Roland Nurier est un cinéaste engagé. Il défend la cause palestinienne et ne s’en cache pas. Son documentaire est un plaidoyer. Réalisé avec soin, il revient sur l’histoire de la bande de Gaza, sur la mémoire de la Nakba dans la population palestinienne et sur son aspiration à son retour sur les terres dont elle a été chassée en 1948, sur le blocus israélien depuis 2007 en réaction à la prise de pouvoir par le Hamas, sur les incessants bombardements et sur la lente asphyxie économique de ce territoire exigu.
Yallah Gaza est sorti en salles, certes dans un circuit très limité, le 8 novembre. Cette date pose problème un mois à peine après l’attaque sanglante du Hamas contre Israël et alors que les représailles israéliennes sur Gaza font rage. D’un côté, on pourrait, avec les distributeurs du film, revendiquer son à-propos. De l’autre on pourrait redouter que les esprits soient trop échauffés et que les applaudissements ou les sifflets qui pourraient accompagner son générique, ne fassent qu’exarcerber les tensions.
Yallah Gaza a une vertu : sa clarté. Il passe en revue avec une grande efficacité l’ensemble des défis auxquels est confrontée la bande de Gaza. Il évoque par exemple le rôle de l’ONU, les résolutions que l’organisation a votées et qu’Israël n’a jamais respectées, ainsi que les instances en cours devant la Cour pénale internationale (CPI). Reprenant le même discours que les études postcoloniales, il dénonce le régime d’apartheid que le colonisateur blanc israélien a mis en place et entretient l’espoir que la résistance courageuse à cette oppression inique finira un jour par l’emporter, comme l’histoire du monde en donne de nombreux exemples.
Mais Yallah Gaza laisse dans l’ombre beaucoup d’aspects. En exaltant un peuple uni par l’oppression qu’il subit et le désir de résistance qui l’anime, il ignore les tensions qui le parcourent. Il ne dit mot des rivalités entre le Fatah et le Hamas. Considérant que le Hamas est un mouvement de résistance, porté au pouvoir en 2006 par des élections démocratiques, il l’absout des crimes qu’il a commis. Affirmer, comme le fait Eleonore Bronstein ou Ken Loach, que le Hamas exerce son droit de légitime défense et « n’a jamais attaqué Israël » n’est plus audible, s’il l’a jamais été, depuis le 7 octobre.
Yallah Gaza a le machiavélisme de donner la parole à de nombreux Juifs pro-palestiniens et antisionistes : Pierre Stambul, porte-parole de l’Union juive française pour la paix qui a beau jeu d’invoquer les mânes de son père, membre du groupe Manouchian et déporté à Buchenwald, pour justifier le recours à la violence, l’anthropologue franco-israélienne Eleonore Bronstein qui dénonce l’amalgame fait entre antisionisme et antisémitisme, Yonathan Shapira, ancien pilote d’hélicoptère de Tsahal, réfugié en Norvège et inlassable pourfendeur des crimes de guerre dont il accuse Israël.
Mais Yallah Gaza a le défaut, rédhibitoire, de ne donner qu’une version de l’histoire. Yallah Gaza est un procès à charge auquel l’accusé n’a pas le droit de se défendre.
Enfin, puisqu’il s’agit d’un blog de cinéma, il faut dire un mot de la forme de ce documentaire. Ses premières images sont déroutantes, qu’on croirait tout droit sorties d’une publicité pour Qatar Airways. Son fil rouge est le spectacle d’une compagnie de danse filmé au milieu des ruines. Roland Nurier utilise une esthétique qui n’est pas celle qu’on aurait spontanément imaginée pour un tel sujet. En filmant les immeubles bombardés de Gaza, il voudrait en même temps dénoncer les violences israéliennes et exalter la résilience du peuple gazaoui.