Eternal Daughter ★☆☆☆

Julie, une réalisatrice d’une cinquantaine d’années, vient séjourner quelques jours avec sa mère Rosalind dans un hôtel chic de la campagne anglaise. Il s’agit d’un manoir où Rosalind a jadis passé une partie de son enfance. Julie travaille à l’écriture de son prochain film qu’elle souhaite consacrer à sa mère. Les deux femmes sont froidement accueillies par la réceptionniste qui n’accepte qu’après un long conciliabule de les loger dans la chambre au premier étage que Julie avait réservée. La première nuit se passe mal pour Julie, réveillée par des bruits étranges. Pourtant l’hôtel semble curieusement vidé de tout occupant.

La réalisatrice britannique a dû attendre d’avoir dépassé la soixantaine pour que son quatrième film, le diptyque The Souvenir lui permette enfin d’accéder à une célébrité toute relative de ce côté-ci de la Manche. Tilda Swinton y interprétait la mère de l’héroïne. Elle relève ici  le défi d’interpréter simultanément les deux rôles de Julie et de Rosalind – avec la même robe vert d’eau que celle qu’elle portait déjà dans The Souvenir.
Sa performance dans ces deux rôles-là force l’admiration : bien sûr, le costume, le maquillage, la coiffure permettent de distinguer immédiatement les deux personnages, mais Tilda Swinton, d’une intonation de voix, d’un silence, réussit, par son seul talent, à leur donner une identité bien distincte. C’est bien sûr l’atout principal du film.

L’inconvénient est qu’il n’en compte guère d’autres. Eternal Daughter emprunte à la veine fantastique sinon horrifique en situant son intrigue dans un manoir lugubre plongé dans la nuit et dans la brume. Cet environnement crée bien sûr une ambiance sombre. Julie est réveillée par des fantômes dont on attend l’apparition sans que cette attente suscite vraiment ni effroi ni impatience. Très vite, on devine le ressort sur lequel le scénario repose. L’intérêt qu’avait suscité le film s’est, sitôt né, déjà évanoui. Dans la brume de la campagne anglaise.

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Christophe… définitivement ★☆☆☆

La plasticienne Dominique Gonzalez-Foerster avait aidé le chanteur Christophe à orchestrer son retour sur scène, à l’Olympia, en 2002, après vingt-six ans d’absence. Son complice Ange Leccia y avait volé quelques images du concert et de ses préparatifs, sans jamais envisager de les rendre publiques. Elles résonnent comme un hommage posthume, trois ans après la mort du chanteur, frappé par le Covid en mars 2020.

On y voit les préparatifs du concert et l’exigence tyrannique avec laquelle Christophe procède aux derniers réglages : la profondeur d’un vibrato, l’enchaînement entre deux chansons, la couleur du texte qui défile sur son prompteur…. Le vieux crooner porte encore beau, derrière ses verres fumés qu’il ne retire jamais, sinon pour une séance de maquillage volée sur le vif. Il recoiffe avec un soin maniaque les mèches de sa belle tignasse blonde (teinte ?). Il effrange au ciseau le col de ses T-shirts.

Il ne se livre guère. On n’apprendra rien sur sa vie, sur ses origines, sur sa célébrité foudroyante à vingt ans à peine, en pleine période yéyé avec son tube Aline – qui l’a fait instantanément détesté de toutes les Aline de France (et à l’époque il y en avait beaucoup), ni sur sa longue éclipse avant son retour sur scène avec une musique plus électro qu’avant.

Ce documentaire « définitif » le montre enfin sur scène. On l’y voit interpréter, de sa voix étrange qui fait le grand écart entre des aigus de castrat et des basses de choriste corse (Christophe, de son vrai nom, s’appelle Daniel Bevilacqua) ses tubes les plus connus dans des orchestrations souvent inédites : Aline, Les Paradis perdus, Señorita, Petite Fille du soleil et, pour finir, bien entendu, Les Mots bleus.
Les fans adoreront. Quant aux autres….

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Music ★★★☆

J’ai l’habitude de critiquer un film en commençant par en résumer en quelques lignes l’intrigue. Je romprai aujourd’hui avec ce rituel pour des raisons dont je dois m’expliquer.

Music est en effet un film hors normes.

C’est d’abord un film hors normes par la forme. Il est constitué d’une succession de plans quasi-immobiles et quasi-muets : les mouvements de caméra y sont aussi rares que les paroles échangées. Il s’agit souvent de scènes extérieures cadrées en plans très larges – où les personnages sont comme perdus au milieu d’une nature immense et vierge – ou en plans très serrés. Ces plans durent chacun une trentaine de secondes, donnant au film un rythme très lent, presqu’hypnotique.

Cette forme influence le fond. Même s’ils respectent scrupuleusement la chronologie, ces plans successifs racontent une histoire façon puzzle dont on ne comprend d’abord pas grand chose. Le film s’ouvre sur une montagne noyée dans la brume. On voit ensuite un nouveau-né aux pieds enflés que des ambulanciers retrouvent dans une bergerie et confient à une famille d’adoption. Plan suivant : une voiture conduit une bande de jeunes au bord d’une plage déserte où ils se baignent. Un des garçons, prénommé Jon, au physique d’empereur romain (Aliocha Schneider, le frère cadet de Nils), présente des blessures purulentes aux deux pieds qu’il bande soigneusement. Puis une dispute l’oppose à un autre membre du groupe qui a tenté de l’embrasser. Jon le repousse violemment ; le garçon tombe et se tue. En prison, une surveillante, Iro (Agathe Bonitzer), tombe amoureuse de Jon et l’épousera à la fin de sa peine avant de lui faire un (ou deux ?) enfants. Mais Iro connaît bientôt une fin tragique.

Des films incompréhensibles, j’en ai vu treize à la douzaine. Et mes lecteurs fidèles m’ont suffisamment entendu pester contre leur manque de lisibilité pour savoir que je ne les porte pas en haute estime. Mais ici, très étrangement, l’incompréhension devient un atout. On ne comprend pas grand-chose à Music (à commencer jusqu’au dernier quart du film par son titre)… mais on en comprend suffisamment pour avoir envie d’en comprendre davantage. Devant chaque plan, aussi catatonique soit-il – jusqu’au tout dernier dont je garderai un souvenir transporté – on cherche un détail qui pourrait nous éclairer sur le sens de l’intrigue… et souvent on le trouve.

À la sortie de la séance, on se regarde encore interloqué entre spectateurs (on n’était pas très nombreux hier soir à 22h au Saint-André des Arts) et on partage nos interrogations et nos vaines tentatives de réponse. Il faut être un brillant helléniste – comme ma voisine – pour savoir qu’Oedipe signifie « celui qui a les pieds enflés » et donc pour reconnaître Jon en lui. On sait qu’il a tué son père, épousé sa mère et qu’il s’est crevé les yeux en apprenant son infamie. Et on essaie avec ces éléments épars de reconstituer le puzzle d’un film qu’on serait presque sur le point d’aller revoir une seconde fois, tant il a suscité en nous de questions sans réponse, pour en comprendre le sens et se laisser une fois encore happer par l’ensorcelante séduction.

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Nayola ★☆☆☆

En pleine guerre civile, en Angola, en 1995, Nayola cherche sur la ligne de front son mari disparu. Sa fille, Yara, grandira à Luanda sans connaître ses parents. Poursuivie par la police pour les chansons de rap séditieuses qu’elle interprète et fait circuler sous le manteau, elle se réfugie chez sa grand-mère et y est confrontée, en 2011, à un mystérieux voleur caché derrière un masque de chacal.

L’Angola est une ancienne colonie lusophone sur le territoire de laquelle Etats-Unis et URSS menèrent une longue guerre par procuration qui laissa le pays exsangue. Les occasions sont rares d’en entendre parler ou de voir des films qui lui sont consacrés. Sur ce blog, depuis plus de huit ans, je n’en ai guère évoqué que deux : Lettres de la guerre, les souvenirs de l’écrivain portugais Antonio Lobos Antunes qui y fut expédié comme médecin militaire, et Another Day of Life, d’autres carnets de guerre, ceux du journaliste polonais Ryszard Kapuściński.

Comme Nayola, Another Day of Life était un film d’animation. C’est la preuve de la vitalité du genre, qui n’est depuis longtemps plus réservé à un public enfantin, mais s’ouvre aux adultes pour leur raconter, avec une liberté poétique qu’une caméra n’autoriserait pas, toute une palette de sujets.

Il y a quelques mois à peine, un autre film d’animation pour adultes, Unicorn Wars, racontait la noirceur de la guerre. Nayola, film tous publics, n’est pas aussi macabre. C’est d’ailleurs un peu son défaut. Son statut est incertain : documentaire historique sur la douloureuse décolonisation de l’Angola ? drame familial sur une mère et une fille séparées l’une de l’autre ? film poétique qui s’autorise quelques séquences oniriques – et d’ailleurs esthétiquement envoûtantes ?

Nayola souffre d’une faiblesse de scénario. Les deux fils de l’histoire qu’il tresse ne se nouent pas.. On ne comprend pas ce qu’il advient de Nayola en 1995 et si elle parvient ou non à retrouver son mari. On ne comprend pas plus les motifs qui conduisent ce mystérieux homme masqué à retrouver Yara en 2011 et son comportement quand la police débarque.

Aussi grand que fut mon enthousiasme à sortir des sentiers battus pour aller voir ce film d’animation sur un sujet hors normes, qui plus est au Luminor, une salle parisienne menacée de fermeture, mes préjugés favorables se sont fracassés sur son inanité.

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Un Varón ★☆☆☆

La mère de Carlos est en prison ; sa sœur aînée se prostitue. Le jeune homme vit à Bogota dans un foyer qui accueille des enfants des rues. La loi du plus fort sanctionne violemment toute défaillance aux codes hyper-machistes qu’elle y fait régner. Un soir de Noël, tout bascule quand Carlos, parti à la recherche de sa sœur, est violemment pris à partie….

Je reproche souvent dans ce blog à des films de ne pas être novateurs, de traiter un sujet qui l’a été mille fois. Des amis m’en ont fait la remarque : 1. Tu as peut-être déjà vu mille films sur ce sujet – et tu le mentionnes au passage très prétentieusement – mais, nous qui n’avons pas ta culture – ou ta monomanie – cinématographique ne les avons pas tous vus 2. Un film peut être très bon, même s’il traite d’un sujet rebattu : as-tu reproché à La La Land de raconter une histoire d’amour ? à Novembre son enquête policière ?

J’ai ce scrupule au moment de faire à Un Varón le procès déjà mille fois instruit : celui de raconter une histoire qu’on a déjà trop souvent entendue, celle de l’adolescent rebelle, sevré d’amour, qui cache derrière une apparente dureté, un immense manque de tendresse. On pense bien sûr aux Quatre Cent coups de Truffaut ou à l’adaptation de cet excellent roman autobiographique de Auguste Le Breton Les Hauts Murs, qui ne valait pas tripette mais qui bizarrement m’a durablement marqué. Parce que l’action de Un Varón se déroule en Colombie, on pense à La Vierge des Tueurs – qui se déroulait à Medellín je crois – ou à d’autres films latino-américains comme le Chilien Mon ami Machuca ou le Brésilien La Cité de Dieu, sinon bien sûr au Mexicain anthologique Los Olvidados de Bunuel. On pourrait encore citer, si l’on est en mal d’exotisme, l’Italien Miracle à Milan, l’Iranien Les Enfants du soleil ou le Nigérian Beast of No Nation.

Mais je vais essayer d’écouter le reproche de mes proches, de faire abstraction de ces antécédents et d’examiner ce film-là en faisant abstraction de ces films-ci.
Un Varón se situe sur la ligne de crête entre le documentaire et la fiction. J’allais écrire que c’est à la mode  (El Agua utilisait le même procédé en glissant dans une oeuvre de fiction des interviews face caméra) ; mais je ne le ferai pas pour ne pas verser à nouveau dans le même biais.

Le personnage de Carlos est pour le moins troublant. On imagine qu’il cache un lourd secret, incompatible avec les lois de la rue : est-il homosexuel ? ou peut-êre même cache-t-il un corps de fille sous des vêtements de garçon ?
On aurait aimé que ce film très (trop ?) court nous scotche avec un tel coup de théâtre. mais il n’en fait rien. Au contraire : il s’interrompt brutalement en plein milieu d’une intrigue dont on sort frustré de ne pas connaître le dénouement.

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Comme une actrice ★★★☆

Anna (Julie Gayet) est une actrice célèbre qui approche la cinquantaine et qui peine à réparer des ans l’irréparable outrage. Elle forme avec Antoine (Benjamin Biolay) un couple qui s’est construit autour de la passion commune de la scène mais qui, avec le temps, s’est usé.
Pour lutter contre le trac, Anna se fait prescrire, dans l’arrière-salle d’une boutique chinoise, un philtre dont le surdosage accidentel aura des effets étonnants : Anna aura le don de prendre les traits de n’importe quelle femme. Usant de ce subterfuge, Anna se transforme en Delphine (Agathe Bonitzer), la critique de théâtre dont Antoine est en train de tomber amoureux.

Comme une actrice est une étonnante comédie dramatique sur l’usure du couple et la jeunesse qui fuit. La recette est agrémentée d’une larme de fantastique, un ingrédient très difficile à doser dont je trouve qu’il détruit souvent l’équilibre d’un film. Mais tel n’est pas le cas ici.
Le seul reproche que j’adresserais à Comme une actrice est marginal. Je trouve qu’il comportait une veine à la fois très drôle et vertigineuse – la possibilité pour Anna d’emprunter les traits de n’importe quelle femme et de se retrouver entraînée de ce fait dans mille et une histoires – que le film utilise trop tard ou trop peu. Il aurait dû en faire sa première partie avant de se focaliser sur la relation d’Antoine et de Delphine et le subterfuge d’Anna.

Mais ce reproche ne pèse guère au regard des nombreuses qualités que j’ai trouvées à ce film.
Il s’agit bien sûr, comme l’annoncent son titre et son affiche – une photo empruntée à sa toute première scène, une longue scène de maquillage et de coiffure où Anna se transfigure – d’une réflexion sur le métier d’actrice. Un métier qui donne l’occasion de « vivre mille vies » au risque de s’y perdre.

C’est aussi, c’est peut-être surtout, un film sur la jeunesse qui fuit et le désir insensé de la préserver à jamais. J’ai pensé à Dorian Gray et au pacte méphistophélique qu’il avait conclu pour garder une éternelle jeunesse. J’ai surtout pensé à la chirurgie esthétique et à ses effets délétères : quand bien même elle mettrait sa santé en danger, Anna ne peut plus s’empêcher de boire le philtre qui lui permet de prendre les traits de Delphine et de retrouver les baisers d’Antoine.

Enfin, Comme une actrice est un film déchirant sur le couple, sur le désir qui insidieusement l’a quitté, sur la crise de la cinquantaine, sur la lâcheté masculine, sur la fidélité féminine… Il se conclut sur une séquence ensoleillée dont je ne suis pas sûr du statut : s’agit-il du souvenir nostalgique des premiers commencements ? ou de la promesse radieuse d’un éternel retour ?

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Emily ★☆☆☆

Alors que la tuberculose va l’emporter à trente ans à peine, Emily Brontë (Emma Mackey) revient sur les circonstances qui l’ont conduite à prendre la plume et à rédiger son chef d’oeuvre, Les Hauts de Hurlevent.

Les Hauts de Hurlevent occupent dans le panthéon littéraire une place éminente. Aussi célèbre en Angleterre qu’à l’étranger (il fait l’objet d’un véritable culte au Japon), il compte parmi les romans les plus lus au monde, avec Anna Karénine, Les Misérables et Les Raisins de la colère. Sa célébrité doit beaucoup à celle de son auteur, la fille d’un austère pasteur anglican, qui passa son enfance à arpenter les landes du Yorkshire avant de mourir fauchée dans sa prime jeunesse en laissant quelques poèmes et un seul roman.

Les Hauts a été porté un nombre incroyable de fois à l’écran. L’adaptation la plus célèbre remonte à 1939 avec Laurence Olivier. Wikipedia m’apprend que Bunuel en 1954 et Rivette en 1956 s’y sont frottés eux aussi. Je ne connaissais pas ces deux adaptations là. En revanche j’ai vu et aimé la dernière en date en 2012 signée Andrea Arnold, pleine de bruit et de fureur.

Le film de Frances O’Connor n’est pas une énième adaptation des Hauts, mais un biopic sur Emily. Il donne la part belle à la relation qu’elle a eue, ou plutôt qu’elle aurait eue car ses biographes ne s’accordent pas sur ce point, avec le vicaire Weightman qui donnait à la jeune fille des cours de français et qui assistait son père dans sa charge. Il évoque bien entendu ses liens, mélange de tendresse et de jalousie, avec ses sœurs, Charlotte – qui écrivit Jane Eyre la même année que Emily Les Hauts – et Anne, mais aussi longuement ceux avec son frère, Branwell, qui sombra dans l’alcool et le laudanum et qu’elle suivit dans la tombe trois mois après sa mort.

Sur le papier, Emily s’annonce comme une superbe oeuvre romantique à souhait, portée par l’interprétation exaltée de la belle Emma Mackey (Mort sur le Nil, Eiffel). Mais, hélas, la recette fait long feu et au bout d’une demi-heure – alors que le film en dure trois de plus – on s’y ennuie ferme. La caméra a beau balayer la lande dans de longs travellings rasants ; les cuivres et les cordes ont beau s’élever dans une musique sursignifiante qui souligne à l’excès chaque rebondissement ; rien ne nous sauve de l’ennui pesant qui bientôt s’installe et jamais ne se dissipe.

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Houria ★☆☆☆

Houria (Lyna Khoudri) a une passion : la danse classique qu’elle apprend avec Sabrina, sa mère (Rachida Brakni), dans l’espoir d’en faire un jour peut-être son métier. Mais ses rêves se brisent, la nuit où Houria est agressée dans les rues d’Alger. Le choc la prive de la parole et l’oblige à une longue rééducation pour retrouver l’usage de ses jambes. Durant sa convalescence, Houria rencontre un groupe de femmes soignées à l’hôpital : certaines sont sourdes et muettes, d’autres sont autistes, d’autres encore ne se sont jamais remises du traumatisme causé par la mort de leurs proches….

Trois ans après Papicha, Mounia Meddour réalise son deuxième film avec, dans le rôle titre, l’actrice extraordinaire que le premier avait lancée : Lyna Khoudri. L’actrice franco-algérienne, César du meilleur espoir féminin, a fait du chemin depuis, avec des premiers rôles dans Haute couture ou La Place d’une autre et des rôles secondaires dans The French Dispatch, Nos frangins, Novembre. Le film repose tout entier sur ses épaules. Elle est de tous les plans et le porte avec toujours la même énergie électrisante, la même colère rentrée… et un travail qu’on imagine immense pour apprendre la langue des signes et donner l’illusion d’être une ballerine confirmée.

Mais hélas, pendant que sa protégée gravit à toute allure les marches vers la célébrité, Mounia Meddour semble faire du surplace. Houria est le pâle décalque de Papicha. Les mêmes sujets le traversent : la décennie noire en Algérie (Sabrina ne se console pas de l’assassinat de son mari), les rêves d’exil (Sonia, la meilleure amie de Houria, rêve de quitter l’Algérie pour l’Espagne au péril de sa vie), le « hittisme » des jeunes Algérois qui s’ennuient et les combats de bélier avec lesquels ils essaient de se distraire…. C’est beaucoup, c’est sans doute trop pour un film qui aurait gagné à se concentrer sur son seul sujet.

Le problème est que ce sujet-là – la lente reconstruction d’une danseuse dont les rêves se fracassent sur l’accident qui l’éloigne des planches – vient d’être traité avec le succès qu’on sait par Cédric Klapisch. En corps m’avait enthousiasmé au point d’en faire un de mes films préférés de l’année passée, tout en haut de mon Top 10. Je sais que cet enthousiasme n’était pas unanimement partagé. Mais, en tout état de cause, ce film-là, beaucoup plus réussi que ce film-ci, lui porte une ombre fatale.

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The Whale ☆☆☆☆/★★★★

Charlie (Brendan Fraser) a perdu le contrôle. Après la mort de son compagnon, il s’est laissé aller à une boulimie maladive et a pris du poids jusqu’à devenir un énorme corps malade de 260kg, quasiment impotent, menacé de céder d’un instant à l’autre à un infarctus fatal.
Charlie enseigne à distance l’anglais à des adolescents auxquels il essaie de transmettre son goût de la littérature et qu’il exhorte sans succès à faire preuve de plus d’authenticité dans leurs rédactions.
Liz, une infirmière bienveillante, est son seul lien physique avec le monde extérieur.
Sentant sa fin prochaine, Charlie veut renouer avec sa fille, Ellie, une adolescente rebelle, que son ex-femme l’a empêché de voir depuis que Charlie a reconnu son homosexualité et a divorcé.

The Whale est un film-choc qui m’a inspiré des réactions contradictoires. J’ai longtemps hésité sur la « note » que je lui mettrai – puisque la règle, même si elle m’exaspère, veut que je mette une « note » à chacun des films que je critique sur ce blog. J’aurais dû faire la moyenne des sentiments paroxystiques que ce film a suscités chez moi et logiquement lui attribuer un 10/20 médian. Mais deux étoiles aurait été un jugement bien fade sur un film qui ne l’est pas.

The Whale vaut d’abord pour l’interprétation hénoooooorme de Brendan Fraser, une de ces figures christiques que Hollywood adore et à laquelle elle vient d’ériger un autel en lui décernant l’Oscar du meilleur acteur. On ne voit rien de lui sinon d’abord un écran noir dans une visioconférence qu’il anime en prétextant une panne de caméra. Puis son corps apparaît, vautré dans un sofa. Il s’en extrait non sans mal et aidé par un déambulateur, ahanant, se dirige vers les toilettes. Image dantesque, même si son effet vient autant sinon plus des prothèses collées sur le corps de l’acteur que de son jeu.

The Whale vaut ensuite pour ce portrait bouleversant – ne demandez pas où je suis allé chercher cet adjectif – d’un homme en perdition, ivre de chagrin, qui se suicide lentement à force de corps gras. Il ne faut pas avoir le cœur au bord des lèvres pour le regarder se goinfrer de pizza, de mayonnaise, de boissons sucrées… et il ne faut pas avoir de cœur du tout pour ne pas être retourné par la somme de solitude, de chagrin et de remords qui l’écrase.

Mais The Whale a au moins autant de défauts que de qualités.
C’est l’adaptation d’une pièce de théâtre qui peine à s’affranchir du théâtre filmé : un seul décor dont on ne sortira quasiment pas, quatre ou cinq personnages à peine, de longues tirades. On attendait autre chose, on attendait mieux de Darren Aronofsky dont les transgressions punk – qu’on se rappelle Pi ou Requiem for a Dream – promettaient de faire souffler un grand vent d’air frais dans le cinéma hollywoodien du début des années 2000.

Ce huis clos nous prend au piège d’un drame suffocant.
Le film aurait été grandiose s’il s’était réduit au face-à-face entre Charlie et son infirmière. Mais on dira encore – et on aura raison – que je fais la critique du film que j’aurais aimé voir. Hélas, le scénario a la mauvaise idée d’introduire deux autres personnages : un jeune prêcheur faisant du porte-à-porte pour rallier de nouveaux fidèles et Ellie, la fille de Charlie, insupportable adolescente qui oppose aux tentatives larmoyantes de son père pour se rapprocher d’elle des rebuffades toujours plus cruelles dont on comprend vite qu’elles cachent un manque abyssal d’amour.

Le principal défaut de The Whale est l’énorme pathos dans lequel il est englué. Derrière ses montagnes de graisse, Brendan Fraser nous décoche des regards noyés de chagrin de petit chat écorché qui émouvront jusqu’aux plus endurcis.
La dernière scène – dont je ne suis pas certain d’avoir compris le sens – m’a laissé dans le même état d’incertitude que le reste du film : est-elle déchirante ou insupportablement pathétique ?

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En toute liberté ★☆☆☆

Radio al-Salam est une radio fondée en 2015 en réaction à l’occupation par Daech du nord de l’Irak. Basée à Erbil, au Kurdistan irakien, cette radio a pour objectif de favoriser la réconciliation et la paix, en diffusant, en arabe et en kurde, des reportages et de la musique à destination des populations déplacées arabes, chrétiennes, kurdes, yézidies qui affluaient dans la région suite aux avancées de Daech.

Si la chute de l’Organisation de l’Etat islamique libère Mossoul du joug tyrannique de Daech, la ville, distante d’Erbil de quatre-vingts kilomètres à peine, est en ruines, les populations déplacées attendent dans des camps de fortune leur réinstallation et la réconciliation prendra du temps.

Xavier de Leauzanne consacre le deuxième volet de sa trilogie « La Vie après Daech » à sept journalistes qui travaillent dans cette radio. Le premier volet, 9 jours à Raqqa, était consacré au nouveau maire de cette ville-martyre, qui fut pendant quatre ans la capitale de l’Etat islamique. Le troisième, qui sortira bientôt, filme les étudiants de l’université de Mossoul en pleine reconstruction.

En toute liberté documente un pays qui peine à panser ses plaies. Les images des immeubles en ruine de Mossoul, sur les rives du Tigre, sont apocalyptiques et laissent augurer l’ampleur des travaux et les fonds nécessaires avant le retour à la normale.

En toute liberté raconte les efforts déployés par une radio indépendante pour encourager le « vivre-ensemble ». Elle le fait dans ses reportages sur le terrain auprès des personnes déplacées mais aussi dans ses émissions où elle ouvre ses ondes à tous les témoignages.
Elle le fait surtout – et c’est tout le message du documentaire – à travers l’exemple qu’elle donne dans sa diversité humaine. Ses sept journalistes, quatre hommes et trois femmes, représentent un échantillon quasiment parfait de la sociologie des personnes déplacées qui ont trouvé à Erbil un refuge, après l’invasion américaine et la guerre en Syrie : un Kurde d’Iran, une yézidie qui a failli tomber aux mains de Daech à Sinjar en août 2014, un jeune Syrien sunnite qui confesse avoir flirté avec l’extrémisme, un chrétien…

SI bien sûr, on ne peut, sauf à manquer de cœur et de raison, que prendre fait et cause pour cette noble entreprise, on s’autorisera néanmoins quelques réserves sur ce documentaire qui en fait le panégyrique. À commencer par un titre passe-partout qui pourrait être utilisé pour bien d’autres sujets et dont, ici, la pertinence ne saute pas aux yeux – le Kurdistan irakien jouissant d’une très grande autonomie est une région qui s’administre librement et qui reconnaît la liberté d’expression. Ensuite la promotion du « vivre-ensemble » est un concept qui fait sens à nos oreilles françaises mais dont on peut se demander s’il n’est pas trop occidentalo-centré.
Enfin – et c’est le reproche le plus grave que j’adressais d’ailleurs déjà à 9 jours à Reqqa – les journalistes de Radio al-Salam sont tellement héroïsés, sans contrepoint, que En toute liberté finit par se réduire à un long clip publicitaire.

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