The French Dispatch ★★☆☆

À la mort de leur rédacteur en chef, Arthur Howitzer Jr. (Bill Murray), tous les journalistes de The French Dispatch, l’antenne française d’un quotidien américain, se réunissent pour publier un ultime numéro. Il comprendra une rubrique nécrologique et trois articles écrits par les trois meilleures plumes du journal. Le premier sera centré sur un artiste peintre emprisonné dans un établissement pénitentiaire psychiatrique ; le deuxième évoquera la révolte étudiante qui a semé le chaos dans la petite ville d’Ennui-sur-Blasé ; le troisième racontera le kidnapping du fils de la police locale, libéré grâce au courage d’un grand chef.

C’est peu dire qu’on attendait avec une folle impatience la sortie du dernier film de Wes Anderson.
Parce qu’elle a été retardée par le Covid.
Parce que Wes Anderson est incontestablement – même si je ne communie pas dans l’enthousiasme unanime qui entoure The Grand Budapest Hotel – l’un des réalisateurs contemporains les plus stimulants, au style immédiatement reconnaissable.
Parce que son dernier film, qui se déroule dans un Paris fantasmé, est l’oeuvre d’un francophile revendiqué et flatte notre orgueil cocardier.
Parce qu’enfin son casting est sans doute le plus dingue de l’année sinon du siècle, avec les plus grandes gloires américaines et françaises du moment : Benicio del Toro, Tilda Swinton, Frances McDormand, Timothée Chalamet, Léa Seydoux, Adrien Brody, Owen Wilson, Willem Dafoe, Saoirse Ronan, Elisabeth Moss, Edward Norton, Mathieu Amalric, Cécile de France, Guillaume Gallienne, Benjamin Lavernhe, etc.

Face à une telle distribution, face à un tel réalisateur au sommet de son art, on ne peut être que saisi d’une admiration révérencielle. Et c’est bien là que le bât blesse.
Je serais bien incapable de dire autre chose que ce que j’entends répéter autour de moi depuis dix jours. J’aurais bien aimé le dire plus tôt ; mais hélas, l’avant-première à laquelle j’aurais dû aller assister en galante compagnie affichait complet.

The French Dispatch impressionne par sa somme de qualités, par sa parfaite maîtrise, par le sentiment qui ne nous lâche pas qu’on assiste au déploiement d’une oeuvre qui touche à la perfection. Mais The French Dispatch a aucun moment ne touche. Ses acteurs au jeu corseté ne suscitent aucune émotion – à la seule exception de Lyna Khoudri, la décidément surdouée interprète de Papicha qui tient la dragée haute à Timothée Chalamet. Les historiettes qu’ils racontent manquent d’unité pour retenir l’intérêt, aussi charmantes soient-elles prises isolément. On lit qu’il s’agirait d’un hommage à la presse écrite et tout particulièrement au New Yorker qu’a biberonné le jeune Wes Anderson durant toute sa formation intellectuelle. On veut bien le croire…. mais ces réminiscences n’éveillent aucun écho en nous.

La bande-annonce

Le Genou d’Ahed ☆☆☆☆

Y. est un réalisateur israélien en colère. Il est en plein casting de son premier film, Le Genou d’Ahed, qui aura comme figures principales Ahed Tamimi, une jeune Palestinienne condamnée à huit mois de prison pour avoir giflé un soldat de Tsahal, et Bezadel Smotrich, un député d’extrême-droite qui a affirmé qu’il aurait fallu lui tirer dessus « ne fût-ce que dans le genou ».
Y. se rend à bord d’un petit avion au milieu du désert du Néguev pour présenter son précédent film. Il y est accueilli par Yahalom, une jeune employée du ministère israélien de la culture qui lui demande de renseigner un formulaire, indiquant l’objet de sa conférence. Y. se braque contre cette formalité qu’il assimile à une censure.

J’ai tout détesté dans Le Genou d’Ahed, le dernier film de Nadav Lapid, revenu de Cannes auréolé du Prix du Jury, dont le précédent, Synonymes, m’avait déjà inspiré quelques réserves.

J’ai détesté sa forme, sa caméra épileptique qui m’a donné la nausée. Nadav Lapid pousse au paroxysme ce qui, de plus en plus, semble devenir une norme : la caméra portée et tremblotante qui a ringardisé le plan fixe, trop académique. Pour filmer la vie, pour filmer la rage, il faut une caméra vivante, rageuse. Le cadreur souffre donc de la danse de Saint-Guy et agite la caméra dans tous les sens. Le réalisateur tente en vain de s’en expliquer : « La chose la plus compliquée à filmer au cinéma, ce sont sans doute les dialogues. Ces mouvements de caméra servent à casser les formalités de présentation… Ils nous préviennent qu’on va arracher le film à ce classicisme. »

Mais j’ai aussi détesté son sujet. Dans Le Genou d’Ahed, Nadav Lapid, qui s’est depuis exilé à Paris, vomit sa haine contre son pays natal. L’origine de son courroux semble bien futile : ce formulaire que la jolie Yahalom lui demande de signer. Il y a mille et une raisons de critiquer son pays, qu’il s’agisse de la France, d’Israël ou du Timor-oriental. Je ne suis pas sûr que l’obligation de renseigner un formulaire indiquant le sujet de la conférence qu’on s’apprête à donner soit le plus convaincant.

Le patriotisme pas plus que l’anti-patriotisme ne me semblent pas des vertus estimables. Le premier est aujourd’hui définitivement démodé sinon raillé. Le second connaît au contraire une mode à mon sens délétère : renier son pays est « tendance ». La meilleure réponse est celle du ministère de la culture israélien qui, avec un masochisme admirable, a financé le film de Nadav Lapid, démontrant ainsi magistralement l’inanité de sa vaine colère et l’artificialité de sa posture soi-disant transgressive.

La bande-annonce

Le Kiosque ★★☆☆

Chez les Pianelli, on est kiosquière de mère en fille. Alexandra, la petite dernière, a eu beau aller faire une école d’art à Strasbourg, son destin l’a rattrapée : pour joindre les deux bouts, elle donne un coup de mains à sa mère dans le kiosque que tenaient avant elle sa grand-mère et son arrière grand-mère, place Victor-Hugo dans le cossu seizième arrondissement de Paris. Elle y filme avec son téléphone portable les clients qui passent et la vie qui va.

Le Kiosque est un documentaire minuscule, qui n’est pourtant pas dénué d’ambition. Il raconte deux histoires : la grande et la petite.

La grande, c’est l’histoire de l’inexorable déclin des kiosques à journaux et de la presse écrite, victimes de la concurrence d’Internet. Qu’on soit parisien ou provincial, on pourra tous témoigner du phénomène : il y avait jadis trois kiosquiers place du Palais-Royal, où j’allais religieusement acheter chaque jour à 14h30 Le Monde ; il n’y en a plus qu’un seul – et je me suis abonné au Monde en ligne.

La petite, c’est celle des clients qui défilent : le chauffeur de l’ambassade d’Allemagne qui vient chaque matin récupérer son paquet, le clodo qui a perdu son chat, le voisin qui a déjà un coup dans le nez à dix heures du matin, la retraitée permanentée toujours très chic mais pas dénuée d’autodérision…. Cette galerie baroque est attachante.
La petite histoire c’est celle de la vie du kiosque, des horaires dingues, du local minuscule ouvert aux quatre vents, du flux des arrivées et des invendus et de la paperasserie qu’il génère. C’est enfin celle de la faillite inéluctable qui menace.

Au doigt (très) mouillé, Le Kiosque a dû coûter environ dix secondes du budget du dernier James Bond. Pourtant, j’aurai pris plus d’intérêt et de plaisir à le voir.

La bande-annonce

Cigare au miel ★☆☆☆

Selma (Zoé Adjani, nièce de) a dix-huit ans. Elle a grandi à Neuilly dans une famille aisée originaire d’Algérie. Son père (Lyes Salem) est architecte, sa mère (Amira Casar) était gynécologue avant d’arrêter son travail pour se consacrer à l’éducation de sa fille. On est en 1993 et l’Algérie est en train de basculer dans la guerre civile. Aussi libéraux soient-ils, les parents de Selma entendent contrôler son éducation, lui interdire de fréquenter les garçons qui lui tournent autour dans l’école de commerce qu’elle vient d’intégrer et l’encourager à leur préférer ceux, bien nés, qu’ils lui présentent.

La bande-annonce de Cigare au miel est volontiers racoleuse. Elle nous montre Selma dans son lit de jeune fille, lisant les Mille et une nuits, intimement émue (c’est un euphémisme pour éviter d’écrire « en train de se masturber »). Scène suivante : dans les couloirs de son école, elle croise un garçon, beau et ténébreux, qui la drague sans détour. Scène d’après, Selma s’engueule avec sa mère et son père qui la privent de sortie. Tout est dit en trois plans : 1. L’éveil à la sensualité d’une jeune fille en fleurs 2. Les premières amours estudiantines 3. La brutale censure familiale et la difficulté de s’en dégager.

L’émancipation d’une jeune fille. Le sujet n’est pas nouveau. Il a été traité de tous les temps et sous toutes les latitudes : Bonjour Tristesse, À nos amours, La BoumMustang, La Vie d’Adèle, Divines … et, plus près de nous, deux films récents qui m’ont bouleversé, Papicha et Une histoire d’amour et de désir.

Le problème de Cigare au miel est de s’inscrire dans cette longue généalogie et de ne pas y apporter grand-chose de neuf ni de mieux. On a le droit à tous les poncifs attendus sur la perte de la virginité, la prédation masculine et les conflits père/mère-fille. Le tout est lesté d’un arrière-plan historique encombrant : l’action se déroule en 1993-1994 alors que l’Algérie bascule dans la guerre civile, ce qui nous vaut un retour au pays natal qui leste le film d’un quart d’heure supplémentaire et dispensable. Zoé Adjani, de tous les plans, sauve-t-elle la mise ? Même pas….

La bande-annonce

Tralala ☆☆☆☆

Tralala (Mathieu Almalric) est un guitariste à la rue. Un beau soir, à Paris, surgit devant lui une jeune fille virginale (Galatea Bellugi) qu’il suit jusqu’à Lourdes. Avec la complicité d’une bande de clodos et de leur chef Climby (Denis Lavant), il trouve à se loger dans un hôtel désaffecté. Sa patronne, Lili (Josiane Balasko), croit reconnaître en lui Patrick, son fils, un musicien amateur parti tenter sa chance aux Etats-Unis et disparu depuis vingt ans. Tralala, ravi de l’aubaine, décide de se glisser dans la peau de Patrick. Sous sa nouvelle identité, il retrouve les proches du défunt : son frère Seb (Bertrand Belin), sa fiancée Jeannie (Mélanie Thierry) et son amour de jeunesse Barbara (Maïwenn).

Les frères Larrieu occupent une place à part dans le cinéma français. Depuis une vingtaine d’années, ils réalisent des films d’une insolente vitalité qui réunit le gratin de la scène française : Mathieu Amalric, leur acteur de prédilection, croise Sabine Azéma, Karin Viard, André Dussollier, Isabelle Carré, Denis Podalydès, etc. Il y est question de vie, d’amour, de sexe, d’échangisme, d’apocalypse, de mort…. Je n’en suis pas un admirateur inconditionnel même si je n’en ai guère ratés. On sent, à relire la critique que je faisais de son avant-dernier film, 21 nuits avec Pattie, mes réserves.

Tralala ne m’a hélas pas convaincu. Pire : je n’en ai rien aimé.
Pourtant Dieu sait – et vous aussi fidèle lecteur – combien j’aime les comédies musicales : je vous rebats depuis plusieurs années les oreilles avec La La Land (un titre très proche de ce Tralala), West Side Story (dont j’attends fébrilement le remake spielbergien) et Les Parapluies de Cherbourg. Une comédie musicale réussie, quand la qualité de la musique rejoint la sensibilité du scénario, m’émeut au tréfonds.

Rien de tel dans ce Tralala frelaté. La musique est moche – même si Philippe Katerine, Étienne Daho et Dominique A l’ont co-écrite. Les voix sont asthmatiques – Catherine Deneuve avait eu la clairvoyance de se faire doubler dans Les Parapluies…. Quant au scénario, sa fantaisie revendiquée sonne creux et le message qui le sous-tend (« Surtout ne soyez pas vous-même »), faussement transgressif, s’auto-détruit en cours de route.

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Petite Sœur ★★☆☆

Lisa et Sven sont jumeaux. Lisa (Nina Hoss) est née deux minutes après Sven (Lars Eidinger), ce qui lui vaut de son frère – aîné – le surnom affectueux de « petite sœur ». Un lien indéfectible unit la dramaturge, forcée de suivre son mari en Suisse où il a été promu à la direction d’un établissement d’enseignement huppé, et l’acteur à succès qu’un cancer foudroyant éloigne des planches.
Pour aider Sven à y remonter, Lisa s’est mise en tête d’écrire un monologue. Elle s’acharne à convaincre David (Thomas Ostermeier dans son propre rôle), l’influent directeur de la Schaubühne, de le monter. Mais elle ne réalise pas que l’état de Sven hypothèque cette perspective.

Petite Sœur est un beau film sur la création artistique et sur la gémellité. Deux thèmes qui a priori ne me touchent guère. Deux thèmes traités avec beaucoup (trop ?) de pudeur par les co-réalisatrices suisses Stéphanie Chuat et Véronique Reymond – qui ne sont pas jumelles mais qui, disent-elles, sont unies depuis l’enfance par des liens très forts.

Cette histoire, qui pourrait être déchirante, ne l’est finalement pas tant que ça, grâce à la légèreté que les réalisatrices réussissent à instiller dans leur récit. C’est la principale qualité du film. C’est aussi son principal défaut.

Reste l’interprétation, toujours parfaite, de Nina Hoss. Je ne connais pas de femme plus belle et plus élégante qu’elle – sinon peut-être une ambassadrice de France dans un pays de l’est de l’Europe.

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Freda ★☆☆☆

La vie est dure à Haïti pour Freda, sa sœur Esther et sa mère Jeannette, propriétaire d’un petit commerce dans un quartier pauvre de Port-au-Prince. Jeannette, très pieuse, voudrait que ses filles fassent de beaux mariages. Esther, l’aînée, est bien frivole, et passe d’un homme à l’autre : le pasteur américain de l’Eglise évangélique de sa mère, un chanteur rasta, un sénateur qui l’impressionne avec son argent…. Freda la plus jeune, qui suit des cours d’anthropologie à l’université, quand ses professeurs ne sont pas en grève, est autrement plus politisée. Se laissera-t-elle convaincre par Yeshua, son amoureux, de quitter Haïti, devenue trop instable, pour Saint-Domingue, quitte à renoncer pour sa sécurité à son pays ?

Haïti est un pays éprouvé. Éprouvé par les tremblements de terre qui le ravagent périodiquement. Éprouvé par l’instabilité politique qui le ronge. Son cinéma, qui porte le reflet de cette lourde histoire, n’est pas très connu. Freda est le premier film haïtien sélectionné à Cannes depuis L’Homme sur les quais de Raoul Peck en 1993.

Son titre et son affiche font la part belle à Freda et à l’actrice qui l’interprète. C’est ne pas faire justice aux deux autres figures féminines du film : sa mère Jeannette et sa sœur Esther. Car c’est bien autour de ce triangle que le film est construit. Trois Femmes puissantes aurait mieux convenu si ce titre-là n’avait déjà été utilisé par Marie Ndiaye pour son roman goncourtisé. Freda, c’est la femme conscientisée, intelligente, éduquée, qui se bat contre le patriarcat. Sa sœur Esther, c’est la charmante gourde qui rêve au prince charmant et qui évidemment se perdra dans ce miroir aux alouettes. Jeannette enfin, sur le beau visage de laquelle le film se clôt, c’est la mère Courage qui endure tout en priant un Dieu sourd à ses appels.

Qui a voyagé à Haïti, qui a été touché par ses paysages et par la résilience de ses habitants, qui y a ses racines, dans l’île même ou dans les Caraïbes dont la vieille république résume à elle seule les tares et les atouts, sera certainement plus sensible à Freda que celui qui n’a aucune affinité avec cette région du monde. J’ai le handicap de faire partie de la seconde catégorie. Je n’ai jamais mis les pieds à Haïti. Freda ne m’en a pas donné particulièrement envie. Telle n’était d’ailleurs en rien l’intention de sa réalisatrice.

La bande-annonce

Le Pardon ★★☆☆

Mina perd son mari, condamné à la peine capitale pour homicide. Elle travaille à la chaîne en usine et doit élever seule un enfant sourd. Un an après la mort de son époux, la justice lui apprend que le réel assassin a fait des aveux circonstanciés et que son époux a été exécuté à tort. La nouvelle écrase la veuve éplorée qui réclame des indemnités et la mise en cause des juges qui ont prononcé la peine capitale.
C’est alors que Reza apparaît dans la vie de Mina. Il affirme avoir une dette à lui payer. Il l’aide à trouver un nouvel appartement. Quels sont les ressorts cachés de la générosité de cet inconnu ?

Avec un incontestable talent, Une séparation d’Ashgar Farhadi, Ours d’Or à Berlin, Oscar du meilleur film étranger, a créé un genre : le-drame-iranien-poignant-et-réaliste. Le genre a connu, depuis dix ans bien des déclinaisons : les films suivants d’Asghar Farhadi (dont on attend le prochain, Un héros, en décembre), La Permission de Soheil Beiraghi, Trois visages de Rafar Panahi, Un homme intègre de Mohammad Rasoulof ou, le dernier en date, La Loi de Téhéran l’été dernier. Un autre film iranien, Marché noir, repéré au festival Reims Polar 2021 devait sortir le 6 octobre ; mais sa sortie a été intelligemment déplacée au 5 janvier 2022 pour éviter de saturer le marché. Chacun a leur façon, ces films racontent une tragédie universelle en faisant, en arrière-plan, le procès du régime de Téhéran et de ses dérives liberticides.

On pourrait adresser le même éloge à ce Pardon ou lui en faire la même critique. Il est aussi efficace, voire plus, que les autres films iraniens qu’on a vus ces dernières années. Son défaut est d’arriver après eux et de ne plus provoquer la surprise qu’ils suscitaient. On touche ici du doigt un défaut structurel de la critique cinématographique et de celui qui l’écrit : il/elle a déjà vu beaucoup (trop ?) de films. Son regard est peut-être plus aiguisé et mieux renseigné ; mais il n’a plus la virginité des autres spectateurs moins blasés.

Qui n’a jamais vu de film iranien sera sans aucun doute frappé par la force de ce Pardon, par son montage et ses ellipses qui, sans jamais perdre le spectateur, donnent au récit un rythme étonnant, par ses longs plans fixes ou ses lents travellings qui contrastent avec la mode envahissante des caméras au poing elliptiques. Quid de ceux qui ont vu – et aimé – Une séparation, Un homme intègre, La Loi de Téhéran et qui, précisément, parce qu’ils ont vu et aimé ces films-là, parce qu’ils s’intéressent au cinéma iranien, parce qu’ils suivent avec intérêt l’évolution de ce pays-monde, seront venus voir ce film-ci ? Il est à craindre qu’ils aient un sentiment de déjà vu et qu’ils restent sur leur faim.

La bande-annonce

Mon légionnaire ★☆☆☆

Réalisé sur un mode quasi-documentaire, Mon légionnaire s’attache à la vie de deux légionnaires et de leurs épouses. Maxime (Louis Garrel) est un jeune lieutenant fraîchement émoulu de son école d’application. Il rejoint le 2ème REP de la Légion étrangère près de Calvi en Corse pour y prendre le commandement d’une compagnie. Sa femme Céline (Camille Cottin) l’accompagne, avec leur fils Paul ; mais, cette avocate de profession a du mal à se couler dans le moule de « l’épouse idéale ».
Vlad (Aleksandr Kuznetsov) est un sous-officier d’origine ukrainienne. Sa fiancée, Nika (Ina Marija Bartaitė, la fille de l’immense réalisateur lituanien, Šarūnas Bartas, tragiquement décédée en avril dernier dans un accident de la circulation), le rejoint à Calvi et découvre la dure condition de femme de militaire.

Rachel Lang avait déjà réalisé en 2016 Baden Baden, un premier film remarquable, qui flirtait avec les frontières de la fiction et du documentaire. Elle poursuit dans la même veine, mais avec moins de réussite.

Elle a fait l’erreur de recruter deux stars, Louis Garrel et Camille Cottin, qui tirent immanquablement le film vers la fiction. Mais elle met en même temps un point d’honneur à décrire scrupuleusement la vie de garnison et le déploiement de la compagnie commandée par Maxime en Opex. Du coup, le film échoue dans un entre-deux inconfortable : pas assez fictionnalisé pour être mélodramatique, pas assez documenté pour nous faire connaître tous les détails de la vie à la Légion.

On a un peu l’impression que la réalisatrice, qui a elle-même signé le scénario, a voulu nous montrer tous les aspects de cette vie-là mais, faute de disposer du matériau documentaire pour le faire, a demandé aux acteurs de les jouer. Toutes les facettes de la vie de couple sont ainsi successivement et scrupuleusement montrées : la douleur que créent les départs en mission des soldats, les fractures insidieuses qu’elles provoquent dans chaque couple, la façon dont certains les colmatent et d’autres n’y parviennent pas, la mort enfin qui rode et qui parfois s’abat…

Cela ne signifie pas que ce portrait délicat de la servitude et des grandeurs militaires manque de sensibilité. Mais il y a dans cet exposé systématique de toutes ses combinaisons possibles un peu trop d’application.

La bande-annonce

Notturno ★★☆☆

Gianfranco Rosi est allé filmer la Syrie et ses marches qui peinent à refermer les plaies que Daesh y a laissées.

Gianfranco Rosi est sans doute l’un des plus grands documentaristes contemporains – ex aequo avec, de l’autre côté de l’Atlantique, Frederick Wiseman auquel je voue une vénération sacrée. Sacro GRA, une errance circulaire sur l’autoroute périphérique de Rome, fut en 2013 le premier – et à ce jour le seul – documentaire à recevoir le Lion d’Or à Venise. Fuocoammare reçut l’Ours d’Or à Berlin en 2016.

Fuocoammare m’avait inspiré une critique assez réservée. La bande-annonce de Notturno, ce que j’en lisais ici et là et les premières minutes me confirmaient dans mes préjugés : l’absence de toute voix off, de toute contextualisation laisse le spectateur désemparé devant une succession de clichés et le plonge lentement dans un ennui catatonique.

Sauf que… Sauf que les images filmées par Gianfranco Rosi dans quelques unes des régions les plus dangereuses du monde sont saisissantes. Et l’histoire qu’elles racontent l’est plus encore. Des mères arpentant les couloirs de la prison où leurs fils ont trouvé la mort. Des enfants yezidis pris en charge dans une structure d’accueil et dessinant les exactions commises par Daesh dont ils ont été témoins. Des prisonniers en tenue orange (qui rappelle celle de Guantanamo) parqués par centaines dans une cellule sans fenêtre. Une mère réécoutant les messages de sa fille kidnappée par Daesh….

Notturno est un documentaire éprouvant, constellé de scènes choquantes. Leur succession désoriente. Mais elle ne laisse pas indifférent.

La bande-annonce