Bad Lieutenant ressort sur les écrans en version restaurée. Le film a plus d’un quart de siècle et n’a pas si bien vieilli. Il a ce grain épais, ces images tremblées, ce son parasité des films des années quatre-vingts avant l’invention du Dolby Digital et de la SteadyCam.
L’action de Bad Lieutenant se déroule à New York, une immense mégalopole encore engluée dans la crise financière des années soixante-dix, sale et mal famée, comme Scorsese l’avait peinte quinze ans plus tôt dans Taxi Driver.
Abel Ferrara, qui n’en est pas à un excès près, charge la barque avec son personnage principal. Son lieutenant de police est le pire des ripoux. Après avoir déposé ses enfants à l’école, il use de ses prérogatives pour violer la loi éhontément. Il relâche deux braqueurs d’une épicerie après avoir détourné leur magot. Il traque des dealers pour détourner leur came. Il fait chanter deux jeunes filles dont les feux de signalisation ne fonctionnent pas pour se masturber devant elles. Cocaïnomane au dernier degré, il est un parieur compulsif qui s’entête à miser l’argent qu’il n’a pas sur l’équipe de baseball de Los Angeles, les Dodgers, qui ne cessent de perdre leurs matchs.
Bad Lieutenant est un film culte. Une légende noire circule à son sujet. Les acteurs auraient filmé sans doublures ni coupes, consommant eux-mêmes les drogues qu’ils injectent ou sniffent. Les addictions de Abel Ferrara et de Harvey Keitel étaient notoires. celles de Zoe Lund, la co-scénariste, aussi – qui en mourut quelques années plus tard.
Bad Lieutenant a pour héros une figure inventée quelques années plus tôt : celle du flic véreux contaminé par un cynisme qui gangrène la société tout entière (Inspecteur Harry, French Connection, Serpico…). Mais il lui offre une rédemption toute dostoïevskienne sur fond de morale judéo-chrétienne. C’est le viol sadique d’une religieuse, filmée non sans complaisance sur fond de musique religieuse, dans une esthétique qui rappelle le giallo italien, qui déclenchera cette prise de conscience.
Mais il est déjà trop tard. Bad Lieutenant se conclut sur un long plan fixe d’une voiture à l’arrêt dans une artère passante. J’avais vu le film à sa sortie en 1993 et cette scène là était restée gravée à jamais dans ma mémoire.