En 1961, un groupe de spéléologistes du nord de l’Italie est venu en Calabre explorer le gouffre de Bifurto qui s’est révélé le plus profond de la péninsule et l’un des plus profonds au monde.
Michelangelo Frammartino est un réalisateur discret qui n’a réalisé que trois longs-métrages de toute sa carrière, tous tournés en Calabre, la région méridionale de l’Italie dont il est originaire, comme beaucoup d’Italiens qui ont émigré en Lombardie ou au Piémont durant les Trente Glorieuses.
Il aurait pu réaliser un documentaire sur l’expédition de 1961. Il préfère procéder à une patiente reconstitution, en équipant un groupe de spéléologistes avec du matériel d’époque et en les accompagnant jusqu’au fond du gouffre (le tournage du film a dû nécessiter un dispositif technique dont on devine la complexité).
Michelangelo Frammartino est surtout un cinéaste contemplatif. Il a opté dans Il Buco pour un parti radical : aucune parole, aucune bande-son, aucune explication (sinon un carton final). Les seules paroles qu’on entend au tout début du film sont issues d’un documentaire de l’époque qui semble sans lien avec le sujet du film : il est tourné par la RAI à la tour Pirelli à Milan qui se dresse fièrement au-dessus de la capitale lombarde. L’idée, on le comprendra vite, est d’opposer à l’un des points les plus hauts d’Italie, symbole d’une modernité prométhéenne triomphante, son point le plus bas, au cœur d’une nature sauvage et immobile.
Il Buco ne dure que quatre-vingt-dix minutes mais constitue pour le spectateur, même le plus patient, un spectacle exigeant. Pendant quatre-vingt-dix minutes, pas une parole ne sera échangée. On ne verra qu’une succession de longs plans fixes (ceux qui, à raison, critiquent la mode actuelle des films tournés à l’épaule avec une caméra épileptique y trouveront leur compte).
S’y ennuie-t-on pour autant ? Non. Car, Il Buco nous raconte sans parole une histoire parfaitement intelligible et captivante. On suit pas à pas la progression de la petite troupe, qui s’était arrêtée dans un village de montagne avant de s’installer à pied d’oeuvre sur l’alpage au-dessus du gouffre. Parallèlement, sans qu’on comprenne le lien entre les deux, on accompagne sur son lit de mort les derniers jours d’un berger au visage parcheminé, victime d’une attaque tandis qu’il faisait paître ses bêtes.
À condition d’accepter son cahier des charges exigeant, on se laisse prendre au faux rythme d’Il Buco et lentement apprivoiser par la sérénité panthéiste qui en émane.