
Josef Mengele est tristement célèbre pour les crimes qu’il a commis à Auschwitz où ce médecin, obsédé par la gémellité, a pratiqué des expérimentations sur des prisonniers. Après la Seconde Guerre mondiale, il s’est réfugié en Amérique latine et s’y est caché jusqu’à sa mort en 1979. Le romancier strasbourgeois Olivier Guez a consacré un livre soigneusement documenté à sa longue cavale, couronné par le prix Renaudot en 2017.
Réalisateur russe exilé en Allemagne, Kirill Serebrennikov s’est emparé de ce roman pour évoquer à sa façon cette figure monstrueuse du XXe siècle. On y trouve les traits caractéristiques du réalisateur de Leto, de La Fièvre de Petrov, de La Femme de Tchaïkovski et de Limonov : l’usage très stylisé du noir et blanc – que viendra interrompre une seule scène en couleurs sur laquelle nous reviendrons – des plans-séquences d’une maîtrise époustouflante – tel celui d’un mariage organisé parmi la fine fleur de la diaspora nazie de Buenos Aires – une mise en scène enfiévrée….
Présenté à Cannes Première, une sélection parallèle créée en 2021, La Disparition de Josef Mengele a divisé la critique avant de décourager le public qui l’a boudé. Certains ont salué le souffle du réalisateur et le talent de son acteur principal, August Diehl (Une vie cachée), qui relève le défi d’interpréter Mengele à tous les âges de sa vie sans sombrer dans la caricature. J’aurais scrupule à ne pas leur donner raison. Mais d’autres s’interrogent sur le sens de ce biopic répétitif qui montre un homme habité par ses démons, encroûté dans ses certitudes que rien, pas même la visite de son fils et les questions légitimes que celui-ci lui pose, ne vient ébranler.
Le débat se focalise sur cette fameuse séquence en couleurs située au mitan du film. Il s’agit, nous dit-on, d’images tournées à Auschwitz par un officier SS avec sa caméra amateur. On y voit Mengele et ses collaborateurs procéder au tri des prisonniers à l’arrivée des convois de déportation, envoyant les plus fragiles à la chambre à gaz, en prélevant d’autres pour d’horribles expérimentations dont ils ne sortiront pas vivants. On le voit également opérer au bloc. La scène est ponctuée par un concert donné par un orchestre de nabots difformes. Elle crée, à dessein, le malaise. Exhibitionnisme malsain ? ou souci de montrer l’immontrable ?