L’Économie du couple ★★★★

La première scène de « L’Économie du couple » l’introduit et le résume. Marie rentre dans sa maison avec ses deux filles jumelles. Chargée de paquets, un peu débordée par la vivacité de ses enfants qui renâclent à faire leurs devoirs et aller se doucher, elle découvre avec déplaisir la présence de Boris dont on comprend qu’elle vient de se séparer mais qu’il habite toujours sous le même toit sans toujours respecter les règles de leur cohabitation.

Dans « L’Économie du couple » il est question, comme le titre l’annonce, d’argent. Si Marie et Boris vivent encore ensemble, c’est à cause d’un désaccord financier. La maison appartient à Marie qui l’a acquise grâce à un prêt de ses parents grands bourgeois ; Boris est lui d’une origine plus modeste mais a assuré lui-même la restauration et l’embellissement de leur demeure. Pour que son conjoint quitte les lieux, Marie est prête à lui en payer le tiers ; mais Boris en réclame la moitié.

Le dernier film de Joachim Lafosse – dont j’avais déjà beaucoup aimé les précédentes réalisations – est un bijou.

Un bijou d’écriture. Joachim Lafosse filme le désamour. Il ne leste pas ses personnages d’une inutile dimension psychologique. Pas d’amant ni de maîtresse qui expliquerait la déliquescence d’un couple qui se délite parce qu’il ne s’aime plus. Entre lourds silences et violentes disputes, l’histoire de cette rupture est décrite avec une froideur clinique et une précision sadique. Jacques Mandelbaum dans Le Monde parle d’un « cinéma intelligemment désagréable ». Je ne saurais mieux dire.

Un bijou de mise en scène. La caméra ne quitte pas l’appartement de Marie filmé en longs plans-séquence. Baigné par une belle lumière, il est à la fois accueillant et oppressant : Marie a envie d’y rester mais souhaite que Boris en parte. C’est seulement à l’ultime fin du film qu’on le quittera, pour trois scènes qui viennent clôturer le film et lui donner sa cohérence.

Un bijou d’interprétation. J’adore Bérénice Béjo depuis « Meilleur espoir féminin » qui l’avait révélée. « The Artist » – qui lui valut le Casar de la meilleure actrice et une nomination aux Oscars – n’est pas à mon avis son meilleur film. Je lui préfère « Le Passé » d’Ashgar Farhadi qui est aussi l’histoire d’une séparation et où le personnage interprété par Bérénice Béjo se prénommait déjà Marie. Elle n’a jamais été aussi belle, la mine sévère, les cheveux tirés, si forte dans sa détermination de rompre et de protéger ses filles, si fragile dans le combat qu’elle livre contre l’homme qu’elle a cessé d’aimer. Cédric Kahn a le rôle ingrat de Boris. Sa force jupitérienne menace à chaque instant d’exploser. Mais, pour autant, tous les torts ne sauraient lui être imputés. Si l’irritation de Marie se comprend, Boris n’en demeure pas moins un personnage attachant. Cette absence de manichéisme, ce refus d’instruire le procès à charge d’un des deux membres du couple ne sont pas la moindre des qualités de ce film si juste.

Dans une livraison qui n’a pas brillé par sa qualité, « L’Économie du couple » est haut la main le meilleur film de l’été et peut-être de l’année.

La bande-annonce

Dernier train pour Busan ★★★☆

Prenez The Walking Dead et Snowpiercer. Mélangez. Consommez glacé.

The Walking Dead pour les zombies qui, frappés d’un mal étrange, renaissent à la mort et pourchassent les survivants pour les mordre et les contaminer.

Snowpiercer pour le train lancé à toute vitesse qui reproduit dans son espace confiné les divisions du monde extérieur.

Dernier train pour Busan raconte, vous l’aurez compris, l’histoire d’un groupe de passagers quittant Séoul à l’instant où s’y déclenche une terrible épidémie. Un enragé qui est parvenu à entrer in extremis dans le train en contamine la plupart des passagers. Quelques uns, claquemurés dans un wagon, s’organisent pour survivre. Parmi eux un père divorcé et sa fille, une femme enceinte et son mari débonnaire, deux adolescents amoureux, un clochard, un PDG égoïste…

Les recettes utilisées ne sont pourtant pas très originales. On a déjà vu beaucoup de zombies au cinéma : en général pas très vifs et très affamés (La Nuit des morts-vivants de George A. Romero en a fixé les standards) mais parfois véloces (28 jours après, Z World) et même comiques (Shaun of the Dead, Bienvenue à Zombieland). Les zombies coréens, eux, courent très vite mais ont quelques tares dont nos héros sauront tirer avantage.

Autre recette éculée : le groupe hétérogène obligé de s’unir pour combattre qui perd ses membres l’un après l’autre. La régularité de ces morts devient à la fin presque mécanique et je vous invite à faire vos pronostics (il n’y a pas de Noir qui serait probablement mort en premier !).

Pour autant Dernier train pour Busan est un film de genre parfaitement réussi qui nous tient en haleine pendant deux heures. À  cause de lui vous ne prendrez plus jamais le TGV en paix.

La bande-annonce

Moka ★☆☆☆

Diane vient de perdre son fils, fauché par un chauffard. Elle décide de retrouver seule le conducteur. Elle dispose d’un indice : un témoin a cru reconnaître une voiture couleur moka. Diane croit identifier la conductrice en la personne de Marlène qui dirige une parfumerie de luxe à Évian.

Emmanuelle Devos joue à merveille, comme à son habitude, le personnage de Diane, dont la quête du responsable de la mort de son fils tourne à l’obsession. Nathalie Baye est, elle aussi, impeccable dans le rôle de Marlène qui voit se déliter son couple et échoue à combattre les ravages du temps. Pour autant ce parfait duo d’actrices est un peu trop connu pour faire souffler un vent de nouveauté et ne suffit pas à sauver ce film trop sage de l’ennui dans lequel il s’enfonce.

Est-ce parce que l’action se situe sur les bords du lac Léman ou parce que l’héroïne pénètre incognito dans une famille pour en révéler les turpitudes ? L’intrigue n’est pas sans rappeler l’excellent  – quoique mal vieilli – « Merci pour le chocolat » avec Isabelle Huppert et Jacques Dutronc. Sauf que Frédéric Mermoud n’a pas le génie de Claude Chabrol pour distiller un malaise. Sa peinture de la population évianaise (le petit dealer, le moniteur du parc thermal, l’ado rebelle) est aussi peu épicée qu’une fondue savoyarde.

La bande-annonce

Instinct de survie ★☆☆☆

Une blonde surfeuse américaine croit découvrir le spot de rêve sur une plage mexicaine isolée. Hélas pour elle, la situation se gâte lorsqu’elle est attaquée et blessée par un requin vorace. Réfugiée sur un brisant qui affleure à marée basse, elle doit trouver une solution avant que la marée ne remonte.

Vous me suspectez d’être allé voir Instinct de survie pou reluquer Blake Lively en bikini push-up ? Vous n’avez pas tout à fait tort. L’héroïne de Gossip Girl n’est pas désagréable à regarder. Mais mon intérêt pour cette oubliable série B avait d’autres motifs plus avouables.

Le pitch du film de Jaume Collet-Serra est un défi à l’imagination. Comme dans Seul sur Mars (un astronaute piégé sur Mars), comme dans Cast away (un naufragé seul sur une île déserte), comme dans Buried (un soldat américain enterré vivant en Irak), le scénariste dispose d’un matériau très maigre pour raconter une histoire, la ponctuer de coups de théâtre et lui trouver une solution.

Un prologue qu’on fait durer avant l’entrée en scène du squale ? Pourquoi pas si c’est l’occasion de voir Blake Lively surfer au ralenti. Mais le vrai intérêt du film n’est pas là  (si si !) et on patiente gentiment devant des images de pub pour liquide WC en attendant que l’action commence.

Une voiture passe sur la plage que la surfeuse sur son rocher hèle désespérément ? Fausse bonne idée vu que le film n’en est qu’à sa moitié ; car on se doute bien que le conducteur ne la verra pas et n’ira pas prévenir les secours.

Des flash-backs éclairent le passé de l’héroïne ? Procédé un peu téléphoné et qui leste le film d’une psychologie pachydermique. Déjà qu’il y a un squale… alors un éléphant…

Notre surfeuse explique son plan d’action à une mouette échouée sur le même rocher ? On comprend qu’il faille trouver une astuce pour la laisser s’exprimer. Mais parler à une mouette ??!!

On l’aura compris : le scénariste de Instinct de survie relève bien médiocrement le défi à lui lancé. Reste le plaisir de voir Blake Lively en bikini…

La bande-annonce

Stefan Zweig : adieu l’Europe ★★☆☆

En 1936, Stefan Zweig fuit l’Europe et se réfugie au Brésil. Il s’y suicidera six ans plus tard, écrasé de désespoir.

Pourquoi un écrivain mondialement célèbre, en pleine force de l’âge, récemment remarié, accueilli chaleureusement dans un pays dont il tombe sous le charme, se donne-t-il la mort ? C’est cette énigme que Maria Schrader s’essaie à résoudre avec une infinie délicatesse. Elle ne le fait pas avec un « biopic » traditionnel mais en isolant six moments clés de ce séjour outre-Atlantique filmés comme autant de scènes de théâtre : l’accueil de Zweig par le ministre brésilien de la culture, sa participation à un congrès international d’écrivains où son refus de critiquer publiquement le régime nazi suscite l’incompréhension, sa visite d’une plantation de canne à sucre, ses retrouvailles avec sa première femme, son installation à Petropolis, la lecture enfin de la lettre écrite avant de se donner la mort…

Ces scènes revisitées avec méticulosité nous font revivre « le monde d’hier » : pas la Vienne d’avant 1914 évoquée dans la célèbre autobiographie de l’écrivain autrichien mais le Brésil des années 40 reconstitué pour les besoins du film en Afrique à Sao Tomé. On y parle toutes les langues : le français, langue de l’intelligentsia, l’allemand, parlé par l’importante diaspora juive, le portugais auquel s’initient non sans mal les Zweig mais aussi l’anglais et l’espagnol. Dans ces décors tropicaux, Stefan Zweig ne se départit jamais de son élégant costume trois pièces. Les causes de son suicide : moins le désespoir ou la solitude que la lassitude de vivre. « À soixante ans passés, écrit-il dans sa lettre d’adieu, il faudrait avoir des forces particulières pour recommencer sa vie de fond en comble et les miennes sont épuisées par les longues années d’errance. »

« Stefan Zweig : adieu l’Europe » (calamiteuse traduction de « Vor der Morgenröte ») est un peu trop académique pour provoquer l’enthousiasme mais suffisamment élégant pour susciter l’intérêt.

La bande-annonce

Sieranevada ☆☆☆☆

Dans la religion orthodoxe, la famille et les proches se réunissent quarante jours après la mort d’un défunt. C’est cette réunion commémorative que filme Cristi Puiu dans un appartement de Bucarest.

Des réunions de famille, on en a déjà vues au cinéma. Des drôles (Un air de famille de Cédric Klapisch), des tristes (Un conte de Noël d’Arnaud Desplechin) ou carrément des trash (Festen de Lars von Trier). Cristi Puiu fait le pari monstrueux de filmer une réunion de famille dans toute son interminable et désordonnée durée. On a beau y arriver en retard avec Lary, le fils aîné, et Laura, son épouse pimbêche, cette réunion s’éternisera pendant deux heures cinquante trois… Et encore Cristi Puiu l’interrompt-il lorsque la première bouchée du repas sans cesse retardée est enfin enfournée.

Cette durée monstrueuse, ce temps dilaté sont filmés – c’est le second pari du réalisateur – depuis le hall d’entrée d’un appartement. Les personnages vont et viennent, de la cuisine au salon, de la salle à manger à la chambre, passent et repassent devant la caméra, échangent quelques mots d’un dialogue interrompu et pas toujours très compréhensible. Le parti pris aurait pu être plus radical encore, filmant en temps réel, comme dans La Corde ou Victoria, une tranche de vie qui se joue devant nous. Cristi Puiu se permet quelques ruptures et quelques changement de focale. La caméra pénètre parfois dans une pièce, singularisant une discussion, un groupe.

On attend, comme dans Festen un événement : une révélation peut-être ou un drame. Mais cette attente est vaine ; car c’est la vie, ni plus ni moins, qui se joue : une vieille voisine ose être nostalgique du communisme, un cousin expose ses théories paranoïaques sur le 11-septembre ou Charlie Hebdo, une tante pleure un mari infidèle. On attend le pope qui vient bénir le costume du défunt ; puis on est interrompu par l’oncle volage qui essaie de récupérer sa femme. Enfin on passe à table. Deux heures cinquante trois plus tard. Le repas a commencé. Y aura-t-il une suite ?

La bande-annonce

Suicide Squad ☆☆☆☆

Brainstorming chez Warner Bros :
Le directeur de la création — Quelqu’un a des idées pour le prochain blockbuster ? Faudrait trouver un truc qui ait autant de succès que Deadpool. Un truc de mauvais garçons, drôle et bourré de clins d’œil.
Le stagiaire de troisième — On pourrait faire un film autour du Joker avec cet acteur génial qui jouait dans
Batman.
Le directeur — Heath Ledger ? Euh… il est mort.
Le stagiaire — Ah… pas grave. On pourrait alors mettre un tas de bad guys. Le public adore les bad guys.
Le directeur — Bof. Et tu verrais qui comme acteurs ?
Le stagiaire — On pourrait mettre Will Smith, c’est l’acteur le plus cool au monde, et  Margot Robbie. Depuis Le Loup de Wall Street, c’est l’actrice la plus sexy au monde.
Le directeur — Margot Robbie, c’est une bonne idée. Tu lui donnerais quel rôle ?
Le stagiaire — Une pétasse en couettes bleu, blanc, rouge avec un short ras les fesses et un T- shirt mouillé.
Le directeur — Oui… bon… Il faudrait quand même un scénario. Non ?
Le stagiaire — Les bad guys sont en prison et se voient promettre une remise de peine pour combattre un super méchant.
Le directeur — Tu sais que c’était déjà le scénario des Douze Salopards ?
Le stagiaire — Ah non. Je connaissais pas. C’est un film du XXe siècle ? On s’en fout ! J’étais pas né ! De toute façon, le scénario on s’en fiche. On mettrait plein d’effets spéciaux et une BO : Les Meilleurs Hits de l’été. Et hop ! C’est plié !
Soupirs affligés…

La bande-annonce