Jeux d’été ★★★☆

Marie est danseuse étoile. Elle répète « Le Lac des cygnes ». Elle reçoit au courrier le journal de Henrik, son premier amant, mort une dizaine d’années plus tôt dans des circonstances tragiques. La lecture de ce journal la reconduit sur les lieux du drame et fait affleurer les souvenirs d’un été d’insouciance.

« Jeux d’été » est une réalisation de jeunesse de Ingmar Bergman, âgé de trente-deux ans à peine. Il  contient déjà tous les thèmes de l’œuvre de l’immense cinéaste suédois.

Une ode à la nature. Les souvenirs de Marie la ramènent à un été ensoleillé durant lesquels les deux amants multipliaient les bains de mer, comme dans Monika (1952). On les voit dévorer des baies comme dans Les Fraises sauvages (1957).

Dieu est mort. L’œuvre de Bergman est traversée par la question de la foi. C’est le sujet central de son film le plus célèbre, Le septième sceau (1957). Dans Les communiants (1962), Max von Sydow joue le rôle d’un pasteur ébranlé par le suicide de l’une de ses ouailles.

Mais la vie est la plus forte. On aurait tort de résumer l’œuvre de Bergman à un austère exercice métaphysique et doloriste. Si Dieu est mort, nous dit-il, nous sommes libres d’échapper à son regard et à son courroux, libres de vivre. Et même la mort ne doit pas nous priver du goût de la vie ; car elle ne réussira jamais à nous priver du souvenir de nos bonheurs passés.

Telles sont déjà en filigrane les étapes de l’évolution du personnage de Marie. Le journal de Hendrik lui rappelle le bonheur qu’elle a connu avec lui, sur les bords de la Baltique. Il lui rappelle son désespoir à sa mort, incompréhensible et inique, qui lui fit perdre la foi. Mais elle l’exhorte à vivre pleinement sa vie, aussi futile et dérisoire soit-elle.

Old Joy ★★☆☆

Deux hommes partent camper en forêt. Ils se baignent dans une source d’eau chaude puis rentrent chez eux.

Avant de tourner Certaines femmes qui est sorti le mois dernier sur nos écrans, Kelly Reichardt avait tourné en 2006 Old Joy. Le voir aujourd’hui c’est toucher du doigt l’extrême cohérence de l’œuvre de cette réalisatrice indé, par ailleurs auteure des très réussis Wendy et Lucy, La Dernière piste et Night Moves.

Le scénario de Old Joy tient sur un timbre poste. C’est sa principale qualité ; c’est aussi son principal défaut.

On peut se laisser hypnotiser par la simplicité dépouillée de cette histoire. Rien ne se passe que de très ordinaire dans Old Joy. Un long trajet automobile de la ville vers la forêt. Quelques hésitations sur l’embranchement à trouver. Une nuit autour d’un feu de bois. Une marche. Un bain dans une source. Puis le trajet retour en tous points semblables à l’aller. La vie tout simplement.

Ce refus radical de faire « joli », de dramatiser constitue-t-il un retour à l’authenticité vraie du cinéma, loin de tout artifice ? Sans doute. Mais le cinéma offre la possibilité de compresser le temps et l’espace, de raconter des histoires, bref de sublimer la réalité. Réduire le cinéma à n’être qu’un miroir posé sur le bord de chemin, c’est comme demander à un peintre de photographier la réalité.

Et puis surtout… c’est très chiant.

La bande-annonce

Fences ★☆☆☆

L’action commence en 1957 à Pittsburgh. Elle se déroule pour l’essentiel au foyer de Troy Maxson un Afro-américain d’une cinquantaine d’années marié à Rose. Dans sa jeunesse, Troy fut un surdoué du baseball auquel les lois raciales interdirent de faire carrière dans le sport. Éboueur pour la ville de Pittsburgh, il remâche sa rancœur. D’un premier lit, il a eu un fils, Lyons, qui peine à  vivre de sa musique et ne cesse d’emprunter de l’argent à son père. Avec Rose, il a eu un second fils, Cory, qui espère, contre les conseils de son père, passer professionnel en football américain.

« Fences » repose sur un double malentendu. Le premier aurait pu être surmonté ; le second, hélas, est fatal.

Réalisé par Denzel Washington, « Fences » donne au sympathique acteur le rôle principal d’un … salopard. Car c’est bien à cela que se réduit le personnage de Troy Maxson. Sans doute son caractère s’explique-t-il par son enfance misérable, ses rêves contrariés de carrière, son passage en prison. Mais, tous comptes faits, Troy est un salaud qui trompe sa femme aimante et tyrannise ses enfants.
L’ambiguïté est d’avoir confié ce rôle au plus sympathique des acteurs. Pendant presque tout le film, on s’attend à ce que l’acteur et son double se retrouvent : Troy Maxson va-t-il faire tomber la carapace du salaud pour révéler la bonté prisonnière au fond de lui ?

Plus grave est le malentendu provoqué par la mise en scène. « Fences » est au départ une pièce de théâtre. Ecrite en 1983 par l’immense dramaturge afro-américain August Wilson, elle s’est vu décerner le prix Pulitzer en 1987. Le rôle de Troy Maxson a été créé par James Earl Jones et repris à la scène par Denzel Washington lui-même.
Le film « Fences » porte la trace de cette trop lourde généalogie. C’est du théâtre filmé dans ce qu’il a de pire : des décors statiques auquel une caméra virevoltante essaie sans succès de donner du mouvement, des dialogues interminables et trop écrits dont une interprétation, au demeurant excellente, ne parvient pas à restaurer la spontanéité.

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Les fleurs bleues ★★☆☆

Tandis que la chape de plomb du communisme s’abat sur la Pologne de l’après-guerre, le peintre Władysław Strzemiński qui refuse se faire obédience aux nouvelles règles artistiques imposées par le pouvoir, est lentement marginalisé.

Filmé dans la blancheur glaciale de l’hiver, « Les Fleurs bleues » n’ont rien de printanier. C’est moins un hymne à la peinture qu’une description presque masochiste de la déchéance d’un homme, brisé par un système auquel il refuse de céder.

« Les Fleurs bleues » est le dernier film de Andrzej Wajda (1926-2013). A plus de quatre-vingt dix ans, le grand réalisateur polonais signe une œuvre qui résume toute son œuvre. Par sa forme très classique. Mais surtout par les thèmes qu’il traite, empruntés à l’histoire nationale polonaise : critique du communisme, refus de la compromission, exaltation de l’abnégation.

Toute sa vie durant, Wajda a défié les autorités de son pays. À l’époque communiste, la palme d’or attribuée en 1981 à « L’Homme de fer » lui a conféré une célébrité internationale le préservant du risque de persécution. Couvert d’honneurs dans la Pologne post-communiste, il n’hésite pas à ferrailler contre les dérives de la classe politique. « Les Fleurs bleues » peut se lire comme une dénonciation du PiS, le parti de droite national-conservateur qui a remporté les dernières élections de 2015 et dirige le pays dans une inquiétante impasse.

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L’Autre côté de l’espoir ★☆☆☆

Khaled a fui la Syrie. Il débarque par hasard en Finlande. Il dépose une demande d’asile qui est bientôt rejetée. Sur le point d’être reconduit vers la Turquie, il s’échappe du centre de rétention.
Wikstrôm change de vie. Il quitte sa femme et son emploi et rachète un restaurant dont il entend moderniser la gestion.
Le destin de ces deux solitaires va se croiser.

Voilà plus de trente ans qu’on connaît les films de Aki Kaurismâki. Cette curiosité et cette fidélité ont probablement deux motifs. Le premier est le snobisme de pouvoir citer et prononcer le nom d’un réalisateur finlandais – je serais bien en peine d’en citer un autre. Le second est l’intérêt que suscite la profonde originalité de son œuvre.

Car les films du géant finlandais, qu’il écrit, produit et réalise, sont reconnaissables au premier coup d’œil. Des plans fixes sans aucun mouvement de caméra. Des personnages taciturnes qui ne sourient jamais filmés en plan américain. Un éclairage très puissant accentuant les couleurs et les contrastes. Un décor intemporel évoquant l’esthétique industrielle de l’URSS (ou de la Finlande ?) des années 50. Une quasi-absence de dialogue et de musique extradiégétique ; mais l’omniprésence de musiciens qu’on écoute jouer longuement Un humour cynique cachant un profond humanisme.

La marque de fabrique des films de Kaurismäki est désormais solidement établie. Au point de remporter un succès grandissant dans les festivals. « L’Autre côté de l’espoir » lui a valu l’Ours d’argent du meilleur réalisateur au dernier festival de Berlin. « Le Havre » avait emporté le prix Louis-Delluc en 2011. « L’Homme sans passé » avait reçu le Grand Prix au festival de Cannes en 2002.

Cette avalanche de récompense est suspecte. Elle consacre un cinéma qui creuse un sillon dans lequel Kaurismäki se sent à l’aise et ne se met plus en danger. « L’Autre côté de l’espoir » ressemble trop à son précédent film, « Le Havre », où un jeune immigré gabonais était recueilli par un cireur de chaussures au grand cœur. Quant aux thèmes qu’il aborde (la dénonciation de la xénophobie, l’indispensable solidarité humaine), ils sont si évidemment admirables que leur candide ressassement finit par lasser.

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Paula ★☆☆☆

En 1900, Paula Becker a vingt-quatre ans. C’est une jeune femme émancipée qui veut consacrer sa vie à sa passion, la peinture, et veut briser le carcan dans lequel les femmes sont encore enfermées. Dans la colonne d’artistes de Worpswede, près de Brême, elle rencontre un jeune veuf, peintre comme elle. Elle l’épouse. Mais elle rêve de partir à Paris y élargir sa palette.

Je ne connaissais pas l’œuvre de Paula Modersohn-Becker jusqu’à l’exposition que lui a consacrée l’an dernier le Musée d’art moderne de la ville de Paris. J’ai patiemment fait la queue pour y accéder et ai découvert des nus, des autoportraits, des paysages caractérisés par un refus aussi radical de l’esthétisme que du vérisme. Cette exposition m’a donné envie de lire le livre qu’a consacrée à la peintre Marie Darrieussecq (qui prend encore la poussière sur ma P.A.L.), de voir le documentaire qui en a été tiré et enfin ce film sorti en Allemagne l’an passé.

Le biopic de Christian Schwochow n’échappe pas hélas à l’académisme contre lequel Paula s’est rebellée sa vie durant. Il suit paresseusement l’histoire de sa vie de son arrivée à Worpswede en 1900 jusqu’à sa mort sept ans plus tard.

Le film hésite entre deux partis. Faute de moyens, ce n’est pas une immense fresque historique qui brosse la Belle époque, entre Worpswede et Paris – dont on réalise quelle attraction elle exerçait sur les milieux artistiques allemands. Ce n’est pas non plus un drame intimiste construit autour des tourments de Paula, mariée à un homme incapable de lui faire l’amour et cherchant à Paris un père pour l’enfant qu’elle rêve d’avoir.
L’actrice Carla Juri ne m’a pas convaincu. C’est elle pourtant qui a été retenue pour jouer dans « Blade Runner 2049 » aux côtés de Harrisson Ford et de Ryan Gosling.

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Paris pieds nus ★★☆☆

Depuis plus de dix ans, le duo belgo-canadien Abel & Gordon signe des films aussi improbables que la rencontre de ces deux nationalités : « L’Iceberg » (2005), « Rumba » (2008), « La Fée » (2011). Pour la première fois, il pose sa caméra à Paris, sur les berges du seizième arrondissement, entre la Tour Eiffel et l’île aux cygnes. Fiona (Fiona Gordon) y campe une postière canadienne débarquée dans la capitale à la recherche de sa vieille tante gentiment foldingue (Emmanuelle Riva). La rousse voyageuse y fait la rencontre de Dom, un SDF loufoque (Dominique Abel) qui l’aidera à retrouver l’octogénaire étourdie.

On l’aura compris : l’intrigue ténue n’est qu’un prétexte à un enchaînement de saynètes burlesques sinon absurdes. Abel & Gordon creuse un sillon qu’on aurait cru stérile depuis Buster Keaton et la fin du cinéma muet : celui du gag triste. Un tango à bord d’une péniche, un banc au Père-Lachaise, l’escalade nocturne de la Tour Eiffel : tout leur est prétexte à improviser des chorégraphies surprenantes, des duos émouvants, des plaisanteries charmantes.

Comme les précédents films du duo, « Partis pieds nus » séduit par sa fraîcheur. Abel & Gordon s’affranchissent des codes pour produire une œuvre en tout point original. Pour autant, l’effet de surprise passé, le film peine à tenir la distance. Sa brièveté (il dure une heure vingt-trois seulement) le sauve.

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Citoyen d’honneur ★★★☆

L’écrivain Daniel Mantovani déprime depuis qu’il a reçu le Prix Nobel de littérature [C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je l’ai toujours refusé : la peur de la déprime]. Cloîtré dans sa luxueuse villa, il refuse toutes les sollicitations. Mais, sur un coup de tête, il s’envole pour Buenos Aires pour retourner dans son village natal, Salas, le cadre de chacun de ses romans où il n’est plus revenu depuis quarante ans.

Qui n’a jamais rêvé de retourner pavoiser devant le caïd de la cour de récré dont il/elle était le souffre-douleur et de faire étalage de la réussite de sa vie professionnelle ou familiale ? « Citoyen d’honneur » repose sur une idée très simple dont sont tirées toutes les potentialités.

La première, la moins exploitée, est celle de la nostalgie. Daniel Mantovani revient sur les lieux de son enfance. Il n’en retrouve quasiment aucune trace, si ce n’est un cimetière envahi par les herbes folles, une institutrice clouée sur un fauteuil roulant. D’ailleurs le village de Salas, anonyme, sans charme, ne se prête guère à la nostalgie.

La deuxième est celle de la drôlerie qui naît du décalage entre l’écrivain célèbre et la simplicité de ses hôtes. Mantovani est accueilli par des ploucs sympathiques. Son chauffeur, sous prétexte d’emprunter un raccourci crève au milieu de nulle part et l’oblige à passer la nuit à la belle étoile. Le maire de la ville le fait parader sur le camion des sapeurs pompiers. Chacune de ses déambulations dans le village est interrompu par un automobiliste trop pressant qui veut à tout prix le conduire dans son véhicule.

La troisième, plus dérangeante, est la jalousie et le mépris que la célébrité de cet enfant du village suscite. Car si la bienveillance domine parmi les hôtes de Mantovani, des sentiments moins amicaux affleurent vite. Pour avoir refusé de donner à un concours de peinture le premier prix au peintre autoproclamé de la commune, Mantovani, accusé d’élitisme, s’attire l’hostilité d’une partie du village. Son pèlerinage se transforme bientôt en chemin de croix, voire en chasse à l’homme.

La dernière, la plus intelligente, est une réflexion sur le rôle de l’artiste. On pense à l’albatros de Baudelaire, exilé sur le sol au milieu des huées. Le statut de son œuvre est sans cesse questionné : chaque villageois exige le droit de s’y reconnaître quand l’écrivain revendique celui de s’être affranchi de ses modèles. Un écrivain a-t-il une dette avec son inspiration ? Peut-il s’en libérer ? Compromettre son art est-ce l’abâtardir ? refuser de le compromettre est-ce sombrer dans un narcissisme prétentieux ?

Le séjour de Mantovani à Salas est un crescendo qui se conclue par un twist surprenant. À double détente. Au propre comme au figuré.

La bande-annonce

Traque à Boston ★★★☆

Peter Berg filme à la truelle les pages les plus sanglantes et les plus héroïques de l’histoire contemporaine américaine. L’attentat des tours de Khobar en 1996 en Arabie saoudite (Le Royaume), l’opération Red Wings menées par les SEALs dans les montagnes afghanes en 2005 (Du sang et des larmes), l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon au large de la Louisiane en 2010 (Deepwater).

« Traque à Boston » – un titre bien médiocre auquel on aurait préféré « Marathon à Boston » – est lui aussi inspiré d’une histoire vraie. Le 15 avril 2013, près de la ligne d’arrivée du marathon, deux bombes explosent causant la mort de trois spectateurs et en blessant des centaines d’autres. Les auteurs de ces attentats, les frères Tsnarnaïev, seront impitoyablement traqués par la police de Boston.

Tous les films de Peter Berg suivent la même recette : un Américain moyen – auquel Mark Wahlberg a prêté ses traits dans ses trois dernières réalisations – est plongé à son corps défendant dans un événement qui le dépasse et qui sera pour lui l’occasion d’exprimer son héroïsme. On pourrait trouver la formule répétitive. On pourrait considérer le patriotisme de ses films par trop chauvin.

Pourtant, je dois confesser un vrai plaisir de spectateur devant cette « Traque à Boston ». Même si on connaît par avance l’issue de la traque des frères Tsarnaïev, elle n’en demeure pas moins palpitante. La mise en scène, nerveuse, suit le parcours d’une dizaine de protagonistes qui, à un moment ou à un autre, seront touchés par les attentats : un couple aimant fauché par le souffle des explosions, un père qui perd son enfant dans la panique qui s’ensuivit, un policier proche de la retraite qui interpellera les frères Tsarnaïev dans une banlieue tranquille de Boston, etc.

On ne regarde pas une seconde sa montre. Et à ceux qui considèreraient par trop manichéenne cette chasse à l’homme, expression de la soif de vengeance d’un corps social blessé dans sa chair contre ses deux assassins, j’opposerai une scène d’interrogatoire dérangeante, près de la fin du film, où la froide violence de l’interrogateur se heurte de plein fouet à la fanatique détermination du complice.

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L’Opéra ★★★☆

Le Suisse Jean-Stéphane Bron s’est fait un nom en signant deux documentaires politiquement engagés. Le premier, « Cleveland contre Wall Street » (2010) filmait le procès engagé par des propriétaires dépossédés de Cleveland, contre les banques de Wall Street à l’origine de la crise des subprimes. Le second, « L’Expérience Blocher » (2013), créait une intimité troublante avec le leader de l’UDC, le parti suisse d’extrême droite.

Son troisième documentaire chasse sur des terres bien différentes. De son propre aveu, Jean-Stéphane Bron n’avait jamais mis les pieds à l’Opéra de Paris avant de se laisser convaincre par son producteur de le filmer. Le réalisateur marche sur les brisées du pape du documentaire, Frederik Wiseman, qui avait consacré au ballet de l’Opéra de Paris un documentaire de deux heures trente, « La Danse » (2009). Il ne documente pas, comme on l’a déjà souvent vu (« Company » de Robert Altman, « La Traviata et nous » de Philippe Béziat), les répétitions d’un spectacle. Comme Frederik Wiseman, il fait le pari de l’immersion participative, de l’embeddment sur la longue durée dans une institution dont il entend décrypter le fonctionnement.

Il réussit à capter des instants de pure magie, souvent très drôles. Ainsi de ce taureau d’une tonne cinq utilisé par le metteur en scène de « Moïse et Aaron » que son propriétaire prépare à monter sur scène en lui faisant écouter dans son enclos la musique de Schönberg. Ainsi de cette coryphée à bout de souffle à la fin d’un scène, dont la fragilité dévoilé à la caméra impudique dans les coulisses contraste avec le masque impavide qu’elle affichait sur le plateau quelques instants plus tôt. Ainsi encore de la minute de silence observée au lendemain des attentats du Bataclan (« il faut jouer, jouer, jouer encore »), dans la salle de l’Opéra Bastille et jusque dans ses cuisines. Ainsi enfin d’une maquilleuse, qui tend à la soprano une boîte de Kleenex et une bouteille d’eau minérale mais qui se laisse émouvoir aux larmes par la beauté de l’aria qu’elle entend au bord de la scène.

Ces saynètes révèlent le don du réalisateur pour capter l’inattendu. Elles raviront les amateurs d’opéra avides de connaître les coulisses de Bastille et de Garnier. Elles ont enthousiasmé le public de privilégiés invités hier soir en avant-première sous le plafond de Marc Chagall.

Le documentaire de Jean-Stéphan Bron souffre toutefois d’un défaut qui le pénalise lourdement. Il n’a aucun sens.
Aucun sens = aucune direction. Le montage est incompréhensible qui accumule les saynètes sans les organiser selon une progression logique. On passe sans solution de continuité d’une réunion de direction présidée par Stéphane Lissner, secondée avec talent par Jean-Philippe Thiellay, à une représentation de la Bayadère.
Aucune sens = aucune signification. Qu’a-t-on appris sur l’Opéra de Paris ? On touche du doigt la lourdeur de son administration. On vit, mais sans jamais vraiment en révéler les ressorts, les crises qui l’ont traversé, tel le départ polémique de Benjamin Millepied et son remplacement par Aurélie Dupont. On réalise que chaque spectacle est un miracle improbable, constamment menacé par une grève de personnel ou l’angine d’un soliste. On se voit confirmer que la recherche de la perfection anime chacun de ses employés, depuis le directeur musical jusqu’aux perruquiers en passant par le baryton-basse russe au talent prometteur et aux jeunes instrumentistes de l’orchestre Colonne. On n’apprend finalement rien qu’on ne sache déjà. Et on a un peu le sentiment de voir un clip, certes luxueux et touchant, à la gloire du directeur de l’Opéra.

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