu ensuite dans Indian Palace, Lion et L’Histoire personnelle de David Copperfield (sur Amazon Prime) a bien grandi. Dev Patel a décidé de passer derrière la caméra, tout en restant devant. C’est lui, bodybuildé, sec comme une trique, sexy en diable, qui tient le premier rôle de ce Monkey Man, curieux assemblage de John Wick et de Rocky, assaisonné à la sauce hindie.

Pour l’apprécier, il ne faut bien sûr pas être allergique à ce genre de films hyper-testostéronés, où des combats sanglants, orchestrés comme des chorégraphies virevoltantes, se succèdent. Le héros en sort toujours victorieux quel que soit le nombre toujours plus élevé de combattants qui lui sont opposés. Les rôles sont grossièrement manichéens : les deux méchants incarnent, l’un la corruption financière des forces de l’ordre, qui renoncent à protéger les citoyens en échange d’un pot-de-vin, l’autre la corruption morale des faux gourous, prêts à tromper la foule de leurs croyants crédules pour nourrir leur goût du pouvoir. Quelques allusions politiques, à la condition féminine et à celle des transgenres en Inde, fleurent bon le politiquement correct.

Mais je serais bien hypocrite de ne pas confesser le plaisir régressif que j’ai pris à ce film. Je n’ai pas regardé ma montre une seule fois, même s’il durait deux bonnes heures – alors que je trouve le temps souvent bien long au cinéma, même devant les films laotiens en noir et blanc dont je fais des critiques enamourées. Mieux, je me suis bien amusé devant les rebondissements d’une vengeance qui culmine, comme de bien entendu, dans un combat tarantinesque à souhait où l’hémoglobine coule à flots et les méchants sont punis.

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Quitter la nuit ★★☆☆

Une femme, Aly (Selma Alaoui), la nuit, passagère d’un véhicule conduit par Dary (Guillaume Duhesme), un homme mutique et menaçant, appelle la police. À mots couverts, elle se dit menacée. Pour donner le change à son conducteur, elle prétend appeler sa sœur. La lucidité d’Anna (Veerle Baetens), la policière qui prend son appel, la sauvera.
Le temps passe. Aly a déposé plainte pour viol mais  appréhende le procès qui se tiendra dans plusieurs années au terme d’une interminable instruction. Dary, laissé en liberté dans l’attente de son procès, est lui aussi rongé par l’angoisse. Et Anna veut connaître l’issue de cette affaire.

Les quinze premières minutes de Quitter la nuit reprennent le court-métrage Une sœur, que la réalisatrice Delphine Girard avait tourné il y a quelques années. Elles rappellent le polar danois The Guilty qui se déroulait en temps réel dans un centre d’appel de la police. Une conversation téléphonique, une victime terrifiée au bout du film, sous la menace de son agresseur, un policier à l’autre bout qui essaie de la localiser, de l’aider, voilà qui, à soi seul, pourrait, comme dans The Guilty, nourrir un film tout entier, à condition d’y instiller suffisamment de rebondissements.

Mais Quitter la nuit abandonne cette scène-là au bout de quinze minutes pour se dilater dans le temps. Son vrai sujet, ce sont les deux années qui séparent la nuit du crime du jour de son procès. Trois protagonistes s’y étaient croisés : la victime, son agresseur et la policière. On suivra leur évolution pendant ces deux années dans trois directions différentes : le refoulement chez Aly, la sublimation chez Dary, l’entêtement chez Anna.

Quitter la nuit est censé reposer sur un doute : y a-t-il ou non eu viol ? La question est malaisante en ces temps de #MeToo où la parole des victimes d’agression sexuelle doit être sacralisée. Récemment, Pas de vagues marchait sur des œufs qui, dans sa défense légitime de la profession enseignante, risquait, avec l’eau du bain, de jeter un doute sur la parole des victimes. Ici comme dans Les Choses humaines, la question n’est pas binaire et la parole de la victime est dans tous les cas respectée : c’est moins la réalité de l’acte sexuel qui est questionnée, sur laquelle tout le monde s’accorde, que celle du consentement d’Aly.

Grâce à son montage serré, qui circule d’un personnage à l’autre, d’un point de vue à l’autre, Quitter la nuit est tout entier tendu vers son terme. Sa conclusion à tiroirs tire un peu trop à la ligne et fait, à mon sens, la part trop belle à cette fameuse sororité dont on nous rebat les oreilles ces temps-ci. Mais elle n’ôte rien à l’intelligence du propos et à la qualité de sa présentation.

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Amal – Un esprit libre ★★☆☆

Amal (Lubna Azabal) enseigne le français dans un établissement scolaire de Belgique. Comme elle, ses élèves sont majoritairement d’ascendance maghrébine. L’une d’entre elles, Mounia, est en butte à l’hostilité de ses camarades depuis qu’elle a fait son coming out. Amal, choquée par tant de sectarisme, décide de leur faire lire des vers d’Aboû Nouwâs, un poète arabe libertin du VIIIème siècle, pour leur enseigner la tolérance. Mais cette lecture, loin d’apaiser les esprits, met le feu aux poudres.

L’école est décidément le creuset où se joue aujourd’hui le vivre-ensemble. Le cinéma s’en fait le fidèle reflet qui, coup sur coup, y a consacré plusieurs films en l’espace de quelques semaines : La Salle des profs, Pas de vagues, L’Affaire Abel Trem.

Le belge Amal n’est jamais aussi intéressant que quand il montre les dilemmes auxquels l’autorité éducative est confrontée. Deux scènes successives l’illustrent, dans la salle des profs, autour de la directrice, durant lesquelles tous les points de vue s’expriment, depuis celui le plus rebelle d’Amal jusqu’à celui franchement odieux de Nabil (Fabrizio Rongione), le professeur de religion (car la religion est enseignée dans les établissements publics en Belgique), en passant par ceux plus embarrassés de leurs collègues.

Aussi intéressante est la façon dont Amal décrit la logique pernicieuse des réseaux sociaux qui piègent aussi bien Dounia qu’Amal. La première, harcelée en ligne, a le tort de ne pas débrancher son ordinateur et répond à ses détracteurs au risque de l’escalade et du dérapage. La seconde, outrée du sort réservé à son élève, bientôt elle-même prise à parti, en devient paranoïaque au point de perdre toute mesure.

Hélas ces belles qualités sont gâchées par le manichéisme dans lequel s’égare parfois Amal. Notamment dans le traitement de Nabil, qui aurait eu tout à gagner à rester dans l’ambiguïté. Le scénario se sent obligé dans son dernier quart d’heure de lever les masques. On se serait volontiers passé de cette conclusion simpliste.

J’ai eu la chance de voir Amal en avant-première dans une salle parisienne proche de Bastille. J’aime beaucoup rencontrer le réalisateur et l’équipe du film. Ces échanges sont d’autant plus précieux pour des films comme celui-ci qui suscitent le débat. Pour autant, cette fois-ci, j’ai été profondément déçu par ces questions-réponses qui, au lieu d’explorer les ambiguïtés du film, en ont souligné le manichéisme : si prendre ses distances avec une minorité islamiste fanatisée et éviter l’amalgame dans lequel tous les musulmans sont trop souvent confondus était le seul objectif de ce film, son intérêt se réduirait comme peau de chagrin.

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Civil War ★★☆☆

Aux Etats-Unis, dans un avenir proche, la guerre civile fait rage. Elle oppose les forces loyales au président à l’improbable coalition formée par les États du Texas et de la Californie, bientôt rejoints par la Floride. Une photographe de guerre chevronnée, Lee Smith (Kirsten Dunst), a décidé de se rendre à Washington pour y interviewer le président, retranché dans son dernier bastion. Elle voyage avec un collègue (la star brésilienne Walter Moura). Deux autres journalistes se joignent à eux : un vieux briscard à bout de souffle (Stephen McKinley Henderson) et une jeune photographe inexpérimentée et idéaliste (Cailee Spaeny, l’héroïne de Priscilla). Mais, pour atteindre la capitale fédérale, l’équipée doit traverser un pays à feu et à sang où règne la loi du plus fort.

Scénariste confirmé (La Plage, 28 Jours plus tard, Sunshine), le Britannique Alex Garland est passé derrière la caméra depuis une dizaine d’années (Ex Machina, Annihilation, Men). Civil War se situe à la confluence de plusieurs genres : film de guerre, survival movie, film de zombies… Ce sous-genre, qui héroïse des journalistes dépêchés sur un théâtre de guerre, n’est pas nouveau. Il a d’illustres précédents : L’Année de tous les dangers avec Mel Gibson en Indonésie, Salvador avec James Spader et Under Fire avec Nick Nolte qui se déroulent tous les deux en Amérique centrale, La Déchirure au Cambodge ou, plus récemment, Sympathie pour le diable en Bosnie.

Civil War a la particularité d’être un film de science-fiction qui se déroule dans une Amérique de cauchemar. La dystopie n’est hélas pas si improbable quand on sait le fossé grandissant qui fracture les pro-Trump et les anti-Trump. Hélas (ou tant mieux ?) cette dimension politique n’est jamais creusée. On ne connaît pas l’origine du conflit, son déroulement, les forces en présence. Tout se passe comme si Alex Garland avait voulu se réfugier dans une neutralité qui lui éviterait de s’aliéner la moitié de son potentiel auditoire. Neutralité moralement gênante… mais une violente charge anti-Trump ne l’aurait-elle pas été tout autant ?

Comme ses illustres prédécesseurs des années 80, Civil War nous offre une réflexion sur le métier de journaliste et son éthique. Chacun des quatre protagonistes l’incarne à sa façon. La plus intéressante bien sûr est Kirsten Dunst qui, à quarante ans passés, tourne le dos aux rôles de jouvencelles dans lesquels elle a été trop longtemps cantonnée, et atteint une forme de maturité puissante à la Meryl Streep. Le propos n’est pas exempt de simplisme. On est à Hollywood et on pressent, dès les premières scènes ce qu’il adviendra de chacun des quatre héros. Mais aussi prévisible soit-elle, leur odyssée à travers les Etats-Désunis nous maintient en haleine jusqu’à un dénouement épique.

M’intéressant un peu aux questions militaires et tactiques, ayant eu l’occasion d’étudier le FT-02 à l’IHEDN, j’ai noté une grande qualité du film : la manière quasi documentaire avec laquelle dans cette dernière scène, il rend compte d’un assaut. Trop souvent, dans les films de guerre, on voit des échanges de tirs bruyants et furieux, dont les héros sortent miraculeusement indemnes. Ici, au contraire, dans cette dernière scène pourtant parfaitement hollywoodienne, le récit prend le temps de décrire l’attaque de la Maison Blanche, la neutralisation de son entrée puis celle de chacune de ses pièces, jusqu’au Bureau ovale.

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Borgo ★★★☆

Melissa (Hafsia Herzi) est surveillante de prison. Elle vient d’obtenir sa mutation en Corse à la prison de Borgo au sud de Bastia. L’acclimatation n’est pas facile pour son mari, Djibril, en recherche d’emploi et en butte au racisme des voisins. Elle n’est pas facile non plus pour Melissa qui découvre en prison un mode d’organisation auquel Fleury-Mérogis ne l’avait pas préparée : les détenus en « régime ouvert » se gèrent eux-mêmes selon un code d’honneur très strict auquel les « continentaux » n’ont pas intérêt de se mêler.

Borgo est directement inspiré du double assassinat de l’aéroport de Bastia-Poretta et de l’implication de la gardienne de prison, Cathy Sénéchal, dans la mort d’Antoine Quilichini et Jean-Luc Codaccioni, mortellement blessés par balles le 5 décembre 2017. Le procès, dépaysé à Marseille, s’y ouvrira le 6 mai prochain et durera deux mois. La sortie de ce film, à quelques jours de l’ouverture du procès, pose de sérieuses questions éthiques et juridiques.

Stéphane Demoustier avait réalisé La Fille au bracelet, l’un des tout meilleurs films de l’année 2020. Borgo présente la même qualité, rare : l’ambiguïté. On y voit l’insidieux enchaînement dans lequel Mélissa va inexorablement se perdre. Un différend de voisinage qui se résout par miracle, un poste qui se libère pour son mari au centre de formation d’apprentis : Melissa devra renvoyer l’ascenseur. Qui plus est, le « milieu » lui offre, à l’intérieur de la prison et hors les murs, un accueil plus chaleureux que celui, spontanément hostile, que lui réservent les autochtones.

Borgo aurait pu être plus subtil encore selon moi, dans la mise en scène de ce lent enchaînement où j’ai trouvé que Melissa prenait parfois des décisions indéfendables. Il aurait été plus convaincant encore si ce lent enchaînement avait été plus subi qu’agi.
L’autre défaut du film à mes yeux est l’interprétation de Hafsia Herzi. Je connais le parcours de cette actrice prometteuse depuis sa révélation chez Kechiche dans La Graine et le Mulet. Elle ne m’a jamais vraiment convaincu. Je lui reproche la monotonie de son jeu et de sa diction. Mais je dois reconnaître que son obstination têtue fait merveille dans la dernière scène.

Le procès du double assassinat de Bastia va se tenir. On n’en connaît pas encore le verdict. Le film de Stéphane Demoustier préempte cet épilogue d’une façon sacrément surprenante.

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Le mal n’existe pas ☆☆☆☆

Takumi élève seul sa fille Hana, en harmonie avec la nature dans un petit village isolé du monde au cœur de la forêt. Un projet de « camping glamour » en menace le paisible équilibre.

Il est des films unanimement encensés que j’ai ratés. Ratés ne signifie pas que je ne les ai pas vus. Mais que je les ai mal vus. Que je suis passé à côté. Ils ont reçu des louanges unanimes. Mais je ne les ai pas aimés. Le Règne animal est de ceux-là. Drive my Car aussi.

Et je dois hélas ajouter Le mal n’existe pas du même Ryusuke Hamaguchi que décidément je ne comprends pas, à cette liste. Je n’en ai pourtant lu que du bien : Télérama se pâme, Le Monde frise l’orgasme, Première l’a élu film du mois. Et moi ? J’ai dormi !

Vous me direz que si je n’avais pas dormi, j’aurais peut-être aimé. Mais, comme l’oeuf et la poule, le sommeil et le – mauvais – film entretiennent un lien de causalité indémêlable : si j’ai dormi, c’est parce que je suis un vieillard narcoleptique, mais c’est aussi parce que la première moitié du film m’a assommé d’ennui.

Mettons de côté mes troubles de sommeil, mes goûts et mes dégoûts nombrilistes et parlons du film. Élégie écolo ? Fable politique ? Western contemplatif ? Superbe écrin à la musique planante de Eiko Ishibashi – qui vit dans la région où le film a été tourné et autour de la musique de laquelle il a été écrit par son réalisateur ? Peut-être.

Ce que j’ai surtout aimé dans ce film y est accessoire. C’est le long débat public qui confronte deux consultants fraîchement débarqués de Tokyo pour présenter leur projet de « glamping » aux habitants du village qui lui sont hostiles. Une telle confrontation, en France, aurait tourné à la dispute, aux injures, aux coups peut-être. Rien de tel au Japon où pourtant, le fond du problème est le même : d’un côté, deux blancs-becs essaient de parer de beaux mots un projet nuisible, de l’autre des paysans bourrus leur opposent leur solide bon sens. Au Japon, on ne s’invective pas, on s’insulte encore moins. Si on n’est pas d’accord, on l’exprime avec mille précautions. Mieux encore : on écoute les arguments de son contradicteur, voire on accepte de changer d’avis et de reconnaître ses torts.

Cette scène est le pivot du film. C’est celle qui le fait démarrer – même si elle survient vingt bonnes minutes après son commencement – et qui crée une tension. C’est aussi l’occasion d’un changement de focale, les deux consultants tokyoïtes devenant alors les personnages principaux d’une histoire qu’on pensait cantonnée aux limites de ce petit village sylvestre.

Mais le film revient bientôt dans son lit, qui m’a tellement ennuyé au point de m’assoupir : la forêt, sa sauvage beauté, indifférente au Bien et au Mal, le tout enrobé dans la même phrase musicale certes poignante mais ô combien répétitive après deux heures de projection.

En confessant mon manque d’appétence pour ce film, je ne me pose pas en rebelle. Je suis bien trop conformiste pour de telles postures. Pas plus n’est-il dans mon intention de vous dissuader de le voir. Car je comprends parfaitement que ce film puisse plaire. Je respecte plus simplement la règle du jeu (du je ?) qui régit ce blog : une subjectivité cinéphile et argumentée.

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Black Flies ★★☆☆

Deux urgentistes en service de nuit à Brooklyn, Rut (Sean Penn), un vieux briscard, et Ollie (Tye Sheridan), un jeune idéaliste, sont confrontés à la misère humaine la plus poignante dans leur travail quotidien.

Le Français Jean-Stéphane Sauvaire aurait pu tourner un documentaire. Le sujet de son film en a toute l’épaisseur. Il aurait été passionnant tant le travail quotidien des paramedics (quelle est la traduction française la plus juste : ambulancier ? urgentiste ?) new yorkais est fascinant. Mais il choisit d’adapter le roman 911 de Shannon Burke, qui s’inspira de son expérience de paramedic à New York pour en tirer un livre.

Le réalisateur de Johnny Mad Dog (sur les enfants soldats en Afrique) et de Une prière avant l’aube (sur un spécialiste d’arts martiaux emprisonné en Thaïlande) aime les sujets forts. Il a aussi une fâcheuse tendance à les lester d’un symbolisme doloriste qui pèse des tonnes : le jeune ambulancier s’appelle Ollie Cross (« Holy Cross » désigne la Sainte-Croix) et porte, quand il est de repos, un blouson recouvert d’une paire d’ailes angéliques.

La première scène de Black Flies est marquante : on y suit Ollie dans une intervention confuse, pleine de bruit et de fureur, où il est censé secourir le membre d’un gang touché par balles lors d’une bataille de rue avec un gang ennemi. Le reste du film n’est pas aussi immersif, mais presque aussi traumatisant (Black Flies est assez légitimement interdit aux moins de douze ans en France).

Le film vaut surtout par ses deux acteurs principaux. Sean Penn, à soixante ans passés, est plus musclé et plus nerveux que jamais. Son jeune partenaire, révélé dans X-Men et Ready Player One, confirme ses qualités.

Le scénario était confronté à un défi : comment raconter une histoire faite de la succession répétitive de mille et une interventions d’urgence au secours de blessés. Il ne la relève qu’en partie. Sa conclusion à tiroirs ne m’a pas totalement convaincu, qui hésite entre punition et expiation.

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Madame Hofmann ☆☆☆☆

Sylvie Hofmann travaille depuis quarante ans à l’Hôpital Nord de Marseille. Cadre au service d’oncologie, la vie ne l’a pas épargnée : sa mère, octogénaire, qui fut infirmière elle aussi, enchaîne les cancers à répétition ; sa fille, atteinte d’une grave maladie respiratoire à la naissance, a longtemps nécessité  ses soins attentifs ; son compagnon, après un quadruple pontage coronarien, a pris une retraite anticipée dans les Hautes-Alpes. Sylvie Hofmann elle-même a mal supporté le Covid, la pression sur les lits, ses protocoles draconiens. Atteinte d’une surdité partielle, peut-être causée par le surmenage, elle décide de prendre sa retraite.

Sébastien Lifshitz a remporté le César du meilleur documentaire à deux reprises : en 2013 pour Invisibles et en 2021 pour Adolescentes. Il décrivait dans le premier la vie ordinaire de couples homosexuels, en démontrant, à rebours des outrances incendiaires des opposants au mariage pour tous, que les gays n’étaient ni des monstres dénaturés ni des pervers partouzeurs. Dans le second, il suivait pendant cinq ans, de la quatrième à la terminale le parcours de deux adolescentes de cette France qu’on ne dit plus « profonde » mais « périphérique » depuis que le géographe Christophe Guilluy en a popularisé l’expression.

En filmant Sylvie Hofmann, il donne un visage à ces soignants pour lesquels, pendant le confinement, la France, pour une fois unanime, a fait tintinnabuler ses casseroles à vingt heures tapantes. Il joue sur la corde de l’empathie en filmant cette « mère courage » à l’accent chantant, qui a consacré sa vie à ce dur métier, qui s’est tant dévouée à sa tâche et qui peut enfin revendiquer le droit à se reposer. Si j’en crois les critiques élogieuses que j’en lis ici ou là, l’objectif est atteint : « Magnifique portrait d’une très belle personne. C’est émouvant et profondément humain. Que ça fait du bien de voir cela aujourd’hui! » écrit alexis01 sur Allociné.

Aussi, je me sens d’autant plus monstrueux de ne pas communier avec l’enthousiasme général. Madame Hofmann ne m’a pas convaincu. Pire, il m’a irrité. Tout a commencé avec la bande-annonce dont la tonalité victimaire m’avait déplu. Le documentaire hélas est de la même farine. Son héroïne se plaint. Elle se plaint beaucoup. Elle est effroyablement auto-centrée. Tout tourne autour d’elle : quand sa mère lui parle du quatrième cancer consécutif qui la frappe, sa réaction est de s’inquiéter des « gènes pourris » qu’elle lui aurait légués. Elle passe son temps à se vanter d’avoir la carapace épaisse pour se plaindre sans cesse des fissures qui risquent de la faire exploser.

L’image que donne ce documentaire de l’hôpital est particulièrement pauvre. Autrement moins intéressante et subtile que celle que donnent ceux, nombreux, tournés dans ce cadre : Nicolas Philibert sur la formation des infirmières, De chaque instant, Claire Simon sur le corps des femmes en souffrance, Notre corps, sans oublier la série Hippocrate avec Louise Bourgoin ou le film L’Ordre des médecins avec Jérémie Renier. La caméra, à force de se focaliser sur Sylvie Hofmann, ne filme rien d’autre : ni ses collègues, réduites à des seconds rôles, alors qu’il y aurait eu beaucoup à dire sur l’évolution du métier et la façon dont le vivent les jeunes générations, ni les médecins qu’on ne voit jamais à l’exception de la figure paternaliste du chef de service, ni surtout les patients, qui sont les grands absents du film, ou leurs familles.

Et que dire de la musique sursignifiante qui souligne chaque plan et de la mise en scène qui sent à plein nez l’artifice : on ne nous fera pas croire que la scène où Sylvie Hofmann annonce au médecin-chef que l’un de ses patients vient de décéder à la sortie du bloc opératoire n’a pas été rejouée pour les besoins de la cause.

J’aurais difficilement assumé mon hostilité si je n’avais vu ce documentaire en compagnie d’une professionnelle de santé qui, à mon grand soulagement, a partagé mon irritation et m’a dit ne pas s’être reconnue dans l’image sulpicienne ainsi donnée de sa profession et de son vécu.

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Yurt ★☆☆☆

Ahmet a quatorze ans. Il vient de faire sa rentrée scolaire dans un des meilleurs lycées de la ville. Mais son père, un riche homme d’affaires fraîchement converti, a décidé de le placer dans un pensionnat confessionnel. Ahmet est condamné à vivre alternativement dans ces deux mondes opposés et inconciliables.

L’action de Yurt se déroule en Turquie, durant l’année scolaire 1996-1997. À cette époque, le pays est déchiré entre deux mouvements : d’un côté les kémalistes laïcs et modernistes, de l’autre les religieux conservateurs. L’époque verra d’ailleurs la brève arrivée au pouvoir de Necmettin Erbakan, le chef du parti de la postérité. Renversé par les militaires après un an seulement d’exercice du pouvoir, il aura néanmoins ouvert la voie à l’un de ses lieutenants, Recep Tayyip Erdoğan.

Ces événements politiques constituent la toile de fond de Yurt. Parce qu’ils sont bien connus du spectateur turc, le film n’en dit mot. Sans doute le sont-ils moins du spectateur occidental, laissé dans l’inconnu à leur sujet. Le film en effet se focalise sur l’élève Ahmat – comme Robert Musil et Volker Schlöndorff s’intéressaient aux désarrois de l’élève Törless, la décomposition de l’empire austro-hongrois (ou la montée du fascisme) constituant le non-dit invisible de leur œuvre.

Le film est construit suivant l’alternance pendulaire des journées d’Ahmet. Au lycée mixte qu’il fréquente, avec d’autres fils et filles de bonne famille, il chante les louanges d’Ataturk et assiste au garde-à-vous au lever des couleurs. Dans le pensionnat à la sociologie plus bigarrée, des enseignants sadiques lui inculquent de force des bribes de religion. Ahmet y est devenu la tête de Turc (!) de ses camarades. Heureusement, il peut compter sur l’amitié de Hakan, un pensionnaire plus âgé.

Yurt est tourné dans un noir et blanc satiné. Il passe à la couleur lorsque Ahmet et Hakan fuguent hors des murs où ils étaient retenus pour une équipée ensoleillée et rebelle.

Yurt, nous dit son dossier de presse, serait en partie autobiographique, son réalisateur, Nehir Tuna, ayant connu à la même époque la même formation. J’en ai lu d’excellentes critiques. Je ne les conteste pas. Mais je n’ai hélas pas été accroché par cet adolescent trop lisse sur qui tout semble glisser et que sa sexualité encore indécise pousse aussi bien vers une blonde camarade de lycée que vers son voisin de chambre, beau comme un Adonis gréco-turc.

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Rosalie ★★☆☆

Son père (Gustave Kervern) a tout organisé : Rosalie (Nadia Tereszkiewicz), une pimpante demoiselle, va se marier avec Abel (Benoît Magimel), un cafetier dont le corps a été ravagé par la guerre. Seul hic qu’Abel stupéfait découvre durant sa nuit de noces : Rosalie souffre d’hirsutisme. Pour le dire plus clairement, c’est une femme à barbe.

Sept ans après La Danseuse, son premier film inspiré de la vie de Loïe Fuller, Stéphanie Di Giusto renoue avec le film à costumes. Elle s’est inspirée de la vie de Clémentine Delait (1865-1939), qui, avec son mari, fit de son abondante pilosité un argument de publicité pour son débit de boissons. Stéphanie Di Giusto a trouvé dans le centre de la Bretagne une usine désaffectée depuis la fin du XIXème siècle où elle a planté sa caméra. Une courte scène, tournée au théâtre du Peuple de Bussang, est un hommage aux Vosges où vécut Clémentine Delait.

Rosalie est une femme à barbe, un monstre. Mais, à la différence de Freaks ou d’Elephant Man, l’action du film ne se déroule pas au cirque mais dans un village retiré de la province française, au lendemain de la guerre franco-prussienne de 1870. Son sujet est tout autant l’anormalité de Rosalie que l’histoire d’amour qui se tisse entre Abel – qui en épousant Rosalie espérait simplement qu’elle soit « normale » – et elle- qui escomptait de lui d’être « différent » des autres et de leurs préjugés.

Rosalie ne se contente pas de documenter un fait divers. Il aspire à l’universalité, veut raconter une histoire sur la différence et son acceptation, dans l’intimité du couple comme dans le petit microcosme d’un village, avec ses gentils – le bon Jean – et ses méchants – le fielleux Pierre (Guillaume Gouix) et sa barbe noire.

Son problème est qu’il est tout entier contenu dans sa bande-annonce qui en expose le motif et en annonce les développements. Le seul élément qu’il laisse en suspens est celui de la conclusion du film : happy end ou dénouement tragique ?

La bande-annonce