Septuagénaire sans femme ni enfants, amer mais volontiers philosophe, Jean-Michel Bouchard se sent de plus en plus déphasé avec le monde qui l’entoure. Il attend sereinement la mort dans la maison de retraite cossue où il s’est installé.
À quatre-vingt deux ans, Denys Arcand signe, comme son titre l’annonce, un film testamentaire. Son pitch lugubre a de quoi faire fuir. Son double autobiographique, Rémy Girard, a joué dans ses plus grands films depuis Le Déclin de l’empire américain (1986) : Jésus de Montréal (1989), Les Invasions barbares (2003), La Chute de l’empire américain (2018). Mais on retrouve à l’affiche quelques-uns des acteurs qui lui sont fidèles depuis près de quarante ans : Marcel Sabourin, Yves Jacques, Johane-Marie Tremblay…
Avec une ironie mordante, Denys Arcand raille les travers de notre temps. il se moque du politiquement correct. Boomer assumé, il affiche haut et fort son anti-wokisme sans craindre le retour de baton. Son film fait feu de tout bois et aurait probablement déchaîné une polémique s’il avait eu plus de notoriété. Une séquence, par exemple, montre le héros à une remise de prix, entouré d’autrices plus caricaturales les unes que les autres : l’une est queer, l’autre revendique sa transfluidité, la dernière se cache derrière un hijab. Un personnage secondaire qui, toute sa vie durant, a respecté les consignes de santé draconiennes qui nous sont constamment rappelées (manger bio, faire du sport….), meurt brutalement d’une attaque, provoquant par réaction chez sa veuve effondrée une consommation effrénée de graisses. Une fresque du XIXème siècle, dépeignant l’arrivée de Jacques Cartier au Canada est au centre d’une polémique entre des descendants autoproclamés des Premières Nations qui en dénoncent le racisme et exigent sa destruction et de vieux Québécois qui, au nom de la sauvegarde du patrimoine, s’y opposent.
La charge est lourde. Elle est souvent caricaturale. Murielle Joudet dans Le Monde lui met un zéro pointé et accuse Denys Arcand de « sombrer dans l’antiwokisme ». La critique du Monde, solidement argumentée, n’est pas seulement mue par un réflexe pavlovien, hostile par principe à tout ce qui s’éloignerait de la bien-pensance agréée. Elle mérite une longue citation : « Pourquoi pas traiter de sujets qui hantent toutes les sociétés occidentales : la culpabilité blanche, l’hystérie médiatique, le remplacement d’un récit historico-politique unifié par une collision de points de vue. Sauf que le cinéaste ne se montre jamais à la hauteur des débats qu’il soulève, la profondeur analytique de ses saillies pouvant se résumer à un désespéré « Tout fout le camp ! » et « On ne peut plus rien dire », tandis que femmes et jeunesse sont filmées comme des monstres irrationnels. »
J’ai bien ri – et toute la salle avec moi, majoritairement composée de spectateurs au moins aussi âgés que moi – à certaines répliques « Mais qu’est-ce qu’ils ont tous ces jeunes à se tatouer aujourd’hui ? ». La faute sans doute à mon âge et à ma subjectivité qui m’inclinent plutôt vers l’anti-wokisme que vers le wokisme. Pour autant, qu’on soit woke ou anti-woke, si l’on a la cinquantaine déjà bien entamée, on ne pourra qu’être profondément remué par le portrait de son héros vieillissant qui, en quelques phrases, dans une voix off pourtant bien trop pontifiante, résume avec une cinglante lucidité le rétrécissement de sa vie et ce sentiment si démoralisant de devenir progressivement étranger à un monde qui continuera de tourner sans nous.